Les cellules souches mésenchymateuses : quelle place en

4 | La Lettre du Rhumatologue N° 417 - décembre 2015
Alain Saraux
Divi Cornec
ÉDITORIAL
Les cellules souches mésenchymateuses :
quelle place enrhumatologie ?
Mesenchymal stem cells: are they useful
fortherheumatologist?
Pr Alain Saraux,
Dr Divi Cornec
Service de rhumatologie,
hôpital de la Cavale-Blanche,
CHU de Brest.
X. Chevalier et F. Eymard nous présentent dans ce numéro unarticle
trèsdocumenté sur la place potentielle des injections de cellules souches
mésenchymateuses par voie intra-articulaire pour traiter l’arthrose (p.8).
Cestl’occasion de se poser la question du mécanisme d’action
et de la place de cette technique ausein de l’arsenal thérapeutique
du rhumatologue.
Qu’est-ce quun traitement par cellules souches
mésenchymateuses ?
Les cellules souches mésenchymateuses, ou multipotent mesenchymal stromal
cells, ou encore mesenchymal stem cells, ont été identifi ées initialement
danslamoelle osseuse, puis il a été mis en évidence qu’elles peuvent être prélevées
dansleplacenta, le cordon ombilical, le liquide amniotique mais aussi
dansdiff érents tissus : rate et cœur, muscle squelettique, pulpe dentaire,
synovialeettissu adipeux.
Ces cellules se défi nissent par leur adhérence au plastique des boîtes de culture,
la présence de certains clusters de diff érenciation (CD105, CD73, CD90)
etl’absenced’autres (CD45, CD34, CD14, CD11b, CD79, CD19,
ainsi que le complexe majeur d’histocompatibilité [CMH]II).
Ellesont 2caractéristiques fonctionnelles : une expansion théoriquement infi nie
enculture invitro, sans diff érenciation spontanée, d’une part, etunediff érenciation
possible en diff érents tissus selon leurs conditions de culture (ostéoblastes,
chondrocytes, adipocytes, myocytes, cardiomyocytes, hépatocytes, neurones,etc.),
d’autrepart.
Pour les obtenir, la méthode est assez simple, puisqu’il suffi t de broyer
letissusource ou de séparer les cellules mononucléées (Ficoll®),
de les mettre enculture dans une fl asque en plastique (Dulbeccos modifi ed
Eagles medium, low glucose), puis d’éliminer les cellules non adhérentes
parlavagessuccessifs.
Leur greff e paraît aisée, puisqu’elles nexpriment pas, ou seulement faiblement,
le CMH desclassesI etII et les molécules de costimulation (CD40, CD40L, CD80,
CD86), qu’elles ne sont donc pas reconnues par les lymphocytes, et inhibent invitro
leslymphocytesB etT comme les cellulesNK et présentatrices d’antigène.
Enthéorie, du fait de cette absence de réaction immunitaire, il serait possible
defaire aussi bien des autogreff es que des allogreff es, voire
desxénotransplantations. Bien sûr, pour des raisons de risque infectieux,
l’autogreff e semble la moins dangereuse.
Il est donc possible d’injecter ces cellules souches mésenchymateuses localement
(par exemple, en intra-articulaire dans l’arthrose, ou en sous-cutané
danslasclérodermie) ou par voie systémique, dans l’espoir qu’elles s’implantent
puissediff érencient sur un site ciblé dans un but thérapeutique.
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ÉDITORIAL
Quelles sont les différences avec les greffes de cellules souches
hématopoïétiques ?
Le principe de traitement par cellules souches mésenchymateuses na rien à voir
avecl’autogreffe par mobilisation de cellules souches hématopoïétiques périphériques.
Lorsdecettedernière, après chimiothérapie, on sélectionne des cellules souches CD34+
puisonles réinjecte après une aplasie. Leffet de cette méthode nest plus àdémontrer
danslespathologies tumorales. Elle a également été utilisée chez 1 500patients pour traiter
desmaladies auto-immunes, notamment des sclérodermies, des lupus etdespolyarthrites
rhumatoïdes, mais la place d’un traitement aussi lourd danscespathologies reste débattue(1).
Alors que le principe de l’autogreffe de cellules souches hématopoïétiques se limite
àlaréinjection de cellules prélevées pour qu’elles remplissent leur fonction habituelle,
celuidutraitement par cellules souches mésenchymateuses est plus ambitieux, puisqu’il part
dupostulat que nous avons en nous des cellules souches capables de pallier l’absence
decellules différenciées.
Quelles sont les possibilités thérapeutiques des cellules souches ?
Après une greffe, ces cellules ont donc 2vocations thérapeutiques potentielles :
la régénération de tissu pathologique : elles ont, en tout cas in vitro, une possibilité
dedifférenciation en os, en cartilage et en autres tissus conjonctifs, mais aussi (peut-être…)
enneurones, cardiocytes, hépatocytes, cellules tubulaires, etc. Àcespropriétés
dedifférenciation/régénération s’ajoute celle de sécrétion d’un grand nombre decytokines,
defacteurs de croissance, ce qui expliquerait la survie des cellules endogènes, l’angiogenèse.
Ceprincipe peut être utile à titre réparateur dans l’infarctus du myocarde, l’insuffisance
cardiaque congestive, la bronchopneumopathie chronique obstructive, lacirrhose,
lediabète, etc., et, pour le rhumatologue, dans l’arthrose, la fracture, oul’ostéonécrose ;
l’immunomodulation : elles peuvent induire une réduction de l’inflammation et inhiber
laréponse immunitaire, puisque, après injection, elles migrent préférentiellement
versl’inflammation (rôle de CXCR4,etc.), produisent IL-6, PGE-2, IDO, NO, TGFβ
etIL-10, répondent à TNFα, IFNγ,etc., en ciblant leur activité immunorégulatrice
surleszones inflammatoires. On peut donc imaginer une efficacité dans la réaction greffon
versus hôte, le rejet de greffe d’organe, la maladie de Crohn, la sclérose en plaques, et,
pourlerhumatologue, dans le lupus, le syndrome de Gougerot-Sjögren, la sclérodermie,
lapolyarthrite rhumatoïde, la polymyosite…
Quelles sont les indications rhumatologiques évaluées
ou encours d’évaluation ?
Plus de 10 000publications ont paru sur les cellules souches mésenchymateuses
depuis1977, et la plus grande partie au cours des 5dernières années(2,3). Peut-on, dès lors,
imaginer traiter de nombreuses pathologies rhumatologiques mais aussi des pathologies
dediverses autres spécialités avec ce nouveau principe thérapeutique ?
Plus de 400études sont déclarées sur le site www.clinicaltrials.gov, mais bien peu
surlespathologies rhumatologiques. Celles qui traitent de rhumatologie portent
soit sur l’arthrose, comme l’indiquent X.Chevalier etF.Eymard, soit sur les rhumatismes
inflammatoires (tableau, p.6). Parmielles, trèspeu ontdonné lieu à des publications.
Les articles portant sur les rhumatismes inflammatoires concernent surtout des travaux
utilisant des cellules souches mésenchymateuses hétérologues. Cest l’équipe chinoise
deL.Sun qui est à l’origine de la majorité des travaux publiés et de ceux déclarés
sur www.clinicaltrials.gov.
1. Cipriani P, Carubbi F, Liakouli V
et al. Stem cells in auto immune
diseases: Implications for
pathogenesis and future trends
in therapy. Autoimmun Rev 2013;
12(7):709-16.
2. Figueroa FE, Carrión F, Villa-
nueva S, Khoury M. Mesenchymal
stem cell treatment for auto-
immune diseases: a critical review.
Biol Res 2012;45(3):269-77.
3. Fernández Vallone VB, Roma-
niuk MA, Choi H et al. Mesen-
chymal stem cells and their use in
therapy: what has been achieved?
Differentiation 2013;85(1-2):1-10.
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ÉDITORIAL
Dans le lupus(4-7), après quelques publications sur de petites séries, l’équipe de L.Sun
arapporté 2travaux de plus grande ampleur. Tout d’abord, une étude ouverte(4), conduite
entre 2007 et 2010 chez 83patients atteints d’un lupus rénal recevant par voiei.v. 1million
de cellules par kilo, a permis d’obtenir 60,5 %(49/81) de rémission rénale à 12mois. Lescore
BILAG a diminué sous traitement(4,48 ± 2,60 à l’inclusion contre 1,09 ± 0,83 à 12mois),
demême que le SLEDAI(13,11 ± 4,20 à l’inclusion contre 5,48 ± 2,77 à 12mois).
Uneseconde étude(5), portant sur 35patients, dont 20leucopénies et 24anémies
outhrombopénies, a montré une amélioration biologique mais aussi une amélioration
partielle des autres signes du lupus. Les cellulesT régulatrices (Treg) étaient parallèlement
augmentées alors que les 17 diminuaient. Les 2 décès ne sont pas imputables
au traitement, qui a été considéré comme nétant pas associé à d’éventuels effets indésirables.
Dans le syndrome de Sjögren, une étude a été menée par la même équipe chinoise(8),
dont les résultats sur la souris ont été présentés en même temps que ceux chez l’homme.
Vingt-quatre patients (23femmes) ont été traités par des cellules souches allogènes
prélevées sur des cordons ombilicaux puis ont été suivis pendant 12mois. Létat général de
tous ces patients s’est amélioré, dans un délai allant de 2semaines à 6mois. Léchelle visuelle
analogique globale despatients s’améliorait au fil du temps. Il n’y a pas eu d’effets
indésirables.
Dans la polyarthrite rhumatoïde, des essais sont en cours, mais nous ne savons pas
aujourd’hui s’il serait plus logique de recourir à des injections intra-articulaires
ouintraveineuses dans le cas où un tel traitement devrait être envisagé.
Actuellement, on peut considérer que l’on manque de données sur la possibilité d’utiliser
des cellules souches dans les maladies auto-immunes et être surpris que les résultats dont
on dispose émanent d’une seule équipe chinoise, dans des conditions éthiques qui seraient
contestables en Europe.
En définitive, comme le soulignent X.Chevalier et F.Eymard, le rationnel d’utilisation
des cellules souches est séduisant, mais il nest pas encore possible de conclure
àleurefficacité, ni dans l’arthrose, ni dans aucune des indications rhumatologiques
encours d’évaluation.
Tableau. Études portant sur les maladies auto-immunes déclarées sur le site www.clinicaltrials.gov.
Pathologie
Études déclarées
Syndrome de Sjögren
Lingyun Sun : Allogeneic mesenchymal stem cells transplantation for primary Sjögren’s syndrome (pSS)
Lupus érythémateux Jianming Tan : Effect of mesenchymal stem cell transplantation for lupus nephritis
Lingyun Sun : Mesenchymal stem cells transplantation for refractory systemic lupus erythematosus (SLE)
[allogénique]
Lingyun Sun : Umbilical cord derived mesenchymal stem cells transplantation foractive and refractory systemic
lupus erythematosus
DanQi Deng : Phase2 study of human umbilical cord derived mesenchymal stem cell for the treatment oflupus
nephritis
Sclérodermie
Lingyun Sun : Allogeneic mesenchymal stem cells transplantation for systemic sclerosis (SSc)
Cirrhose biliaire
primitive
Fu-Sheng Wang : Umbilical cord mesenchymal stem cells for patients with primary biliary cirrhosis
Polyarthrite
rhumatoïde Haijie Ji : Safety and efficacy study of umbilical cord-derived mesenchymal stem cells for rheumatoid arthritis
Jorbe Paz-Rodriguez : Umbilical cord tissue-derived mesenchymal stem cells forrheumatoid arthritis
José María Alvaro-Gracia : Cx611-0101, eASCs intravenous administration torefractory rheumatoid arthritis
patients
Spondyloarthrite Chengyun Zheng : Safety and efficacy study ofumbilical cord/placenta-derived mesenchymal stem cells totreat
ankylosing spondylitis (AS)
Hépatite
auto-immune
Fu-Sheng Wang : Umbilical cord mesenchymal stem cells for patients withautoimmune hepatitis
4. Gu F, Wang D, Feng X et al.
Allogeneic mesenchymal stem
cell transplantation for lupus
nephritis patients refractory
to conventional therapy. Clin
Rheumatol 2014;33(11):1611-9.
5. Li X, Wang D, Liang J, Zhang H,
Sun L. Mesenchymal SCT ame-
liorates refractory cytopenia
in patients with systemic lupus
erythematosus. Bone Marrow
Transplant 2013;48(4):544-50.
6. Wang D, Zhang H, Li X et al.
Allogeneic mesenchymal stem
cell transplantation in severe and
refractory systemic lupus erythe-
matosus: 4 years experience. Cell
Transplant 2013;22(12):2267-77.
7. Liang J, Zhang H, Hua B et al.
Allogenic mesenchymal stem
cells transplantation in refrac-
tory systemic lupus erythema-
tosus: a pilot clinical study. Ann
Rheum Dis 2010;69(8):1423-9.
8. Xu J, Wang D, Liu D et al. Alloge-
neic mesenchymal stem cell treat-
ment alleviates experimental and
clinical Sjögren syndrome. Blood
2012;120(15):3142-51.
Les auteurs déclarent ne pas
avoir de liens d’intérêts.
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