Les syndicats grecs et la crise - Bibliothek der Friedrich-Ebert

ÉTUDE
ZOE LANARA
Juin 2012
Les Syndicats Grecs et la Crise
Un acteur important sous pression
Programme
Syndical Mondial
La Grèce a traversé dans les dernières années un programme d’ajustement écono-
mique jamais vu dans l’histoire qui a durement frappé les travailleurs et travailleuses.
Les prévisions d’une reprise économique du pays ne sont pas meilleures malgré les
coûts élevés pour le système social et les citoyens. Les conséquences négatives sont
clairement visibles sur le marché de l’emploi et lisible sur la détérioration de la situa-
tion sociale.
La situation actuelle est une épreuve rude pour la cohésion sociale et confronte les
syndicats grecs et leur travail avec des défis et désagréments plus grands.
Les réformes minent le travail des organisations syndicales et touchent à la cohé-
rence de la représentation collective. En outre, les travailleurs et les syndicats se
retrouvent dans un rapport demploi fragmenté marqué par le marché de l’emploi
précaire et flexible dans une lutte inégale contre les employeurs dont les droits ont
été excessivement renforcés.
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ZOE LANARA | LES SYNDICATS GRECS ET LA CRISE
1
1. Introduction ...........................................................2
2. Une politique d’ajustement économique : l’arrière-plan et la philosophie ........2
3. L’ajustement par la récession : un cercle vicieux ..............................3
4. L’éviction des travailleurs – le démantèlement des relations de travail ...........4
4.1 Le chômage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .4
4.2 L‘éviction économique et sociale ..........................................5
4.2.1 Qui paie pour la crise? Les effets économiques sur les travailleurs ............5
4.2.2 La pauvreté et l’exclusion sociale .....................................6
4.3 Léviction institutionnelle : l’attaque des institutions de droit du travail .............7
5. A contre-courant : les défis pour les syndicats ...............................8
6. Remarque finale ........................................................9
Bibliographie .........................................................11
Sommaire
ZOE LANARA | LES SYNDICATS GRECS ET LA CRISE
2
1. Introduction
Dans le cadre du programme dajustement économique
dont l’élément essentiel est le mécanisme de crédit du
Fonds Monétaire International (FMI), de l’Union euro-
péenne (UE) et de la Banque centrale de l’Europe (BCE),
la Grèce a été conduite aux mesures d’ajustement finan-
cier et structurel jamais survenues dans cette ampleur
qui doivent être exécutées dans une période de temps
extrêmement courte et dans un contexte international
très compliqué. Le programme conclu va de paire avec
conditions strictes dont l’exécution constitue la condi-
tion préalable au versement d’autres tranches de crédit.
Déjà les premiers points d’application du programme
font redouter des suites négatives pour l’économie, le
marché de l’emploi et pour la société en général car le
programme contient entre autres des mesures dont les
effets désavantageux sur la situation de l’emploi, sur les
organisations des travailleurs et sur la situation sociale
sont déjà reconnaissables. Ici, on peut noter avant tout
les licenciements, le gel ou la réduction des salaires, des
traitements et des pensions, des économies au niveau
de toutes les dépenses publiques ainsi que laugmenta-
tion des impôts, les privatisations et ajustements struc-
turels comme la restructuration radicale du marché de
l’emploi et le démantèlement des institutions de droit
du travail.
Les conséquences sociales et économiques de cette
politique daustérité sont surtout durement ressenties
par les travailleurs, les retraités et les contribuables hon-
nêtes. Les travailleurs se sont fait dérober de plusieurs
manières en quelque sorte leurs droits :
n La perte de poste de travail et de revenu leur enlève
la base financière pour faire face aux conséquences
graves de la crise ;
n La perte des droits décisifs en matière sociale et syn-
dicale affaiblit leurs possibilités institutionnelles de
s’opposer aux injustices ;
n De même, les effets secondaires de la crise en relation
avec les mesures d’ajustement se font remarquer : les
augmentations des impôts continuent de réduire le
revenu disponible et les coupes sombres au niveau des
dépenses sociales limitent l’accès aux services sociaux
importants pendant que les coûts de vie demeurent
irrémédiablement élevés.
La situation actuelle est une épreuve rude pour la cohé-
sion sociale et confronte les syndicats grecs et leur tra-
vail avec des défis et désagréments plus grands. Jusqu’à
présent, l’application du programme d’ajustement a
déjà conduit à un recul quantitatif et qualitatif dans les
relations industrielles qui a rendu caduc les conquêtes
remportées par les représentations démocratiques des
travailleurs dans le partenariat social en deux décennies.
La Grèce est le premier pays de la zone Euro qui a
demandé un crédit pour remédier à sa dette publique
croissante et son haut déficit de bilan des paiements
courants. Pour s’assurer un crédit de 110 milliards
d’euros du FMI, de l’UE et de la BCE,1 la Grèce a signé en
mai 2010 un mémorandum de trois ans selon lequel elle
s’oblige à introduire des mesures économiques et finan-
cières de même que des réformes structurelles d’après
un emploi du temps rigoureux sous le contrôle des
créanciers. Comme condition préalable pour le verse-
ment des tranches de crédit, le gouvernement grec de-
vait selon lune des clauses obligatoires voter plusieurs
séries de programmes d’austérité et entreprendre des
ajustements structurels vastes.
Sous la pression violente des marchés financiers, une
stratégie dajustement financier sans ménagement a été
imposée à la Grèce : le pays doit dans un intervalle de
temps et dans un volume sans précédent dans l’histoire
réduire son déficit : 15,5 pour cent du produit national
brut (PNB) entre 2010 et 2013.2 Ces délais difficiles à
tenir et objectifs quantitativement irréalistes ont été dic-
tés à priori sans tenir compte des conditions spécifiques
de l’économie grecque et du contexte sociopolitique du
pays. La « capacité de réforme » de la Grèce et les la-
cunes du système politique (Featherstone 2011) ont été
à cet effet ignorées. De même, les points faibles et endé-
miques de léconomie n’ont pas été considérés comme
par exemple la faible capacité productive, l’énorme
grande économie souterraine, les fraudes fiscales et le
changement technologique insuffisant dans l’industrie
respectivement les innovations manquantes.
1. Connu ensemble sous le nom de « Troïka »
2. Pour les premières années, une réduction de déficit plus élevée a été
estimée : 7,5 pour cent du PIB en 2010, 4 pour cent en 2011 ainsi que 2
pour cent chaque année en 2012 et 2013 (FMI 2010).
2. Une politique d’ajustement économique :
l’arrière-plan et la philosophie
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3
Comparativement à la crise de la dette du soi-disant
« tiers-monde » dans les années 80 ou la crise des « états
du tigre » asiatiques dans les années 90, un plan imposé
qui est la thérapie de choc du FMI se reflète sur la Grèce
lequel plan sera maintenant appliqué avec l’aide de l’UE
aussi dans la zone Euro. Ainsi les mesures d’ajustement
économique introduites en Grèce visent à atteindre la
consolidation du budget particulièrement par la poli-
tique de rigueur avec les coupes radicales au niveau des
dépenses publiques et les mesures structurelles à long
terme comme les réformes fiscales, pour maitriser le dé-
ficit budgétaire et augmenter les recettes de l’état.
Un programme d’ajustement économique à suivre à la
recette standard du FMI (Easterly 2002, Stiglitz 2002)
mise sur une croissance orientée vers l’exportation qui
sera soutenue par une dévaluation. Comme cela n’est
pas techniquement possible dans la zone Euro, la Grèce
est contrainte à une politique sans pitié de « dévaluation
interne » / déflation pour renforcer la compétitivité et l’ex-
portation sans tenir compte du fait que cette démarche a
déjà toujours échoué dans le passé, a conduit à la réces-
sion et n’est pas justifiable socio-politiquement (Roubini
2011). Le point culminant de cette politique de déflation
est la dévaluation du travail par une baisse rigoureuse des
coûts de travail ainsi que la dérégulation respectivement
la flexibilisation du marché de lemploi qui va de paire
avec les réductions directes des salaires et les mesures de
restructuration des institutions du marché de l’emploi.
Plusieurs « paquets de sauvetage » subséquents ont été
présentés comme dernier moyen déviter la faillite à la
Grèce. Ceux qui vont de paire avec les restrictions ont été
tous et sans exception adoptés par la législation grecque
et appliqués sans dialogue social préalable et sans tenir
compte des implications sociales et politiques profondes.
Les questions de cohésion et de protection sociales n’ont
pas seulement été ignorées par les créanciers et les in-
stances de vérification mais aussi par les législateurs grecs.
3. Lajustement par la récession :
un cercle vicieux
Selon lestimation du programme dajustement éco-
nomique, il serait nécessaire pour la Grèce « to swim
against the tide during adjustment » (Commission Euro-
péenne 2010). Le pays a à peine réussi à rétrécir son défi-
cit budgétaire de cinq pour cent du PIB mais le résultat
de l’application des mesures après les 21 premiers mois
révèle que celles-ci ont des effets secondaires extrême-
ment négatifs.
Le programme tient la Grèce prisonnière dans un cercle
vicieux puisque la rigoureuse austérité déclenche une
crise économique que d’autres mesures d’austérité,
de nouvelles taxes et une récession profonde suivront
qui, à leur tour, limiteront la croissance économique et
empêcheront la création de nouveaux postes de travail
et mettront en péril la cohésion sociale. Les mesures
exécutées en Grèce ont conduit à la régression écono-
mique et à la récession, ce qui indique par là que pro-
bablement le remède prescrit « cause plus de mal que
de soulagement » (Bordo et Schwartz 2000 : 158), parce
que « des dépressions conjoncturelles seront des régres-
sions conjoncturelles et des régressions conjoncturelles
des crises économiques » (Stiglitz 2000 : 12). Après cinq
ans de crise économique, le cocktail de mesures de la
Grèce pouvait en effet aboutir au record non souhaité,
en ayant comme conséquence la « chute économique la
plus raide des temps nouveaux » (Reuters 2012).
Avec l’aggravation de la situation économique en Grèce,
les problèmes de lapplication du programme d’ajuste-
ment économique augmentaient car les recettes de l’état
demeuraient largement en-dessous des données à at-
teindre et au niveau de certaines catégories de dépenses,
les plafonds budgétaires recommandés avaient été
dépassés (Commission européenne 2011). En décembre
2011, la forte régression conjoncturelle avait été confir-
mée dans le cinquième rapport de vérification du FMI où
tous les objectifs non atteints avaient été listés (FMI 2011).
La régression du PIB (au total de 16 pour cent au début de
la crise) était de sept pour cent (EL.SAT 2012c) de loin plus
élevée que les prévisions du gouvernement pour 2011 de
5,5 pour cent et se trouve ainsi être la régression la plus
élevée dans l’histoire d’après-guerre (INE/GSEE 2011).
On s’attend à ce que la croissance soit pour une période
plus longue plus en-dessous que la croissance moyenne
d’avant la crise. Avec cet arrière-plan, même la prévision
de croissance déjà corrigée à la baisse de 2,75 à trois pour
cent (FMI 2011) est encore peut-être trop optimiste.
Avec l’aggravation de la récession au cours de l’année
2011, la situation financière a aussi considérablement
empiré. Le manque de liquidité et de capital conduisit les
investissements à la paralysie et influença énormément
la demande intérieure qui baissa fortement de 16,4 pour
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cent entre 2009 et 2011 (FMI 2011). Dans le secteur privé,
les bilans étaient sous pression et les faillites des firmes
de petites et moyennes entreprises (PME) constituant
jusqu’alors l’épine dorsale de léconomie, atteignirent des
volumes épidémiques : 2010 et 2011, 68.000 PME sont
sorties du marché et pour d’autres 53.000, la ferme-
ture d’entreprise est apparemment proche,3 ce qui a des
conséquences lourdes sur la situation des salariés. L’indice
de production industrielle se situait en décembre 2011 à
11,3 pour cent plus bas qu’à la même période de l’année
précédente (EL.STAT 2012b) et le recul dans le volume du
commerce en détail de 8,9 pour cent en novembre 2011
par rapport à novembre 2010 reflète la faiblesse drama-
tique de la consommation (EL.STAT 2012a). Cela signifie
dans le rapport du FMI que la pression sur le secteur ban-
caire par les pertes de dépôts et le recul des crédits par-
ticuliers aurait augmenté de plusieurs fois (FMI 2011 : 6).
Lapplication du programme dajustement économique
montre clairement que le cocktail de mesures imposé à
la Grèce n’a aucun effet contraire sur les problèmes mais
conduit plutôt le pays probablement même entièrement
à la ruine. Entre autres, les finances publiques ne peuvent
pas être ramenées à un cours porteur. Selon le rapport du
FMI, on s’attend à ce que la dette publique atteigne en
2013 avec 187 pour cent du PIB son niveau le plus élevé
et revienne jusqu'en 2020 à 152 pour cent – respective-
ment à 120 pour cent en considérant la participation
volontaire du secteur privé
4 – ce qui réduit à peine les
préoccupations de la solidité de la situation de la dette.
(FMI 2011 : 6). Les perspectives d’une reprise économique
du pays ne sont pas meilleures malgré des coûts élevés
pour le système social et les citoyens. Les conséquences
négatives sont clairement visibles sur le marché de l’em-
ploi et lisible sur la détérioration de la situation sociale.
4. Léviction des travailleurs –
le démantèlement des relations de travail
Dans la situation actuelle, les travailleurs grecs sont sé-
rieusement et irréversiblement touchés par la perte de
revenu et de postes de travail ce qui amoindrit leur capa-
cité à surmonter les conséquences négatives de la crise.
D’autre part, les travailleurs sont évincés par la perte des
3. Cela provient d’une enquête de l’association du commerce en détail
de la Grèce (ESEE) de décembre 2011.
4. On devrait atteindre une diminution de la dette avec la participation
volontaire du secteur privé Private Sector Involvement (PSI).
droits sociaux et syndicaux décisifs qui provient de la
continuation du démantèlement des institutions de droit
du travail. La baisse du standard de vie des travailleurs
va en effet de paire avec une perte des capacités institu-
tionnelles qui est à prendre au sérieux.
Les mesures d’ajustement économiques sont imposées
à un marché d’emploi déjà éparpillé qui est marqué par
la croissance faible des postes de travail, l’insécurité, la
chute des salaires, des taux élevés de travail au noir, des
mécanismes de contrôle insuffisants, le chômage élevé
dans la jeunesse et chez les femmes ainsi que des rela-
tions de travail précaires avec les migrants. Ensemble
avec une économie parallèle assez grande, ces facteurs
aggravent les conséquences négatives des mesures
d’ajustement sur la situation des salariés et accentuent
les inégalités déjà existantes.
4.1 Le chômage
Les quelques cinq millions de travailleurs grecs sont à la
deuxième place derrière la Corée du sud parmi tous les
pays de l’OCDE s’agissant de leur moyenne du temps de
travail par an. La Grèce vient d’être justement rejetée
au niveau des années 60 et se trouve face à l’éparpille-
ment du marché de l’emploi : pour la première fois dans
l’après-guerre, le nombre des sans-emplois dépasse celui
des travailleurs.
Avec la récession, les taux de chômage s’accéléraient à
des niveaux jamais atteints : de 18,2 pour cent en octobre
2011 à 20,9 pour cent en novembre 2011 en compa-
raison avec 13,9 pour cent en novembre 2010 (EL.STAT
2012b). Le nombre des travailleurs était de 3.901.269,
celui des chômeurs 1.029.587 et le nombre de ceux qui
ne sont pas actifs en économie 4.423.657 (Ebenda). La
part réelle de chômage est estimée de 22 à 23 pour cent
(INE/GSEE 2011)
Le taux de chômage a doublé dans les trois années de
2009 à 2011. Entre mars 2008 et mars 2011 le nombre
des inscrits comme sans travail a augmenté de 95 pour
cent (INE/GSEE 2011). La part des chômeurs parmi les
jeunes est particulièrement plus préoccupante et se
trouve à 48 pour cent. De même, chez les femmes le
taux de chômage atteint avec 24,5 pour cent le plus haut
niveau de tous les temps contre 18,3 chez les hommes.
Cela indique que la politique d’austérité renforce les
1 / 13 100%

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