La Santé Mentale des personnes âgées : Prévalence et

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L’Encéphale (2010) Supplément 1 au N°3, 59-64
59
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
La Santé Mentale des personnes âgées :
Prévalence et représentations des troubles psychiques
Dr J.Y. GIORDANA 1 , Dr J.L. ROELANDT 2, C. PORTEAUX 3
1.
2.
3.
Pôle de psychiatrie Générale, Centre Hospitalier Sainte Marie, Nice
Centre Collaborateur OMS (Lille-France), EPSM Lille Métropole
Département d’Information et de Recherche Médicale, EPSM Lille Métropole
MOTS CLÉS
Enquête
Epidémiologie
Représentations
Vieillissement
KEYWORDS
Inquiry
Epidemiology
Representation
Ageing
Résumé A partir de la base de données nationales de la vaste enquête « La Santé Mentale en population générale : Image et Réalité » coordonnée par le Centre Collaborateur de l’OMS, nous avons cherché à identifier
les particularités de la population âgée.
L’accroissement constant du nombre de personnes âgées en France et dans le monde et les perspectives
d’évolution démographique justifient naturellement l’attention qui doit être portée à la santé mentale des
personnes vieillissantes.
La cohorte des personnes de 65 ans et plus, représentant 21,1% de la population générale a été segmentée
en deux tranches d’âge : les 65-74 ans (12,6%) et les 75 ans et plus (8,5%) et comparée à la population des
18-64 ans (78,9%) ayant répondu à l’enquête.
Cette étude vise à appréhender la prévalence des principaux troubles psychiques (dépression – anxiété – addiction – syndromes psychotiques) des sujets âgés à l’aide du Mini International Neuropsychiatric Interview.
Il s’agissait également de préciser en quoi leurs perceptions et leurs représentations des comportements et
manifestations cliniques des maladies psychiques pouvaient être différentes de celles des plus jeunes.
Enfin, nous avons mesuré, notamment à partir des réponses « normal / anormal » et « dangereux / pas dangereux » qui accompagnaient chaque rubrique, l’écart existant entre les réponses et les représentations que le
grand public a des personnes âgées.
Abstract Mental Health of elderly people : The prevalence and representations of psychiatric disorders
Upon the national data basis of the huge study “Mental Health in General Population”, elaborated by the
WHO Collaborating Centre, our research tries to identify the particularities of the advanced years population.
The increasing number of the elderly in France and all over the world, as well as the demographic evolution
prospects, truly justify our interest for them.
A group of subjects older than 65 years old – representing 21,1% of the general population – was divided into
two parts and the 65-74 years old (12,6%) - the 75 old years old and more (8,5%) - and was compared to the
population between 18 and 74 years old (78,9%) who answered this investigation.
The aim of our study was to detect the prevalence of the main psychic troubles of the elderly (depression,
anxiety, addiction and psychiatric disorders), with a psychiatric tool, the Mini International Neuropsychiatric
Interview (MINI).
We also wanted to perceive how their perceptions and representations of the behaviours and clinical symptoms of the psychic troubles could be different from the ones of younger people.
Thus, and according to the answers “normal / abnormal”, “dangerous/not dangerous” linked to each item,
we measured the possible difference between the answers and the representations of the general population
towards the elderly.
The elderly are generally confronted to multiple psychosocial stress factors (decrease of the cognitive performances, decline of the sensory abilities, drop of the social relationships, change of status, succession of loss
and breach as well as the cessation of the professional activity and its network, which may favour the emergence of troubles.
According to this, a higher rate of psychic troubles among the elderly than in the general investigated population, may be suspected.
However, the study in general population points out that the prevalence of persons suffering from at least one
trouble with the MINI declines among the subjects belonging to the highest brackets : 34.4% for the 18-64
Auteur correspondant :
Dr Jean-Yves GIORDANA, Psychiatre – Chef de service – Responsable de pôle de psychiatrie Générale
C.H. Ste Marie 87 avenue Joseph Raybaud - B.P 1519 - 06009 NICE Cedex1
Tél. 04 .93.13.55.59
Email : [email protected]
© L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés.
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Dr J.Y. GIORDANA , Dr J.L. ROELANDT, C. PORTEAUX
years old, 23.2% for the 65-74 years, and 22.9% for the elderly, 75 years old and more.
Anxiety decreases with the ageing (23.4% among the less than 65 years old, instead of 12.7% for the 75 years
and more) as well as the addictive behaviours and the psychotic disorders (3.1% for the less than 65 years old,
instead of 1.1% for the 75 years old and more).
In the register of the social representations, a few differences appear also between the elderly - from 65 to 74
years old and 75 years old and more - and the majors under 65 years old :
For the spectrum : T.P.S.A (sadness, tears, suicide, anxiety), the elderly consider these situations as pathological
more often.
The withdrawal behaviours are likely more perceived as “abnormal” by the elderly;
The delusion, the hallucinations, the “odd” behaviours and talks are less often called “dangerous / non-dangerous”, which leads to a rather different way of considering the elderly.
Paramount the classical allowed image of the elderly – fearful, distrustful, intolerant towards any transgression
and selfishly centred on their own the study reveals new conditions particularly in pointing out, among the
elderly, less fear towards violent behaviours and more toleration towards the addicted subjects.
Introduction
Les études et les projections démographiques nous informent régulièrement du vieillissement des populations
partout dans le monde.
Ainsi par exemple lors de l’Assemblée Mondiale sur le
vieillissement qui s’est tenue à MADRID, des représentants de 160 pays qui ont débattu pendant cinq jours
sur cette question et sur l’ensemble des répercutions de
cette évolution, ont été catégoriques dans leurs prévisions.
Dans un demi siècle, si la tendance actuelle se maintient,
le nombre des plus de 60 ans aura triplé et représentera
à l’échelle mondiale deux milliards de personnes. De sorte qu’à l’horizon 2050, le nombre des personnes âgées
de plus de 60 ans sera supérieur à celui des enfants de
moins de 14 ans, et les 80 ans et plus représenteront
alors 20 % de la population totale.
Les experts avertissent d’ailleurs que le vieillissement
de la population pourrait, en l’absence de stratégie à
long terme, mais aussi de plan d’action immédiat, être à
l’origine d’une situation critique au plan de l’économie
mondiale dans les 20 années à venir.
Dans les pays dit « développés » par exemple la proportion de personnes actives par rapport aux personnes
retraitées, en passant de 9 pour 1 actuellement à 4 pour
1 en 2050 soulève entre autre les problèmes des retraites, des dépenses de Sécurité Sociale, de couverture des
frais de santé.
Les Nations Unies pour leur part sont convaincues que
le vieillissement des populations ne manquera pas d’inuencer et de bouleverser l’épargne, l’investissement et
la consommation, le marché de l’emploi, l’imposition, les
retraites, la santé, la composition des familles, les modes
de vie, le logement.
D’autre part l’ONU se montre particulièrement préoccupée par les effets de ce vieillissement sur les populations dans les pays en voie de développement dans la
mesure ou l’abaissement du taux de natalité amène les
pays du « tiers monde » à vieillir à un rythme beaucoup
trop rapide pour pouvoir être assuré par leurs sociétés
respectives.
La population des plus de 60 ans augmente de plus de
2 % chaque année soit beaucoup plus rapidement que
la population générale.
La France Métropolitaine devrait compter 70 millions
d’habitants en 2050 avec près d’un habitant sur trois de
plus de 60 ans contre un sur cinq actuellement.
La proportion des personnes âgées (65 ans et plus) pour
les vingt prochaines années, étudiée à partir du modèle OMPHALE (méthode d’extrapolation sur la base des
résultats des recensements de la population de 1975,
1982, 1990 et 1999, pondéré par différents paramètres tels que le quotient de mortalité, de fécondité et de
solde migratoire et reposant sur le postulat d’une symétrie entre le futur et le passé) va augmenter de façon
importante (elle était de 16 % en 2000 et devrait être de
22 % en 2020).
Ces données démographiques ont tout naturellement
justifié une attention particulière pour la santé mentale des personnes âgées lors de l’analyse des résultats
concernant une vaste enquête en population générale
« images et réalités » coordonnée par le Centre Collaborateur OMS pour la recherche et la formation en santé
mentale (1).
Ces dernières années ont été marquées, dans le champ
de la santé mentale, par une remise en question de la
globalisation de la psychiatrie de l’adulte avec la reconnaissance de la spécificité de la personne âgée et l’essor
d’un intérêt pour la gérontopsychiatrie et la psychogériatrie.
Depuis quelques années, des dispositifs spécialisés voient
le jour et des mesures appropriées sont proposées.
La législation et les structures spécifiques de prise en
charge évoluent dans le sens d’une reconnaissance des
singularités de la population âgée.
Le déclin cognitif et les divers types de syndrome démentiel sont certainement les sujets qui ont suscité le
plus de recherche d’autant que des médications récentes ont fait naître quelques espoirs thérapeutiques dans
ce domaine.
Il n’en est pas moins vrai que les désordres psychopathologiques classiques concernent tout autant les personnes avancées en âge, à ceci près, que leur manifestation, leur expression, leur traduction clinique revêtent
chez elle des difficultés de reconnaissance, d’identification, de compréhension et de prise en charge.
Les représentations de la vieillesse, celles du grand public ou encore celles des professionnels de santé in uencent incontestablement les attitudes vis à vis des troubles
psychiques de la personne âgée (8).
L’enquête « La Santé Mentale en population générale :
Image et Réalité » qui a débuté dans la seconde partie
des années 90 fait actuellement toujours l’objet de développements et d’analyses. Elle comporte deux aspects
majeurs avec d’une part une approche socio-anthropologique et d’autre part une visée épidémiologique (1).
L’axe socio-anthropologique de cette recherche-action
avait pour objet l’étude des représentations sociales liées
à la « folie », à la « maladie mentale », à la « dépression »
ainsi qu’aux différents modes d’aides et de soins (3).
Par ailleurs cette enquête se proposait d’évaluer la prévalence des principaux troubles psychiques observables
en population générale à l’aide du MINI (Mini International Neuropsychiatric Interview), outil développé par
une équipe franco-américaine (LECRUBIER - SHEEHAN)
et élaboré à partir de la classification international des
La Santé Mentale des personnes âgées : Prévalence et représentations des troubles psychiques
maladies (CIM10).
L’étude porte sur les réponses de 36 105 personnes enquêtées et qui constituent (selon la méthode des quotas) un échantillon représentatif de 45 750 000 personnes vivant en France Métropolitaine et âgée de plus de
18 ans, l’enquête n’ayant porté que sur des personnes
majeures.
Les personnes sollicitées pour l’enquête étaient toutes
volontaires et sélectionnées à partir de critères définis
par l’INSEE en terme de ratio hommes/femmes, de tranches d’âges, de niveaux d’étude et de catégories socioprofessionnelle.
Ce travail se propose de mettre à jour les spécificités,
aussi bien au plan des représentations (7) qu’au plan de
la prévalence des troubles, des patients âgés.
La vieillesse est un paramètre relativement subjectif et les
données de la littérature sont le témoin d’une absence
de consensus sur l’âge « seuil » de cette population.
Le critère auquel la société civile fait le plus souvent référence est la cessation de l’activité professionnelle mais les
évolutions sociétales récentes ont amplifié le caractère
flou de l’âge de la retraite qui semble de plus en plus
éloigné du niveau intellectuel, de l’état physique, des
projets et des engagements des individus.
Les textes législatifs, pour leur part (taux d’équipement
et de service pour personnes âgées dans un département par exemple) font référence à des personnes de
75 ans et plus.
Si l’on envisage l’âge moyen d’entrée en établissements
médico-sociaux pour personnes âgées (EHPAD ou Maison de Retraite), on évoque l’âge habituel de 85 ans.
Ainsi contrairement à l’enfance qui fait classiquement
référence à l’âge « seuil » de 15 ans il n’y a pas, chez le
sujet avancé en âge, de repère aussi précis probablement en raison de la grande diversité de vulnérabilité
des individus et de leur capacité d’adaptation.
L’OMS a pour coutume lorsqu’il s’agit de personnes
âgées de se référer à l’âge de 65 ans. Nous avons retenu ce critère et nous avons proposé, à partir de la base
de données nationales une segmentation de la population distinguant :
- les moins de 65 ans (en fait les 18-65 ans)
- les 65-74 ans
- les 75 ans et plus
Au sein de la cohorte des personnes ayant répondu à
l’enquête, les personnes âgées de 65 ans et plus constituent 21,2 % de cette population représentant 9 752
000 personnes avec 11,4 % pour les 65-74 ans et 9,8 %
pour les 75 ans et plus.
Parmi les aspects sociodémographiques caractérisant
cette population âgée, on retient :
Un sex-ratio évoluant en faveur des femmes avec l’avancée en âge de l’ordre de 45 % - 55 % entre 65 et 74 ans
vers un rapport 36 % - 64 % après 75 ans.
Un pourcentage élevé de veufs ou de veuves (43 %
après 65 ans).
Un nombre important de personnes isolées puisque
plus d’une personne sur deux (50,6 %) vit seule après
65 ans.
Le recueil d’informations pour cette enquête « déclarative » montre pour la population la plus âgée une plus
faible morbidité (au moins un trouble identifié au MINI :
23,1 % contre 31,7 % en population générale globale)
et par ailleurs un plus fréquent recours aux médications psychotropes (déjà pris des médicaments pour les
nerfs : 41,3 % contre 37,3 % en population générale
globale).
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Enfin les personnes âgées semblent moins connaître les
lieux de soins et de prise en charge psychiatrique et sont
moins familiers des soins relationnels (a déjà suivi une
psychothérapie : 4,29 % contre 10,5 % en population
générale globale).
Prévalence des troubles psychiques
L’étude de la prévalence des troubles psychiques chez
la personne âgée, comparée au reste la population enquêtée montre qu’il est classique d’envisager, dans le
processus même de vieillissement, le développement
d’une vulnérabilité physique et psychique qui expose
l’individu à une possible décompensation et à la survenue de désordres psychiatriques.
De fait, la personne âgée est généralement confrontée
à des multiples facteurs de stress psychosociaux (baisse
de ses performances cognitives, diminution de ses capacités sensorielles, réduction de ses activités sociales,
modification de son statut, succession de pertes et de
ruptures avec la cessation de l’activité professionnelle
et la réduction de son réseau relationnel) qui favorisent
l’émergence de troubles (5).
Or, l’étude des réponses faites au MINI fait apparaître
un pourcentage de personnes présentant au moins
un troubles psychique (Graphique 1), de l’ordre de :
- 34.4% chez les 18-64 ans - 23.2% chez les 65-74 ans
- 22.9% chez les 75 ans et plus.
On retiendra que, d’une façon générale, la prévalence
des troubles, est sensiblement inférieure chez les sujet
appartenant à des tranches d’âge plus élevées.
Si l’on considère les pathologies dépressives (Graphique 2), on note, chez les personnes âgées de 75 ans
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Dr J.Y. GIORDANA , Dr J.L. ROELANDT, C. PORTEAUX
et plus, une prévalence de l’ordre de 11.3%, c’est à dire
quasiment identique à celle retrouvée chez les personnes de moins de 65 ans (2). On observe cependant, au
sein du groupe des personnes âgées une augmentation
non négligeable des troubles dépressifs (prés de 2.5%)
chez les 75 ans et plus par rapport 65- 74 ans (6).
L’évaluation de l’existence d’un risque suicidaire (Graphique 3) (léger, moyen, élevé) par contre révèle une
les sujets de moins de 65 ans, elle atteint 15.9 chez les
65-74 ans et 12.7% chez les 75 ans et plus.
A noter que cette donnée est très proche de celle mentionnée par l’enquête PAQUID, enquête de référence
dans le champ de la gérontopsychiatrie, et qui retient
une prévalence de troubles anxieux de 13.7%.
L’enquête révèle encore que les personnes âgés sont
significativement moins concernées par les conduites
augmentation sérieuse de ce risque qui passe de 9.5%
chez les moins de 65 ans, à 7.9% chez les 65-74 ans
jusqu’à 14.2% chez les 75 ans et plus (9). Ces résultats
corroborent les données épidémiologiques classiques
que l’on pourrait résumer par l’adage : « Plus on vieillit,
plus on se suicide et plus le suicide à des chances de
réussir ».
Diverses études au sujet de cet important problème de
santé publique montrent
que le suicide devient plus fréquent au fur et à mesure
que l’on avance en âge (en Europe, seule la Grèce fait
exception à cette règle) et chez les sujets âgés, les tentatives de suicide sont souvent plus efficientes qu’aux
autres âges de la vie (4).
La prévalence des troubles anxieux (Graphique 4)
addictives (Graphique 5) qu’il s’agisse de l’alcool (2,7%
de dépendance chez les moins de 65 ans contre 1.1%
chez les 65-74ans et 0.4% chez les 75 ans et plus) ou
qu’il s’agisse de drogues pour lesquelles l’usage nocif ou
la dépendance n’ont pas été retrouvée chez les 75 ans
et plus.
Enfin l’analyse des réponses au MINI lors de l’enquête
en population générale retient une nette diminution de
la prévalence des manifestations d’allure psychotique
avec l’avancée en âge.
Il est peu probable que cette diminution (quelque soit
le type de trouble considéré) puisse, compte tenu de
la tranche d’âge concernée, être reliée à des modalités évolutives favorables de l’affection psychotique telles
qu’ont pu les décrire, entre autres, ZUBIN, CIOMPI ou LIBERMAN. Mais elle doit probablement être corrélée aux
facteurs de risques inhérents à la psychose conduisant à
un accroissement de la mortalité ou à un glissement vers
des états démentiels. Les troubles d’allure psychotique
(Graphique 6), retrouvées chez 3,1% des personnes de
(habituellement abordés en gérontopsychiatrie sous le
vocable de décompensation névrotique) est en diminution avec l’avancée en âge. De l’ordre de 23.4% chez
moins de 65 ans ne sont plus présents que chez 1,5%
des 65-74 ans et 1,1% des 75 ans et plus.
La Santé Mentale des personnes âgées : Prévalence et représentations des troubles psychiques
Etude des représentations
L’étude des représentations de la population générale
au sujet de la « folie », de la « maladie mentale », de la
« dépression » et celle des modes d’aides et de soins,
repose sur l’analyse des réponses des personnes enquêtées à un questionnaire ouvert en pré-codage.
Différentes situations sont proposées (quelqu’un qui
pleure souvent - qui est triste, quelqu’un qui prend des
drogues - de l’alcool - quelqu’un qui délire - hallucine,
quelqu’un qui est violent - qui est anxieux), et il est demandé à la personne interviewée de préciser si elle
considère que ce comportement est celui d’un « fou»,
d’un « malade mental », d’un « dépressif » ou « aucun
des trois », si c’est « normal ou anormal », « dangereux
ou non dangereux ».
Dans ce registre, la comparaison des cohortes de personnes âgées de 65-74 ans et de 75 ans et plus par
rapport aux majeurs de moins de 65 ans, fait apparaître
quelques différences que nous allons synthétiser par regroupement d’items.
Pour le spectre : tristesse - pleurs – suicide – anxiété,
les personnes âgées de 65 ans et plus, considèrent plus
fréquemment que leurs cadets, ces situations comme
pathologiques (moins de réponses « aucun des trois »).
Pour le suicide, ils font plus souvent référence aux
concepts de « folie » et de « maladie mentale » et sont
plus nombreux à considérer le geste suicidaire comme
anormal.
Paradoxalement, les personnes âgées voient plus fréquemment que les plus jeunes le suicidant comme «
non dangereux ».
Les comportements de retrait sont également plus souvent perçus par les aînés, comme « anormaux », mais le
caractère de dangerosité de cette conduite ne suscite
pas de différence d’estimation en fonction des tranches
d’âge.
Pour le spectre du délire, des hallucinations, du discours et des comportements bizarres, les personnes de
65 ans et plus, qualifient plus fréquemment que les plus
jeunes, ces manifestations « d’anormales ». Cependant,
il y a peu de différences, pour les tranches d’âge considérées, pour ce qui est de la notion de dangerosité.
La référence a une pathologie psychique est habituellement établie (de façon sensiblement équivalente dans
les sous groupes), mais la ventilation entre « folie », «
maladie mentale » et « dépression », varie avec une plus
grande fréquence de réponses « dépression » chez les
personnes plus âgées.
Lorsque l’on évoque « quelqu’un de négligé », les personnes âgées et plus particulièrement les 75 ans et plus,
rapportent plus fréquemment la conviction d’une pathologie chez un individu considéré comme anormal et
dangereux.
Les personnes âgées jugent plus fréquemment « anormal » que les plus jeunes, un individu qui présente un
déficit intellectuel ou des crises convulsives.
Ils sont également plus nombreux que les moins de 65
ans, à ressentir comme « dangereux » les déficients intellectuels.
Les situations d’addiction (alcool – drogue) amènent
les personnes âgées à évoquer plus fréquemment la pathologie (moins de réponses « aucun des trois »). Elles
sont également plus nombreuses que les plus jeunes à
qualifier ces conduites d’«anormales ». Cependant, il n’y
a pas de différence entre les deux populations dans l’appréciation de la dangerosité.
Pour les conduites d’alcoolisation, les plus âgées auraient
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même tendance à les considérer comme « plus anormales et moins dangereuses ».
Enfin, en ce qui concerne l’appréciation des comportements violents (individu violent avec les autres et
avec les objets, violent envers lui-même, celui qui bat
sa femme, celui qui commet un meurtre), les personnes
âgées et notamment les 75 ans et plus, ont tendance
à faire moins souvent référence à une pathologie. Elles
répondent plus fréquemment « aucun des trois » et si elles reconnaissent le caractère anormal de ces conduites,
elles y voient, moins que les jeunes, un aspect de réelle
dangerosité.
Un dernier aspect de notre réflexion nous a amenés à
croiser des informations apportées par l’enquête « la
Santé Mentale en population générale : images et réalités » avec d’autres recherches portant sur les représentations du grand public au sujet des personnes âgées.
Ces études font habituellement apparaître que les représentations sociales de l’avancée en âge sont naturellement marquées par un déclin des performances cognitives (mnésiques, verbales, visuospaciales) sans prise en
compte de la grande variabilité interindividuelle que l’on
observe fréquemment.
Par ailleurs, une idée fréquemment répandue est celle
d’une modification de la personnalité et du caractère
(alors que les études les plus récentes et les données longitudinales concluent en une stabilité de la personnalité
et en la permanence des traits de caractère).
Le grand public a l’idée (d’ailleurs plus ou moins avalisée par les professionnels de santé) que le vieillissement
s’accompagne d’un «aigrissement » du caractère, d’une
perte du sens critique, et du développement de traits
tels que l’avarice, la méfiance, l’attitude hargneuse,
l’égoïsme, le repli et le recentrage sur soi.
A partir de quelques éléments du questionnaire et des
déclinaisons : « normal – anormal », « dangereux – non
dangereux » nous avons cherché à savoir quelle était la
validité de ces préjugés et de ces opinions.
Cet éclairage amène à avoir un regard sensiblement différent sur les personnes âgées.
A l’image habituellement admise du vieillard craintif,
méfiant, intolérant à toutes les transgressions et égoïstement replié sur lui-même, il apporte de notables corrections.
Les données de l’enquête montrent en effet que l’avancée en âge s’accompagne d’une moindre crainte envers
les actes violents (auto et hétéroagressifs), que les plus
de 75 ans sont deux fois plus nombreux que leurs cadets à estimer non dangereux (11 % contre
5,7 %).
Cette tolérance des aînés s’exprime également envers les
personnes alcoolo dépendantes que seuls 60 % d’entre
eux considèrent comme dangereuses (contre 75 % pour
les plus jeunes).
Les actes délinquants voire criminels (viol, meurtre, inceste, usage de drogues) sont jugés avec une identique
sévérité par les différentes tranches d’âge et les réponses à l’enquête montrent une égale perception de leur
dangerosité. Enfin les personnes âgées se révèlent plus
effrayées par les personnes ayant un comportement ou
un discours bizarres.
Il semble que « leur expérience de la vie » permettre
aux personnes âgées de ressentir moins de peur en face
de situations « ordinaires » (violence, suicide, alcoolisme)
mais qu’elles se trouvent plus démunies, plus déstabilisées par les événements ou les comportements étranges.
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Il est classiquement admis que la vieillesse s’accompagne d’un repli sur soi avec un moindre intérêt voire une
totale indifférence envers l’entourage (5).
Là aussi l’enquête amène à retoucher cette image. A
travers leurs réponses les personnes âgées se montrent
moins concernées par la souffrance du malade mais manifestent une plus grande sensibilité envers la souffrance
des familles auxquelles elles s’identifient sans doute plus
aisément. De même en ce qui concerne les questions
portant sur la nécessité d’exclure le malade des différents secteurs d’existence (société, travail, famille) si les
plus âgés se révèlent moins accueillants dans le cadre
du travail ils expriment une plus grande tolérance familiale (on ne retrouve pas de différence significative en
fonction des tranches d’âge sur l’exclusion sociale).
Cependant lorsqu’il s’agit de reprendre « à la maison »
un membre de la famille soigné ou recevant des soins,
les personnes âgées font part, plus fréquemment, du
sentiment d’être confrontées à une lourde charge.
Il semble donc que bien que l’accueil d’un parent malade
les confronte à une plus grande souffrance, les aînées
sont plus disposés que les plus jeunes à faire preuve de
solidarité.
A l’issue de cette enquête le portrait des personnes
avancées en âge semble assez éloigné des stéréotypes
habituellement admis. Elles apparaissent en effet moins
touchées par certaines pathologies mentales (psychoses, pathologies anxieuses, addictions….), plus tolérantes envers les troubles d’autrui et porteuses de valeurs
fondamentales d’entraide familiale.
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crise suicidaire : Reconnaître et prendre en charge Octobre 2000
– John LIBBEY Eurotext
Dr J.Y. GIORDANA , Dr J.L. ROELANDT, C. PORTEAUX
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