La médecine du XXIe siècle - Dental Tribune International

Dental Tribune Édition Française | Juin/Juillet 2015
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Malgré les bonnes volontés de certains de
nos confrères et les différentes actions menées
par nos tutelles, la prise en charge bucco-den-
taire de nos ainés est un vrai problème de santé
publique. A leur domicile et encore plus en EH-
PAD1(Etablissement Hébergeant les Personnes
Agées Dépendantes) les consultations bucco-
dentaires sont très rares pour les personnes en
perte d’autonomie2.
La mise en place d’un cadre légal et réglemen-
taire3autour de la télémédecine permet une
mise en place plus aisée de cette nouvelle forme
de pratique médicale. La pratique de la télé-
radiologie, télé-cardiologie ou télé-dermatolo-
gie se développe de plus en plus alors que la télé-
médecine bucco-dentaire n’a pas ou très peu
été envisagée4. Pourtant, les experts dont les re-
commandations sont reprises par les caisses
d’assurance maladie5et les ARS, préconisent
une consultation bucco-dentaire à l’entrée en
établissement médico-social.
LARS Languedoc-Roussillon sous l’impul-
sion du centre de soins d’enseignement et de re-
cherche dentaires (CSERD) du CHRU de Mont-
pellier a décidé de mettre en place une expéri-
mentation de téléconsultation bucco-dentaire
sur 12 EHPAD de la région (8 EHPAD du CH d’U-
zès et 4 EHPAD du CH du Bassin de Thau).
Déroulement d’une télécon-
sultation bucco-dentaire:
Cet acte médical se déroule en plusieurs
temps. Nous développerons ici l’organisation
choisie dans l’expérimentation Languedo-
cienne:
1–Réalisation de la toilette bucco-dentaire: le
patient, l’équipe soignante ou l’infirmier di-
plômé d’état (IDE) référant réalise une toi-
lette bucco-dentaire. ORAL-B participe à cette
expérimentation en donnant une brosse à
dents électrique et du dentifrice à chaque pa-
tient qui bénéficie d’une téléconsultation.
2–Visite(Fig. 1) : un IDE référant est formé aux
bases de l’odontologie, à l’utilisation de la ca-
méra intra-buccale (Soprocare®) (Fig. 2) et au
logiciel spécifique (e-DENT®). Cette visite
doit permettre le recueil des données néces-
saires au chirurgien-dentiste pour réaliser
une consultation6. Les informations admi-
nistratives et médicales concernant le pa-
tient sont aussi recueillies. Le protocole mi-
nimum comprend une vidéo7par secteur
montrant l’ensemble des faces des dents pré-
sentes sur l’arcade (Fig. 3) en utilisant la fluo-
rescence en mode «cario» (Fig. 4) et «pério»
(Fig 5.). Les informations sont ensuite trans-
mises par une connexion sécurisée vers un
serveur respectant les obligations réglemen-
taires en matière de protection des données
personnelles à caractère de santé (Article
L.1111-8 du CSP).
3–Analyse(Fig 6.) : Les visites de chaque patient
sont analysées par des chirurgiens-dentistes
de façon asynchrone. Ils analysent les vidéos
et posent un diagnostic notamment aidés
par la fluorescence qui permet de diagnosti-
quer plus facilement les lésions carieuses
même débutantes et les inflammations gin-
givales. Un score d’urgence est donné en uti-
lisant la classification internationale d’ur-
gence dentaire8. Des recommandations d’-
hygiène sont faites et une proposition de par-
cours de soins peut être proposée. Durant
l’expérimentation, ces téléconsultations ont
été réalisées par le service de première
consultation du CSERD et des praticiens libé-
raux vont être formés afin d’étendre cette ex-
périmentation dans la pratique libérale
grâce à l’implication de l’URPS des chirur-
giens-dentistes du Languedoc-Roussillon.
Grace à cette pratique innovante, 305 rési-
dents des EHPAD ont pu bénéficier d’un dia-
gnostic bucco-dentaire. 65 % de ces résidents
nécessitaient des soins dentaires (détartrage,
soins conservateurs, extractions). 28 % de ces
résidents ont refusé de prendre rendez-vous
chez un praticien pour différentes raisons (ne
souffre pas, état général, famille refuse de l’a-
mener). 100 % des résidents qui ont souhaité
prendre rendez-vous chez le dentiste ont pu le
faire.
La téléconsultation permet de donner le
point de départ à une prise en charge bucco-
dentaire adaptée. Elle permet de systématiser
les consultations bucco-dentaires sans dépla-
cer le patient ni un praticien, de connaître l’état
bucco-dentaire de chaque résident d’établisse-
ment médico-social et de l’inclure dans le dos-
sier médical de celui-ci afin de prendre en
compte tous les paramètres pour adapter la
meilleure prise en charge possible. Dans notre
expérimentation, il est important de noter que
plus d’un tiers des résidents qui ont bénéficié
d’une téléconsultation ont pu connaître leur
état bucco-dentaire et s’assurer qu’ils n’avaient
pas besoin de se rendre chez un chirurgien-den-
tiste.
L’acceptabilité de ce nouveau type d’activité
est très appréciée par les résidents qui peuvent
bénéficier d’une consultation spécialisée de-
puis leur chambre, par une personne qu’ils
connaissent et sans crainte d’avoir mal. Pour les
IDE, le sentiment principal est de pouvoir ré-
pondre à un réel besoin des résidents. L’appren-
tissage du passage de la caméra se fait relative-
ment rapidement et leurs collègues trouvent le
projet «bienvenu». Les chirurgiens-dentistes
qui analysent les visites sont curieux d’y parti-
ciper et apprécient le confort de lecture des in-
formations.
«La télémédecine est d’abord une pratique
médicale et non pas un système technolo-
gique»9et semble être à ce jour l’outil principal
de santé publique que notre profession doit sa-
voir s’approprier.
1 Sophie Thiébaut, Laurence Lupi-Pégurier, Alain Para-
ponaris[et al.], «Comparaison du recours à un chirur-
gien-dentiste entre les personnes âgées institution-
nalisées et celles vivant à domicile, France, 2008-
2009 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire,
mars 2013, p.60 64.
2 Haute Autorité de Santé, «Stratégies de prévention de
la carie dentaire», Haute Autorité de Santé, 2010.
3 Article L.6316-1 du code de la santé publique et Ar-
ticles R.6316-1 et suivants du code de la santé pu-
blique.
4 Nicolas Giraudeau, Jean Valcarcel, Hervé Tas-
sery[et al.], « Projet e-DENT : téléconsultation
bucco-dentaire en EHPAD», European Research
in Telemedicine / La Recherche Européenne en
Télémédecine, vol.3/2, juin 2014, p.51 56. L. Ali-
pour-Rocca, V. Kudryk et T. Morris, «TME3/347: A
Teledentistry Consultation System and Conti-
nuing Dental Education via Internet», Journal of
medical internet research, vol.1 / 1, septembre
1999. J.M. Birnbach, «The future of teledentistry»,
Journal of Californian dental association,
vol.28/2, février 2000, p.141 143.
5 Mission dentaire de l’assurance maladie du Lan-
guedoc-Roussillon, « Campagne sur la santé
bucco-dentaire en EHPAD», 2012.
6 Un IDE a la capacité juridique de réaliser cette ta-
che comme en dispose le 2° de l’article R.4311-2 du
code de la santé publique: «2° De concourir à la
mise en place de méthodes et au recueil des infor-
mations utiles aux autres professionnels, et no-
tamment aux médecins pour poser leur diagnos-
tic et évaluer l’effet de leurs prescriptions»
7 Le rôle propre de l’IDE permet la réalisation de
«soins de bouche avec application de produits
non médicamenteux » (art R.4311-5 28° CSP) et
dans le cadre d’un protocole ou sur prescription
médicale réalisation «soins de bouche avec appli-
cation de produits médicamenteux et, en tant
que de besoin, aide instrumentale» (art R.4311-7
25° CSP)
8 Saskia Estupinan-Day, «Standardized research
protocols», Promoting Oral Health, («Scientific
and Technical Publication»).
9 Pierrejean M. Télémédecine bucco-dentaire en
milieu psychiatrique: intérêts à travers une étude
clinique (thèse Chir. Dent: Montpellier: 2015)
TÉLÉ-MÉDECINE
La médecine du XXIesiècle?
La télémédecine au service de la prise en charge bucco-dentaire en EHPAD.
Dr Nicolas Giraudeau
Fig. 1 : Visite au CH d’Uzès.
Fig. 2 : Vue de la caméra Soprocare.
Fig. 3 : vue d’une canine en mode lumière blanche (cas du Pr Tassery). |Fig. 4 : vue d’une canine par lumière fluorescente avec une Soprocare en mode „pério“
(cas du Pr Tassery). |Fig. 5 : vue d’une face occlusale d’une molaire inférieure en fluorescence avec la Soprocare en mode „carie“ (cas du Pr Tassery).
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Fig. 6 : Analyse des visites au CHRU de Montpellier (Cécile Marson/MMM).
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