CHAPITRE II : RÉPARTITION ET CIRCULATION DES RICHESSES
Comment s’organisent la circulation et la répartition des richesses dans une économie ? Très
tôt dans l’histoire de la pensée économique, on trouve des analyses en terme de circuit dont
l’objectif est de comprendre l’origine des flux de richesses et leurs destinations, c’est-à-dire
leurs affectations entre les différents agents économiques. Ce type de questionnement est en
effet essentiel si l’on veut comprendre les déterminants de la croissance économique.
C’est par ailleurs une question très actuelle : en effet, ces dernières années, on observe une
répartition salaires/profits qui tend à favoriser les détenteurs de capitaux au détriment des
salariés. Or, la question qui est souvent posée est la suivante : quelle catégorie d’agents
économiques doit-elle profiter le plus du partage de la valeur ajoutée (des "fruits de la
croissance") ?
- Les salariés qui à travers leurs dépenses de consommation offrent des débouchés aux
entreprises ? Dans ce cas, il est supposé que les entreprises fondent leurs décisions
d’investissement et d’embauches sur le niveau de la demande qui s’adresse à elles ou qu’elles
anticipent.
- Ou bien les entreprises qui sont supposées créer d’autant plus d’emplois que le niveau de
leurs investissements est élevé ? Or, pour trouver des sources de financement pour ces
investissements, il est souvent nécessaire que les profits augmentent et donc que la rentabilité
de ces investissements progresse dans le temps. Il existe donc un arbitrage très délicat à
obtenir entre la part de la masse salarial et celle des revenus du capital.
Comment la théorie économique a-t-elle analysé ce type de questions d’ordre
macroéconomique ? C’est l’objet de ce chapitre. La première section se penche sur les
analyses fondées sur l’offre. La section suivante présente les approches fondées sur la
demande.
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SECTION 1 : LES APPROCHES FONDÉES SUR LOFFRE
Les classiques anglais, essentiellement Adam Smith, David Ricardo et Jean-Baptiste Say,
mettent en avant le rôle premier de l’offre dans la répartition des richesses. C’est l’épargne
des entrepreneurs qui enclenche la dynamique de l’accumulation du capital et de la croissance
économique en finançant l’investissement et donc la production de nouvelles marchandises,
cause de l’enrichissement des nations. La production ouvre automatiquement des débouchés
aux marchandises en donnant lieu au versement de revenus et donc à des dépenses de
consommation et d’investissement. Ces théories des classiques feront l’objet de critiques
importantes, à commencer par celles formulées par Karl Marx qui se situe lui-même dans une
approche fondée sur l’offre. On verra par ailleurs dans la section suivante qu’un autre
classique anglais, Malthus, rejette en partie ce schéma d’ensemble, ouvrant ainsi la voie à des
approches fondées sur la demande.
1.1. L’analyse de la répartition par les classiques
L’analyse de la répartition par les classiques découle directement de leur analyse de la valeur.
Pour autant, à la vision somme toute optimiste de Smith et de Say (capacité illimitée de
développement du capitalisme), s’oppose celle pessimiste de Ricardo qui suggère une marche
du système capitaliste vers un « état stationnaire », analyse partagée par Malthus
A. La théorie de la répartition proposée par Adam Smith
Selon Smith, chaque individu est lié à la société de deux façons : dans l’échange et dans la
répartition des revenus. Mais, alors que tous les agents ont avantage à se spécialiser et à
échanger leurs production, les intérêts des classes sociales deviennent antagoniques s’agissant
de la répartition des richesses. La répartition est alors conçue comme un jeu à somme nulle.
En d'autres termes, ce que l’un gagne, l’autre le perd. Comment vont alors se répartir les
richesses ?
Dans l’analyse de Smith, la détermination de la valeur d’échange suppose la détermination
préalable de ses parties constituantes, donc du même coup, du taux naturel des revenus.
Rente, profit, salaire sont les 3 parties constituantes du prix et se distribuent de façon naturelle
entre les individus comme les 3 sources de revenus. Chacune de ces rémunérations comporte
un taux naturel et un taux de marché.
La première forme de revenu : le salaire
Le salaire est le prix du travail. Comme toutes les marchandises, il a un prix naturel et un prix
courant.
Concernant tout d’abord le salaire courant. Sa détermination se fait par conventions (contrats)
entre ouvriers et « maîtres » (les industriels) qui ont des intérêt divergents. Ce qui semble
évident, puisque les premiers veulent le salaire le plus élevé possible, les seconds veulent
minimiser la masse salariale pour obtenir le plus de profit possible.
Mais selon Smith, la détermination des salaires se fait selon un rapport de force qui le plus
souvent est favorable aux entrepreneurs, car :
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les entrepreneurs peuvent survivre quelque temps sans les ouvriers, les ouvriers non,
ils n'ont pas de réserve. Les travailleurs n'ont pas les réserves nécessaires pour soutenir
une lutte prolongée avec les employeurs.
les détenteurs de capitaux sont moins nombreux et peuvent donc se concerter entre eux
et ce d'autant plus que la loi interdit à l'époque les coalitions ouvrières.
Dans son chapitre sur les salaires, Smith analyse notamment la façon dont les maîtres
s’entendent de façon permanente pour imposer aux ouvriers à qui la coalition est interdite les
conditions de travail les plus dures et les salaires les plus faibles. Il insiste sur les luttes
violentes entre ces deux catégories.
Ce salaire courant est compris entre deux limites.
La limite inférieure du salaire
Quoique les maîtres aient presque toujours l'avantage dans leurs querelles avec les
ouvriers, il existe un certain taux minimum en dessous duquel ils ne peuvent pas
réduire les salaires. Smith adopte le point de vue courant de son époque : le salaire
minimum correspond à ce qui est nécessaire pour que l'ouvrier puisse assurer sa
subsistance.
Le taux de salaire est la fraction du produit social destiné à l'entretien des travailleurs :
le prix du travail est réglé par la quantité de biens de subsistance correspondant à un
minimum nécessaire du pt de vue physiologique et social.
- minimum physiologique, il permet au salarié de subsister,
- minimum social, le salaire lui permet non seulement de subsister mais également
d'élever sa famille de façon à ce que la classe ouvrière perdure. Ce n'est donc pas
qu’un minimum physiologique car il varie dans le temps et l'espace.
"Un homme reçoit le px naturel de son T quand ce px est suffisant pour le faire vivre pendant le temps
du T, pour le rembourser des frais de son éducation et pour compenser les risques qu'il court de ne pas
vivre assez longtemps et de ne pas réussir dans son occupation."
Le salaire minimum est donc la limite inférieure du salaire courant.
La limite supérieure du salaire
Il existe cependant des circonstances les salaires peuvent être supérieur à ce taux
minimum. Smith affirme par exemple qu'en Grande Bretagne, les salaires sont au
dessus du niveau de subsistance lorsque la demande de travail excède l'offre Il admet
que le salaire tend à augmenter quand la richesse nationale augmente, car la demande
de travail augmente alors. En effet, en cas de rareté des bras (nombre de bras
nécessaires à la production augmente), il y a concurrence entre les entrepreneurs, ce
qui conduit à l'augmentation des salaires.
Mais cette évolution ne peut pas aller très loin, pour deux raisons :
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oUne augmentation de salaires permet aux salariés de mieux nourrir et soigner
leurs enfants et par conséquent, d'en élever un plus grand nombre.
Remarque : Apparaît une conception qui assimile le travailleur à un objet.
oSurtout, la hausse des salaires diminue les profits, donc les quantités de capital,
et donc la quantité de travailleurs à mettre en œuvre l'année suivante : le salaire
redescend à son taux naturel.
On le voit bien ici, la limite supérieure du salaire dépend du niveau relatif de l'offre et
de la demande de travail.
Finalement, le taux de salaire naturel est égal au salaire de subsistance. En accord avec la
théorie de la valeur, le salaire réel est fonction de la quantité de travail commandé (le salaire
est la quantité de moyen de subsistance qu’il permet de commander). L’individu est traité
comme une marchandise.
Le salaire courant gravite alors autour de ce référentiel qu’est le taux de salaire naturel :
Lorsque le salaire courant tombe en dessous de son niveau naturel, l’offre de travail
diminue parce que les travailleurs n’ont plus les moyens d’assurer leur subsistance et
celle de leur famille, ce qui entraîne une surmortalité et une émigration vers les pays
les salaires sont plus élevés, ou du moins permettent aux salariés et à leur famille
de subsister.
Dans le cas inverse, l’amélioration des conditions d’existence qui en résulte diminue la
mortalité (en particulier infantile), ce qui accroît au bout d’un certains temps la
quantité de main d’œuvre offerte sur le marché.
Remarque : Cette analyse sera reprise à la suite de Smith par Thomas Robert Malthus (Pasteur
anglais, 1766-1834, Essai sur le principe de population, 1798). Il en tire des principes de
politique économique : Il indique qu’il y a une opposition entre deux lois d’accroissement :
d’un côté, les moyens de subsistances augmentent de manière arithmétique (progrès limités
dans l’agriculture, 1,2,3,4,…) ; de l’autre la population augmente de manière géométrique
(1,2,4,8,…). Par conséquent, la famine est inéluctable. La seule solution est de favoriser
l'abstinence, le mariage tardif, et surtout, pas d’aide de l’Etat aux pauvres qui sont les
responsables de leur propre malheur !
La deuxième forme de revenu : la rente foncière
La rente est la différence entre le prix de la récolte et la somme des salaires et des profits qui
doivent être normalement dépensés pour obtenir cette récolte étant donné les quantités de
travail et de capital employées. Cette différence est payée au propriétaire parce que celui-ci
donne sa terre en location au fermier le plus offrant. Comme il y a toujours des fermiers qui
cherchent à louer de la terre et que la quantité de terre est limitée le propriétaire foncier profite
d'une situation de monopole.
La rente du sol n'est pas un don de la nature puisqu'elle tient essentiellement à la situation de
monopole dans laquelle se trouvent les propriétaires fonciers. Cela implique que la rente
comme le profit sont des prélèvements sur la valeur créée par le travail.
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La troisième forme de revenu : le profit
Pourquoi le profit apparaît-il ? D'après Smith, pour enclencher un processus de production, les
travailleurs ont besoin le plus souvent d'un agent, le capitaliste, qui leur avance :
- la matière du travail (matière première, outils, etc.)
- les salaires et leur subsistance jusqu'à ce que le produit de leur travail soit fini.
A ce titre le patron prend une part du produit du travail, cette part étant le profit.
Le profit est donc la rémunération des capitalistes. Adam Smith admet qu’une partie du profit
peut être assimilée à une forme de salaires en contrepartie du travail d’inspection et de
direction. Il montre néanmoins que le profit se détermine selon des principes entièrement
différents de ceux qui régissent les salaires, c’est-à-dire qu’il n’est pas en rapport avec la
quantité et la nature de ce prétendu travail d’inspection et de contrôle.
Remarque : Smith cherche ainsi à justifier l'existence de capitalistes et de salariés, d’une
division sociale entre eux. Pour autant, il ne donne pas d'explications sur le fait que certains
sont devenus capitalistes. Autrement dit, aucune explication n’est fournie à propos de
l’accumulation primitive du capital. Pourquoi certains détenaient au départ du capital ?
Comment se détermine le taux de profit ?
Les profits ne sont pas seulement une sorte de salaire correspondant à un travail
d'inspection ou de direction, ils sont régis par des principes très différents. Ils dépendent
de la valeur du capital employé. Le profit est le revenu d'un capital avancé par le
capitaliste, il est proportionnel à l’importance de ce capital. Autrement dit, ce surproduit
est distribué entre les capitalistes proportionnellement à l'importance du capital avancé par
chacun, le capital désignant le montant des avances dans le processus de production:
(paiement des salaires et des biens de production). Le taux de profit est le même pour tous
les capitalistes : il s'agit du taux général de profit.
Quand la marchandise est échangée, il faut qu'en plus de ce qui sert à payer le prix des
matériaux et les salaires des ouvriers, il reste quelque chose pour les profits de
l'entrepreneur de l'ouvrage qui hasarde ses capitaux dans cette affaire. Ainsi on peut
diviser la valeur que les ouvriers ajoutent à la matière en deux parties : l'une paye les
salaires, l'autre rémunère les profits. Le taux de profit (c'est à dire le rapport du profit au
capital engagé) tend à être le même pour tous les secteurs, puisque chaque capitaliste
cherche systématiquement à placer ses fonds ils rapportent le plus. Cette égalité des
taux de profit est engendrée par la concurrence associée à la libre entrée et sortie des
capitaux.
La conception qui fait du travail la source unique de la valeur d’échange (dont le prix d'un
produit est l'expression) conduit à l'idée que le profit, qui constitue une partie de ce prix,
est un prélèvement sur la valeur créée par le travail.
Ainsi toute la théorie de Smith sur la formation des revenus et donc la répartition de la
richesse montre que les salariés reçoivent une partie du revenu total d'autant plus faible que
les autres revenus sont plus importants. La théorie de la valeur règle l'évolution de la
répartition entre salaire, profit et rente.
Conclusion : la « Richesse des nations » répond à un double objectif :
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