Proposition d’accompagnement pédagogique de l’exposition SeXe(s) de pub (19 février - 30 mars 2013, Médiathèque Olympe de Gouges, Strasbourg) I. Définition de la publicité Qu’est-ce qu’une pub ? Selon le Petit Robert : « Le fait d’exercer une action sur le public à des fins commerciales ; le fait de faire connaître (un produit, un type de produits) et d’inciter à l’acquérir […] ». Une "action" ? Quel type d’action ? En l’occurrence, au sein de cette exposition, des visuels, destinés à susciter le désir, auxquels sont parfois adjoints un slogan. On fixe l’attention du lecteur / de la lectrice. "Faire connaître et inciter à acquérir" : comment ? Selon les auteurs Adam et Bonhomme, l’argumentation publicitaire ressort de « l’éloge et la persuasion ».1 Eloge du produit vanté et persuasion par des moyens que nous tâcheront de mettre en lumière au cours de la visite. Fonctionnement d’une campagne publicitaire 1. Définir la cible : qui est susceptible d’acheter ce produit ? On peut évoquer la façon dont sont sélectionnées les marques en fonction du support de diffusion : un magazine comme Capital proposera plus volontiers des publicités pour des produits financiers, du matériel hi-tech… qu’un magazine comme Biba dont le lectorat sera pressenti comme plus sensible aux produits cosmétiques, vêtements… De la même manière on ne diffuse pas les mêmes spots publicitaires (télévision) en fonction du moment de la journée et des programmes liés aux coupures publicitaires (programmes à destination des enfants, heures des repas...). Idem sur Internet en fonction des thématiques des sites et des spécificités identifiées des internautes (commandes précédentes sur un site, informations fournies sur les réseaux sociaux...) 2. Créer un besoin : de quelle manière ? Le désir, l’envie, la mode… éventuellement la manipulation, sont autant de notions que l’on peut ici évoquer. 3. Recourir à divers procédés discursifs (le langage de l’image, le discours éventuellement associé et la mise en scène du produit vanté) que nous aborderons. La publicité se décline sous divers supports : prospectus, affichage dans l’espace public, annonces dans la presse, via le cinéma et la télévision… Nous nous intéressons ici à l’affichage, sur la voie publique, d’annonces à visée publicitaire mettant en scène des représentations des corps féminin et masculin, érotisés le plus souvent. II. Pourquoi cette exposition ? Le choix des annonces ici reproduites répond à un constat souvent formulé : les agences publicitaires ont massivement recours à la représentation de corps, féminins ou masculins, pour vendre leurs produits. Ces derniers sont le plus souvent idéalisés, voire érotisés, et c’est ainsi que certain-es (universitaires, sociologues, collectifs libertaires…) ont pu être amenés à mettre en lumière et dénoncer une fonction du corps objet, parfois exagérément exploité dans une démarche commerciale. 1 L’argumentation publicitaire : rhétorique de l’éloge et de la persuasion, par Jean-Michel Adam et Marc Bonhomme. Armand Colin, 2012 Médiathèque Olympe de Gouges - espace Egalité de genre - Strasbourg, 2014 1 Choix de la scénographie • L’accrochage respecte un ordre chronologique • Pourquoi présenter ces affiches de façon déstructurée ? Le parti pris d’un accrochage déstructuré répond à une volonté de ne pas donner à admirer ces affiches, telles des œuvres d’art, mais vise à susciter un questionnement. Nous souhaitons en effet poser la question du sens : regrouper une petite quinzaine de ces images qui façonnent l’espace public dans un espace restreint et clos nous permettra d’interroger la logique qui sous-tend le choix des annonceurs (annonceuses ?!). • La limite d’âge suggérée La représentation de la nudité pour vendre certains produits demeure problématique. On peut poser la question : Pourquoi ? Certaines personnes peuvent ressentir ces annonces comme agressives : on ne choisit pas de les voir elles sont présentes dans l’espace public, elles nous sont imposées, à toutes et tous peu importent nos âges, sexe, sensibilités et systèmes de valeurs. Le produit vanté ne nécessite bien souvent pas de mettre en scène la nudité des individus. • Le titre de l’exposition, SeXe(s) de pub, pourquoi ? On y voit un certain nombre de corps dénudés, renvoyant ainsi au sexe et à la sexualité, mais il s’agit également ici d’interroger la mise en scène du genre. • Qu’est-ce que le genre ? En marge du sexe biologique, les genres féminin et masculin évoquent ce qui se construit de notre identité en fonction du milieu culturel et social dans lequel nous sommes élevés. Pour le dire autrement, on naît femmes et hommes à raison d’un sexe biologique, mais on devient femme ou homme en répondant à des caractéristiques qui sont implicitement ou explicitement dictées par l’environnement dans lequel nous évoluons. On parle de normes de genre : par exemple « un garçon ne pleure pas », « une fille est gentille, jolie » (on apprend ça, ce n’est pas inscrit dans nos gènes !). III. Comment ces annonces publicitaires fonctionnent-elles ? Pistes de réflexion, d’après l’ouvrage de Stéphanie Pahud, Variations publicitaires sur le genre : une analyse linguistique des représentations publicitaires du féminin et du masculin : Les annonces sont présentées selon un rapport texte / image. • Le texte Slogans : - d’accroche (en début d’annonce, la "devise" du produit) dont l’objectif est de retenir l’attention - d’assise (en fin d’annonce, synthétise la stratégie économique ou la promesse de la marque). Le slogan d’assise peut donner des informations supplémentaires, expliciter le rapport entre le visuel et le produit. - Slogan de marque (parfois = slogan d’accroche) Quelles sont les paroles prêtées aux personnages de l’annonce ? Hommes et femmes tiennent-ils les mêmes discours ? • L’image Les personnages représentés dans les annonces : quels sont… - leur activité : la personne dans l’exercice de ses fonctions (travail, conduite, divertissement, étreinte…) ou figuration si pas d’activité explicite. Médiathèque Olympe de Gouges - espace Egalité de genre - Strasbourg, 2014 2 - leur statut : consommateur-trice, expert-e (qui atteste de la valeur du produit), distributeurtrice, créateur-trice du produit et témoins. Le statut relationnel également (épouse, mère…) leur sexe leur âge leur posture… Vêtements : Les femmes sont plus souvent nues (2X plus dans le corpus d’études de Stéphanie Pahud), en maillot de bain, sous-vêtements… Les hommes en tenue de sport, habits de travail… Même la couleur de cheveux a son importance en tant que porteuse d’une symbolique particulière : exprimée par Balzac dans La Comédie Humaine (et mise en lumière par Pierre Guiraud2) : Clairs = signe de faiblesse, douceur, sensualité Sombres = énergie, courage, rectitude Cette symbolique est exploitée dans la pub par des associations couleur / slogan (pureté et blondeur par ex.) Plan : notion qui renvoie aux différents types de cadrage Cropping : terme anglais désignant le découpage des images publicitaires consistant à mettre en évidence une partie du corps seulement ; dispositif destiné à attirer l’attention sur les jambes, lèvres, mains… présentés isolément3. Il semblerait que le corps des femmes soit plus fréquemment "disséqué". Les corps représentés fragmentés deviennent objets de fétichisme. « Ce découpage [des corps] (…) opère (…) en augmentant l’exigence des femmes pour chaque détail de leur anatomie. »4 Synthèse de l’étude de Stéphanie Pahud Etude portant sur un corpus de six magazines dont les annonces ont été systématiquement étudiées durant six mois en 2002 : Biba, Jeune & Jolie, Psychologies magazine, Men’s Health, Capital, Têtu. Cibles Les Magazines féminins (Biba + J&J = 45,82%) contiennent sensiblement plus de publicité que les masculins (Men’s Health + Têtu = 24,6%) ; on peut déduire que la cible globale est plutôt féminine. 2/3 de femmes représentées dans le corpus d’annonces pour 1/3 d’hommes, et fonction de la cible du magazine (plus d’hommes que de femmes dans Capital, Têtu, Men’s Health…) « Attraction préférentielle entre sexe de la cible et sexe du produit. » Pourquoi une telle différenciation sexuelle des produits ("regendering" en langage marketing) ? : Pour gérer la saturation du marché en segmentant les cibles. On observe une essentialisation du féminin et du masculin par 2 procédés discursifs d’idéologisation : - CATEGORISATION GENERALISATION Les femmes dans la publicité assument un rôle décoratif. On cherche rarement à mettre l’accent sur le fait qu’elles sont éventuellement douées d’intelligence. Se sont des silhouettes stéréotypées. On peut retenir 4 modèles : 2 Sémiologie de la sexualité. Essai de glosso analyse, Pierre Guiraud, Payot, 1978 Advertising as communication, Gillian Dyer, 1982 4 Le Livre noir de la pub : quand la communication va trop loin, Florence Amalou, Stock, 2001 Médiathèque Olympe de Gouges - espace Egalité de genre - Strasbourg, 2014 3 3 Figures asexuées La ménagère La mère L’Epouse La "Femme-Femme" Vivent pour les hommes On retrouve une division traditionnelle des rôles. On observe l’emploi différentiel des deux sexes en fonction des différentes catégories de produits : Hommes : Hi-tech, finance, banques, assurances… Femmes : soins, produits alimentaires, électroménager… Le Jeunisme touche plus les représentations de femmes que d’hommes. La Posture : les femmes sont plus souvent couchées que les hommes, dans des positions plus lascives. Les Activités : "Aucune activité" (figuration) concerne plus souvent les femmes que les hommes, ainsi que "détente", "soin du corps"… Les activités des hommes : sport, travail, ou encore au volant de voitures… Erving Goffman5 élabore la notion d’hyper ritualisation : « (…) les publicitaires ne créent pas les expressions ritualisées qu’ils emploient. » Cela signifie que ces derniers exploitent des références qui nous sont connues, accessibles, que nous partageons ; ils forcent le trait certes, mais ne font finalement que réexploiter ce qui nous est familier (images idéales, idéalisées, fantasmes…) pour servir leurs fins. [Attention : ne pas se limiter à la dénonciation d’une artificialité] Cœur de la problématique : La publicité recycle le discours de la culture ambiante, avec une prédilection pour la présupposition et le sous-entendu, liés à l’exigence de brièveté. Texte et contexte ne sont pas dissociables. Particularité du discours publicitaire : l’annonceur paye pour s’exprimer : il monnaie ce droit à la parole, ainsi il n’est pas tenu de proposer des énoncés de vérité ("carte blanche", à nuancer par le rappel de 2 résolutions adoptées dans le cadre de l’union européenne, + recommandation ARPP – anciennement BVP- = Autorité de régulation professionnelle de la publicité6). La recommandation ARPP est-elle selon vous respectée dans le cadre des affiches ici proposées ? Pourquoi ? IV. NOTIONS et CONCEPTS • Contenu manifeste et contenu latent7 Ces notions relèvent du champ d’études concernant l’analyse du discours, et sont elles-mêmes empruntées à la psychologie freudienne. 5 e Sociologue et linguiste américain du XX siècle dont l’ouvrage principal est La Mise en scène de la vie quotidienne, éditons Minuit 6 Les principes clés de la Recommandation Image de la personne humaine : Ne pas porter atteinte à la dignité de la personne Ne pas porter atteinte à la décence Ne pas réduire la personne humaine à la fonction d’objet Ne pas présenter ou induire de stéréotypes dénigrants Ne pas induire une idée de soumission (et, a contrario, de domination) ou de dépendance (et, a contrario, d’exploitation) dévalorisant la personne Ne pas présenter de violence, qu’elle soit morale ou physique 7 Voir http://www.analyse-du-discours.com/l-analyse-de-contenu-du-discours Médiathèque Olympe de Gouges - espace Egalité de genre - Strasbourg, 2014 4 Le contenu manifeste est ce qui est explicitement exprimé (thèmes, mots-clefs, prises de position et arguments invoqués pour les justifier…) Le contenu latent est tout ce qui exprimé de manière implicite. Etudier le contenu latent consiste donc à découvrir le non-dit. L’examen du contenu latent pourrait mettre en lumière la signification de la place accordée à chaque thème, l’absence de certains thèmes dans le discours, les valeurs non exprimées qui semblent découler de prises de position. • Hétéronormativité - Qui considère l’hétérosexualité comme l'unique orientation sexuelle à suivre. - Qui suit les valeurs ou les codes hétérosexuels dominants dans la société. En quoi l’hétéronormativité est-elle illustrée par les annonces ici reproduites ? • Imaginaire L’image interprète la réalité. De quel(s) imaginaire(s) s’agit-il en l’occurrence ? • Interprétation Celle qu’en propose l’annonceur par un éventuel slogan, texte. Celle qu’en font les consommateurs-trices, lecteurs-trices. • « L’éternel féminin » Il s’agit des derniers mots de Goethe, dans le second Faust, pour désigner l’attrait qui guide le désir de l’homme vers une transcendance. Le féminin représente alors le désir sublimé. Proposer d’indiquer une affiche qui en serait l’illustration. Voir encore le texte de Simone de Beauvoir reproduit ci-après. • Finalité du discours. • Porno chic • Qu’est-ce que le genre ? Naissance de ce sous-genre publicitaire au tournant XXe/XXIe (terme qui associe une hyper sexualisation de la femme avec des marques de luxe). • Public / Privé Ce qui relève de l’intime, ce qui peut être exposé sur la place publique (rappeler qu’un affichage Decaux présente un message perçu par des adultes comme par des enfants : quelle peut en être leur réception ?) • Stéréotype Cliché, lieu commun, opinion toute faite. Son immatérialité fait problème ; les stéréotypes ne sont pas donnés littéralement : à reconstruire (le lecteur remplit les cases vides). • Variations8, réalistes ou non, du système de genre en place Questions à poser : Que comprenez-vous ? Comment analysez-vous cette image ? Le/la lecteur-trice d’annonce publicitaire : actif ou passif ? Qu’est-ce qui n’est pas dit ? Qu’est-ce qui est présupposé, sous-entendu ? Quels sont les imaginaires de genre mobilisés dans le discours publicitaire ? Pourquoi ces publicités ont-elles un impact sur le public ? De quelle manière nous touchent-elles ? Atteignent-elles leur objectif : vendre une marque, un produit ? 8 "Variations" dans le sens de ce qui se réalise sous des formes différentes, diverses, ce qui fluctue. Médiathèque Olympe de Gouges - espace Egalité de genre - Strasbourg, 2014 5 On peut sélectionner 2-3 annonces et inviter le groupe à réfléchir sur leur contenu, ce qu’elles disent et ne disent pas... • L’éternel féminin Texte de Simone de Beauvoir extrait du Deuxième sexe (1949) "Les coutumes, les modes, se sont souvent appliquées à couper le corps féminin de sa transcendance : la Chinoise aux pieds bandés peut à peine marcher, les griffes vernies de la star d'Hollywood la privent de ses mains, les hauts talons, les corsets, les paniers, les vertugadins, les crinolines étaient destinés moins à accentuer la cambrure du corps féminin qu'à en augmenter l'impotence. Alourdi de graisse, ou au contraire si diaphane que tout effort lui est interdit, paralysé par des vêtements incommodes et par les rites de la bienséance, c'est alors qu'il apparaît à l'homme comme sa chose. Le maquillage, les bijoux, servent aussi à cette pétrification du corps et du visage. La fonction de la parure est très complexe ; elle a chez certains primitifs un caractère sacré ; mais son rôle le plus habituel est d'achever la métamorphose de la femme en idole. Idole équivoque : l'homme la veut charnelle, sa beauté participera à celle des fleurs et des fruits ; mais elle doit aussi être lisse, dure, éternelle comme un caillou. Le rôle de la parure est à la fois de la faire participer plus intimement à la nature et de l'en arracher, c'est de prêter à la vie palpitante la nécessité figée de l'artifice. La femme se fait plante, panthère, diamant, nacre, en mêlant à son corps des fleurs, des fourrures, des pierreries, des coquillages, des plumes ; elle se parfume afin d'exhaler un arôme comme la rose et le lis : mais plumes, soie, perles et parfums servent aussi à dérober la crudité animale de sa chair, de son odeur. Elle peint sa bouche, ses joues pour leur donner la solidité immobile d'un masque ; son regard, elle l'emprisonne dans l'épaisseur du khôl et du mascara, il n'est plus que l'ornement chatoyant de ses yeux ; nattés, bouclés, sculptés, ses cheveux perdent leur inquiétant mystère végétal. Dans la femme parée, la Nature est présente, mais captive, modelée par une volonté humaine selon le désir de l'homme. Une femme est d'autant plus désirable que la nature y est davantage épanouie et plus rigoureusement asservie : c'est la femme «sophistiquée» qui a toujours été l'objet érotique idéal. (...) Cependant c'est là le premier mensonge, la première trahison de la femme: c'est celle de la vie même qui, fût-elle revêtue des formes les plus attrayantes, est toujours habitée par les ferments de la vieillesse et de la mort. L'usage même que l'homme fait d'elle détruit ses vertus les plus précieuses : alourdie par les maternités, elle perd son attrait érotique ; même stérile, il suffit du passage des ans pour altérer ses charmes. Infirme, laide, vieille, la femme fait horreur. On dit qu'elle est flétrie, fanée, comme on le dirait d'une plante. Certes, chez l'homme aussi la décrépitude effraie ; mais l'homme normal n'expérimente pas les autres hommes comme chair ; il n'a avec ces corps autonomes et étrangers qu'une solidarité abstraite. C'est sur le corps de la femme, ce corps qui lui est destiné, que l'homme éprouve sensiblement la déchéance de la chair. " Médiathèque Olympe de Gouges - espace Egalité de genre - Strasbourg, 2014 6