Stratégies thérapeutiques des troubles de l`humeur Guidelines for

Stratégies thérapeutiques des troubles
de l’humeur
Guidelines for the treatment of mood disorders
P. Vandel (Praticien hospitalier) *, V. Rebière (Chef de clinique
des Universités, assistant hospitalier), D. Sechter (Professeur
des Universités, praticien hospitalier, chef de service)
Service de psychiatrie et psychologie médicale, centre hospitalo-universitaire, 25030 Besançon cedex
MOTS CLÉS
Troubles de l’humeur ;
Épisode dépressif ;
Épisode maniaque ;
Troubles bipolaires
KEYWORDS
Mood disorders;
Depressive episode;
Maniac episode;
Bipolar disorders
Résumé Les pathologies de l’humeur représentent un problème de santé publique majeur
tant du point de vue de la souffrance du patient que du coût pour la société. Devant les
multiples possibilités thérapeutiques, les questions que se posent les cliniciens sur la prise
en charge de ces troubles de l’humeur sont identiques. Il est donc utile d’essayer
d’homogénéiser les réponses et de définir des étapes de traitement, ceci malgré les
incertitudes qui ne peuvent que persister devant la complexité de la maladie et des
moyens thérapeutiques. Les données de la littérature sont nombreuses et les recomman-
dations sur les modalités thérapeutiques souvent proches. Ce travail de synthèse repose
sur les propositions de l’ANAES 2002 (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en
santé), l’APA 2000 et 2002 (American Psychiatric Association), de la British Association for
Psychopharmacology 2000, du groupe de travail canadien « CANMAT depression work
group » 2001, de la WFSBP 2002 (Fédération Mondiale des Sociétés de Psychiatrie
Biologique) et de publications individuelles récentes.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract Mood disorders constitute a major problem of public health, both regarding the
patient’s suffering and in terms of management cost. The multiplicity of treatments
raises a similar interrogation of the clinicians on the selection of the appropriate
therapeutic management. It appears useful, therefore, to homogenize the responses and
to determine the different steps of the treatment, despite the uncertainties that
necessarily persist due to the complexity of such disease and its therapeutic means.
Numerous published data exist, and the therapeutic guidelines are often quite similar.
The current synthesis is based on the recommendations of: the French agency ANAES
(Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé) 2002, the APA (American
Psychiatric Association) 2000 and 2002, the Canadian workgroup on depression CANMAT
2001, the British Association for Psychopharmacology 2000, the WFSBP (World Federation
of Societies of Biological Psychiatry) 2002, and on recent individual studies.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (P. Vandel).
ARTICLE IN PRESS
EMC-Psychiatrie "" (2004) """-"""
http://france.elsevier.com/direct/EMCPS/
1762-5718/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi: 10.1016/j.emcps.2004.10.001 EMCPS-35
Introduction
Beaucoup de discussions concernent l’utilité des
stratégies des traitements des troubles de l’humeur
qui ne forment qu’un support pour les décisions
thérapeutiques.
1
Les recommandations proposées
devraient être concrètement applicables en prati-
que quotidienne et non pas seulement séduisantes
en théorie.
2
Si les moyens thérapeutiques connaissent une
évolution récente, la mise en œuvre de ces moyens
reste classique et déjà largement admise, comme
la différence de l’abord médicamenteux des dé-
pressions unipolaire ou bipolaire par exemple.
Les thérapeutiques comportent plusieurs phases
(Fig. 1) qui suivent l’évolution de la maladie et quel
que soit le diagnostic, les questions que se posent
les thérapeutes sont toujours les mêmes : que
faire ? quand ? comment ?
Une des principales difficultés pour le clinicien
réside souvent dans la durée de traitement à obser-
ver avant chaque modification thérapeutique.
La base de documentation est constituée par les
travaux de l’ANAES 2002,
3
l’APA 2000 et 2002,
4,5
la
British Association for Psychopharmacology 2000,
6
le groupe de travail canadien « CANMAT depression
work group » 2001,
7–10
la WFSBP 2002 (Fédération
mondiale des sociétés de psychiatrie biolo-
gique)
11,12
et des publications individuelles récen-
tes.
Première étape
Choix de stratégie initiale
Les modalités thérapeutiques initiales dépendent
de nombreux facteurs qui ne sont pas liés à la
distinction entre dépression endogène ou réaction-
nelle.
11–14
Lors d’un épisode, quel qu’il soit, il faut confir-
mer le diagnostic, évaluer le risque suicidaire, les
comorbidités, le handicap fonctionnel, le contexte
familial (soutien présent ou non), l’observance thé-
rapeutique potentielle.
3,7–10
Ceci permet de choisir
à l’intérieur d’un réseau de soins la stratégie ini-
tiale, le premier but étant d’assurer la sécurité du
patient. Ainsi, le suivi en milieu hospitalier est
préféré au suivi ambulatoire en cas de risque suici-
daire élevé ou lorsque dans une forme sévère des
symptômes psychotiques ou somatiques marqués
sont présents, ou encore lorsque l’appui familial ou
autre est insuffisant. En ambulatoire, le généraliste
recommande une consultation psychiatrique si la
relation thérapeutique est défectueuse, s’il existe
une possible comorbidité psychiatrique, si la ré-
ponse thérapeutique est insatisfaisante après 8 à
12 semaines de traitement et si le patient le désire.
En ce qui concerne la fréquence du suivi, une
consultation hebdomadaire est recommandée du-
rant les premières semaines de traitement.
3,5
L’in-
formation du patient quant à sa maladie fait égale-
ment partie des recommandations générales de
l’ANAES et de l’APA.
Figure 1 Dépression unipolaire : évolution et étapes thérapeutiques.
2 P. Vandel et al.
ARTICLE IN PRESS
Que faire et quelle molécule choisir
en 1
re
intention ?
Dans la dépression unipolaire (Fig. 2)
Il existe un large consensus concernant le recours
aux antidépresseurs ce qui n’exclut pas le recours
aux psychothérapies, photothérapie et privation de
sommeil.
3,4,6,11,12,15,16
Dans les formes légères : le traitement antidé-
presseur est recommandé en première inten-
tion, mais pour l’ANAES la psychothérapie (de
préférence cognitive) pourrait être essayée
Figure 2 Arbre 1. Traitement de l’épisode dépressif caractérisé. ECT : électroconvulsivothérapie ; IMAO : inhibiteurs de la monoamine
oxydase.
3Stratégies thérapeutiques des troubles de l’humeur
ARTICLE IN PRESS
seule (spécialement en cas de stress social,
conflit intrapsychique, difficultés relationnel-
les, troubles de la personnalité et patient de-
mandeur) ;
3
dans les formes modérées : on choisit en pre-
mier lieu le traitement antidépresseur ;
dans les formes sévères : un traitement antidé-
presseur est indispensable ;
dans les formes avec symptômes psychotiques :
l’association d’antipsychotique est parfois né-
cessaire ainsi que le recours à l’électroconvulsi-
vothérapie (ECT) qui est aussi envisageable si les
conditions médicales l’imposent.
Choix de l’antidépresseur
Aucun critère biologique permettant de choisir un
antidépresseur en fonction de son mécanisme d’ac-
tion n’est actuellement validé. Tous sont efficaces.
Il n’y aurait pas d’argument pour choisir un antidé-
presseur tricyclique (ADT) en 1
re
intention.
17
Parmi les critères de choix de l’antidépresseur
de première intention recommandés par l’ANAES et
l’APA, deux d’entre eux sont pragmatiques :
bonne tolérance afin d’améliorer l’observance
thérapeutique ;
absence d’effet toxique majeur afin d’éviter un
risque vital lors d’une ingestion médicamen-
teuse volontaire.
De plus, il faut tenir compte :
des contre-indications liées aux comorbidités ;
de la facilité de prise (la prise unique favorise
une bonne observance) ;
des effets latéraux utiles pour le patient (séda-
tif, anxiolytique, stimulant, prise de poids ou
non) ;
des préférences du patient,
4
ce qui favorise
l’observance et l’effet placebo.
Les symptômes peuvent orienter vers tel ou tel
antidépresseur (anxiété, insomnie, trouble obses-
sionnel compulsif [TOC], attaque de panique). En-
fin, l’histoire familiale de réponse aux antidépres-
seurs peut être un guide.
Si l’on s’en tient aux critères de tolérance et de
non-toxicité, les nouvelles molécules semblent de-
voir être privilégiées (coût mis à part). Elles peu-
vent cependant avoir d’autres inconvénients (ef-
fets indésirables peu fréquents mais graves,
interactions médicamenteuses).
Dans les troubles bipolaires en phase
dépressive ?
Les régulateurs de l’humeur sont « la pierre angu-
laire » du traitement des troubles bipolaires, pour
réduire les phases d’inversion d’humeur et éviter
les récidives.
Actuellement, des propriétés antidépressives
sont reconnues, pour la lamotrigine,
5
le divalproate
de sodium et la carbamazépine, ainsi que pour les
antipsychotiques atypiques.
18,19
Le lithium (qui est
sous-utilisé à ce jour) serait aussi efficace que les
antidépresseurs tricycliques dans le traitement de
cette phase dépressive
5
et pour l’APA c’est le li-
thium le médicament de première intention.
La monothérapie antidépressive n’est pas re-
commandée, voire relativement contre-indiquée,
plus particulièrement dans la forme bipolaire I (ris-
que de faciliter l’inversion d’humeur).
5
L’association antidépresseur + régulateur de
l’humeur est réservée aux épisodes dépressifs qui
persistent malgré l’utilisation du régulateur de
l’humeur ou aux dépressions très sévères.
5
L’utili-
sation d’IRS (ou bupropion aux États-Unis) en 1
re
intention, puis de venlafaxine est alors conseillée.
Les antidépresseurs tricycliques comporteraient un
plus grand risque d’inversion d’humeur, les inhibi-
teurs de la monoamine oxydase (IMAO) non sélec-
tifs, bien qu’efficaces, sont moins conseillés en
raison de leurs effets indésirables (APA).
En cas de symptômes psychotiques, l’association
d’un antipsychotique est préconisée.
L’association olanzapine/fluoxétine (Symbyax
®
)
est aux États-Unis la première association reconnue
(décembre 2003) pour le traitement de la phase
dépressive de la maladie bipolaire (I plus particu-
lièrement).
19,20
Les ECT sont une alternative pour l’accès très
sévère ou avec signes psychotiques ou encore au
cours d’une grossesse. Dans cette dernière indica-
tion, les données bibliographiques restent pauvres
et il resterait à préciser le risque d’effets indésira-
bles pour le fœtus. (Par manque de recul, pas
encore de consensus sur la SMT [stimulation magné-
tique transcrânienne]
21,22
).
Dans les troubles bipolaires en phase maniaque
ou mixte ou hypomane ? (Fig. 3)
Les régulateurs de l’humeur sont « la pierre angu-
laire » du traitement des troubles bipolaires, pour
réduire les phases d’inversion d’humeur et éviter
les récidives.
Après arrêt progressif de l’antidépresseur s’il est
en cours, les conseils varient suivant la forme clini-
que.
Dans les formes peu intenses, les experts privilé-
gient une monothérapie par lithium,
23
avant celle
par divalproate de sodium ou lamotrigine. Un anti-
psychotique comme l’olanzapine rejoint lithium et
divalproate de sodium dans le traitement de pre-
mière intention de l’accès maniaque.
5
Carbamazé-
pine et oxcarbazépine sont une alternative.
En cas de manie aiguë ou si des signes psychoti-
ques sont présents, ou dans les formes dysphori-
ques ou mixtes, on choisit une association, lithium
4 P. Vandel et al.
ARTICLE IN PRESS
ou divalproate de sodium + antipsychotique (atypi-
que de préférence en raison de leur bonne tolé-
rance).
24,25
Dans les cas sévères ou avec agitation, anxiété,
symptômes psychotiques, gros troubles du som-
meil, l’association d’un traitement de courte durée
par benzodiazépine peut être utile (APA).
Les ECT sont indiqués en cas d’épisodes mixtes,
de manie sévère, de résistance thérapeutique, ou si
le patient le demande. L’APA préconise également
cette thérapeutique en cas de grossesse (cf. supra)
Une approche psychosociale peut être associée
quelle que soit la forme clinique. Bien que les
thérapeutiques biologiques soient un élément thé-
Figure 3 Arbre 2. Traitement de l’épisode maniaque. ECT : électroconvulsivothérapie.
5Stratégies thérapeutiques des troubles de l’humeur
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