l’œuvre de Rousseau, dont il récupère quelques
volumes dans une charrette de livres pillés aux
nazis. « Je n’avais alors ni maison ni argent, mais
je me suis dit que je ne pouvais pas laisser ces
ouvrages-là, expliquait-il en 2011. Alors je les ai
achetés pour quelques sous. Je n’y ai pas vraiment
prêté attention pendant quelque temps, puis j’ai com-
mencé à m’intéresser à ce qu’il y avait dedans. »
Marxiste désenchanté Après une thèse consa-
crée à la Société démocratique polonaise, qu’il
défend avec succès en 1953, Bronislaw Baczko
fait ses premiers pas en tant qu’académicien
en enseignant la philosophie à l’Université de
Varsovie.
Marxiste rapidement désenchanté par les erre-
ments du régime (antisémitisme officiel en
URSS, procès politiques, complot des blouses
blanches, chute de Béria, répression de l’in-
surrection ouvrière de Poznan par l’armée
polonaise), il tourne le dos à l’orthodoxie com-
muniste en s’engageant avec quelques collègues
dans un séminaire libre et ouvert qui fonctionne
sans directeur ni programme tout en orientant
de plus en plus ses recherches sur le « Citoyen
de Genève ».
Les deux séjours qu’il eectue à Paris (grâce au
soutien de l’Unesco, puis de la Fondation Ford),
lors desquels il côtoie des personnalités de la
trempe d’Edgar Morin, de Claude Lévi-Strauss
ou de François Furet, ne font que conrmer le
virage qui se concrétise en 1964 par la publication
d’une monographie intitulée « Rousseau. Solitude
et Communauté » et appelée à devenir un classique.
Nommé professeur deux ans plus tard,
Bronislaw Baczko n’aura pourtant guère le loi-
sir de se reposer sur ses lauriers. Au lendemain
de la guerre des Six-Jours (juin 1967), une vio-
lente campagne à forte coloration antisémite
débouche en eet sur la remise au pas de l’uni-
versité polonaise. Comme beaucoup de ses amis
Baczko est discrédité par le pouvoir avant de se
voir privé du droit d’enseigner et de publier.
Le refuge genevois Cela ne sura pourtant pas
à le réduire au silence. Invité par son collègue
français Jean Ehrard, il s’installe, suivi par
sa famille, à la Faculté des lettres de l’Uni-
versité de Clermont-Ferrand où il est nommé
professeur associé (1969-1973).
C’est un autre grand historien, Jean-Claude
Favez, alors doyen de la Faculté des lettres
de l’UNIGE, qui sera le principal artisan de
sa nomination à Genève, où il pose ses valises
en 1974.
Professeur ordinaire au Département d’histoire
générale, il prend en charge à la fois l’histoire
des mentalités et l’histoire de l’histoire. Un
double dicastère qui va lui permettre de donner
la pleine mesure de son talent.
En témoignent tout d’abord d’innombrables
articles et contributions médiatiques ainsi
qu’une série d’ouvrages dans lesquels il explore
avec brio l’imaginaire politique lié à l’héritage
des Lumières, ses paradoxes, ses continuités
et ses ruptures : Lumières de l’Utopie (1978),
Une éducation pour la démocratie (1982),
Les imaginaires sociaux. Mémoires et espoirs
collectifs (1984), Comment sortir de la Terreur.
ermidor et la révolution (1989) ou encore Job,
mon ami. Promesse du bonheur et fatalité du mal
(1997). Une solide bibliographie à laquelle on
peut encore ajouter une participation active
au vaste chantier des lieux de mémoire ouvert
par Pierre Nora ainsi qu’au fameux
Dictionnaire critique de la Révolution française
dirigé conjointement par François Furet et
Mona Ozouf.
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