La médecine du XXIe siècle - Dental Tribune International

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TÉLÉ-MÉDECINE
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Dental Tribune Édition Française | Juin/Juillet 2015
La médecine du XXIe siècle ?
La télémédecine au service de la prise en charge bucco-dentaire en EHPAD.
Dr Nicolas Giraudeau
Malgré les bonnes volontés de certains de
nos confrères et les différentes actions menées
par nos tutelles, la prise en charge bucco-dentaire de nos ainés est un vrai problème de santé
publique. A leur domicile et encore plus en EHPAD1 (Etablissement Hébergeant les Personnes
Agées Dépendantes) les consultations buccodentaires sont très rares pour les personnes en
perte d’autonomie2.
La mise en place d’un cadre légal et réglementaire3 autour de la télémédecine permet une
mise en place plus aisée de cette nouvelle forme
de pratique médicale. La pratique de la téléradiologie, télé-cardiologie ou télé-dermatologie se développe de plus en plus alors que la télémédecine bucco-dentaire n’a pas ou très peu
été envisagée4. Pourtant, les experts dont les recommandations sont reprises par les caisses
d’assurance maladie5 et les ARS, préconisent
une consultation bucco-dentaire à l’entrée en
établissement médico-social.
L’ARS Languedoc-Roussillon sous l’impulsion du centre de soins d’enseignement et de recherche dentaires (CSERD) du CHRU de Montpellier a décidé de mettre en place une expérimentation de téléconsultation bucco-dentaire
sur 12 EHPAD de la région (8 EHPAD du CH d’Uzès et 4 EHPAD du CH du Bassin de Thau).
Fig. 2 : Vue de la caméra Soprocare.
bucco-dentaire de chaque résident d’établissement médico-social et de l’inclure dans le dossier médical de celui-ci afin de prendre en
compte tous les paramètres pour adapter la
meilleure prise en charge possible. Dans notre
expérimentation, il est important de noter que
plus d’un tiers des résidents qui ont bénéficié
d’une téléconsultation ont pu connaître leur
1 Sophie Thiébaut, Laurence Lupi-Pégurier, Alain Paraponaris[et al.], « Comparaison du recours à un chirurgien-dentiste entre les personnes âgées institutionnalisées et celles vivant à domicile, France, 20082009 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire,
mars 2013, p. 60 64.
2 Haute Autorité de Santé, « Stratégies de prévention de
la carie dentaire », Haute Autorité de Santé, 2010.
Fig. 1 : Visite au CH d’Uzès.
Déroulement d’une téléconsultation bucco-dentaire :
Cet acte médical se déroule en plusieurs
temps. Nous développerons ici l’organisation
choisie dans l’expérimentation Languedocienne :
1–Réalisation de la toilette bucco-dentaire : le
patient, l’équipe soignante ou l’infirmier diplômé d’état (IDE) référant réalise une toilette bucco-dentaire. ORAL-B participe à cette
expérimentation en donnant une brosse à
dents électrique et du dentifrice à chaque patient qui bénéficie d’une téléconsultation.
2–Visite (Fig. 1) : un IDE référant est formé aux
bases de l’odontologie, à l’utilisation de la caméra intra-buccale (Soprocare®) (Fig. 2) et au
logiciel spécifique (e-DENT®). Cette visite
doit permettre le recueil des données nécessaires au chirurgien-dentiste pour réaliser
une consultation6. Les informations administratives et médicales concernant le patient sont aussi recueillies. Le protocole minimum comprend une vidéo7 par secteur
montrant l’ensemble des faces des dents présentes sur l’arcade (Fig. 3) en utilisant la fluorescence en mode « cario » (Fig. 4) et « pério »
(Fig 5.). Les informations sont ensuite transmises par une connexion sécurisée vers un
serveur respectant les obligations réglementaires en matière de protection des données
personnelles à caractère de santé (Article
L.1111-8 du CSP).
3–Analyse(Fig 6.): Les visites de chaque patient
sont analysées par des chirurgiens-dentistes
de façon asynchrone. Ils analysent les vidéos
et posent un diagnostic notamment aidés
par la fluorescence qui permet de diagnostiquer plus facilement les lésions carieuses
même débutantes et les inflammations gingivales. Un score d’urgence est donné en utilisant la classification internationale d’urgence dentaire8. Des recommandations d’hygiène sont faites et une proposition de parcours de soins peut être proposée. Durant
l’expérimentation, ces téléconsultations ont
été réalisées par le service de première
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Fig. 3 : vue d’une canine en mode lumière blanche (cas du Pr Tassery). | Fig. 4 : vue d’une canine par lumière fluorescente avec une Soprocare en mode „pério“
(cas du Pr Tassery). | Fig. 5 : vue d’une face occlusale d’une molaire inférieure en fluorescence avec la Soprocare en mode „carie“ (cas du Pr Tassery).
Fig. 6 : Analyse des visites au CHRU de Montpellier (Cécile Marson/MMM).
consultation du CSERD et des praticiens libéraux vont être formés afin d’étendre cette expérimentation dans la pratique libérale
grâce à l’implication de l’URPS des chirurgiens-dentistes du Languedoc-Roussillon.
Grace à cette pratique innovante, 305 résidents des EHPAD ont pu bénéficier d’un diagnostic bucco-dentaire. 65 % de ces résidents
nécessitaient des soins dentaires (détartrage,
soins conservateurs, extractions). 28 % de ces
résidents ont refusé de prendre rendez-vous
chez un praticien pour différentes raisons (ne
souffre pas, état général, famille refuse de l’amener). 100 % des résidents qui ont souhaité
prendre rendez-vous chez le dentiste ont pu le
faire.
La téléconsultation permet de donner le
point de départ à une prise en charge buccodentaire adaptée. Elle permet de systématiser
les consultations bucco-dentaires sans déplacer le patient ni un praticien, de connaître l’état
état bucco-dentaire et s’assurer qu’ils n’avaient
pas besoin de se rendre chez un chirurgien-dentiste.
L’acceptabilité de ce nouveau type d’activité
est très appréciée par les résidents qui peuvent
bénéficier d’une consultation spécialisée depuis leur chambre, par une personne qu’ils
connaissent et sans crainte d’avoir mal. Pour les
IDE, le sentiment principal est de pouvoir répondre à un réel besoin des résidents. L’apprentissage du passage de la caméra se fait relativement rapidement et leurs collègues trouvent le
projet « bienvenu ». Les chirurgiens-dentistes
qui analysent les visites sont curieux d’y participer et apprécient le confort de lecture des informations.
« La télémédecine est d’abord une pratique
médicale et non pas un système technologique »9 et semble être à ce jour l’outil principal
de santé publique que notre profession doit savoir s’approprier.
3 Article L.6316-1 du code de la santé publique et Articles R.6316-1 et suivants du code de la santé publique.
4 Nicolas Giraudeau, Jean Valcarcel, Hervé Tassery[et al.], « Projet e-DENT : téléconsultation
bucco-dentaire en EHPAD », European Research
in Telemedicine / La Recherche Européenne en
Télémédecine, vol. 3 / 2, juin 2014, p. 51 56. L. Alipour-Rocca, V. Kudryk et T. Morris, « TME3/347: A
Teledentistry Consultation System and Continuing Dental Education via Internet », Journal of
medical internet research, vol. 1 / 1, septembre
1999. J.M. Birnbach, « The future of teledentistry »,
Journal of Californian dental association,
vol. 28 / 2, février 2000, p. 141 143.
5 Mission dentaire de l’assurance maladie du Languedoc-Roussillon, « Campagne sur la santé
bucco-dentaire en EHPAD », 2012.
6 Un IDE a la capacité juridique de réaliser cette tache comme en dispose le 2° de l’article R.4311-2 du
code de la santé publique : « 2° De concourir à la
mise en place de méthodes et au recueil des informations utiles aux autres professionnels, et notamment aux médecins pour poser leur diagnostic et évaluer l’effet de leurs prescriptions »
7 Le rôle propre de l’IDE permet la réalisation de
« soins de bouche avec application de produits
non médicamenteux » (art R.4311-5 28° CSP) et
dans le cadre d’un protocole ou sur prescription
médicale réalisation « soins de bouche avec application de produits médicamenteux et, en tant
que de besoin, aide instrumentale » (art R.4311-7
25° CSP)
8 Saskia Estupinan-Day, « Standardized research
protocols », Promoting Oral Health, (« Scientific
and Technical Publication »).
9 Pierrejean M. Télémédecine bucco-dentaire en
milieu psychiatrique : intérêts à travers une étude
clinique (thèse Chir. Dent : Montpellier : 2015)
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