normatives et parce que ceux qui lui ont succédé ont dû, d'une façon ou d'une autre, se situer par
rapport à lui. Mais s'il a été pertinent, dans le cadre de ma réflexion, d'accorder l'essentiel de mon
attention à l’œuvre de Rawls, c'est surtout parce qu'il a lui-même accordé, très tôt dans son
parcours, une attention toute particulière à la question de la justification. Ainsi, comme le rappel
Samuel Freeman dans le livre qu'il consacre à Rawls, la question de la justification était le sujet de
la thèse de doctorat de Rawls et celui de sa première publication, en 1951, soit 20 ans avant Théorie
de la justice.
Ainsi, après avoir travaillé à l'explicitation des présupposés de la théorie de la justice comme
équité (TJE) (chapitre 4), je me suis ainsi intéressée à la conception de la justification développée
par Rawls (chapitre 5). J'ai montré que Rawls adopte une conception cohérentiste de la justification,
rompant avec notre fondationalisme spontané. Il développe également des outils conceptuels à cet
usage, et notamment le concept d'équilibre réfléchi, qui, à mon avis, joue un rôle central dans le
dispositif rawlsien de justification et qui constitue un outil original et précieux pour penser le
problème de la justification. J'ai soutenu une interprétation extensive du concept d'équilibre réfléchi,
interprétation qui inclut non seulement l'ensemble de nos jugements moraux, quel que soit leur
niveau de généralité, mais également certains jugements non normatifs fondamentaux.
Rawls m'a semblé développer une conception de la justification à la fois originale et solide,
résistant aux objections traditionnelles les plus importantes et notamment à l'accusation de
conservatisme. En m'intéressant à la façon dont Rawls lui-même concevait sa doctrine, je me suis
néanmoins étonnée de ne trouver, chez lui, qu'une justification conceptuelle et en un certain sens a
posteriori de la TJE. Les concepts élaborés par Rawls, et notamment le concept d'équilibre réfléchi,
n'opèrent qu'une fois la doctrine élaborée. Ils permettent, une fois adoptée telle ou telle conception
de la personne, telle ou telle conception de la liberté et de l'égalité, de démontrer que ces
conceptions sont préférables aux conceptions concurrentes.
Rawls, comme l'un des articles d'Aaron James, me l'a signalé, considère pourtant que sa
doctrine est le résultat d'une interprétation. En ce sens, faire de la philosophie morale et politique,
c'est pour Rawls, accomplir une démarche herméneutique, où l'herméneutique est entendue comme
l'art de l'interprétation. Rawls considère que la TJE, et en particulier ses présupposés, sont le résultat
d'une interprétation. Rawls parvient, dit-il, à définir ses points de départ en puisant dans ce qu'il
appelle les « idées familières » de la culture politique publique. C'est notamment ce qui fait de
Rawls un contextualiste. Il puise dans notre contexte certaines idées, idées qu'il élabore et
auxquelles il accorde finalement le statut d'idées fondamentales : de ces idées dérivent les principes
normatifs à l'issue d'une procédure constructiviste.