Magnétisme microscopique à l\`échelle des domaines magnétiques

J3eA - Vol. 3 - 6 (2004).
DOI : 10.1051/bib-j3ea:2004006
Magnétisme microscopique à l'échelle des domaines magnétiques
dans les matériaux ferromagnétiques doux
F. Alves * ¤ et R. Barrué ** (ENS Cachan)
Mis en ligne le 03/09/2004.
Résumé
La visualisation des domaines magnétiques de Weiss constitue un outil d'analyse
intéressant et utile, aussi bien du point de la compréhension des phénomènes de base, que
du point de la caractérisation des matériaux fonctionnels. Elle permet, dans les matériaux
cristallins, de vérifier si les textures de GOSS sont bien dans le plan de laminage des tôles
fer-silicium. Dans les alliages amorphes, elle apporte une aide à l'analyse de l'efficacité
des traitements thermiques (relaxation des contraintes internes, induction d'une
anisotropie magnétique) ; par ailleurs, la mobilité des parois et la largeur des domaines
apportent des informations sur la perméabilité et les pertes électromagnétiques. Un
dispositif basé sur l'effet Kerr magnéto-optique longitudinal est décrit dans cet article. Un
certain nombre de structures en domaines dans différents matériaux ferromagnétiques
sont présentées. Grâce à différentes séquences vidéo numériques originales, nous
montrons ce qu'est l'hystérèse magnétique à l'échelle des domaines.
Mots-clés : domaines magnétiques, vidéo numérique, hystérèse, couplage magnétique-
mécanique, tôles fer-silicium, matériaux amorphes, alliages nanocristallins.
© EDP Sciences, 2004.
Niveau de connaissances requis. Notions d'électromagnétisme.
Niveau des étudiants. Deuxième cycle Génie électrique/EEA, physique…
* F. Alves 1 est maître de conférences (HdR) à l'École Normale Supérieure de Cachan (ENSC), détaché depuis
1995 au département de Génie Électrique de l'IUFM de Créteil. Il prépare les étudiants aux concours de
recrutement d'enseignants du second degré en lycées techniques et professionnels (CAPET et CAPLP). Son
activité de recherche, menée au SATIE, est centrée sur deux thèmes : l'étude de matériaux magnétiques
nanostructurés et leur apport en électronique de puissance, le développement, dans un cadre européen, de micro-
capteurs magnétiques en vue d'applications dans le domaine du contrôle non destructif et du biomédical.
¤ e-mail : [email protected]han.fr
** R. Barrué 1 est professeur des universités à l'ENSC et est responsable du pôle de compétences « Matériaux
magnétiques » de SATIE.
e-mail : barr[email protected]-cachan.fr
1 SATIE UMR CNRS 8029, ENS Cachan, 61 avenue du Président Wilson, F-94235 Cachan, France.
Article available at http://www.j3ea.org or http://dx.doi.org/10.1051/bib-j3ea:2004006
1. Matériaux ferromagnétiques et structure en domaines
Tous les matériaux présentant un magnétisme important, donc utilisables industriellement, comme les ferro- et
les ferrimagnétiques, sont des matériaux hétérogènes d'un point de vue de la structure magnétique. Ils sont
saturés localement ; par contre, à l'échelle macroscopique, en l'absence de champ magnétique extérieur, ils
peuvent avoir :
soit un comportement saturé, c'est le cas des matériaux durs appelés aussi aimants permanents, dans
lesquels tout est figé du point de vue des structures en domaines ;
soit un comportement plus modéré que l'on rencontre dans les matériaux magnétiques dits doux. Ces
derniers, en l'absence de champ extérieur, présentent pratiquement une aimantation macroscopique
nulle.
Il importe donc de bien distinguer le vecteur aimantation macroscopique (échelle de l'utilisateur), du vecteur
aimantation microscopique (échelle atomique). Le premier de ces deux vecteurs est une moyenne spatiale du
second vecteur ; c'est une constante vectorielle au sein de chaque domaine (hors parois), en régime quasi-
statique. Il est clair qu'en tout point du matériau, le vecteur aimantation microscopique, dont la direction peut
changer, a partout le même module et que son module a pour valeur l'aimantation à saturation.
L'idée des domaines n'est pas récente, celui qui l'a mise en conjecture dans son travail de thèse en 1907 est
Pierre Weiss. Il a montré qu'un échantillon de taille macroscopique, afin de diminuer son énergie globale, se
subdivise en de nombreuses régions aimantées à saturation (domaines) séparées par des frontières (parois de
Bloch ou parois de Néel). Dans ce cas, l'aimantation globale de la substance n'est égale à l'aimantation spontanée
que lorsque celui-ci est saturé. C'est donc une idée qui a été avancée, il y a longtemps, néanmoins, la
visualisation de telles structures et les interprétations que l'on peut en faire sont loin d'être un sujet de recherche
épuisé.
Les processus d'aimantation sont dominés par les changements topologiques des structures en domaines
(déplacements de parois et rotations d'aimantation) sous l'action d'un champ magnétique extérieur. Les pertes
électromagnétiques dissipées correspondent à des pertes Joule (générées par des densités de courants de
Foucault, localisées autour des parois en mouvement, ou réparties dans l'ensemble d'un domaine en rotation)
et/ou à des pertes par relaxation de spins (là encore, localisées au sein des parois en mouvement, ou réparties
dans l'ensemble d'un domaine en rotation).
Pour visualiser ces structures en domaines magnétiques qui guident tous les processus d'aimantation et de
génération de pertes dans les matériaux magnétiques doux, diverses méthodes d'investigation existent. Les
premières ont été développées à partir de poudres très fines par Bitter en 1931. En 1935, Landau et Lifshitz ont
relié l'existence des domaines de Weiss aux figures de Bitter. Ils ont montré que ce n'était là qu'une conséquence
naturelle de la minimisation des diverses énergies mises en jeu dans les corps ferromagnétiques :
l'énergie magnétostatique (liée aux champs démagnétisants internes qui tendent à minimiser le parcours
des lignes de champ dans l'air par la création de nouveaux domaines) ;
l'énergie de paroi (stockée dans la paroi, elle tend à équilibrer la diminution de l'énergie
magnétostatique) ;
l'énergie magnétocristalline (liée au fait qu'il existe des axes de facile aimantation dans le réseau
cristallin et que la rotation des moments magnétiques demande une mise en jeu importante d'énergie) ;
l'énergie d'échange (qui résulte de l'interaction des moments et qui passe par un minimum lorsqu'ils sont
alignés)
et l'énergie magnéto-élastique (qui résulte de l'orientation préférentielle de l'aimantation lorsque le
cristal est sous contrainte mécanique).
C'est sous l'action de ces diverses énergies que s'établit la structure en domaines magnétiques.
Vers les années 50, sont apparues des techniques de visualisation plus fines avec l'utilisation des ferro-fluides,
puis le renfort du polissage électrolytique. À partir des années 60, sont mises au point des méthodes optiques
plus lourdes et plus sophistiquées ; il s'agit de la microscopie électronique à balayage (MEB) et des méthodes
basées sur les effets magnéto-optiques (effet Faraday et effet Kerr), autorisant la visualisation dynamique (sous
excitation magnétique extérieure variable). Notons toutefois que les techniques MEB d'investigation nécessitent
un appareillage lourd, coûteux et permettant difficilement d'effectuer certaines manipulations comme des
tractions ou des variations de température in situ.
Nous allons maintenant décrire brièvement les différents termes d'énergie mentionnés plus haut.
L'énergie magnétostatique Ems
Quand on aimante un matériau ferromagnétique, l'énergie magnétostatique dans l'échantillon à la saturation est
donnée par :
représente le champ extérieur appliqué, le champ démagnétisant, l'aimantation, Nd le facteur
démagnétisant et Ms l'aimantation à saturation. Le champ démagnétisant représente la réaction du matériau à
l'application d'un champ extérieur. Dans le cas d'un échantillon allongé, celui-ci s'aimante plus facilement le long
de son grand axe que dans une direction perpendiculaire. Cela provient de la valeur du champ démagnétisant, qui
est différente suivant les directions. Pour une géométrie de type ruban, le champ démagnétisant peut être
exprimé par la formule suivante :
où N// représente le facteur démagnétisant dans la direction longitudinale, la composante longitudinale de
l'aimantation.
On en déduit que :
d'où finalement :
Cette dernière expression comporte deux termes : l'un d'interaction avec le champ qui dépend seulement des
propriétés de la matière, l'autre qui dépend aussi de la forme. Il peut ainsi apparaître une anisotropie de forme
importante, particulièrement pour les corps divisés ou comportant plusieurs phases (fabrication des aimants
permanents).
L'énergie magnéto-élastique
L'application d'une contrainte provoque une déformation du réseau atomique qui va induire une énergie
d'anisotropie. Dans le cas d'une contrainte située dans le domaine élastique et pour un matériau considéré comme
isotrope, cette énergie, notée , est donnée par :
représente l'angle entre l'aimantation à saturation (matériau aimanté à saturation) et la contrainte appliquée.
, appelé coefficient de magnétostriction à saturation, représente l'allongement relatif maximal du matériau
lorsque que celui-ci est sous l'effet d'une aimantation à saturation.
Pour mieux visualiser les effets d'une contrainte sur les propriétés magnétiques d'un matériau, on peut
s'intéresser aux courbes de première aimantation, relevées lorsqu'il est soumis à différentes contraintes. L'aire
comprise entre l'axe des polarisations magnétiques (dans les matériaux doux, on peut écrire que ) et la
courbe de première aimantation représente l'énergie d'anisotropie de l'échantillon. Par conséquent, l'aire
comprise entre la courbe de première aimantation du matériau soumis à la contrainte et la courbe de première
aimantation du même matériau, libre de toute contrainte, représente l'énergie d'anisotropie induite par la
variation de la contrainte .
Fig. 1. Effet d'une contrainte sur la courbe de première aimantation d'un matériau suivant la signe de son
coefficient de magnétostriction à saturation.
Pour un matériau à magnétostriction positive, on observe qu'une traction ( ) induit une énergie négative.
Dans ce cas, la courbe de première aimantation se redresse. Inversement, pour un matériau à magnétostriction
négative, une traction induit une énergie positive (Fig. 1). La courbe de première aimantation se couche.
L'énergie d'échange Eech
L'énergie d'échange est une énergie résultant des interactions entre atomes, via leur spin total.
Considérons deux atomes (i) et (j), l'expression de l'énergie d'échange est donnée par :
Le signe de l'intégrale d'échange Jechi,j définit le magnétisme du matériau. Dans le cas du ferromagnétisme, Jechi,j
est positif ce qui impose à et (moments de spin) d'être alignés dans le même sens. Cela permet de
minimiser l'énergie d'échange, afin de tendre vers la structure magnétique la plus stable (à l'intérieur d'un
domaine magnétique, tous les moments magnétiques sont orientés dans le même sens).
L'énergie magnétocristalline EK1
Dans un matériau ferromagnétique cristallin, le vecteur aimantation ne peut pas prendre n'importe quelle
direction. Certaines directions cristallographiques, appelées directions de facile aimantation, sont privilégiées.
Le travail d'aimantation, c'est-à-dire l'énergie à fournir pour amener le matériau de l'état désaimanté à un état
aimanté donné, dépendra de l'angle du champ extérieur par rapport aux directions cristallographiques. Ceci
permet de dégager une ou plusieurs constantes dites constantes d'anisotropie.
Dans un cristal cubique centré, la densité d'énergie volumique s'écrit :
où les coefficients représentent les cosinus directeurs liés aux directions cristallographiques.
Dans la plupart des cas K2 < K1, et par conséquent si K1 > 0; l'équilibre stable (EK1 minimum) est obtenu pour la
direction [100], par contre si K1 < 0 alors l'équilibre stable est obtenu pour la direction [111] (Fig. 2).
Fig. 2. Courbes d'aimantation selon les trois axes dans le cas d'un monocristal de fer.
L'énergie de paroi Ep
Il existe une autre énergie, découlant des précédentes, qui contribue à la configuration de la structure en
domaines, c'est l'énergie des parois.
En effet, le passage d'un domaine de direction donnée à un autre domaine de direction différente ne peut pas se
faire brutalement (entre deux atomes consécutifs) sans augmenter, localement, le terme d'énergie d'échange d'une
quantité importante. Il se forme une zone entre ces deux domaines où les moments de spin des atomes ne sont
pas parallèles et assurent une transition angulaire « douce ». Ces zones sont appelées des parois de Bloch
(rotation hélicoïdale des spins, donc hors du plan des domaines) ou parois de Néel (rotation des spins dans le
plan des domaines). Une modification locale de l'énergie d'échange et de l'énergie d'anisotropie
magnétocristalline induit la notion d'épaisseur de la paroi. L'énergie stockée dans la paroi correspond à
1 / 14 100%

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