John Rawls et la Théorie de la justice - Reseau

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« La justice est la première vertu des institutions sociales
comme la vérité est celle des systèmes de pensée »
John Rawls, Théorie de la justice.
Philosophie politique
– 1° John Rawls et la théorie de la justice 1/3 (é.35)
– 2° John Rawls et les inégalités naturelles 2/3 (é.36)
– 3° John Rawls et l’idéal démocratique 3/3 (é.37)
– 4° Robert Nozick et le libéralisme philosophique 1/2
– 5° Robert Nozick et la critique de l’égalitarisme 2/2
– 6° Alasdair MacIntyre et la morale d’Aristote 1/3
– 7° Alasdair MacIntyre et l’échec des Lumières 2/3 (é.41)
– 8° Alasdair MacIntyre et la tradition éclatée 3/3
– 9° Charles Taylor et le multiculturalisme (é.43)
– 10° Macé-Scaron et la tentation communautariste
– 11° Michaël Sandel et la critique du moi libéral (é.45)
– 12° Michaël Walzer et le complexe de l’égalité
1. John Rawls et la Théorie de la justice 1/3
On a annoncé la mort de la politique avec l’effondrement du marxisme. Il est désormais
convenu de considérer que « la fin du marxisme et du communisme » date des années 70. Cela
reste à voir… Il est vrai qu’en 1971, l’Américain John Rawls publie un ouvrage – Théorie de la
justice – qui va faire couler beaucoup d’encre et délier un certain nombre de langues, inaugurant
ainsi ce que l’on considère comme un « renouveau de la philosophie politique » (Le magazine
littéraire ; octobre 1999). Il prend donc la tête d’un courant longtemps plongé dans le coma, et
dans lequel vont s’engouffrer un certain nombre de philosophes, d’économistes et d’historiens :
Gilles Deleuze, von Hayek, Robert Nozick, Michel Foucault, Alain Renaut…
Quelles sont les différentes orientations qui reviennent à l’ordre du jour ? Y a-t-il d’autres
systèmes politiques alternatifs à la démocratie, méritant le label de « politiquement correct » ?
Ces courants et questions donnent-ils un nouveau sens à l’expression : philosophie politique ?
Les éléments de réponses nécessitent une série d’études pour tenter d’y voir clair.
Alternative ?
Pour préciser tout de suite ce que l’on appelle « renouveau de la pensée politique »,
il faut signaler que l’ouvrage de Rawls (né
en 1921) : Théorie de la justice (Seuil,
1987), se situe dans le contexte d’une société démocratique. Il signale simplement
que « les principales institutions de cette
structure (qu’il entend proposer) sont celle
d’une démocratie constitutionnelle » et il
ajoute immédiatement : « Je ne prétends pas
Classement : 3Cc11
que seule cette organisation soit juste » (Op.
ct. p. 231). On est donc, sommes toutes,
assez loin des considérations philosophiques qui, même encore chez Maurras,
s’interrogent sur les différents types de
constitutions possibles : aristocratie, monarchie et despotisme sont désormais exilés
aux antipodes de toute réflexion politique
qui se voudrait « philosophique ». Après le
politiquement correct, voici le « philosophiquement correct »
** cf. le glossaire PaTer
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version 1.1 • 04/ 2011
1/3
La « nouveauté » de Rawls consiste à réfuter
la morale utilitariste pour laquelle le sacrifice
des intérêts des particuliers s’impose lorsque
les intérêts de l’ensemble s’en trouvent augmentés. Une telle position semble inacceptable, au yeux de Rawls ; et à juste titre,
puisqu’elle suppose que ce n’est pas l’homme
qui doit s’adapter à la société, mais plutôt le
contraire. La parenté avec le marxisme est évidente, bien que Rawls ne le dise pas. Mais il
veut inventer un système moins propitiatoire
pour les individus. Il cherche à fonder la socialdémocratie par opposition à la fois au socialisme autoritaire et au libéralisme social. Il fera
l’objet de critiques de la part des communautaristes nostalgiques (il y en a encore !) qui le
jugent trop favorable au libéralisme, et des partisans du libéralisme qui le trouvent trop communautariste. Il est intéressant de noter, à ce
propos, que le Dictionnaire de la pensée politique de Hatier écrit, à l’article John Rawls,
« dans le domaine politique sa vision de la justice a été considérée comme une défense du
LIBÉRALISME, dans le sens américain du terme,
ou de la DÉMOCRATIE SOCIALE dans le sens
européen » (sic !).
Le principe de liberté
Mais enfin, c’est à la fois en dehors du système marxiste et capitaliste que Rawls cale son
discours théorique. Il entend dégager les principes et les conséquences des opinions confusément
admises
dans
nos
sociétés
démocratiques, notamment en matière de justice sociale. À la recherche d’une troisième
voie, il imagine donc une société politique
dans laquelle les hommes pourraient être en
accord sur les conceptions « de base » de la
justice et de la liberté. Ils seraient, selon Rawls,
prêts à respecter deux principes fondamentaux
de la justice sociale : principe de « liberté » et
principe de « différence ».
Le principe de liberté permettrait à chacun
d’entreprendre ce que bon lui semble :
« chaque personne doit avoir un droit égal au
système total le plus étendu de libertés de base
égales pour tous, compatible avec un même
système pour tous » (Ibid. p. 341). Rawls évite
de dire comment les individus entendent le
mot « liberté ». Mais il énumère quelques
exemples qui lui paraissent significatifs de la
liberté démocratique : droit de vote, d’éligibilité, d’opinion, d’expression, de réunion, de
croyance et, pour donner le change au
marxisme, de propriété privée…
Classement : 3Cc11
La conjonction perpétuelle des termes du
trinôme liberté-égalité-démocratie oblige l’auteur à remplacer la notion quantitative d’égalité par une notion presque aristotélicienne et
thomiste d’équité, c’est-à-dire de proportionnalité (justice « distributive »). Il a recours à
une fiction théorique d’après laquelle – à l’opposé des théories du contrat social qui partent
d’un hypothétique « état de nature », chez
Hobbes, comme chez Roussseau – les individus seraient prêts à discuter des principes de
justice applicables à la société dans laquelle
ils s’apprêtent à vivre ensemble. Bien entendu,
de tels individus n’auraient pas de passé donc
pas d’Histoire – ce qui devrait faire l’affaire des
Américains. Pour cette raison, ils ne connaîtraient rien de leur avenir ; c’est ce que Rawls
appelle un « voile d’ignorance ». Ils ne
connaissent rien de ce que pourront être leurs
familles, leurs classes sociales, leurs fortunes,
leurs races, leurs convictions, ni leurs aptitudes… et les voilà pourtant en situation de négociation collective pour organiser leur
existence. Ils parviennent à se mettre d’accord
sur les principes.
** cf. le glossaire PaTer
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version 1.1 • 04/ 2011
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Le principe de différence
Rawls considère que les individus n’étant pas
tous égaux, les plus forts, les plus doués, les plus
favorisés par le sort, vont s’imposer progressivement. Apparaît alors un principe de différence
ainsi énoncé : « les inégalités économiques et sociales doivent être telles qu’elles soient : a) au
plus grand bénéfices des avantages, dans la limite d’un juste principe d’épargne et, b) attachées à des fonctions et à des positions ouvertes
à tous, conformément au principe de la juste
égalité des chances » (Ibid. p. 341). De la même
façon que tous ont la même conception « démocratique » de la liberté, il ne fait aucun doute à
ses yeux que tous s’accordent sur “l’inégalité démocratique”. Il est difficile de ne pas voir, dans
cette fiction, une pétition de principe : on évacue
d’emblée les désaccords sur le minimum qui divisent les hommes depuis toujours, pour dire
qu’ils peuvent s’accorder sur un minimum. Aussi
notre auteur considère-t-il que l’état le plus juste
d’une société est celui qui assure au membre le
plus défavorisé une position maximale. Et il est
sous-entendu que les plus favorisés doivent trouver cela, sinon « normal », pour le moins parfaitement « juste ».
Mais suffit-il de maintenir des inégalités pour
se prémunir du totalitarisme ? La fiction de Rawls
a suscité tant de débats et de réactions, que cette
simple présentation introductive de sa Théorie de
la justice ne saurait suffire. Il faudra entrer un peu
plus dans le détail de cette pensée qui a eu au
moins le mérite de relancer la philosophie politique, en dehors de l’alternative du marxisme et
du capitalisme sauvage.
Jean-Louis Linas
Classement : 4Da11
version 1.0 • 01/ 2011
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