La criminalisation des personnes atteintes d’une maladie mentale
Encart, Page 5
La Revue canadienne de psychiatrie, vol 57, no 2
Pendantcetemps,ilsemblequelasociétéengénéral,
continuedecroirequelespersonnesauxprisesavecun
troublementalneparviennentpasàmaîtriserleur
comportement,quelamaladiepousseaucrime,contrela
volontédelapersonne,etquel’infractionnerelèvepas
desonchoix.DansunpassagedesonlivreMad in
America,RobertWhittakersoulèvel’unedes
conséquencesimprévuesdecettementalité:«Selon
l’ordrehiérarchiquedesexclussociaux,lespatientsdes
asilessontmoinsbienconsidérésquelescriminels»22,p69.
Diversmotifsincitentdonclesfamilles,préoccupéespar
l’absencedetraitementpourleurproche,etcertains
professionnelsdelasantébienintentionnés,àmettresur
piedl’évaluationdelaresponsabilitécriminelledes
patientsballotésparleprocessusdes«portes
tournantes»etdespatientsayantcommisuneinfraction
mineure.Ducoup,lapsychiatrielégales’estretrouvée
avecl’obligationd’évaluerlespatientsquiautrement
auraientétéhospitalisésauxunitésdesoinsd’hôpitaux
psychiatriquesdetroisièmeligne.Autrementdit,les
personnesatteintesd’unemaladiementale–dansun
contexteoùenraisondelaréductiondeslitsetduséjour
hospitalieretd’unelégislationciviletristementincapable
delesprotéger,ilétaitimpossibledeleshospitaliser
sufsammentlongtempspourlestraiteravecefcacité
–étaientdirigéesverslesystèmed’expertiselégaleen
santémentale.Desprévisionsétabliesautournantdu
siècleveulentque,dansquelquesannées,lapsychiatrie
légaleprenneenchargetouslespatientsquioccupaient
auparavantleslitsdesoinspsychiatriquestertiaires.Ce
n’estqu’avecladécisionrendueparlaCoursuprêmedu
Canadadansl’affaireWinkocontrelaColombie-
Britannique(Forensic Psychiatric Institute)en1999que
lavapeuraétérenversée23.Danssadécision,laCour
précisequelefardeaudedéterminersilepatient
représenteunrisqueimportantpourlasécuritédupublic
incombeàl’hôpital,nonpasaupatient.Onnoteparla
suiteunehaussedeslibérationsinconditionnelles,etle
nombredecassoumisàlacommissiond’examens’est
stabilisépendantuncertaintemps.
C’estàcettepériodequedespersonnesatteintesd’une
décienceintellectuelle,délogéesenraisondelafermeture
desétablissementsquileshébergeaient,ontoccupéleslits
depsychiatrielégaleenOntariodansuneproportionallant
de10à15pourcent.L’absenced’établissementspouvant
accueillirlespersonnesâgéesauxprisesavecunproblème
desantémentaleaentraînélemêmerésultat.Lesaccusés
provenantdel’unoul’autredecesgroupessontjugés
inaptesàsubirleurprocèspourcausededécitscognitifs.
Dansbiendescas,ilestinutiled’espérerquelapersonne
seraunjourapteàlesubiretc’estainsiquecesgroupes
sontprisenchargeparlapsychiatrielégalepourlerestede
leursjours,cequin’étaitsûrementpasprévuinitialement
parlesystèmedepsychiatrielégale,ouparleCode
crimineldanssapartieXX.1.
Bref,lespersonnesatteintesd’unemaladiementalene
pouvantplusespérerêtresoignéesdansunhôpital
psychiatrique,ayantdesdéboiresaveclajusticeet
affrontantdeplusenplussouventl’incarcération,ontété
aiguilléesverslesystèmedepsychiatrielégaleoùelles
peuventàtoutlemoinsobtenirdessoinspsychiatriques,
auprixcependantd’antécédentscriminels.Sanségardau
droitautraitementdesmalades,nombreuxsontceuxqui
ontjugéquelaseulefaçondeleurgarantiruntraitement
étaitdelesaccuserd’unméfait,puisdelesconeràla
psychiatrielégale.Hélas,la«carteplatine»desoins
psychiatriquesn’étaitaccordéequ’àlacriminalisationdu
patient.
Despsychiatres–dépourvusderessourcesetcontraints
d’abrégerleséjourhospitalier–ontparfoisconsidéréla
prisonetlesystèmejudiciairecommeuneextensiondu
milieuhospitalier.Peudepsychiatresontmislespieds
danslesétablissementscorrectionnelsduCanadaetpeu
sontfamiliarisésaveclesdésauxquelsdoiventfaire
facelesdétenusetlepersonnel.Trèspeusontconscients
del’extrêmedifcultéqu’ilyaàtraiterunepersonne
présentantuntroublementaldansunétablissement
correctionnel,sanscompterque,danspratiquementtous
lesétablissements,lepatientnepeutêtretraitécontreson
gré,niencouragéàêtredèleàsontraitement
médicamenteux,decraintequel’attitudedupsychiatre
soitjugéecoercitive.Sanscompterquelesprisonsetles
centresdedétentionsontdesmilieuxoùlabrutalitésévit,
oùlespersonnesatteintesd’unemaladiementale
–instablesetincapablesdefairepreuvedediscernement
souvent–deviennentdesproiesfaciles,subissant
agressionetterreur.Lesagentscorrectionnelsqui,pourla
plupart,nesontpasforméspourprendreenchargedes
personnesauxprisesavecuntroublemental,ontdumalà
composeraveccegroupequi,mêmeàl’hôpital,posedes
difcultés.
Heureusement,deplusenplusdegensserendentcompte
quelespersonnesatteintesd’unemaladiementaleontété
assimiléesàtortàdesdélinquantscriminels,etun
mouvements’amorcedontlebutestdejugulercettecrise.
Desfondsetdesressourcesontétémisàladispositiondes
corpspolicierspourqu’ilssachentcomposeravecce
groupe,qu’ilsl’aiguillentversuneautrevoieque
l’accusationd’unméfaitcriminel24.Ainsi,lespoliciersont
lapossibilitéd’accompagnerlapersonnequicommetoua
commisundélitmineuràl’hôpitalplutôtquedel’arrêter.
L’éducationetl’allocationderessourcesontfacilitéla
prisededécisionsappropriées.Lestravailleursdesoutien
del’organisationjudiciaire,lesavocatsetlesprocureursde
laCouronneontœuvrédeconcertàlamisesurpiedde
programmesdedéjudiciarisationdanslespalaisdejustice
andeprendreenchargelescasoùlesaccusations
peuventêtremaintenuessilamaladiementaleestun
élémentdéterminant,quelesaccusationsnesontpas
gravesetqueletraitementestenvisagé.Deplus,notons
quelestribunauxdesantémentalesemultiplient25.Des
critiquesontsoulignéleurslacunes,maisildemeurequ’ils
reposentsurleprincipedelajurisprudencethérapeutique:
lalégislationdevraitêtreappliquéedemanièreàfavoriser
danslamesuredupossiblelebien-êtrementaletphysique
despersonnesquiysontassujetties.