La « nouveauté » de Rawls consiste à réfuter
la morale utilitariste pour laquelle le sacrifice
des intérêts des particuliers s’impose lorsque
les intérêts de l’ensemble s’en trouvent aug-
mentés. Une telle position semble inaccepta-
ble, au yeux de Rawls ; et à juste titre,
puisqu’elle suppose que ce n’est pas l’homme
qui doit s’adapter à la société, mais plutôt le
contraire. La parenté avec le marxisme est évi-
dente, bien que Rawls ne le dise pas. Mais il
veut inventer un système moins propitiatoire
pour les individus. Il cherche à fonder la social-
démocratie par opposition à la fois au socia-
lisme autoritaire et au libéralisme social. Il fera
l’objet de critiques de la part des communau-
taristes nostalgiques (il y en a encore !) qui le
jugent trop favorable au libéralisme, et des par-
tisans du libéralisme qui le trouvent trop com-
munautariste. Il est intéressant de noter, à ce
propos, que le Dictionnaire de la pensée poli-
tique de Hatier écrit, à l’article John Rawls,
« dans le domaine politique sa vision de la jus-
tice a été considérée comme une défense du
LIBÉRALISME, dans le sens américain du terme,
ou de la DÉMOCRATIE SOCIALE dans le sens
européen » (sic !).
Mais enfin, c’est à la fois en dehors du sys-
tème marxiste et capitaliste que Rawls cale son
discours théorique. Il entend dégager les prin-
cipes et les conséquences des opinions confu-
sément admises dans nos sociétés
démocratiques, notamment en matière de jus-
tice sociale. À la recherche d’une troisième
voie, il imagine donc une société politique
dans laquelle les hommes pourraient être en
accord sur les conceptions « de base » de la
justice et de la liberté. Ils seraient, selon Rawls,
prêts à respecter deux principes fondamentaux
de la justice sociale : principe de « liberté » et
principe de « différence ».
Le principe de liberté
La conjonction perpétuelle des termes du
trinôme liberté-égalité-démocratie oblige l’au-
teur à remplacer la notion quantitative d’éga-
lité par une notion presque aristotélicienne et
thomiste d’équité, c’est-à-dire de proportion-
nalité (justice « distributive »). Il a recours à
une fiction théorique d’après laquelle – à l’op-
posé des théories du contrat social qui partent
d’un hypothétique « état de nature », chez
Hobbes, comme chez Roussseau – les indivi-
dus seraient prêts à discuter des principes de
justice applicables à la société dans laquelle
ils s’apprêtent à vivre ensemble. Bien entendu,
de tels individus n’auraient pas de passé donc
pas d’Histoire – ce qui devrait faire l’affaire des
Américains. Pour cette raison, ils ne connaî-
traient rien de leur avenir ; c’est ce que Rawls
appelle un « voile d’ignorance ». Ils ne
connaissent rien de ce que pourront être leurs
familles, leurs classes sociales, leurs fortunes,
leurs races, leurs convictions, ni leurs apti-
tudes… et les voilà pourtant en situation de né-
gociation collective pour organiser leur
existence. Ils parviennent à se mettre d’accord
sur les principes.
Le principe de liberté permettrait à chacun
d’entreprendre ce que bon lui semble :
« chaque personne doit avoir un droit égal au
système total le plus étendu de libertés de base
égales pour tous, compatible avec un même
système pour tous » (Ibid. p.341). Rawls évite
de dire comment les individus entendent le
mot « liberté ». Mais il énumère quelques
exemples qui lui paraissent significatifs de la
liberté démocratique : droit de vote, d’éligibi-
lité, d’opinion, d’expression, de réunion, de
croyance et, pour donner le change au
marxisme, de propriété privée…
Classement : 3Cc11 ** cf. le glossaire PaTer version 1.1 •04/ 2011
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