Théâtre et politique au Sénégal : un art engagé dans la construction

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IEP de Toulouse
Mémoire de recherche présenté par
Mlle Charlotte Sarrouy
Théâtre et politique au Sénégal : un art engagé
dans la construction d’une Histoire nationale
Directrice du mémoire : Stéphanie Fontez
2012-2013
Avertissement : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans
les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur
auteur(e).
Sommaire
INTRODUCTION ................................................................................................................. 1
Chapitre I : Annonce du sujet et de la problématique ......................................................... 1
Chapitre II : Méthodologie de recherche ............................................................................ 5
Chapitre III : Résultats obtenus et annonce du plan ............................................................ 7
PARTIE I : AVANT PROPOS HISTORIQUE ET SITUATION ACTUELLE DU THEATRE
AU SENEGAL ................................................................................................................... 10
Chapitre I : Une approche historique du paysage théâtral sénégalais ................................. 10
Chapitre II : Les lieux de la scène théâtrale sénégalaise .................................................... 20
PARTIE II : LES LIENS ENTRE POLITIQUE ET THEATRE : DES TEXTES SOUS
INFLUENCE ....................................................................................................................... 28
Chapitre I : Les hommes politiques et le théâtre au Sénégal ............................................. 28
Chapitre II : Une classification thématique des pièces de théâtre sénégalaises .................. 30
Chapitre III : Les dramaturges engagés en politique ......................................................... 43
PARTIE III : ANALYSE LITTERAIRE DES GRANDES PIECES POLITIQUES ............. 47
Chapitre I : L'utilisation des grands héros du passé pour exalter l’identité nationale ......... 47
Chapitre II : L’éternel retour de la colonisation dans les textes ......................................... 54
Chapitre III : L’exaltation de grandes valeurs .................................................................. 60
PARTIE IV : LES ENJEUX A RELEVER AUJOURD'HUI ................................................ 65
Chapitre I : Un théâtre pour le peuple ou le jeu des élites? ............................................... 65
Chapitre II: L’influence persistante de la France ............................................................. 72
Chapitre III : Faire une littérature de l'universel ............................................................... 74
CONCLUSION .................................................................................................................... 77
INTRODUCTION
Chapitre I : Annonce du sujet et de la problématique
En réalisant ce mémoire, j'ai voulu poser mon regard sur une image différente de l'Afrique,
différente de celle que l'on voit à la télévision, celle dont on nous parle à la radio, dans les
journaux ; les guerres civiles, les coups d'Etat, le terrorisme... C'est pour cela que j'ai voulu
travailler sur la culture africaine, qui est tout aussi constitutive de l'identité du continent que
toutes les misères dont nous avons vent ici en Europe. Savoir quelle est la place de l'art dans
un pays en voie de développement ? Quel rôle a-t-il à jouer dans la société, dans la croissance
économique ?
Je me suis tout d'abord penchée sur la littérature africaine en général, celle que nous
connaissons en France : les romans d'Ahmadou Kourouma, les poèmes de Léopold Sédar
Senghor... Mais l'étendue de ces œuvres empêche toute étude exhaustive, et cela reprendrait
de façon redondante de nombreux travaux déjà publiés sur ce thème.
J'ai donc choisi de ne travailler que sur les pièces de théâtre et cela pour plusieurs raisons. Il
n'y a à ce jour que très peu de travaux qui portent sur cet art en Afrique noire. Pourtant les
œuvres sont là aussi très nombreuses. Derrière les grands géants que nous connaissons en
Europe, comme Koffi Kwahulé, se cachent des centaines de dramaturges moins connus mais
qui sont tout aussi productifs que le dramaturge ivoirien. Si nous ne parlons pas de leurs
pièces, c'est avant tout pour des raisons matérielles ; les livres ne sont pas vendus en France et
donc très peu connus, ils ne font l'objet d'aucune demande de la part des lecteurs français. Il
est pourtant bien dommage de se limiter à quelques grands noms.
Ensuite il me semblait intéressant de traiter du théâtre dans un continent qui cultive depuis des
siècles une tradition de l'oralité ; nous penserons par exemple à l'image du conteur.
Travailler sur le théâtre a aussi ses avantages : nous pouvons étudier les textes mais aussi leur
portée. Il est plus aisé de trouver des informations sur les lieux de représentations, les
spectateurs, les comédiens... que sur un lectorat de romans.
1
Connaissant le Sénégal d'un stage antérieur et voulant préciser mon objet d'étude, je me suis
concentrée sur ce seul pays. Lors de mon séjour en 2011, je n’avais pas du tout entendu parler
de théâtre. J’étais donc très curieuse de retourner dans ce pays et de découvrir tout cet univers
à côté duquel j’avais vécu sans le voir. Cela me permettrait de faire une analyse plus précise
et détaillée du paysage théâtral mais aussi de mener un véritable travail de terrain. Et qui est
plus est sur un terrain vierge de toute étude universitaire antérieure.
J’ai choisi de me pencher sur le thème politique avant même de prendre connaissance des
pièces sénégalaises. Si j’étais passée à côté du théâtre lors de mon premier séjour, je n’avais
pu ignorer la politique. Au Sénégal, la politique est présente partout et en premier lieu dans
les conversations. Lors de mes deux séjours dans le pays j’ai été saisie par cet intérêt politique
qui semble animer tous les habitants. Il n’était pas rare qu’une conversation dérive vers les
dernières magouilles présidentielles et chaque coupure d’électricité était l’occasion de
vociférations violentes contre Abdoulaye Wade, désigné comme le coupable direct de tous les
maux du pays. Mon second séjour au Sénégal eu lieu quelques mois après l’élection
mouvementée de Malick Sall et j’assistais aux élections législatives du 1er juillet. Assez
curieusement, ces élections ont été marquées par le très fort taux d’abstention : moins de 30%
des électeurs s’étant rendu aux urnes
1
Pourquoi quelques mois après des manifestations qui avaient mobilisé tout le pays, les gens se
détournaient soudain de la politique ? Lors de toutes les conversations que j’eu à ce sujet, une
raison principale est apparue : la lassitude. Même les employés du théâtre, ayant pourtant un
haut niveau d’études, m’avouaient de pas être allés voter. Les sénégalais ne font plus
confiance aux politiques et surtout ils ne portent aucune confiance au système politique
même. S’il est vrai que les manifestations de janvier ont permis la mise en place d’un scrutin
plus réglementaire, certaines irrégularités sont demeurées. Ainsi la candidature de
Youssou’N’Dour est demeurée invalidée par le Conseil Constitutionnel, conseil qui regroupait
des membres nommés directement par le président Wade. Les élections ont certes permis le
retrait définitif de Wade mais au profit de son ancien premier ministre, Macky Sall. Les
choses n’ont donc pas radicalement changées avec les élections présidentielles et pour les
législatives, les sénégalais ont préféré s’abstenir que participer à un système immuable qui ne
leur convient plus.
1
Source : http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/07/01/97001-20120701FILWWW00226-senegallegislativesfaible-participation.php
2
Durant ces toutes dernières années, la vie du pays se caractérise donc par une distanciation
progressive de la chose politique. Mais la fin du XXème siècle est quant à elle marquée par
une politique omniprésente. Cette politique est incarnée par Léopold Sédar Senghor, figure
emblématique du pays. Plus qu’un président, l’homme a aussi incarné la littérature nationale,
l’art et l’indépendance vis-à-vis de l’occident blanc.
Au regard de ce constat, il paraît judicieux de se pencher sur le théâtre politique. Si le pays est
profondément marqué par son engagement, alors son théâtre doit être le reflet de cet intérêt.
Je ne peux pas affirmer que j’ai trouvé dans ces pièces, ce à quoi je m’attendais. Je croyais
trouver des critiques virulentes contre les dictateurs, des revendications pour une Afrique
unie, une critique de la colonisation sans cesse répétée... Je trouvais des épopées historiques,
des portraits de héros de guerre, des comédies en cinq actes... Je restais désemparée face à
cette trouvaille.
L’aspect politique des pièces était plus subtil que je ne l’avais pensé. Mais il était présent.
Affirmer sans cesse son Histoire2, se moquer de la corruption, critiquer le colonisateur... sont
autant de façon de construire une identité nationale. Il ne s’agissait pas de défendre la
candidature de tel ou tel homme politique mais de prôner de grandes valeurs chères au pays. Il
s’agit dans ses pièces de construire une culture propre sans aucune dépendance. Finalement,
l’étude des pièces me montra que je ne m’étais pas trompée : le théâtre au Sénégal est bel et
bien politique.
Le théâtre sénégalais n'est pas engagé au sens où nous l'entendrions en Europe, comme les
textes de Rodrigo Garcia dénoncent la société capitaliste, mais il est de partout imprégné de
politique. Il parle de politique quand il dépeint les grands rois des tribus du Sénégal au début
du 19ème siècle, il parle de politique lorsqu'il fait des satires de dictatures, il en parle encore
quand il promeut des grandes valeurs perdues, l'honneur, le courage... En abordant ces
thèmes, le théâtre construit une identité politique nationale. Ce dernier mot n'est pas anodin
dans un contexte de décolonisation où la population se retrouve soudainement sans repère. La
majorité des textes sont imprégnés de cette nostalgie du passé précolonial mais aussi de la
2
Il n’existe aucune règle formelle concernant l’emploi de la majuscule au début du mot histoire. Mais ce mot
revenant de façon récurrente dans le corps du mémoire, je choisis ici de marquer la différence en employant la
majuscule.
3
lutte contre le colonisateur. Le blanc occupe très souvent une place centrale dans les pièces.
Le théâtre sénégalais dans les thèmes qu'il aborde s'inscrit évidemment dans la lignée de la
négritude de Léopold Sénar Senghor et Aimé Césaire mais pas seulement, il dépasse aussi le
mouvement. Au delà du refus de la colonisation, il proclame aussi des revendications.
Le théâtre au Sénégal est donc politisé ; par les thèmes qu'il aborde, ses personnages. Les
dramaturges eux-mêmes se disent engagés dans leur écriture et les liens entre les hommes
politiques et les théâtres du pays sont nombreux.
Une fois ce constat opéré, je rassemblais les quelques pièces qui faisaient sens dans mon
mémoire. Ce sont ces pièces qui ont déterminé ma période d’étude. Je souhaitais dans un
premier temps limiter mon étude aux pièces écrites après l’indépendance du Sénégal, en 1960.
Mais cela supposait de se séparer de nombres de pièces éminemment politiques. Je pense au
Chaka de Senghor publié en 1956 ou encore à L’os de Mor Lam de Birago Diop. Ces pièces,
même écrites sous le joug colonialiste, étaient porteuses d’un message politique puisqu’elles
mettaient en avant de grands héros du passé. Elles ne s’attaquaient pas directement au
colonisateur comme ce sera le cas dans les pièces plus récentes, mais de façon subtile elles
amenaient l’idée d’une identité nationale, une identité propre aux Sénégalais et qui ne doit
rien aux Français.
Mon étude porte donc sur des pièces de théâtre qui ont été écrites entre 1950 et les années
2000. La période récente est ici illustrée par le dramaturge Marouba Fall que j’ai rencontré à
Dakar. Il est très difficile de trouver des pièces actuelles dans les librairies sénégalaises. Je
voulais baser mon travail sur des pièces connues dans le pays et pas uniquement sur des
productions contemporaines que l’on ne trouverait qu’en France.
Je me suis appuyé sur cette citation d'Elie Charles Moreau pour déterminer la problématique
de ce mémoire : « Le théâtre est aujourd'hui un des derniers lieux où la parole publique a un
sens. Avec la désagrégation et le quasi-discrédit de la parole politique, comme repère, comme
phase dans la précarité du temps, l'un des ultimes bastions de la parole avouée, proférée,
demeure le théâtre » . Prenant cette affirmation en compte, la parole dramatique se voit alors
3
revêtue d'une importance particulière. Le théâtre a un rôle à jouer en société puisqu'il est un
« bastion de la parole publique ». Il n'est plus seulement divertissement, il a une fonction
3
Avant-propos, Sada Weïndé Ndiaye, Nogoye et Doy-Doy ou les temps modernes, Editions le Nègre
International, 2001.
4
sociale. A travers cette étude je vais me concentrer sur la dimension politique de la parole
théâtrale. Le théâtre parvient-il à jouer son rôle de médiateur entre la politique et le peuple ?
Mais est-ce là la volonté des dramaturges ? M'intéressant aux textes mais aussi aux
dramaturges et aux acteurs publics influents dans le milieu, je vais tenter de déterminer
l'influence du politique dans le théâtre sénégalais.
Chapitre II : Méthodologie de recherche
Pour réaliser ce mémoire, j'ai fait un stage au Théâtre National Daniel Sorano de Dakar durant
les mois de juillet et août 2012. Cette institution a ouvert ses portes sous le parrainage du
poète-président Léopold Sédar Senghor en 1965, elle est la plus ancienne structure théâtrale
dans le pays et aujourd'hui encore une des principales. Situé au cœur de Dakar, le théâtre est,
depuis plus de dix ans sous la direction d'Ousmane Diakhate, par ailleurs professeur à
l'université de Dakar. Ce stage a été l'occasion de rencontrer des comédiens mais surtout de
me plonger au plus proche de mon sujet de mémoire. Mon séjour au Sénégal m'a aussi permis
de rencontrer des dramaturges et notamment M. Marouba Fall qui est aujourd'hui un des
auteurs les plus reconnus dans le pays. J'ai donc allié étude de terrain et analyses de textes.
Concernant les textes, j'ai souhaité travailler dans un premier temps sur les pièces ellesmêmes et ne pas me perdre dans les considérations théoriques que j'aurais pu trouver dans des
ouvrages universitaires sur le sujet. Je pense notamment aux ouvrages de Jacques Scherer qui
est un des rares, voire le seul, universitaire français à s’être consacré au théâtre en Afrique
noire francophone.
Suivant les conseils de mes collègues de travail au Théâtre National de Dakar, j'ai constitué
une liste d'auteurs incontournables dans la dramaturgie contemporaine sénégalaise. Quelques
recherches sur internet m'ont permis d'évaluer la notoriété de ces auteurs dans le pays et hors
des frontières. J'ai souvent été surprise du manque d'information sur les pièces et les
dramaturges, voire parfois de l'absence totale d'informations sur la toile. Cela est sans nul
doute la conséquence du niveau de développement du pays qui adopte progressivement des
méthodes de travail informatiques mais où l'usage de l'ordinateur n'est pas encore chose
commune. Par exemple, le directeur du Théâtre Sorano ne possédait pas d'ordinateur dans son
bureau et lorsque j'ai effectué mon stage dans la structure, le programmateur était en train de
modéliser le site internet du Théâtre. Celui-ci a été mis en ligne en septembre 2012, alors que
5
le lieu a ouvert ses portes en 1965. Je serais confrontée tout au long de mon mémoire à ce
manque constant d'informations actuelles, cela explique aussi ma décision de travailler sur les
textes avant tout.
Mais malheureusement le choix des pièces sur lesquelles je base mon étude a été conditionné
là encore par des possibilités matérielles ; il est quasiment impossible d'acheter des pièces de
théâtre sénégalaises en France. Les pièces éditées dans les années 60 ou 70 sont en rupture de
stock et si par chance elles sont encore en vente elles atteignent des prix record. Quant aux
pièces contemporaines, elles sont publiées par les Nouvelles Éditions Africaines qui
s'exportent très peu. Je me suis donc procurée la grande majorité de mes pièces dans les
librairies de Dakar. J'ai aussi eu la chance de pouvoir consulter les archives du Théâtre Sorano
lors de mon stage. Celles-ci se sont cependant révélées incomplètes et désorganisées.
Personne n'a été en mesure de me donner une liste des pièces qui ont été jouées dans les
locaux depuis son ouverture. J'ai cependant pu trouver des pièces qui ne sont plus éditées et
en prendre note ; c'est par exemple le cas de Monsieur Pot-de-vin et Consorts de Maurice
Sonar Senghor ou encore de L'os de Mor Lam de Birago Diop. Malgré ces difficultés
matérielles, j'ai veillé à garder une logique dans ma bibliographie et à proposer une liste
relativement exhaustive des productions théâtrales depuis les années 50.
Suite à l'étude d'une vingtaine de pièces, je me suis penchée sur les travaux universitaires
réalisés sur le sujet. Il est relativement simple de trouver des écrits sur la littérature d'Afrique
noire, un peu moins sur le théâtre d'Afrique noire, et encore moins sur le théâtre sénégalais en
particulier. Si quelques points généraux peuvent être ramenés au cas du Sénégal, je pense par
exemple à la féminisation des dramaturges, certains ne sont pas transposables. Le Sénégal
étant un pays relativement calme, considéré même comme un modèle de démocratie (bien que
les dernières élections aient quelque peu remis cela en cause) il n'est pas question pour lui de
parler des écrits sur le génocide, les guerres civiles ou les troubles ethniques. Or ces sujets
sont très populaires chez les auteurs africains ; on pensera à Tierno Monénembo, auteur
guinéen, qui a écrit sur le génocide rwandais ou Amadou Kourouma qui nous raconte les
enfants soldats dans le roman Allah n'est pas obligé. Je me suis donc appuyé sur des ouvrages
généralistes du type de l'anthologie publié par François Chevrier, le spécialiste français du
théâtre d'Afrique Noire. J'ai aussi souhaité travailler avec des ouvrages théoriques africains et
me suis donc appuyée sur le livre du critique littéraire congolais, Boniface Mongo Mboussa.
6
Dans le domaine du théâtre sénégalais, les études sont rares, les pièces sont parfois
introuvables et enfin la technologie n’est pas toujours au rendez-vous. J’ai fait le choix
d’étudier ce pays en particulier et le domaine théâtral mais mes recherches ont été délimitées
par les conditions matérielles. Cela a naturellement eu des conséquences sur ma rédaction, j’ai
pu approfondir certaines parties, d’autres sont restées superficielles faute de données et non
d’intérêt. Mon mémoire n’aborde certainement pas l’intégralité du sujet.
Il est aussi très influencé par mes goûts personnels. J’ai particulièrement apprécié les écrits de
M. Marouba Fall et l’ayant rencontré, ses pièces et l’entretien que j’ai réalisé avec lui seront
cités à plusieurs reprises dans mon mémoire. Néanmoins ses pièces et ses paroles entrent en
parfaite résonance avec mon propre discours.
Chapitre III : Résultats obtenus et annonce du plan
A partir des années 1950, le théâtre sénégalais s'engage dans la construction d'une identité
nationale. Les pièces de cette époque sont à analyser en miroir avec le contexte politique du
moment. Durant les premières années de l'indépendance, les dramaturges vont proposer des
pièces historiques dans une optique de valorisation de l'Histoire du pays. Le théâtre sera alors
une occasion d'affirmer la culture nationale et son identité propre. Les hommes politiques
seront très présents dans la mise en place des créations, ils s'impliqueront aussi dans
l'élaboration de lieux culturels. Nous retrouvons quelques personnages récurrents qui sont à la
fois présents en politique et dans le théâtre. Les liens sont donc nombreux entre ces deux
champs.
Le théâtre est utilisé comme un outil pour reconstruire l'identité politique après des années de
domination. Les textes étudiés ici ont tous été joués au Théâtre National Daniel Sorano et ont
donc été largement diffusés, certains sont mêmes étudiés dans les collègues du pays. Ils
occupent une place centrale dans la culture sénégalaise.
Dans chacun de ces textes, j'ai mis en avant leur dimension politique. La plupart du temps
celle-ci découle de l'approche historique que les dramaturges adoptent. Senghor n'était pas un
dramaturge (il a cependant écrit deux pièces) pourtant son influence se fait nettement ressentir
dans cette étude. Le théâtre participe à la construction de l'identité politique du pays car il
7
renoue avec l'histoire nationale, avec les traditions et la culture noire. Le théâtre sénégalais
fait partie du large mouvement de la négritude, il permet l'affirmation des populations en toute
indépendance. Afin de prouver cette dimension sociale de l'art dramatique, j'ai divisé mon
étude en quatre grandes parties.
Nous aborderons dans un premier temps l'histoire du théâtre dans le pays et les structures
théâtrales aujourd'hui en place. Cet avant-propos historique permet de mieux comprendre le
théâtre au regard de ses évolutions. Il faut interpréter cet art dans son contexte ; celui d'une
société traditionnellement orale.
L'analyse des lieux théâtraux du pays permet de situer l'art dramatique par rapport aux
populations du pays. Le théâtre reste un art limité à une certaine élite. Les lieux sont
majoritairement concentrés dans le centre de Dakar. Le fonctionnement administratif de ces
lieux laisse aussi deviner un désengagement du pays pour la cause théâtrale. Cette première
partie présente le contexte dans lequel le mémoire s'inscrit. Il s'agit d'une sorte d'introduction
du sujet mais ces éclaircissements sont néanmoins nécessaires pour comprendre la suite du
raisonnement.
La seconde partie est consacrée à l'étude des liens entre politique et théâtre. Elle nous plonge
directement au cœur du sujet. J'ai choisi de baser cette partie sur mes rencontres mais aussi
sur les faits que j'ai pu observer lors de mes séjours au Sénégal. Cette théorisation permet
d'expliciter la relation effective entre théâtre et politique et cela à trois niveaux : au niveau du
pouvoir politique, au niveau des dramaturges et enfin dans les textes eux-mêmes.
J'ai choisi de consacrer une partie à l'analyse des textes dramatiques. Ce chapitre me semblait
nécessaire dans un mémoire consacré au théâtre. Dans cette troisième partie, j'ai tenté autant
que possible de mettre en avant l'aspect politique des pièces. J'ai aussi fait le choix d'y citer
des extraits de pièces puisqu'elles sont la base même de cette étude. Cette analyse littéraire
fait donc office d'illustration des théories que j'avance dans la partie précédente.
Enfin, je conclus cette étude dans une partie plus ouverte qui nous amène à nous questionner
sur les problématiques qui traversent le théâtre au Sénégal et la littérature en Afrique en
général. Nous verrons dans cette partie que si le théâtre a un rôle social à jouer, son influence
8
est cependant limitée car son public est peu nombreux. Nous envisagerons la possibilité d'un
théâtre populaire et détaché de toute entrave. Les dramaturges ont en effet du passer outre de
nombreuses difficultés ; ils ont du affirmer leur identité culturelle alors que la France demeure
très présente au Sénégal. Dans la continuité de ce combat, ils souhaitent aujourd'hui sortir de
la catégorisation littéraire qui les piège dans la case des « écrivains africains », qui fatalement
ne doivent écrire que sur les maux de leur continent.
9
PARTIE I : AVANT PROPOS HISTORIQUE ET
SITUATION ACTUELLE DU THEATRE AU
SENEGAL
Dans cette première partie, nous aborderons le théâtre sénégalais sous deux angles : tout
d’abord d’un point de vue historique, ensuite nous ferons un constat des structures théâtrales
présentes aujourd’hui dans le pays. Cette partie fait aussi office d’introduction à l’étude qui
suit puisqu’elle pose les bases nécessaires à la bonne compréhension de ce mémoire.
L’approche historique permet de resituer le théâtre dans la culture sénégalaise, il s’agit d’une
pratique ancestrale mais qui a beaucoup évolué sous la colonisation. En étudiant les lieux de
représentation, nous pouvons aussi analyser la place du théâtre dans la société, cette fois-ci
dans une optique plus sociologique.
Chapitre I : Une approche historique du paysage théâtral sénégalais
Nous commencerons cette étude historique au temps des premières civilisations africaines, les
détails étant plus nombreux pour les époques plus contemporaines, nous leur consacrerons
une section plus fournie et précise. Cette première étude historique montre l’importance des
rituels et toute la dimension religieuse des premières formes de théâtralité du pays. J’ai aussi
souhaité expliciter les grands changements qui sont intervenus sous la colonisation, les Blancs
ont marqué de façon durable la façon de faire du théâtre en Afrique. Ils ont imposé leurs
auteurs, leur langue et leurs techniques.
Section 1 : Les origines du théâtre négro-africain
Nous entendons couramment dire que la culture africaine est une culture de l’oralité. Nous
imaginons alors les vieux sages racontant des légendes aux jeunes générations, tous assis sous
le grand baobab au centre du village. Mais au delà de ces images maintes fois exploitées dans
les médias, que signifie réellement une société de l’oralité ?
10
C’est tout d’abord une société où les textes sont rares, voire inexistants. L’histoire se raconte
mais ne s’écrit pas. Les anciens offrent leur savoir en héritage, les jeunes n’ont plus qu’à
retenir pour, plus tard, porter eux aussi le message.
Il est très difficile pour les occidentaux d’imaginer une société sans texte, nous qui ne
connaissons l’Histoire qu’à travers les témoignages écrits, nous qui avons recours aux
archives...
Il faut comprendre qu’une société de l’oralité ne se définit pas uniquement par des négations ;
il ne s’agit pas que d’une société qui n’a pas d’écrit. C’est avant tout une culture qui valorise
la langue, le parler. Ce proverbe bambara montre toute l’importance portée à l’oral : « Parler
c’est construire le village ».
Jacques Chevrier nous montre que cette importance accordée à la langue se retrouve dans des
activités anodines4. Ainsi la mastication de la noix de kola va conférer une qualité de maîtrise
et de pondération à un orateur. L’utilisation répétée du cure-dent va apporter les vertus des
plantes. Maîtriser la parole est un garant de promotion intellectuelle.
Dans l’Afrique traditionnelle, on trouve les premières traces de théâtre dans les rituels
religieux. Dans les cérémonies funèbres, les invités rejouent les épisodes de la vie du défunt.
Lors de rites agraires, on simule les travaux aux champs. Les auteurs Jacques Chevrier ou
Michel Corvin s’accordent sur un point : le théâtre apparaît quand ces rites se laïcisent. Il faut
sortir du sacré pour avoir une forme de théâtralité. Certaines parties des rituels s’autonomisent
pour devenir des entités propres que l’on peut qualifier de théâtrales.
Ces mises en scène vont désormais raconter l’histoire du pays ou des épopées. Il va aussi y
avoir un culte des héros, très présent dans la tradition.
La forme de ces rites reste cependant très éloignée des formes occidentales de théâtre. Il n’y a
pas de mise en scène, pas de texte défini, encore moins de lieu de représentation. Le public ne
paie pas pour voir la représentation.
Le conte occupe une place centrale dans cette tradition d’oralité. Selon Levi Strauss, il s’agit
d’une forme désacralisé du mythe. Raconter un conte est une pratique très codifiée en
4
Jacques Chevrier, L’arbre à Palabres, Essai sur le conte et récits traditionnels d’Afrique noire, Collection
« Monde noir », 2005.
11
Afrique. Par exemple, le conteur doit toujours être plus vieux que son auditoire. Le conte mis
en scène va devenir une forme de théâtre. Il est important de noter que la politique a toujours
été un sujet d’inspiration pour les conteurs.
Un personnage occupe un rôle essentiel dans cette culture de l’oralité, il s’agit du griot. Selon
Michel Corvin le griot « désignait jadis un poète musicien au service de souverains ou de
chefs. Aujourd’hui en Afrique noire francophone, le griot est membre de la caste des poètes
musiciens professionnels. Ils peuvent se grouper en association professionnelle. Par leur
pouvoir de parole, ils sont proches des devins et ont une certaine aura sacrée »5.
Ousmane Diakhate, actuel directeur du Théâtre National Daniel Sorano de Dakar, a lui aussi
une définition du griot qu’il expose dans sa thèse : « le griot est en perpétuelle représentation
dramatique. Il est écouté pour ses qualités d’orateur. Il peut être le conseiller du chef car il
peut se permettre de dire la vérité aux plus grands »6.
Il y a trois sortes de griots, que Jacques Chevrier identifie dans son ouvrage L’Arbre à
Palabres.
Il y a le mâbo qui est attaché à une grande famille, connaît toute son histoire et en chante les
louanges. Vient ensuite le gawlo, ce dernier est indépendant. Il est à l’affût du moindre ragot
pour en faire une chanson satirique. Ses chants sont très écoutés, il est donc redouté car son
influence est grande. Enfin le tiapourta est celui qui a la plus grande liberté de parole. Ses
chants sont parfois obscènes et déroutants mais il ne vise jamais quelqu’un personnellement.
En chantant ce qu’on ne peut pas dire, il libère la société d’un poids. Il a un réel rôle à jouer
dans le système social.
Jacques Chevrier montre le rôle social et politique du conte. En illustrant une morale, ils
permettent de dépasser les conflits et assure ainsi une paix sociale relative.
Nous pouvons dès lors nous demander ce que sont devenus ces contes et ces rites lorsque les
premiers étrangers sont arrivés en Afrique. Ils ont été mis sous silence, mais pour un temps
seulement. Les premiers missionnaires chrétiens interdisaient tout simplement la pratique de
5
Article Griot dans Dictionnaire Encyclopédique du Théâtre à travers le Monde, Michel Corvin
Thèse de doctorat d’État en Études Théâtrales : Théories du jeu de l’acteur en Europe au XXème siècle : une
lecture africaine, Ousmane Diakhate, UCAD de Dakar, département des lettres modernes, 1992-1993
6
12
rites qu’ils ne comprenaient pas et jugeaient primitifs. Charles Béart, directeur de l’école
William Ponty dans les années 30, nous livre ce témoignage : « Et les noirs évolués, même
non chrétiens, en vinrent à mépriser les coutumes de leurs ancêtres, à les considérer comme
des jeux de sauvages, dont ils avaient un peu honte, même quand, secrètement, ils les
pratiquaient encore »7. Des normes étrangères sont imposées. Ce sera le cas à l’école William
Ponty.
Mais les traditions demeurent malgré cette censure. Aujourd’hui encore les pièces de théâtre
sont empreintes de cette culture de l’oralité et le griot y occupe un rôle souvent central. Il
n’est pas rare qu’une pièce contemporaine commence par une scène portée par un griot.
Celui-ci a pour mission d’exposer l’histoire à venir mais aussi de donner des informations
pour mieux comprendre la pièce.
C’est le cas dans Nder en flammes d’Alioune Badara Beye. Dans son tableau un, un griot
présente longuement la famille royale. Dans La Tragédie des indépendances d’Amadou
Moustapha Wade, le griot explique la situation au début de chaque acte. Il agit comme un
présentateur de la pièce. Dans ce même ouvrage, un autre griot suit fidèlement le présidentdictateur ; il annonce ses entrées, chante ses louanges mais lui fait aussi part des révoltes
populaires.
Marouba Fall place lui aussi un griot, appelé récitant, dans sa pièce Chaka ou le Roi
Visionnaire. Il expose le passé du roi zoulou avant son accession au trône. Un griot est aussi
présent dans Adja, militante du GRAS, pièce du même auteur. Il suit sa protectrice et vante ses
vertus lors des meetings politiques.
Marouba Fall me répondait ainsi quand je le questionnais sur le rôle du griot dans ses pièces :
« Le personnage du griot est un personnage qui peut évoquer la tradition africaine car il nous
vient du passé, de notre culture où l’oralité avait une grande importance. Les dramaturges
l’utilisent dans les pièces historiques comme dans les drames modernes car c’est un
personnage spécifique, typique de la société négro-africaine dans son ensemble même s’il
existe des ethnies qui n’ont pas de griot. Il faut tout de même préciser que la présence du griot
n’est pas ce qui fait renouer un dramaturge avec le théâtre traditionnel qui est déterminé par
7
Bakari Traoré, Le théâtre négro-africain et ses fonctions sociales, 1958.
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une structure particulière, un traitement particulier du temps et de l’espace ainsi qu’un recours
à un langage total »8.
En effet, ce seul personnage ne peut pas incarner toute la tradition africaine. Il faut aussi se
pencher sur la musique et la danse qui sont toujours placées au centre dans les rituels
traditionnels. Celles-ci sont toujours restées présentes dans le théâtre sénégalais, c’est pour
cela que l’on qualifiait le théâtre de Ponty, d’« exotique ». On trouve souvent des scènes de
groupe dansées dans les pièces contemporaines. Par exemple, la musique rythme la première
scène de Chaka ou le Roi Visionnaire. La scène d’ouverture de La Tragédie des
Indépendances est aussi une scène de groupe avec des tams-tams et une danseuse. Les trois
dernières scènes de la pièce sont des poèmes chantés qui décrivent la chute du dictateur, on
retrouve là la tradition africaine toute en musicalité.
Le théâtre et ses évolutions vont être le reflet de la société. Sous le joug de la colonisation, les
comédiens africains s’adaptent aux normes occidentales et jouent comme les blancs, sur scène
en costumes. Mais durant cette période, les traditions ne sont jamais totalement perdues. On
garde la musique, les masques traditionnels, quelques rituels... Tout ce que l’élite blanche
juge exotique constitue un fragment d’identité sénégalaise. Une identité qui va aller
s’affirmant à partir des années 1950. Cela se fait sous l’influence de Senghor et avec
l’affirmation de la Négritude mais pas seulement. Les pièces évoluent en même temps que les
revendications de la population se font entendre. On glorifie les héros du passé, les rites refont
surface. Les Sénégalais reconstruisent leur identité indépendamment des colonisateurs
français et cela transparaît dans le théâtre.
Dans son Dictionnaire Encyclopédique du théâtre à travers le monde, Michel Corvin identifie
quatre temps essentiels dans le théâtre sénégalais du XXème siècle. Il s’agit tout d’abord du
théâtre de l’école William Ponty, placé entre modernité et tradition ce théâtre va être une
étape primordiale dans l’évolution de l’art dramatique dans le pays. Le second temps est celui
de la troupe de Keïta Fodéba, plus axé sur la danse. De 1953 à 1958, la création des centres
culturels va remettre le théâtre sous le joug colonial. Enfin, et c’est cette période qui est le
cœur même de ce mémoire, après 1960, le théâtre sénégalais va se livrer à une analyse de la
8
Extrait de l’entretien réalisé avec Marouba Fall le 30 juillet 2012 à Dakar.
14
société et se nourrir de l’Histoire du pays : c’est le cas dans L’Exil d’Alboury de Cheik Aliou
Ndao ou encore de Lat Dior ou le Chemin de l’Honneur de Thierno Ba.
Section 2 : Le théâtre de l’École Normale William Ponty
L’école normale William Ponty a ouvert ses portes en 1903 à Saint-Louis au Sénégal. Elle
changera plusieurs fois de localité mais restera toujours sur le territoire sénégalais. Cet
établissement forme les cadres du continent africain ou plus exactement les cadres des
administrations coloniales. Elle est placée sous l’autorité du Gouverneur Général qui
représente la France dans ce territoire étranger. Il s’agit clairement d’une école occidentale
aussi bien dans l’organisation de la scolarité que dans le contenu même des cours. L’Histoire
que l’on y enseigne est celle des colonisateurs. On présente les anciens monarques africains
comme des sanguinaires, le système colonial comme un système légitime de gouvernement9.
Si dans un premier temps les élèves sont essentiellement sénégalais, par la suite la réputation
de l’école va développer son ouverture sur l’Afrique Occidentale Française. Le rigoureux
concours d’entrée à Ponty contribue à construire son image de marque. Les élèves sont donc
internes et dorment en dortoir. Il est intéressant de relever ici une anecdote : les dortoirs sont
attribués en fonction des origines des élèves. Malgré le fait que les mêmes cours soient
dispensés à tous les élèves, des divisons demeurent au sein du groupe. Divisions que l’école
entretient en attribuant une note de bonne conduite basée sur l’origine territoriale de l’élève.
C’est sous la direction de Charles Béart dans les années 30 que les élèves s’engagent dans une
démarche théâtrale. Les représentations ont d’abord lieu lors du spectacle de fin d’année. Y
sont joués pêle-mêle des classiques français comme Molière et des pièces africaines plus
traditionnelles. Ces dernières connaissent un grand succès auprès du public. Il est décidé
d’organiser une « fête d’art indigène ». Celle-ci aura lieu en début d’année. Ce sera l’occasion
pour les élèves de mettre en scène les rites de leur région d’origine. Pendant les vacances
scolaires, ils s’entretiennent avec les vieux de leur village et reviennent à la rentrée la tête
pleine de légendes.
9
L’ensemble des informations sur l’école William Ponty sont tirées de l’ouvrage de Bakary Traoré, Le théâtre
négro-africain et ses fonctions sociales, 1958.
15
Le théâtre joué à Ponty est dans sa grande majorité un théâtre historique qui parle du passé de
l’Afrique. Mais l’Histoire enseignée à Ponty est celle des colonisateurs et l’on retrouve
clairement leur influence et leur vision de l’Afrique dans les pièces pourtant jouées par des
étudiants noirs. Le théâtre est le reflet de l’école : il défend les valeurs colonisatrices, puisque
ce sont elles que le font exister.
Les comédiens de ces troupes étudiantes ne sont pas professionnels même si certains à
l’image de Douta Seck le deviendront.
La mise en scène et la sélection des pièces sont encadrées par les professeurs et le directeur de
l’école. Le théâtre est censuré même si les enseignants de Ponty le nient. Douta Seck
témoigna « Nous étions canalisés, dirigés »10. L’administration soutient ce théâtre qu’elle voit
comme une méthode « d’heureuse colonisation » selon l’expression du Gouverneur Général
Delavignette.
Il est intéressant de se pencher sur la forme du théâtre de Ponty. Comment jouaient ces
étudiants déchirés entre leurs traditions et un système colonial interdisant les rituels ? Ils
parvenaient tant bien que mal à associer ces deux facettes. Leur théâtre était à la fois européen
et traditionnel. Il se situait dans un entre-deux.
Conçu pour un public composé d’élites blanches et indigènes, le sujet des pièces tendait à être
« le plus proche du goût des européens ».
Christian Valbert s’exprime ainsi : « Le théâtre de Ponty ne pouvait ne pas plaire aux
européens puisqu’il avait été conçu par eux, dirigé par eux. Ils obtenaient que les africains se
reconnaissent eux-mêmes comme sauvages, qu’ils condamnent leur style de vie »11
Mais parallèlement à cet aspect, le théâtre de Ponty est respectueux des chants et des danses
traditionnels. Même occidentalisé, il demeure un théâtre exotique dans les yeux des élites. Il
est vu comme un moyen de rester en contact avec ses racines pour les élites africaines.
Pourtant, ce théâtre se joue loin du peuple.
Il ne met pas l’homme au centre et s’attaque parfois aux traditions. Le peuple ne s’intéresse
pas à ce théâtre, qui de plus est joué en français.
10
Ethiopiques n°72 ; L’autre théâtre historique de l’époque coloniale : Le « Chaka » de Senghor
Christian Valbert, « Le théâtre négro-africain et le public européen », Colloque d’Abidjan sur le théâtre négroafricain, P. A., 1971, p. 240.
11
16
Les succès de la troupe tiendra autant à la qualité de leur productions qu’à la rareté des
troupes théâtrales africaines à l’époque. Pendant les vacances scolaires des tournées sont
organisées à travers le monde. En 1937, la troupe de Ponty se produit aux Champs Elysées à
l’occasion de l’Exposition Coloniale.
En 1939, soit deux ans après son installation à Rufisque, près de Dakar, l’école William Ponty
est ouverte aux filles. La mixité se retrouve dans les troupes théâtrales. Mais cet engouement
pour l’art dramatique va avoir une fin.
La France reconnaît une équivalence de diplôme avec le Sénégal. A partir de là, les élèves
s’intéressent moins au théâtre et se concentrent sur leurs révisions pour le baccalauréat.
Le théâtre de William Ponty est incontournable dans l’Histoire du théâtre sénégalais et même
dans celle du théâtre africain. Il a été pendant des années l’unique lieu de création reconnue
dans toute l’Afrique noire. Mais surtout, il a façonné un théâtre que l’on retrouve encore
aujourd’hui en Afrique, un théâtre entre modernité et tradition, entre Négritude et occident.
Section 3 : Les ballets africains et les centres culturels
Dans les quatre temps du dictionnaire de Michel Corvin, le théâtre de Ponty occupe la période
de 1932 à 1948. En 1949, c’est la troupe du guinéen Fodéba Keïta qui prend le relais au
niveau national mais aussi international. A cette époque, il crée les Ballets Africains qui vont
assurer la renommée artistique de l’Afrique à l’étranger. La compagnie de danse et de
percussions est basée à Conakry mais réunie plusieurs membres sénégalais. Avec
l’indépendance de la Guinée, en 1960, la troupe devient l’Ensemble National de la Guinée par
l’intermédiaire de Sékou Touré, président de la Guinée libérée.
Les centres culturels sont construits dans les grandes villes du pays sous l’impulsion
française. A cette même période ouvre le théâtre du palais sous la direction de Maurice Sonar
Senghor, neveu de Léopold. Le théâtre fonctionne avec des fonds français. Le premier succès
de la troupe arrive deux ans après l’ouverture du théâtre, en 1955, avec une pièce sénégalaise
de Lamine Diakhate, Sarzan qui est une adaptation d’un ouvrage de Birago Diop.
17
Section 4 : L’influence persistante de Léopold Sédar Senghor
Léopold Sédar Senghor a beaucoup écrit mais peu sur le théâtre, sa place ne serait donc pas
justifiée dans ce mémoire. Mais parler du Sénégal, c’est forcément parler de Senghor. Même
s’il n’a écrit que deux pièces, le poète président a laissé une empreinte idéologique indéniable.
Chaque auteur le cite comme référence et ses idées de négritude sont présentes partout. Le but
de mon mémoire étant de se pencher sur des terrains encore vierges, je souhaite autant que
possible passer au delà de Senghor, et plutôt étudier les suites de son œuvre.
C’est pourquoi j’ai choisi de parler de ses écrits et surtout de ses idées dans ma partie
introductive. Je reviendrais dans une dernière partie sur sa volonté d’une civilisation
universelle.
Senghor est représentatif d’une époque de la culture africaine et plus particulièrement de
l’identité sénégalaise. Il vient après Ponty et les ballets guinéens. Senghor et ses amis
intellectuels sont synonymes de revendications, de velléités contre le colonisateur et enfin
d’indépendance.
A ) Sa vision du théâtre
Senghor commence ainsi un de ses discours : « Vous le savez, je ne suis pas un dramaturge,
mais, simplement, un poète. Il reste que, depuis mes années d’étudiant au Quartier latin, je
suis un amateur de théâtre, singulièrement de théâtre poétique »12. C’est dans son village
natal, Joal, qu’il a vu ses premières scènes théâtrales, il s’en rappelle comme d’un spectacle
typiquement africain :
« Or donc, pour revenir aux soirées théâtrales de mon enfance, celles-ci se déroulaient sur la
place du village, éclairée par un grand feu de bois. Les dialogues entre acteurs étaient souvent
entrecoupés de morceaux, de versets psalmodiés. Quant aux épisodes, ils étaient marqués,
sinon conclus, par des chœurs, qui étaient non seulement chantés en polyphonie, avec
accompagnement à la tierce et à la quinte, mais encore dansés. Il va de soi, comme toujours
en Afrique, que psalmodie et chant étaient accompagnés d’instruments de musique, avec le
gros tam-tam, qui marquait despotiquement le rythme de base »13.
12
13
Extrait de Poésie et Théâtre, Léopold Sédar Senghor, Ethiopiques – Spécial centenaire de Senghor
Ibid.
18
En littérature, Léopold Sédar Senghor est surtout connu pour ses poésies qui chantent
l’Afrique. Le poète a pourtant écrit deux pièces de théâtre : Chaka que j’étudie en détail dans
une partie consacrée au théâtre historique et Elégie pour Aynina Fall. Dans ces deux
ouvrages, on ne peut que remarquer le lyrisme dont fait preuve l’auteur. Son théâtre est avant
tout poétique. Dans Chaka, le dramaturge offre un modèle à l’Afrique. L’idée d’une littérature
de revendications est toujours présente dans ses écrits. Senghor est aussi un animal politique.
B) Senghor, défenseur de la négritude et la francophonie
Aux côtés d’Aimé Césaire, il va participer à l’affirmation de la Négritude à Paris dans les
années 30. Dire que Senghor est un des pères de la négritude est une erreur. Ce mouvement
trouve ses racines aux États-Unis au tout début du XXème siècle. Ce sont les noirs américains
qui affirment en premier la fierté de leurs origines. Cependant Senghor a participé à
approfondir le mouvement et notamment à le rendre plus culturel. C’est avec le magazine
L’étudiant Noir, qu’il écrit avec Aimé Césaire, que le poète exilé propose de « rattacher les
Noirs à leur histoire, leurs traditions et leurs langues »14. Il s’exprime ainsi : « Pour asseoir
une révolution efficace, il nous fallait d’abord nous débarrasser de nos vêtements d’emprunt,
ceux de l’assimilation, et affirmer notre être, c’est-à-dire notre négritude »15. L’affirmation de
sa culture pour le noir correspond aussi à une remise en cause du système colonial qui
asservie les peuples depuis des siècles. Les traditions ont été abandonnées sous la domination
coloniale, c’est en renouant avec celles-ci que les africains pourront s’affirmer comme un
peuple à part entière et se libérer de l’oppression des puissances occidentales.
Senghor est un homme de paradoxe : tout en affirmant sa négritude, il défend aussi les
principes de la francophonie. Le poète est métis, né au Sénégal, il vit ensuite en France et
participe pleinement au système politique national en devenant député à l’assemblée
nationale.
C’est l’homme de lettres qui défend le français et sa richesse. Mais la langue est aussi le
synonyme d’une unité des pays francophones. Il est impensable d’abandonner les pays à leurs
langues tribales, la division serait inévitable. Le français est donc vu comme l’instrument de
l’union de tous les peuples qui le pratiquent.
14
15
Aïssatou Soumana Kindo, Senghor : de la négritude à la francophonie, Ethiopiques n°69.
Ibid.
19
Une autre idée forte de Senghor est la civilisation universelle mais nous nous pencherons sur
celle-ci dans une partie ultérieure puisqu’il s’agit d’une problématique encore très actuelle qui
traverse le champ littéraire africain.
Chapitre II : Les lieux de la scène théâtrale sénégalaise
Dans les premiers temps de mes recherches, j’ai rapidement réalisé la nécessité de se rendre
sur place pour mieux comprendre la situation du théâtre au Sénégal. Je n’avais alors que peu
de connaissance du milieu ; pour moi le théâtre dans le pays se résumait à deux lieux : le
Théâtre National Daniel Sorano de Dakar fondé par le président Senghor que je voyais
comme un établissement très prestigieux et le Grand Théâtre National qui a ouvert ses portes
en 2010 sous la présidence d’Abdoulaye Wade et que je résumais à un lieu utilisé à des fins
politiques et loin de toute considération artistique. Je basais cette seconde impression sur des
articles de journaux que j’avais été amenée à lire lorsque j’étais au Sénégal en 2011 mais
aussi sur les discours des populations ; le Grand Théâtre National avec son architecture
colossale, construit par des ouvriers chinois, était vu comme une insulte au peuple sénégalais.
Comme le symbole d’un gouvernement qui se détourne de ses priorités. De plus, ce lieu était
surtout connu pour les meetings présidentiels et les réunions politiques qui s’y déroulaient.
Prenant en compte ces quelques impressions, je prenais contact avec le Théâtre Sorano afin de
faire un stage auprès de leur équipe durant les mois de juillet et août 2012.
Nous aborderons donc le fonctionnement et la ligne artistique de ce lieu dans un premier
temps. Puis nous présenterons le Grand Théâtre National en nous appuyant sur le discours de
sa directrice Youma Fall. Enfin, nous dresserons un panorama rapide des autres lieux
artistiques du pays, ces deux théâtres restant les principales structures du Sénégal.
20
Section 1 : Le Théâtre National Daniel Sorano
Le Théâtre National Daniel Sorano de Dakar fait office d’institution historique dans la ville. Il
est placé en plein centre, faisant face au Ministère de l’Intérieur. Si la façade s’accorde avec
cette image de marque, l’envers du décor est bien différent.
À cause des restrictions de budget, l’équipe du théâtre a quasiment été divisée par deux dans
les années 2000. Elle est composée autour de trois pôles : le directeur en place depuis 17 ans,
le programmateur et le service administrateur. La fonction du directeur est essentiellement
honorifique, il signe les papiers nécessaires mais n’est pas vraiment placé au cœur de
l’activité de son propre théâtre. Ousmane Diakhate est aussi professeur à la faculté de Dakar
et n’est donc pas présent en permanence dans les locaux.
Pratiquement tous les employés de la structure demandaient le départ du directeur en poste
depuis plus de dix ans et totalement incompétent selon eux. Le Soleil, quotidien national du
pays, venait renforcer ce discours et dépeignait un portrait très négatif de M. Diakhate. Durant
mon stage, le ministre de la culture, M. Youssou N’Dour, est venu visiter les locaux du
Théâtre. Sa venue s’est conclue par une rencontre avec le personnel qui lui a fait part, en
présence du directeur, de sa volonté de voir celui-ci partir dans les plus brefs délais. En
réaction à toutes ces critiques, Ousmane Diakhate a récemment été remplacé par Massamba
Gueye. Ce professeur de français est un artiste conteur alors que le précédent directeur était
plutôt un théoricien de l’art.
21
Le tableau ci-dessous expose les membres de l’équipe administrative du théâtre. Le Théâtre
National fonctionne avec seulement onze membres permanents.
Directeur Général
Massamba GUEYE
Contrôleur de Gestion
Amadou Lamine DIEYE
Chef du Service Administratif intérimaire
Fatimata Alwaly KANE
Directeur des Programmes
Biradieye FALL
Agent Comptable Particulier
Boubacar CAMARA
Directeur Technique
Alioune DIAKHATE
Regisseur Salle et Dependances
Madeleine TALL
Conseiller du Directeur Général
Alioune Badara SARR
Directeur de la Troupe Nationale Dramatique
Saïkou LO
Directrice du Ballet National
Ndèye Banda MBAYE
Directrice de l’Ensemble Lyrique Traditionnel
Soda Mama FALL
Le directeur du Théâtre est le seul fonctionnaire de l’établissement. Les autres employés ont
tout de même une garantie d’emploi et cotisent à une sécurité sociale.
Le Théâtre Sorano de Dakar est composé de trois groupes artistiques ; la Troupe Dramatique
Nationale, le Ballet National et l’Ensemble Lyrique. Tous trois sont en résidence au Théâtre à
l’année. Dans un entretien que j’ai eu avec le chargé de la programmation celui-ci me confia
que le Théâtre était subventionné par l’État sénégalais et d’ajouter « et bien subventionné ».
Pourtant, l’équipe administrative a été drastiquement réduite au courant des années 2000 et les
locations de la salle de représentation laissent deviner un manque à gagner dans les recettes du
lieu.
Je prenais connaissance du programme du théâtre suite à une demande directe auprès du
programmateur. Inutile de chercher un document de communication quelconque, il n’existe
aucun service chargé de cette fonction. Je fus très surprise de la variété des événements qui
avaient lieu dans la salle. Durant toute la saison 2011-2012, à peine cinq pièces de théâtre
22
avaient été mises en scène. Le directeur de l’époque me disait que chaque année la Troupe
Dramatique Nationale faisait trois créations : une reprise et deux créations. La plupart des
événements étaient des cérémonies, du cinéma, des remises de diplômes, des meetings
politiques... Le Théâtre National faisait donc office de simple salle des fêtes.
Je remarquais aussi la fermeture du théâtre durant le mois de février où eurent lieu les
émeutes pour les élections présidentielles.
Je m’entretenais avec le directeur de l’époque sur le choix des pièces produites. Un comité de
lecture décide ce qui est joué, ses membres veillent à la présence d’une pièce en wolof par an
pour deux pièces en français. En 2012, la troupe avait joué L’île aux esclaves de Marivaux et
en 2013, ils monteraient Othello de Shakespeare. Je demandais alors si la nationalité de la
pièce avait une importance dans ce choix, on me répondit que l’on prenait en compte avant
tout les « préoccupations du public »16. Or si Marivaux est joué dans le monde entier, qui se
préoccupe de produire une pièce de Birago Diop ? Que va-t-il advenir des pièces sénégalaises
si le théâtre national du Sénégal lui-même se détourne d’elles ? Il s’agit à mon sens d’une
grosse erreur de la part des programmateurs. Le directeur lui même me disait que la pièce en
wolof était toujours un énorme succès. Mais malgré l’indépendance, on retrouve toujours
cette imitation constante du modèle occidental. De ce point de vue là, la directrice du Grand
Théâtre National adopte une position qui me semble plus judicieuse.
Les dysfonctionnements ne se limitaient pas au poste de direction et au choix de la
programmation. Le Théâtre Sorano tel que je l’imaginais n’existait plus. Après deux semaines
passées à rencontrer les membres du personnel, à visiter le Théâtre, j’en conclue qu’il n’avait
plus le dynamisme du temps de Senghor et que son image de prestige était en train de
s’écailler lentement mais sûrement.
Je fus tout d’abord frappée par la désorganisation du lieu. En parcourant les différents services
du théâtre, je réalisais rapidement le désengagement de tout le personnel pour la cause
théâtrale ; la chargée des archives me déclarant préférer « regarder un bon film à la télé» que
se rendre au théâtre. De même, je fus étonnée des horaires plus que flexibles des employés qui
se rendaient au travail un peu selon leurs envies et il n’était pas rares qu’ils se réunissent tous
dans la salle des archives pour discuter ensemble du dernier match de lutte.
16
Extrait de l’entretien réalisé avec Ousmane Diakhate, directeur du Théâtre National Daniel Sorano.
23
Je demandais à avoir la liste des pièces jouées au Sorano depuis son ouverture, mais celle-ci
n’existait pas. Aucune information n’était disponible. Quant aux pièces « archivées » au
théâtre, je proposais de les classer moi-même afin d’en faciliter l’accès. La pièce des archives
était remplie à ras-bord de pièces, d’ouvrages, de journaux, de travaux d’étudiants sans
qu’aucun rangement n’est au lieu. Elle contenait pourtant nombre de pièces aujourd’hui
introuvables.
Le comble de la désorganisation fut atteint lorsque mi-juillet une représentation pour les
étudiants fut annulée quelques minutes avant l’entrée en scènes des artistes. Les étudiants
sensés venir à la représentation étaient en partiels.
Section 2 : Le Grand Théâtre National
Passant par le directeur du Théâtre Sorano, je parvenais à avoir le numéro de la directrice
fraîchement nommée du Grand Théâtre National, Mme. Youma Fall. J’assistais dans son
bureau à une interview qu’elle donnait à deux journalistes culturels. Là encore, je dus revoir
mon jugement en m’apercevant du dynamisme du lieu et de sa bonne gestion. Mme. Fall avait
été nommée directrice par le président Wade à la fin de l’année 2011 et pris officiellement la
tête du théâtre en mars 2012
Avant d’être nommée, Youma Fall nous confia qu’elle avait elle-même une très mauvaise
image du théâtre. Comme la majeure partie des sénégalais, elle le considérait comme un lieu
austère qui n’était finalement qu’un instrument du président Abdoulaye Wade.
Dès l’acceptation de son poste, elle élabora une politique culturelle visant à désacraliser le
lieu. Cela commençait par des études de public à mener directement auprès des populations.
Elle s’y attela pendant deux mois et parvint à mettre sur pied une organisation administrative
élaborée. Une équipe jeune fut recrutée et divisée entre différents services : développement
stratégique, communication, accueil et information, production... Tant de services que l’on
cherche en vain au Sorano.
La gestion des équipes artistiques diffère aussi : contrairement au Théâtre Sorano où les
artistes sont fonctionnaires à l’année, Youma Fall refuse de payer des salaires réguliers aux
artistes sans preuve de travail, elle affirme que « le salaire tue la créativité »17. Si cette phrase
17
Extrait de l’interview réalisé par Youma Fall le 20 juillet 2012 à Dakar.
24
est condamnable à bien des égards, elle est aussi le résultat d’une situation effective au
Sénégal : une journaliste culturelle que je rencontrais au Grand Théâtre m’expliqua qu’au
Sénégal « être fonctionnaire, ça veut dire avoir du temps libre ».
Son objectif est affiché clairement : « Je veux faire de ce lieu un espace d’excellence mais non
élitiste, avec un public hétérogène »18. L’ouverture de ce lieu passait par la venue d’artistes
sénégalais populaires. Ainsi les vingt ans du hip-hop furent organisés dans la grande salle du
théâtre. La venue de l’artiste Pape Diouf permit aussi de désacraliser le lieu, venant de la
banlieue de Dakar, l’artiste drenne derrière lui un public important et très hétérogène.
Cette politique se révèle être un véritable succès même si la directrice a du faire face à de
nombreuses critiques. Souhaitant respecter les horaires de représentation, elle fermait les
portes du théâtre à l’heure, mais la ponctualité n’est pas dans les habitudes au Sénégal. De
même, elle tient à avoir un service de sécurité pendant les représentations. Elle est vue comme
« une toubab (blanche en wolof) avec une montre et des sapeurs pompiers »19.
Malgré ces quelques critiques, le fait est que les demandes pour se produire au Grand Théâtre
sont de plus en plus nombreuses. Le théâtre est parvenu à s’imposer dans le milieu sénégalais
mais Youma Fall a surtout relevé le défi de détacher le lieu de la personne d’Abdoulaye
Wade.
Section 3 : Les relations entre entre le Théâtre National Daniel Sorano et le Grand
Théâtre National
Il n’y a aucune collaboration directe entre les deux grands théâtres de la ville de Dakar. Dans
les discours, les bonnes intentions sont présentes mais en réalité il n’y a aucune volonté de
travailler ensemble de la part de ces deux institutions. Et cela résulte sans nul doute des
organisations trop différentes des deux lieux.
Si Youma Fall se montre très respectueuse du Théâtre Sorano, elle parle d’un « grand frère »,
les employés du Sorano sont plus critiques en évoquant le Grand Théâtre. Ils parlent du
« Grand Théâtre chinois » faisant référence à la construction réalisée par des ouvriers chinois.
Cette influence est palpable dans les locaux, toutes les indications de lieux sont en français et
en chinois. Et il est indéniable que l’immensité du lieu ne peut que susciter des critiques. On
18
19
Extrait de l’interview réalisé par Youma Fall réalisée le 20 juillet 2012 à Dakar
Ibid.
25
ne peut qu’être étonné de trouver un tel lieu en bordure du périphérique insalubre de Dakar.
Les locaux sont en effet très luxueux, le hall est orné d’une immense lustre en verre et entouré
de bais vitrées20.
Il est néanmoins nécessaire de se détacher des apparences et de reconnaître tout le travail
réalisé par Youma Fall pour réhabiliter le lieu aux yeux des dakarois. Or j’ai plutôt senti de la
jalousie de la part des employés du Sorano.
Le directeur, Ousmane Diakhate avait proposé un projet au début du Grand Théâtre, il voulait
en faire le théâtre de la diaspora et y accueillir des grands spectacles internationaux. Mais sa
proposition n’a pas été retenue, c’est peut être là la source de rancunes.
Pourtant les deux théâtres connaissent une histoire similaire. Ils ont été très critiqués à leur
débuts et chacun a du se battre pour s’imposer comme autre chose qu’un lieu bourgeois et
inutile dans un pays frappé par la pauvreté. Ousmane Diakhate m’expliquait qu’en 1968, les
étudiants sénégalais s’étaient révoltés contre le Théâtre Sorano nouvellement ouvert, se
demandant « Pourquoi construire un lieu tellement grand que l'on peut faire dormir des gens
dans ses toilettes alors que les paysans n'ont pas même de quoi se nourrir »21.
Mais cette rivalité est aussi causée par un fait évident : le Grand Théâtre est en train de
dépasser le Théâtre National Daniel Sorano. Alors que l’un s’affirme, l’autre décline.
Section 4 : Les autres structures culturelles du pays
En arrivant au Sénégal, je me suis renseignée sur toutes les structures culturelles existantes
hormis les deux théâtres bien connus. Je trouvais quelques centres culturels en désuétude. Je
me rendais à la maison des écrivains situé en banlieue de Dakar. Mis à part l’organisation
annuelle d’une remise de prix, l’institution ne semblait pas très active.
Les mairies n’avaient pas de service culturel et leur seule action était l’allocation de
subventions plus ou moins importantes à des événements ponctuels.
Une seule autre structure émergeait à côté des deux géants dakarois. Il s’agit de l’Institut
français de Dakar. Situé en plein centre-ville, l’institut fait vivre tout le quartier. Ses locaux
20
21
Des photos du Grand Théâtre sont jointes en annexes.
Extrait de l’entretien réalisé avec Ousmane Diakhate, directeur du Théâtre National Daniel Sorano.
26
rassemblent une bibliothèque, la seule de la ville mis à part les bibliothèques de la faculté, un
bar-restaurant, une salle de cinéma, une salle de concert en plein air, un jardin où sont
organisées des expositions et une salle d’exposition. Le lieu connaît un grand succès auprès
des élites locales mais surtout auprès des expatriés. Il est en majorité fréquenté par les
employés d’ambassades et les salariés de l’ONU.
Le lieu est très dynamique comparé aux autres structures. Il organise chaque soir des
événements : concerts, rencontres, cinéma, débats, danse...
Quelques pièces de théâtre sont représentées mais cela n’arrive que quatre ou cinq fois dans
une saison. Les troupes qui se produisent viennent la plupart du temps de l’étranger.
Les lieux présentés ici sont tous situés à Dakar. Les autres villes sont encore plus pauvres en
équipement culturel. Saint-Louis possède un centre culturel français et une bibliothèque.
L’écrivaine Aminata Sow Fall participe aussi à la dynamique de la ville en animant un centre
de recherche en lettres.
A Ziguinchor, principale ville de la Casamance, nous trouvons une alliance française.
Impossible d’obtenir des informations sur cette structure qui semble être, elle aussi, en
désuétude.
La ville de Mbour au sud de Dakar n’a aucun équipement culturel, elle a pourtant 180 000
habitants. Les concerts s’y déroulent dans la rue à l’improviste et le théâtre est cantonné dans
les écoles.
Dans ce paysage national, nous ne pouvons que remarquer la grande présence de la France. Il
serait trop facile de critiquer cela sans chercher la raison profonde de cette omniprésence. Les
alliances françaises sont présentes partout dans le monde, pas plus au Sénégal qu’ailleurs.
Cette domination résulte surtout de l’absence de structures sénégalaises. Quelque unes
existent mais peinent à survivre, victimes d’une désorganisation chronique dans leurs équipes.
Mais la création théâtrale existe au delà des lieux de représentations. Portée par de nombreux
dramaturges, elle tend à s’affirmer même si la mise en scène reste optionnelle. Les écrits sont
nombreux et étudiés dans les écoles. Une fois cette présentation du paysage théâtral
sénégalais faite, nous pouvons à présent nous consacrer à la problématique de ce mémoire, à
savoir la détermination des liens entre théâtre et politique dans le pays.
27
PARTIE II : LES LIENS ENTRE POLITIQUE ET
THEATRE ; DES TEXTES SOUS INFLUENCE
Nous démontrerons ici toute la dimension politique du théâtre au Sénégal. Celle-ci est visible
à trois niveaux : dans la sphère politique elle-même, dans les textes dramatiques et enfin dans
le discours des dramaturges. Nous aborderons donc dans un premier temps les relations entre
la culture et le politique en nous appuyant sur la biographie de quelques personnages célèbres.
Ensuite, nous nous pencherons sur les textes eux-mêmes et nous établirons une classification
de ceux-ci selon leurs thématiques. Enfin, nous consacrerons une dernière partie à deux
dramaturges sénégalais, Alioune Badara Beye et Marouba Fall. Ces deux auteurs se sont
prêtés à un questionnaire et m’ont livré leur opinion sur l’aspect politique de leur œuvre et sur
leur propre engagement en politique.
Chapitre I : Les hommes politiques et le théâtre au Sénégal
De tout temps, au Sénégal, les hommes politiques se sont impliqués dans la culture. On
retrouve leur influence dans la sphère théâtrale. Deux présidents se sont distingués par leur
engagement en faveur d’une culture forte : Léopold Sédar Senghor et plus récemment
Abdoulaye Wade.
L’engagement de Léopold Sédar Senghor se comprend naturellement à la vue de sa
biographie. L’homme exilé en France défend la négritude dans son magazine, L’Etudiant
noir. Déjà il prônait une affirmation de l’identité culturelle noire pour une émancipation des
peuples africains. De retour au pays et engagé dans des responsabilités politiques, il va mettre
en actes ses paroles et défendre coûte que coûte la culture. C’est lui qui est à l’origine du
Théâtre National Daniel Sorano, qui a ouvert ses portes en 1965. C’est aussi un défenseur de
la francophonie, il deviendra en 1983 le premier académicien noir à l’Académie Française.
Tout cela tend à montrer son intérêt pour la chose culturelle. Au delà de son rôle de président,
le poète faisait partie du cercle des intellectuels africains. Il avait donc un pouvoir d’action
important tout en étant connecté aux intellectuels du pays.
28
Son neveu, Maurice Sonar Senghor, est une figure mythique du théâtre sénégalais, désigné
comme « le père du théâtre moderne » dans le pays. Il abandonne ses études d’avocat à Paris
pour se consacrer au théâtre. En 1948, il fonde une troupe qui connaîtra un grand succès dans
les cabarets parisiens. Avec Mélo Kane et Moka Bock, ils proposent un répertoire de chants,
danses et poèmes africains. Il rentre au Sénégal en 1955, appelé par son oncle Léopold Sédar
Senghor, alors Secrétaire d’État, pour prendre la direction du Théâtre du Palais à Dakar. C’est
le premier théâtre de style européen construit dans le pays. Il fonctionne avec des fonds
français. Son premier grand succès est une pièce de Birago Diop, Sarzan. Ce dramaturge est
une des références théâtrales incontournables au Sénégal. La maison des écrivains de Dakar
porte d’ailleurs son nom. Mais l’homme est aussi un grand ami du poète-président. Nous le
voyons là encore, les liens entre théâtre et politique se resserrent.
En 1965, Maurice Sonar Senghor sera nommé directeur du Théâtre National Daniel Sorano.
Il restera vingt ans à la tête de l’institution. Une lettre du président à son neveu montre les
liens qui unissent les deux personnages22. En matière de culture, les rênes sont tenues par la
famille Senghor jusque dans les années 80.
La forte ingérence du ministère de la culture transparaît aussi dans la lettre en annexe datée du
26 octobre 1976. Il s’agit d’un compte-rendu d’une réunion du ministère de la culture qui
s’est déroulée consécutivement à la fête anniversaire de président au Théâtre Sorano.
Dans ce compte-rendu adressé au directeur du théâtre, le ministre de la culture lui fait part de
ses remarques et de celles du Chef de l’État. Il qualifie ainsi un spectacle de
« catastrophique » et décide, sans discussion possible, que l’artiste en question ne sera plus
programmé au Théâtre. Concernant une autre représentation, il critique la diction de trois des
comédiennes et décide qu’elles prendront des cours afin d’améliorer leur jeu.
Dans ces constatations, nulle place pour les acteurs culturels. Ce sont les politiques qui
décident dans les moindres détails qui monte sur scène et qui n’y monte pas.
Le président Abdoulaye Wade joua lui aussi un rôle important pour le développement de la
culture dans le pays. Parmi ses nombreuses actions en faveur de la culture, nous pouvons
relever son implication dans la maison des écrivains, Keur Birago. Il a permis l’équipement
22
Lettre en annexe
29
de la maison qui était jusqu’alors quasiment vide. Il a aussi accompli quelques grandes
réalisations pour le pays : c’est lui qui a ouvert le second théâtre du Sénégal : le Grand
Théâtre National. Abdoulaye Wade est aussi à l’origine de l’ouverture du Musée des
Civilisations Noires situé au cœur de Dakar. Il a également soutenu le fond d’appui à
l’édition. Mais au delà de ces actions, il a surtout veillé à écouter la voix des artistes, ainsi il a
donné des postes à responsabilités à des écrivains. Selon le dramaturge Marouba Fall, lors de
ses déplacements à l’étranger, Wade a toujours voulu être accompagné par un homme de
culture. Enfin, il s’est beaucoup impliqué dans l’organisation du Fesman de Dakar de 2010.
Toutes ces actions en sa faveur sont à regarder en miroir avec les accusations de corruption
dont il a fait l’objet à la fin de son second mandat. Si Wade a été un protecteur de la culture, il
n’a pas été un démocrate exemplaire, plaçant des membres de sa famille à des hauts postes du
gouvernement.
Nous pouvons donc tisser de nombreux liens entre la politique et la culture dans le pays. Les
lieux théâtraux sont liés au bon vouloir des hautes sphères du pouvoir. Mais au delà de cette
influence matérielle, il est intéressant de s'interroger sur la dimension politique des pièces
elles-mêmes.
Chapitre II : Une classification thématique des pièces de théâtre sénégalaises
La lecture des pièces sénégalaises nous amène naturellement à établir une classification.
Plusieurs thèmes sont récurrents dans les textes dramatiques : l’histoire tout d’abord. Ce
phénomène a déjà été mis en avant par les écrivains eux-mêmes. L’Histoire est une des
sources d’inspiration les plus fécondes. Vient ensuite la critique de la dictature et de la
corruption, deux thèmes qui rattache la littérature aux troubles qui bouleversent le continent
africain. Les dramaturges ont aussi choisi de décrire la vie quotidienne dans leurs pièces et
cela dans une optique très claire : celle de favoriser une identification du spectateur et donc de
rendre le théâtre plus populaire. Enfin, sous l’indépendance des thèmes nouveaux sont
apparus ; nous penserons par exemple à l’exil qui est souvent traité dans la littérature. Nous
aborderons ici le féminisme comme thème émergent. Ce discours est très affirmé dans les
30
pièces sénégalaises, nous pourrons donc appuyer la démonstration sur les textes mêmes. Tous
ces thèmes tendent à montrer l'omniprésence du politique dans les pièces.
Section 1 : La domination de la thématique historique
La période post-coloniale est largement dominée par des récits historiques. Le lien entre
théâtre et Histoire existe depuis longtemps ; nous l’avons vu avec les contes et les rites
traditionnels qui s’inspiraient déjà du passé. On va utiliser les héros du passé comme modèles
pour construire la société contemporaine : nous verrons cela dans une partie consacrée à deux
héros populaires. Au Sénégal, les pièces historiques connaissent toujours un grand succès.
C’est pourquoi les dramaturges soucieux des préoccupations de leur public écrivent
régulièrement des épopées historiques.
Plusieurs exemples de pièces viennent illustrer ce postulat. C’est le cas de Chaka ou le roi
visionnaire et d’Aliin Sitooye Jaata ou la dame de Kabru de Marouba Fall. Chaka était un roi
zoulou et il reste aujourd’hui encore une figure mythique de la grandeur de l’Afrique. Aliin
Sitooye Jaata, ou Aline Sitoé Diatta, est une figure de résistance pour l’indépendance
casamançaise. Ces deux personnages seront présentés en détail par la suite.
Nder en flammes d’Alioune Badara Beye raconte une guerre entre les tribus Maures et celles
du Walo. Cette guerre se conclut par l’union du Walo et du Fouta, deux régions autonomes
jusqu’alors. Mais c’est aussi l’histoire des relations que les tribus entretenaient avec le
Gouverneur et les colonisateurs. Cette pièce est avant tout un appel à la fraternité entre les
peuples. La dernière scène de la pièce montre toute l’importance que l’auteur attache à
l’honneur ; les femmes du village pris d’assaut décident de s’immoler plutôt que d’être
touchées par des mains ennemies.
Lat Dior ou le chemin de l’honneur de Thierno Ba a cette particularité qu’elle a été écrite
avant l’indépendance du Sénégal. Mais elle entre tout à fait dans le cadre de cette étude
puisqu’elle raconte l’épopée d’un héros célèbre. Lat Dior est un héros très populaire au
Sénégal. Une série télévisée s’inspire de son histoire et une gare de Dakar porte son nom.
Dans cette pièce, Lat Dior combat les blancs qui veulent imposer le chemin de fer entre Dakar
et Saint-Louis. L’arrivée de blancs crée des divisions chez les africains ; certains suivent les
colonisateurs, d’autres résistent et se rangent avec Lat Dior. Cette pièce montre surtout le
31
courage dont fait preuve le héros, il refuse de capituler face aux colonisateurs pourtant plus
nombreux et armés.
Enfin l’Exil d’Abouri de Cheik Aliou Ndao nous conte l’épopée d’un roi du Cayor. Cette
pièce a reçu le premier prix au Festival Panafricain de 1969. Elle a connu un grand succès et
est aujourd’hui encore citée comme un classique. Albouri, roi du Cayor, choisit l’exil face à la
menace d’une invasion ennemie. En restant dans son village, il serait promis à une mort
certaine et il ne veut pas condamner son peuple à la mort : « l’exil, l’exil plutôt que
l’esclavage ». Il amène donc son peuple avec lui, les quelques personnes qui prennent la
décision de rester seront finalement tuées.
Dans toutes ces pièces, la période précoloniale est embellie, mystifiée. Les rois et les tribus
vivaient en paix avant l’arrivée de l’étranger. La Casamance d’Aline Sitoé était un paradis
avant l’annexion au Nord du pays.
Les pièces historiques sont nombreuses et cet état de fait s’explique dans l’intérêt que les
dramaturges trouvent dans l’utilisation de l’Histoire.
La négritude prônait une réconciliation des africains avec leur histoire et leurs coutumes. Les
pièces historiques s’inscrivent dans cette même logique. Il est nécessaire de renouer avec son
Histoire afin de fonder sa culture propre. Selon le dramaturge Marouba Fall, connaître son
histoire est une étape nécessaire pour s’ouvrir sur le monde.
« L’histoire comme source d’inspiration rattache forcément une œuvre à un pays ou à un
continent précis. Cependant les problèmes posés dans les pièces historiques sont avant tout
des problèmes humains, susceptibles d’intéresser tout spectateur. La gestion du pouvoir
politique, la lutte pour la liberté, sont, me semble-t-il, des thèmes universels. Et puis il est
difficile de s’ouvrir au monde quand on n’est pas solidement enraciné dans sa terre ancestrale,
dans les réalités de son pays »23.
François Chevrier le montre aussi, les mythes et les héros du passé sont toujours présent dans
la modernité, ils sont des modèles pour les contemporains. On voit là la dimension éducative
du théâtre. Les pièces amènent des enseignements à un public. Dans la préface de Nder en
23
Extrait de l’entretien réalisé avec Marouba Fall, le 30 juillet 2012 à Dakar.
32
flammes écrite par Ousmane Diakhate nous trouvons ce postulat : « Le théâtre transforme un
événement historique en un acte de réflexion ». C’est là toute la force d’une mise en scène. En
permettant une prise de distance vis-à-vis de l’histoire, le théâtre nous amène à analyser les
grandes valeurs fondatrices du pays et de sa culture.
Selon l’expression de Cheik Aliou Ndao, le public va être « galvanisé » par les mythes du
passé. Il va se reposer sur les modèles historiques pour aller de l’avant.
Il y a clairement une instrumentalisation de l’Histoire dans le théâtre. Le dramaturge Alioune
Badara Beye énonce toute l’importance que les sénégalais portent à leurs traditions. Il est
nécessaire selon lui d’exhumer les héros du passé.
Si l’Histoire est une source d’inspiration pour les dramaturges, elle ne doit pas être un cadre
pour l’écriture. Cheik Aliou Ndao affirme qu'un « pièce de théâtre n'est pas une thèse
d'Histoire ». Chaque auteur prend ses libertés avec l’Histoire et choisit de mettre en avant ou
d’omettre telle vertu ou défaut de son héros. Marouba Fall ira même jusqu’à présenter Chaka
comme un défenseur d’une Afrique unie et solidaire.
Section 2 : Des textes critiques vis-à-vis de la dictature et de la corruption
A) Combattre la dictature par l’écriture
Les écrits sur les dictateurs sont nombreux en Afrique. On y critique leurs pratiques
antidémocratiques, les tortures, la révolte du peuple... Le Sénégal n’est pas directement
concerné par la dictature. Il est un des rares pays à avoir échappé aux coups d’État dans ses
années d’indépendance. Depuis 1960, les scrutins électoraux se déroulaient sans encombre.
Les élections présidentielles de 2012 sont venues marquer la fin de cette période pacifique. Le
président Wade décida de se présenter pour la troisième fois consécutive, pratique interdite
par la constitution. Le Conseil Constitutionnel lui accorda ce privilège, les cinq membres du
Conseil ayant été recrutés par Wade lui même. Cet épisode amena des milliers de jeunes
sénégalais dans la rue et fut à l’origine du mouvement « Y’en a marre » qui porte une critique
très virulente sur les pratiques plus ou moins légales des politiciens. Finalement, les élections
portèrent Macky Sall à la présidence et Abdoulaye Wade se retira.
33
Le Sénégal a donc été épargné par la dictature mais ce n’est pas le cas du continent africain :
on peut penser à la Gambie où se succèdent les coups d’État depuis l’indépendance. La
dictature est un sujet d’inspiration courant pour la littérature africaine.
Dans le théâtre sénégalais, trois pièces en particulier abordent ce thème. Il s’agit tout d’abord
de L’île de Bahia de Cheik Alioune Ndao. La pièce présente une dictature isolée sur une île.
Le pouvoir est incarné par Amago qui agit uniquement selon son propre arbitre, tuant au
hasard les personnes qui se placent sur sa route. Dans cette pièce, la résistance est incarnée
par Pedro qui combat la dictature d’Amago et est même parvenu à réunir des troupes. Il
devient un danger réel pour le pouvoir en place, c’est pourquoi il est enfermé chez les
prisonniers politiques.
L’extrait suivant montre les pratiques de gouvernement du dictateur :
« AMAGO : Ma patience a des limites. Les fusillades, les pendaisons, je les revendique !
Tous des bandits, des égorgeurs qui s’attaquent aux institutions. Oui je donne l’ordre
d’exterminer ces fossoyeurs de l’intégrité de l’île. L’anarchie ne s’installera pas chez nous.
PEDRO : Sous ton vrai jour Général-Président !
AMAGO : J’ai beaucoup de moyens, Pedro ; tu parleras ! »24
C’est donc la violence qui règne sur l’île et le pouvoir est concentré dans les seules mains
d’Amago. Le dramaturge nous montre à plusieurs reprises toute l’ampleur de ce pouvoir,
Amago s’exprime ainsi dans l’acte II : « Figure toi que je suis le seul maître sur cette île. Tout
m’obéit. J’ai le pouvoir de te briser »25.
Mais on voit la carapace du pouvoir se fissurer en la personne de Lolita, la femme d’Amago.
Elle subit son rôle d’épouse du dictateur et est en réalité attachée à Pedro, elle se moque du
pouvoir d’Amago et est la seule à oser parler librement devant son mari imposé : « Quel drôle
de pouvoir ! Tu n’oses t’aventurer hors de la capitale. Tu es haï du peuple. La seule
connaissance que tu en as est l’image anonyme des foules escortées de force pour venir
t’acclamer quand tu te pavanes du haut de ton balcon »26.
24
Cheik A. Ndao, L’île de Bahia, drame en cinq actes, Ed. Présence Africaine, 1975.
Ibid.
26
Ibid.
25
34
Le personnage de Pedro est central dans cette pièce, il incarne à la fois la révolution mais
aussi la raison. Lorsque ses troupes prennent le palais de force et renverse Amago, il demande
que chaque coupable soit jugé et non pas livré au peuple, qui ivre de colère le tuerait sans
hésiter. Dans la dernière scène, avant de s’adresser à son peuple, il s’entend avec son
compagnon de bataille sur les limites de leur pouvoir :
« Piétiner, nier, renier, ah non Diego ! Le pouvoir est pomme de discorde, une braise qui
couve dans les cendres de la haine. Je ne sers la révolution qu’autant qu’elle commence par
respecter l’individu. (...) Refusons le chemin de la passion aveugle, la vengeance sans
discernement ; c’est à ce prix que notre entreprise aura un sens »27.
La seconde pièce qui aborde le sujet de la dictature est plus récente, elle a été écrite par
Alioune Badara Beye et s’intitule Demain la fin du monde. Cette fiction politique nous
raconte la chute du dictateur Barki qui croyant la fin du monde éminente donne le pouvoir à
l’opposition pour les quelques heures restantes avant l’apocalypse. Manque de chance, la fin
du monde ne viendra pas.
Dans cet ouvrage, le dramaturge nous décrit les mauvaises pratiques du dictateur déchu qui
croyant la fin du monde arriver, se libère de tous tabous et parle librement. Il décide de
confier le pouvoir à l’opposition car il ne veut pas gérer le peuple durant les dernières heures
d’existence de la Terre.
« Voilà on y est ! Je serai un martyr de la Révolution ! Mon sang aura alors arrosé cette terre
que j’ai aimé et servie jusqu’au sacrifice suprême, et lui, le Président mal élu pour quelques
heures portera l’entière responsabilité devant l’histoire même éphémère de notre planète. Je
donnerai une leçon de démocratie à tous ceux qui me traitent de Dictateur ou de Despote »28.
En parlant du nouveau président : « Il constatera lui même que lorsque l’on crie, c’est parce
qu’on est pas dans le système, quand on est dedans, on la ferme et on bouffe tranquillement
son gros gâteau »29. Finalement, le nouveau président sera renversé par l’armée. Tout comme
son prédécesseur il va s’installer dans ses fonctions et refusera d’organiser un référendum
pour demander son avis au peuple.
27
Cheik A. Ndao, L’île de Bahia, drame en cinq actes, Ed. Présence Africaine, 1975.
Alioune Badara Beye, Demain la fin du monde, Ed. Maguilen, 2003.
29
Ibid.
28
35
Cette pièce a une histoire particulière. Écrite dans les années 90, elle a connu un vif succès et
a même remportée le Griot d’Honneur du 3ème Festival Interscolaire de Théâtre de 1993.
Pourtant, elle va être censurée dans les années 2000 sous la présidence d’Abdoulaye Wade.
Le sous-titre de la pièce étant « Un avertissement à tous les dictateurs du monde », l’équipe
administrative du président va juger la pièce comme critique au pouvoir en place. Elle a
pourtant été écrite avant l’élection de Wade. La dramaturge, proche ami du président en
question, me dit que celui-ci n’y était pour rien dans cette interdiction, c’est simplement la
RTS qui refusait de la diffuser30.
Outre ses attaques répétées à la dictature, la pièce met aussi en avant la corruption du système.
Un jeune bachelier exprime sa tristesse face à la fin du monde alors qu’il venait juste
d’obtenir un diplôme d’État : « Je viens justement de réussir au concours des administratifs de
la Police Économique, cette vache à lait qui ignore les fins de mois difficiles.
Une boîte à miel avec comme idéologie première la corruption, idéologie secondaire le
silence complice des autorités, enfin, comme troisième idéologie le détournement des taxes de
l’État pour la belle vie. Quel manque de chance ! »31.
La dernière pièce est Salmoon de Chérif Adramé Seck où nous est contée l’histoire de
Salmoon, un dictateur de la période précoloniale. Cette pièce est rythmée par la mise en scène
de rituels. Elle présente plusieurs traditions africaines dont la lecture de l’avenir dans les
cauris. Il y a plusieurs griots qui gravitent tous autour de Salmoon et chante ses louanges faute
de pouvoir exprimer leur opinions.
Le chant du griot dans le prologue de la pièce nous donne à voir l’horreur du règne de
Salmoon :
« Usurpateur et grand occultiste
Il employa sa science à la destruction du Sine
La Charpente de sa case était soutenue par des hommes
Pour détecter les peureux
Salmoon s’entourait de son peuple
Et s’amusait sur la détente de son fusil
Quiconque frémissait, tombait sous balle. »32
30
Entretien réalisé avec Alioune Badara Beye à Dakar le 24 juillet 2012.
Alioune Badara Beye, Demain la fin du monde, Ed. Maguilen, 2003.
32
Chérif Adramé Seck, Salmoon.
31
36
Salmoon est un personnage particulièrement sanguinaire, il n’écoute aucun conseil et tue
quiconque se met sur son chemin. L’auteur pousse même le dictateur dans ses derniers
retranchements, il est présenté comme un véritable monstre. Il oblige son ami d’enfance à
boire du vin de palme alors qu’il est musulman. Il va forcer des hommes venus lui offrir un
toit à tenir ce toit sur sa tête, ils seront la charpente de sa case, symbole ultime de sa
monstruosité. Chérif Adramé Seck exagère tous les traits de caractère de Salmoon, ce qui le
rend finalement complètement idiot. La morale de cette pièce serait sans doute qu’il est
préférable d’écouter les conseils de son entourage plutôt que de diriger seul et décider de tout.
B) Une dénonciation littéraire de la corruption
La corruption, tout comme la dictature, est le sujet de plusieurs pièces sénégalaises. Elle est
notamment au cœur de la pièce Mr Pot-de-vin et Consorts de Maurice Sonar Senghor.
L’auteur explique dans une note sur la pièce qu’il a cherché à trouver un sujet universel
susceptible d’atteindre le public, il a donc opté pour les pots-de-vin car « Il s’agit là d’un
problème vieux comme le monde, qui n’est pas spécifique au Sénégal, mais qui n’en demeure
pas moins une préoccupation sénégalaise »33.
Écrite dans les années 60, cette pièce porte un regard acéré sur les pratiques corrompues des
petites élites locales. Les notables d’un village s’apprête à recevoir la visite d’un inspecteur
public, ils décident de lui donner des pots-de-vin afin que celui-ci ne soit pas trop regardant.
La pièce est une comédie, les mauvaises pratiques des autorités locales y sont donc présentées
avec humour, le commandeur s’adressant au juge lui demande de retirer les animaux de la
salle du tribunal : « Je vous conseillerai de faire un peu plus attention à ce qui se passe dans
les locaux de la justice. Chez vous les gardiens ont introduit des canards, des moutons, que
sais je, qui se promènent dans la salle d’audience et vous trottent dans les jambes.
Bien sûr, il est tout à fait louable d’élever des animaux domestiques. Seulement, dans un tel
lieu, cela me semble un peu déplacé. Je voulais depuis longtemps vous le faire remarquer, et
puis je ne sais pourquoi, j’ai oublié »34. S’adressant au directeur de l’hôpital, il lui conseille
aussi de mettre de l’ordre dans son établissement : « Veillez à ce que les manœuvres ne
rentrent pas chez eux le soir avec les rations des malades et qu’ils ne revendent pas les
33
34
Maurice Sonar Senghor, Monsieur Pots-de-vin et Consorts.
Ibid.
37
échantillons médicaux gratuits, que les malades mentaux ne se promènent pas totalement
dévêtus dans les jardins de l’hospice »35. Maurice Sonar Senghor a été le premier directeur du
Théâtre National Daniel Sorano de Dakar. Sa pièce a connu un vif succès dans les locaux de
l’institution.
De manière plus sérieuse, Marouba Fall porte une critique sur un système corrompu et en
rupture avec le peuple. Dans Adja, militante du GRAS, l’héroïne s’adresse au ministre en
visite dans son comité lui dit « Monsieur le Ministre, je vous mettrai en garde contre le péché
de bon nombre des vos collègues du gouvernement. Ne restez pas enfermé dans votre bureau
climatisé, au milieu de vos dossiers.
Pour servir les intérêts des citoyens, il faut connaître leurs besoins et les conditions dans
lesquelles ils vivent. Cherchez le contact permanent avec eux ou du moins avec leurs
représentants authentiques où qu’ils se trouvent, dans les beaux quartiers, comme dans les
bidonvilles. »36.
Dans La Tragédie des Indépendances, Madame Sangalaane, épouse d’un opposant au régime
en place, dénonce les magouilles des gouvernants lors d’une discussion avec d’autres femmes
de dirigeants : « Je disais que notre part de l’Aide alimentaire est revendue aux riches, et
l’argent empoché et partagé entre ceux-là mêmes qui ont la charge de secourir les plus
démunis. Nous ne pensons ni à la santé, ni à l’éducation de nos populations à quoi il faudrait
consacrer plusieurs centaines de milliards de nos francs, ce que, du reste, notre pays pourrait
se procurer seul dans la dignité par le travail, le courage et le patriotisme de tous ses fils »37.
La corruption est pratique courante dans les premières années d’indépendance du Sénégal. Sa
présence dans toutes ces pièces en atteste. En la dénonçant sur une scène, les dramaturges
empêchent la banalisation de cette pratique répandue. Il s’agit d’un crime, et toujours dans les
pièces, la corruption mène à la chute de ceux qui en usent.
35
Ibid.
Marouba Fall, Adja, militante du GRAS, Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, 2005.
37
Amadou Moustapha Wade, La Tragédie des Indépendances, NEA, 1987.
36
38
Section 3 : La description de la vie quotidienne pour populariser le théâtre
Afin de faire des pièces populaires qui toucheraient un public large, les dramaturges usent de
la capacité d’identification des spectateurs. Pour cela, ils mettent en scène les problèmes
quotidiens auxquels les sénégalais sont confrontés. Ils représentent aussi des scènes de la vie
courante et surtout ils donnent la parole à un des personnages centraux du pays : le marabout.
Pour ce qui est de la représentation de la vie courante, nous penserons à Adja, militante du
GRAS ou encore à L’os de Mor Lam. Ces deux pièces se déroulent principalement dans la
cour d’une maison. Dans l’ouvrage de Birago Diop, la femme de Lam prépare le repas tout au
long de la pièce. Cette mise en scène est très représentative de ce que l’on peut trouver
lorsque l’on pousse les portes d’entrée des maisons sénégalaises. Avec Adja, on retrouve cette
même scène mais c’est cette fois-ci la jeune fille qui cuisine. Le mari entre le soir et réclame
son repas.
L’Os de Mor Lam connut un grand succès. Cela s’explique aussi par la fidélité de sa
représentation de la vie quotidienne. Le problème de la pauvreté y est directement abordé.
Lorsque les hommes ramènent un gibier de la chasse, tout le village se le partage, certains
n’ont jamais mangé de viande de leur vie.
Le marabout est une figure très courante au Sénégal. Chacun a son marabout et se fait un
devoir d’aller lui rendre visite. Des photos des grands marabouts du pays sont présentes dans
tous les lieux de vie, les bus, les restaurants, les magasins... Chaque calendrier est orné d’une
photo d'un de ces guides spirituels. Le pays étant à 90% musulman, ils sont présents
quasiment partout et sont sans cesse sujet à discussion. Écoutés de tous, ils ont une grande
influence auprès des populations et ont donc un rôle à jouer en politique puisqu’ils guident les
foules.
On retrouve ce personnage dans plusieurs pièces et il n’est pas toujours représenté sous son
angle le plus clément.
Dans Adja, militante du GRAS, cette dernière fait appel à un marabout pour être sûre d’être
élue parlementaire. Celui-ci lui promet évidemment ce qu’elle désire en échange de grosses
39
sommes d’argent. L’imam du village va intervenir et prouver à Adja qu’elle peut parvenir à
ses fins sans la soi-disante magie du marabout Buxama.
Les marabouts sont aussi présents dans Demain la fin du monde. Avant de quitter le pouvoir,
le président en place donne l’ordre de dissoudre toutes les confréries religieuses. Il parle ainsi
de ces groupements avec lesquels il a du diriger pendant des années : « chaque fois qu’il
m’arrivait de prendre des décisions importantes, j’avais les religieux derrière le dos. Ces
rapaces qui me vidaient doucement le budget sous réserve d’appuyer mes projets »38. Cette
réplique montre bien l’influence de ces maîtres religieux.
Amadou Mustapha Wade présente quant à lui un marabout moins corrompu. Quand le
président vient lui demander son aide, il refuse arguant « je n’ai pas fréquenté les rois et je
n’aime pas ceux qui les fréquentent »39.
Tout comme le griot, on va retrouver ce personnage dans plusieurs pièces. Il est comme une
personnalisation de la religion au Sénégal.
Section 4 : L’émergence d’une voix féministe dans les écrits
Dans la plupart des pièces sénégalaises, les femmes sont de simples figurantes, on pensera
surtout aux épopées des grands guerriers : Lat Dior n’a pas de femme, Chaka va tuer la sienne
pour se consacrer à ses conquêtes territoriales. Elles jouent parfois un rôle plus important mais
toujours dans l’ombre d’un mari. C’est le cas dans L’Île de Bahia où Lolita est la femme
mariée de force au dictateur mais qui est en réalité amoureuse de Pedro, chef des rebelles. Elle
va tout simplement disparaître à la dernière scène sans avoir remplie aucune fonction dans la
pièce si ce n’est incarner la douceur dans un monde de virilité. Dans L’Os de Mor Lam, sa
femme est aussi présente que Mor Lam lui-même ; c’est bien simple, elle passe son temps sur
scène à cuisiner le fameux os. Dans La Tragédie des Indépendances, la femme de Sangalaan
apparaît comme une personne douée d’intelligence qui affirme ses opinions. Elle se contente
en réalité de répéter les théories politiques de son mari.
38
39
Alioune Badara Beye, Demain la fin du monde, Ed. Maguilen, 2003.
Amadou Mustapha Wade, La Tragédie des Indépendances, 1987.
40
Cette différence est présente dès les premiers temps de l’écriture dramatique au Sénégal.
Avant l’ouverture de l’Ecole William Ponty aux filles, les garçons devaient jouer eux-mêmes
les rôles féminins. On devine alors le malaise crée par le travestissement dans une société
plutôt traditionnelle mais surtout très religieuse.
Nous savons que l’égalité des sexes n’est pas une question aussi brûlante au Sénégal qu’elle
ne l’est en France. La pratique courante de la polygamie masculine place les femmes en
infériorité par rapport à l’homme et leur interdit de réclamer des droits identiques. Il serait
donc déplacé d’aborder la question au Sénégal avec les mêmes principes que nous appliquons
en France. Nous devons à tout prix nous garder de parler de retard dans le développement de
cette question sur le continent africain. La notion même de retard induisant un chemin tout
tracé que chaque pays se doit de suivre, ce qui n’est pas le cas.
Il y a cependant quelques prises de conscience relatives à cette inégalité. On pensera tout
d’abord à Mariama Bâ qui porte un regard critique sur la polygamie dans son ouvrage
mondialement connu, Une si longue lettre. Il y a aussi le roman d’Aminata Sow Fall, La grève
des bâttu, qui raconte l’histoire de femmes dominées par leurs maris.
La question transparaît aussi dans les textes dramatiques. Marouba Fall a pris conscience de
cette « misogynie des textes »40 et a tenté d’y remédier en écrivant Adja, militante du GRAS
mais aussi Aliin Sitooye Jaata qui donnent toutes deux la part belle aux femmes présentées ici
comme de véritables héroïnes. Il dit vouloir « combler le vide avec Adja et Aliin. (…)Dans
toutes mes pièces, j’accorde aux femmes une place importante. Nolivé n'a pas joué un très
grand rôle dans Chaka ou le roi visionnaire qui fait partie de ce que je considère comme mes
œuvres dramatiques d’apprentissage mais après j'ai équilibré les choses. Je suis très féministe.
J’ai fait la part belle aux femmes dans l’ensemble de mon œuvre. »41
Nous nous pencherons ici sur le cas particulier d’Adja et nous aborderons plus en détail le
personnage d’Aliin comme une figure historique dans la prochaine partie.
Dans Adja, militante du GRAS, le dramaturge nous introduit dans la vie d’Adja, militante dans
un comité politique, qui connaît quelques difficultés à faire entendre sa voix au sein même de
sa famille. Son opinion est simple, les femmes doivent sortir du diktat de l’apparat et
40
41
Extrait de l’entretien réalisé avec Marouba Fall le 31 juillet 2012 à Dakar.
Ibid.
41
s’éduquer pour enfin pouvoir s’exprimer comme les hommes. Lors d’un meeting politique
elle s’adresse à toutes les femmes de l’assemblée : «Le manque d’instruction et d’éducation
politique, il va sans dire, expose la femme à des aliénations graves »42.
Face à sa fille qui souhaite trouver un bon mari, Adja lui répond : « Ces temps-ci les maris ne
sont pas bons, ma fille. Au début, ils font semblant d’être honnêtes et plein d’attention. Mais
au fil des ans, ils se découvrent tous pareils : égoïstes, perfides et avides de nouvelles
conquêtes.
La femme qui compte exclusivement sur son mari peut être certaine qu’un jour ou l’autre, elle
se prendra la tête entre les deux mains pour pleurer à chaudes larmes.
Travailler et gagner sa vie à la sueur de son propre front, voilà ce que les femmes doivent se
mettre dans la tête »43. Adja ne s’oppose pas seulement à sa fille, elle a aussi l’affront de
répondre à son mari. Lorsque celui-ci lui dit qu’il doit « parler du rôle et de la place de la
femme dans la société » à leur fille, Bigué, Adja lui répond « Il y a une évolution de la
condition féminine. La femme ne veut plus être ce qu’elle était avant. »44.
Son combat pour l’émancipation des femmes passe donc par l’éducation et par l’autonomie
financière que peut procurer le travail. Enfin, elle s’exprime on ne peut plus clairement
lorsque dans la dernière scène, elle dispute sa fille lui disant « Il est l’heure de nouer
solidement le pagne pour une restauration pleine de la condition féminine »45.
Son engagement en politique est en soi une revendication, elle tient bon face à son mari qui
lui demande de se retirer du comité. Elle tiendra bon aussi face à l’imam du village venu pour
la dissuader de continuer son combat pour les femmes. Il s’agit d’une figure forte dont
Marouba Fall use comme d’un exemple pour toutes les femmes sénégalaises. Il utilise un
langage simple pour que la pièce soit facilement compréhensible. Pour le personnage d’Adja,
il s’est inspiré de la première femme député analphabète qui est entrée au parlement en 1983.
Cette pièce est un cri pour l’égalité des droits et son grand succès est la preuve d’une prise de
conscience du peuple sur cette question.
Durant mon stage au Théâtre National Daniel Sorano, j’ai eu l’occasion de voir une pièce de
Patricia Gomiz intitulée Moi, Monsieur, Moi. Cette pièce sera ensuite jouée à l’Institut
42
Marouba Fall, Adja, militante du GRAS, NEAS, 2005.
Ibid.
44
Ibid.
45
Ibid.
43
42
Français de Dakar. Je fus très étonnée de la modernité de cette pièce où la comédienne aborde
avec humour les questions les plus dures de la vie d’une jeune fille au Sénégal et notamment
l’excision. Selon elle, sa pièce est une dénonciation du machisme de la société sénégalaise,
société où les jeunes filles se retrouvent baladées de familles en familles, sans jamais pouvoir
exprimer leurs envies propres.
Un autre nom à retenir dans cette partie est celui de Fama Diagne Sène. Sans parler de
féminisme de sa part, nous pouvons néanmoins noter cette rare présence féminine dans
l’écriture dramatique sénégalaise. Elle est l’auteure du Baobab du Lion qui a été mis en scène
à Sorano en 2009.
Les dramaturges sont acteurs à part entière de la scène théâtrale, même s'ils sont moins
visibles que les comédiens. Ce sont leurs écrits qui sont portés devant le public. Il semble
donc logique de leur donner la parole et de se pencher sur leur biographie afin de mieux
comprendre leurs productions.
Chapitre III : Les dramaturges engagés en politique
Dans ce mémoire, j’ai tenté autant que possible de donner la parole aux dramaturges
sénégalais eux-mêmes. Cela a commencé avec la lecture des textes en France. Mais je
souhaitais avant tout rencontrer les auteurs de ces écrits afin de les questionner directement
sur leurs engagements. J’entends par là leurs engagements dans les textes mais aussi dans la
vie politique du pays. En fonction de leurs réponses, je pourrais faire un lien entre leurs écrits
et leurs opinions.
J’ai eu la chance de rencontrer deux grandes figures de la littérature dramatique : Marouba
Fall et Alioune Badara Beye. Les œuvres de ces deux dramaturges sont présentes dans les
programmes scolaires sénégalais, ils jouissent donc d’une grande reconnaissance.
J’ai tout d’abord fait la connaissance d’Alioune Badara Beye. Il ne s’agit pas d’un homme que
l’on approche facilement, il multiplie les postes à responsabilités et son emploi du temps s’en
ressent. J’ai donc bénéficié de l’appui du directeur du théâtre Sorano pour aller à la rencontre
43
du dramaturge. Nous nous sommes retrouvés à la maison des écrivains de Dakar, Keur
Birago. Cela signifie la maison de Birago en wolof, du nom du célèbre écrivain Birago Diop
qui a vécu dans cette habitation. Cette structure organise la journée internationale du livre,
celle de l’écrivain africain mais aussi la journée du théâtre, de la poésie... La maison est le
siège de l’association des écrivains sénégalais et a une activité d’édition. Alioune Badara
Beye en est le président. Il est aussi membre du conseil d’administration du Théâtre National
Daniel Sorano, possède sa propre maison d’édition (Les Editions Maguilen). En 2010, il était
le coordinateur général du Fesman (Festival Mondial des Arts Nègres) qui se déroulait à
Dakar. L’homme a donc plusieurs facettes et a trouvé sa place dans les hautes sphères du
pouvoir.
Ses écrits sont nombreux et ont souvent connu un grand succès en Afrique. La plupart de ses
pièces ont été jouées au Théâtre Sorano. On ne trouvera que deux de ses œuvres dans ma
bibliographie ; Nder en flammes et Demain la fin du monde. Il me fut impossible de trouver
d’autres pièces de l’auteur aussi bien en France qu’au Sénégal.
Les écrits d’Alioune Badara Beye sont très connus, notamment parce que plusieurs d’entre
eux ont été mis en scène pour la télévision. Ses pièces ont été jouées à en dehors du territoire
sénégalais, en Tunisie, en Algérie, au Togo...
Lorsque je le questionnais sur ses œuvres et leurs significations, il me confirma son
engagement : ses héros avaient en effet une dimension politique. Il veillait aussi à la place de
la femme dans ses pièces. Mais sur son engagement personnel, il évita mes questions, se
déclarant « militant de l’art ».
Cependant son père était un ami de Léopold Sédar Senghor, il a grandi dans ce milieu là. En
tant que responsable du Fesman en 2010, il a aussi eu l’occasion de travailler en collaboration
avec le président de l’époque, Abdoulaye Wade. Le dramaturge n’est dans aucun parti et se
déclare neutre même si sa littérature ne l’est pas ; « il n’y a pas de littérature neutre » déclaret-il. Malgré tous ses dires, son amitié avec Wade est connue de tous et son évolution dans les
hautes sphères de l’Etat ne laisse pas de doute sur sa neutralité. Il s’agit d’un homme très
influent dans le pays.
44
Marouba Fall se distingue de son collègue écrivain par beaucoup de points. Je le contactais
par mail, via son site internet et il me fixa une date de rencontre immédiatement.
L’auteur écrit des pièces et des romans ; ce sont ces derniers qui sont les plus connus et plus
précisément La Collégienne qui fait partie du programme des collèges sénégalais. Il est tout
de même l’auteur de cinq pièces qui ont toutes été jouées au Sorano de Dakar. J’ai beaucoup
travaillé sur trois de ses pièces ; Aliin Sitooye Jaata, Adja militante du GRAS et Chaka. Ces
trois pièces s’inscrivaient parfaitement bien dans mon étude puisqu’elles abordaient toutes
trois des thèmes politiques : l’histoire de Chaka le roi zoulou, l’affirmation des femmes et
l’indépendance de la Casamance.
Je le questionnais sur la portée de ces trois pièces, quelles étaient ses intentions dans
l’écriture. Pour chacune des pièces il explicita le message porté par les héros. Avec Aliin
Sitooye Jaata, il avait voulu donner un message d’espoir à la Casamance. Adja était un
symbole de l’émancipation des femmes. Enfin Chaka était aussi utilisé comme un symbole ; il
souhaitait montrer que l’avidité de pouvoir des dirigeants conduit irrémédiablement à leur
perte.
Sur son site internet, on pouvait lire que le dramaturge était « intéressé par la politique ».
Profitant de cette information publique, je le questionnais sur le fond de cet intérêt. Pendant
longtemps, il s’était déclaré apolitique. Mais ces dernières années, il avait voulu prendre part à
la vie politique du pays, selon ses dires, il voulait « se salir les mains »46. Il s’est ainsi engagé
dans le PDS, le Parti Démocratique Sénégalais d’Abdoulaye Wade. C’est alors qu’il s’est
forgé une image nouvelle de la politique dans son pays : « J’ai découvert qu’en politique
politicienne, il ne s’agit pas de se salir les mains au boulot mais de se salir l’âme à force de
combines et de compromissions »47.
Marouba Fall est devenu un défenseur de Wade, un président qu’il qualifie de « bienveillant »
avec les arts et la culture.
Ces deux entretiens ont été révélateurs de l’indépendance des pièces par rapport à leur auteur.
Elles ne sont pas seulement le support sur lequel le dramaturge écrit son opinion et la rend
publique. Cela rejoint ma première impression, la politique est présente mais de manière
indirecte. Les pièces sont plutôt porteuses de valeurs universelles comme la paix, la fraternité,
46
47
Extrait de l’entretien réalisé avec Marouba Fall, le 31 juillet 2012 à Dakar.
Ibid.
45
le courage... Nous verrons cela dans une étude plus précise des textes eux-mêmes. En portant
ces valeurs devant le public, les pièces de théâtre participent à la construction d’une identité
politique et sociale nationale. C’est en cela que les dramaturges amènent leur contribution à la
société sénégalaise et à sa politique.
Nous avons vu ici les nombreux liens que nous pouvons tracer entre le théâtre et la politique.
Dans la continuité de cette observation, nous allons maintenant nous plonger dans les textes
mêmes. La dimension politique y est moins directe, plus en sous-entendus mais bien présente.
46
PARTIE III : ANALYSE LITTERAIRE DES
GRANDES PIECES POLITIQUES
J’ai souhaité placer les textes dramatiques au cœur de ce mémoire. Cette partie est donc basée
sur l’étude des pièces et comporte de nombreux extraits. Les éléments analysés ici démontrent
l’aspect politique des œuvres dramatiques. J’ai tout d’abord choisi d’analyser les grands héros
historiques qui sont présentés dans les pièces. Ces héros ont existé dans le passé et sont ici
repris par les dramaturges afin de susciter l’engouement des spectateurs pour leur culture.
Dans un second temps, j’ai noté l’omniprésence de la colonisation et les nombreuses
références qui sont faites à l’homme blanc dans les pièces. J’ai donc consacré une partie à ce
phénomène : parler de la colonisation est un fait éminemment politique. Enfin, j’ai isolé
quelques grandes valeurs que l’on retrouve dans les textes : le courage, la démocratie, la
justice...
Que ce soit les héros nationaux, les valeurs ou le traitement d’une période de l’Histoire,
l’identité sénégalaise et sa construction sont présentes en toile de fond. La culture du pays se
reconstruit après les années de domination blanche. Les pièces de théâtre vont aller dans ce
sens en favorisant l’exaltation de l’histoire et d’une identité propre.
Chapitre I : L'utilisation des grands héros du passé pour exalter l’identité nationale
Les pièces présentent les épopées des héros nationaux, les grands événements de leur vie.
Certains aspects de leur personnalité vont être mis en avant plus que d’autres, mais toujours
ils sont entourés d’une aura mythique. Ces fragments du passé mis en scène dans l’époque
actuelle vont être vus comme des modèles universels, porteurs de valeurs intemporelles. Nous
nous pencherons ici sur deux personnages : tout d’abord Chaka, roi zoulou, qui a été mis en
scène par Senghor et Marouba Fall. Ensuite, Aline Sitoé Diata, une figure de la résistance
casamançaise.
47
Section 1 : Chaka, le roi des zoulous ; un modèle guerrier pour le continent africain
Chaka, roi des zoulous est un personnage très populaire en Afrique noire, bien qu’il soit
originaire d’Afrique du Sud. Il est né en 1787, fils illégitime du roi zoulou et d’une princesse
Langeni. Il tuera un de ses demi-frères pour accéder au trône zoulou à la mort de son père.
Il consacra tout son règne à créer une armée la plus forte et la plus nombreuse possible. A son
apogée, celle-ci réunit 100 000 hommes48. Il conquiert plusieurs territoires et fonde en
quelques années l’empire zoulou.
S’il réussi à fonder cet empire, ce fut au prix de nombreux sacrifices ; il tuait tous les
vieillards des territoires conquis et enrôlait les populations jeunes dans son armée.
Son histoire porte encore aujourd’hui à polémique ; il fût à la fois un stratège hors pair et un
fabuleux guerrier mais aussi un véritable tyran avec son peuple, ce qui causa d’ailleurs sa
chute. On retrouve cette ambiguïté dans les écrits le concernant. Certains le présentent comme
un héros, d’autres sont très critiques envers ses actions. C’est en cela que l’histoire de Chaka
est passionnante : chacun la raconte à sa façon.
Deux auteurs sénégalais ont choisi ce personnage populaire pour leurs pièces. Il s’agit de
Marouba Fall avec Chaka ou le Roi visionnaire et de Léopold Sédar Senghor qui a écrit deux
pièces de théâtre dont une sur Chaka.
Les deux pièces sont assez différentes, dans la forme mais aussi le fond. Les deux auteurs ont
pris des libertés avec l’Histoire, s’appuyant sur les dires de Cheik Aliou Ndao : « Une pièce
de théâtre n’est pas une thèse d’histoire. Elle doit créer des mythes qui galvanisent le peuple
et le portent en avant. »49. Par exemple, le Chaka de Marouba Fall ne va pas tuer son demifrère pour accéder au trône, ce dernier va le lui laisser pacifiquement puisque le peuple
l’acclame.
Mais ces libertés sont contrebalancées par une rigueur historique que l’on peut observer à
plusieurs reprises dans la pièce de Marouba Fall. La première scène nous conte en détails
l’histoire de Chaka mise en musique par un récitant. Dans cette scène de théâtre très
48
Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Chaka_Zulu
Cette phrase fût citée comme référence par Marouba Fall et Ousmane Diakhaté lors des entretiens que je
réalisais. Je ne suis cependant pas parvenu à trouver une trace écrite originale de cette citation.
49
48
traditionnelle, on nous conte comment Chaka est arrivé au pouvoir après avoir été fils
illégitime et enrôlé dans l’armée.
La pièce Chaka ou le Roi Visionnaire se décompose en deux évocations. La première
consacre l’ascension du roi zoulou et la deuxième, sa chute. Cette séparation en deux temps
n’est pas anodine, on retrouve une volonté de l’auteur de parler de situations contemporaines
en se servant des héros du passé : « Dans Chaka, il y a ces deux mouvements, ces deux temps
forts dans la gestion du pouvoir comme c’est le cas dans l’Afrique d’aujourd’hui où les
dirigeants commencent par susciter l’espoir mais finissent en général, à force de dérives, par
décevoir les populations. [...] L’histoire tragique de Chaka m’a permis de parler du pouvoir en
Afrique noire. Les pouvoirs qui ont été libérateurs ont ensuite viré à la dictature »50.
Dans la première évocation, la foule loue Chaka : « Peuple de Nomemba, tu as un roi digne de
toi, digne de ses Ancêtres »51. Il associe ses conseillers à ses décisions, même s’il ne suit pas
leurs conseils, il prétend au moins les entendre. Dans la seconde évocation, Chaka est devenu
tyran, il tue ses soldats en public, fait régner ses volontés. C’est aussi dans cette évocation
qu’il tue sa femme car « Elle était trop belle... »52 et l’empêchait de se concentrer sur son
ascension et ses conquêtes. Son peuple va tenter de le tuer et il se fera finalement assassiner
par ses propres conseillers, les deux derniers qu’il n’avait pas encore osé égorger.
En parallèle de ce personnage sanguinaire, Marouba Fall nous présente aussi un roi
visionnaire qui parle d’unité entre les peuples : « C’est pour vous convier à l’unité dans la
paix et la fraternité, l’unité par l’union de nos forces, la conciliation de nos idéologies et
l’orientation commune de l’action de nos gouvernements que je vous ai appelés à
Oum’ngoungoun, capitale de mon pays »53. Le roi zoulou souhaite cette union pour faire face
à l’invasion des blancs qu’il pressent. Mais personne ne le prend au sérieux, les blancs ne
semblent pas être une menace réaliste et tous les autres rois l’accusent de vouloir une unité
pour mieux régner sur toutes les populations à lui seul. Toute cette envolée lyrique sur l’union
50
Extrait de l’entretien réalisé avec Marouba Fall le 30 juillet 2012.
Extrait de Marouba Fall, Chaka ou le Roi Visionnaire, page 21.
52
Ibid.
53
Ibid.
51
49
des peuples d’Afrique est pure invention. Historiquement la seule volonté de Chaka n’était
pas de faire du continent africain une terre unie mais plutôt une terre zouloue.
La pièce de Marouba Fall rend bien compte des deux facettes de la personnalité de Chaka. Le
roi zoulou y est présenté alternativement comme un sauveur et un conquérant puis comme un
tyran sanguinaire.
La pièce de Senghor a été publiée en 1956 dans la revue littéraire Ethiopiques. Il s’agit d’une
pièce en quinze pages qui n’a jamais été jouée. L’auteur demeure plus connu pour sa poésie
c’est donc un « drame poétique » qu’il nous livre avec cette pièce. La politique et la littérature
étant intimement liées chez le poète-président, il choisit de compter l’histoire d’un personnage
politique avec une dimension continentale, lui qui rêvait de panafricanisme.
Là encore sont présentées les deux facettes du personnage. Dans la première scène, la voix
blanche (personnage symbolique de la pièce) accuse Chaka :
« Avoueras-tu les milliers d’hommes pour toi exterminés,
Des régiments entiers de femmes et d’enfants de lait
Toi le grand pourvoyeur des vautours et des hyènes, le poète
Du Vallon de la Mort
On cherchait un guerrier, tu ne fus qu’un boucher »54.
Sa pièce est en fait une confrontation entre Chaka et cette Voix Blanche, une confrontation
d’opinions entre deux adversaires. Chaka se confesse sur ses erreurs alors qu’il sent son
dernier souffle arriver.
Le poète-président y écrit comme à son habitude tout en lyrisme et poésie. Il insiste
particulièrement sur l’amour que Chaka porte à sa femme Nolivé, femme qu’il tuera pour
parvenir à ses fins.
Marouba Fall consacre une scène à cet amour mais durant celle-ci Chaka n’a de cesse de
rappeler que son amour du peuple zoulou passe avant tout. Ce n’est pas le parti pris de
54
Extraits de A. Mbaye, « Le Chaka de Senghor », Ethiopiques, n°72
50
Senghor qui présente un homme amoureux et impatient. Senghor est plus poétique et
sentimental :
« Oh ma fiancée, j’ai longtemps attendu cette heure
Longtemps peiné pour cette nuit d’amour sans fin »55.
Il est ici peint comme un homme qui a sacrifié sa vie à ses devoirs envers son peuple, un
véritable héros. Chaka est ici un modèle pour l’Afrique. Nous retrouvons toujours la même
logique : prendre comme exemple les héros du passé et en tirer des enseignements pour
l’avenir.
Alioune Mbaye, journaliste à Ethiopiques (magazine littéraire africain) explique ainsi
l’incursion de Senghor dans le théâtre : il voulait conscientiser directement le peuple, lui faire
passer sans l’intermédiaire du livre des valeurs. On retrouve dans cette explication toute la
force émotionnelle du théâtre, qui semble être indéniablement le moyen artistique le plus
direct pour communiquer avec le peuple.
Section 2 : Aline Sitoé Diata, un espoir pour la Casamance
Aliin Sitooye Jaata (son nom peut aussi être orthographié Aline Sitoé Diata) est une grande
figure de la Casamance.
Née en 1920 en Casamance, elle part travailler à Dakar. C’est là qu’elle aura ses révélations.
Plusieurs versions existent ; certains disent qu’elle a entendu des voix, d’autres parle d’un
vautour blanc56… Le fait est qu’elle reçoit un signe qui lui dit de revenir en Casamance pour
sauver son peuple de l’occupation des colons. Elle ignorera ce signe jusqu’à se retrouver
entièrement paralysée. Elle va alors rentrer dans son village natal et retrouver ses capacités
motrices, elle ne gardera de cette mésaventure qu’un léger boitement. On retrouve d’ailleurs
cette caractéristique dans la pièce de Marouba Fall où les colons venus arrêter Aliin la
reconnaissent grâce à cette claudication.
Lorsqu’elle rentre en Casamance, elle organise la résistance. Elle adjoint son peuple de ne
plus payer les impôts des toubabs (les blancs en wolof), de ne plus cultiver des arachides
plutôt que du riz et enfin elle leur interdit de s’enrôler dans les armées françaises.
55
56
Ibid.
Source: http://www.au-senegal.com/aline-sitoe-diatta,1628.html
51
On lui attribue quelques miracles ; elle serait parvenue à faire tomber la pluie après une
longue période de sécheresse. Elle serait aussi capable de soigner les malades. C’est cette
dernière compétence qui lui permit d’être sacrée Reine de Casamance.
Dans la pièce, Marouba Fall nous décrit un personnage pacifiste. Aliin refuse d’utiliser la
force pour combattre ses ennemis : « Si je résiste, toute la Basse-Casamance fera bloc derrière
moi, et je sais que le commandant de cercle ne reculera devant rien, pas même devant un
génocide. Or, moi, Aliin Sitooye Jaata, j’ai délivré jusqu’ici un message de paix, de fraternité
et de charité. Je ne serais jamais à l’origine d’une tuerie dont mes frères et sœurs du pays
seront les principales victimes… J’irai au devant du commandant de cercle… »57. Pourtant
l’histoire ne nous dit pas si Aliin était réellement pacifiste. A la fin de la pièce, Aliin se rend
effectivement au commandant pour épargner son peuple. Cette scène est très proche de la
réalité historique. Lorsque les colons sont arrivés dans le village de la prêtresse, celle-ci s’était
retirée dans la forêt car elle avait ses règles (cela est considéré comme impur chez les Diolas
et les femmes s’isolent du village pendant cette période), sa co-épouse va être tuée à sa place.
C’est pour éviter d’autres massacres qu’Aliin va se rendre. Une seule chose diverge : dans la
pièce, Aliin était enceinte lors de son arrestation. Son enfant sera utilisé comme un symbole
de l’espoir du peuple, elle dit vouloir l’appeler Casamance. Mais cet enfant ne verra jamais le
jour.
Elle mourra dans une prison de Tombouctou des années après son arrestation. Marouba Fall la
présente comme une prêtresse, à la fin de la pièce elle parle de Tombouctou, comme une
prémonition de sa mort.
Aujourd’hui encore, Aliin est un personnage très populaire en Casamance. Plusieurs rues et
places portent sur nom dans la région ainsi que le bateau qui relie Dakar à Ziguinchor.
De nos jours, la situation de la Casamance pose problème. Des groupes indépendantistes
armés se battent pour faire de leur région un territoire autonome par rapport au Sénégal, leur
voisin du Nord. Si la Casamance est bel et bien une région du Sénégal, elle est séparée du
reste du pays par la Gambie qui traverse le territoire de long en large. Pour se rendre en
Casamance, il existe deux possibilités : contourner la Gambie et allonger considérablement la
route ou prendre le bac de Gambie qui traverse le fleuve du même nom et cela sous-entend
57
Marouba Fall, Aliin Sitooye Jaata, la Dame de Kabrus, NEAS, 2005.
52
des heures voire des journées d’attente avant la traversée. Cet isolement de la région vient
renforcer la volonté d’indépendance. Les groupes rebelles s’en prennent surtout aux touristes.
Cela a eu une conséquence prévisible : il y a vingt ans, la Casamance était le berceau du
Sénégal, la région la plus riche et la plus touristique, elle est désormais délaissée et sombre
doucement dans la pauvreté.
En écrivant cette pièce, Marouba Fall a voulu porter un message de paix pour cette région
troublée : « Aliin est contre le séparatisme. J’ai voulu utiliser ma pièce de théâtre pour
décourager les velléités indépendantistes en Casamance »58. Avec Aliin, il veut imposer un
modèle pacifiste dans une région troublée. Elle s’exprime ainsi en faveur de l’unité de son
pays : « Un jour, mon parent Benjamin Jaata m’a dit que les Blancs nous dominent parce
qu’ils ont réussi non seulement à morceler l’Afrique mais aussi à diviser les hommes euxmêmes. Qu’adviendrait-il si, à notre tour, nous nous amusions à nous séparer les uns des
autres au sein d’un si minuscule pays ? »59. Aline est ici utilisée comme un prétexte pour
parler des fautes des politiques. Selon Marouba Fall, ils n’ont pas su guérir le mal né pendant
la colonisation. Ils manquent d’initiatives par rapport à la Casamance ; la solution d’un pont
au dessus du fleuve Gambie a été envisagée maintes fois mais jamais concrétisée.
Un troisième personnage est aussi utilisé comme un modèle pour les contemporains. A la
différence des deux premiers, il n’a pas réellement existé et est le résultat de l’imagination du
dramaturge Alioune Badara Beye. Dans Nder en flammes, Yérim est un prince des tribus du
Walo. Présenté comme un guerrier courageux, il mène les batailles contre les Blancs et les
tribus ennemis. Même après la mort de plusieurs princes de tribus voisines, il continue la
lutte, le combat doit être plus grand maintenant que l’honneur de son peuple a été atteint. Il est
un des personnages fort de la pièce et est dépeint comme un leader idéal, courageux et au
service de son peuple. Lorsque je rencontrais l’auteur je le questionnais sur ce personnage ;
selon lui, Yérim pourrait tout à fait être un modèle en politique aujourd’hui. Il a un avantage
que beaucoup d’hommes politiques ont perdu : il reste fidèle à ses traditions et ne se laisse pas
enivré par le pouvoir.
58
59
Extrait de l’entretien réalisé avec Marouba Fall, le 31 juillet 2012 à Dakar.
Ibid.
53
Chapitre II : L’éternel retour de la colonisation dans les textes
Section 1 : La colonisation comme thème récurrent
Le Sénégal a été colonisé par la France durant près de deux siècles. Le pays est aujourd’hui
indépendant depuis cinquante ans et les populations se reconstruisent de façon plus ou moins
autonome. La colonisation demeure cependant une période importante dans l’Histoire
sénégalaise notamment par sa longueur dans le temps mais aussi parce qu’il s’agit d’une
période récente. Les dramaturges vont donc s’intéresser à celle-ci mais pas directement. Ils
vont plutôt raconter les épopées des héros africains qui ont résisté à la colonisation lors de
l’arrivée des français sur leurs terres. Ils vont aussi parler de l’indépendance et de la lutte
contre les colonisateurs dans les années 50. Ces deux périodes lointaines de plusieurs
centaines d’années nous donnent une image glorieuse de l’Afrique. Sous la colonisation, les
écrits sont contrôlés par les Blancs, les versions de l’Histoire sont toutes censurées. Les
créations théâtrales du type de celle de Ponty vont être encadrées de près. La limite est
simple : on ne parle pas de la domination française.
Après les années 50, plusieurs pièces vont porter sur scène des héros typiquement africains et
vont surtout critiquer une colonisation aliénisante et castratrice qui a immobilisé le pays
pendant deux siècles et dont le Sénégal souffre encore aujourd’hui.
Concernant la période précoloniale, nous pouvons nous appuyer sur deux pièces. Il s’agit tout
d’abord de Lat Dior ou le chemin de l’honneur. Cette pièce est toute entière tournée vers la
lutte contre les colonisateurs. Le héros combat les Blancs qui veulent imposer le chemin de
fer dans le pays. Il s’exprime ainsi en parlant des africains qui ont rejoint le camp des blancs :
« Les toubabs ne deviendront jamais africains mais les africains peuvent devenir des
toubabs ». Finalement, les colonisateurs vont tuer tous les princes du Cayor, une région du
Nord Ouest du Sénégal, pour prendre le pouvoir.
L’Exil d’Albouri relate aussi une épopée de cette période. Contrairement à Lat Dior qui
affronte ses opposants, Albouri choisit l’exil face aux Blancs qu’il juge trop dangereux pour
son peuple.
54
Nder en flammes se penche sur une période plus récente où la colonisation est déjà en place.
Lors de l’entretien que je réalisais avec Alioune Badara Beye, auteur de cette pièce, je le
questionnais sur l’image de la colonisation qu’il avait voulu donner dans cet ouvrage. Il y a
deux personnages qui travaille pour les colonisateurs dans cette pièce : le Gouverneur et
Pellegrin. Ils sont tout deux très différents. Le Gouverneur apparaît comme un personnage
réfléchi qui cherche à comprendre ses administrés même s’ils sont étrangers. Selon lui,
« Servir la France ne veut pas dire asservir le Sénégal »60, il ne voit pas la colonisation comme
« une conquête et une exploitation inhumaine »61. Pellegrin est tout son contraire : raciste, il
voudrait faire preuve de violence pour faire respecter ses décisions. Conseiller du
Gouverneur, il le supplie de se méfier des noirs, « avec les nègres on ne sait jamais »62. Alors
que le Gouverneur s’inquiète des mouvements qui agitent le Walo, Pellegrin lui répond :
« Gouverneur, pourquoi ne pas les laisser s’entretuer ? »63. Il fournira les armes à l’ennemi
Maure pour combattre les tribus du Walo, situé au Nord du pays. Il incarne le traître dans
toute sa splendeur.
Avec ces deux personnages fictifs, l’auteur a voulu montrer la complexité de la colonisation,
tout n’a pas été mauvais et tout n’a pas été bon pour le pays. Chacun de ces personnages
symbolise une facette de la colonisation. Dans la pièce, Pellegrin est un métis. Son
personnage représente donc une conséquence de la colonisation. Il est perdu entre deux
peuples, haïssant l’un, ne connaissant pas l’autre.
Nder en Flammes est très intéressante pour cela : elle ne donne pas une vision tranchée mais
laisse le spectateur se faire sa propre idée. Dans cette nuance, elle se rapproche de la réalité
historique. Alioune Badara Beye me disait que la colonisation avait aussi amené de grands
progrès dans l’agriculture du Walo, on ne peut pas simplement la critiquer.
Dans Aliin Sitooye Jaata, Marouba Fall donne une vision plus radicale de la colonisation, le
blanc est désigné comme le mal ; « le Diable c’est le Blanc ; c’est lui le mal immiscé parmi
nous ! », « Le Blanc est diabolique ; il a décidé de nous écraser sans se salir les mains »64. Ces
phrases sont prononcées dans un contexte bien précis ; celui de la Casamance qui lutte pour
maintenir son indépendance vis-à-vis du Nord du pays. Pour stopper les mouvements de
60
Alioune Badara Beye, Nder en flammes, fresque historique.
Ibid.
62
Ibid.
63
Ibid.
64
Marouba Fall, Aliin Sitooye Jaata, La dame de Kabru, NEAS, 2005.
61
55
résistance de cette région, les colonisateurs prennent la décision d’arrêter la meneuse de la
révolte : Aliin. Un des personnages qui s’était allié aux Blancs va finalement changer de camp
devant la violence dont il est témoin : « Croyant agir sagement j’ai accompagné le Colonel à
Kabrus. Mais qu’elle ne fut ma déception devant sa brutalité sans retenue ! »65. Aucune
nuance n’est donnée, le Blanc est un homme profondément brutal et méchant. Lors de son
interrogatoire, Aliin va expliciter les problèmes de fond de la domination blanche : « Vous
nous administrez sans tenir compte ni de notre identité ni de nos pensées ni de nos droits
d’êtres humains. Nous sommes tout juste des signes dans vos papiers et vos plumes nous
soulignent ou nous effacent à votre guise »66.
L’extrait suivant montre toute la dimension que peut revêtir la colonisation dans les pièces
sénégalaises. L’auteur nous conte ici l’affrontement verbal entre Aliin la pacifiste
casamançaise et Sajous, le colonel français.
« ALIIN
Il n’est pas à moi. Je le subis. Il a le poids éprouvant de la domination.
SAJOUS
Encore ce mot ! Et tu le prononces avec tant de haine !
ALIIN
Non. Avec de la douleur.
SAJOUS
Pourtant nous apportons beaucoup à ce pays.
ALIIN
Vous lui enlevez la liberté.
SAJOUS
Il n’y a pas de liberté dans l’ignorance, la maladie et la pauvreté.
65
66
Ibid.
Ibid.
56
ALIIN
Vous nous accablez de toutes les tares pour légitimer votre tutelle.
SAJOUS
Sans nos écoles, nos routes, vous serez encore en train de tâtonner dans les ténèbres, exposés
aux ravages des épidémies et coupés du monde.
ALIIN
C’est depuis votre arrivée que nous tâtonnons. Avant, le monde était transparent, parsemé de
repères qui nous aidaient à traverser les saisons sans tourner en rond ni craindre de perdre nos
traces. Votre venue a rompue le cours de notre vraie histoire comme l’invasion du jour fait
avorter un beau rêve, comme ta violence absurde a tué en moi un espoir qui, déjà, prenait
corps. »
La colonisation est aussi présente dans les personnages. Dans Adja, militante du GRAS et dans
Vehi-Ciozane d’Ousmane Sembène, nous trouvons un personnage qui est revenu fou des
campagnes militaires françaises, frappés par l’horreur des combats.
Enfin, nous trouvons une référence à la colonisation dans Adja, militante du GRAS bien que
l’histoire s’inscrive dans la période actuelle. Le marabout s’adressant à ses fidèles leur dit :
« Chaque peuple a ses coutumes et traditions. L’Homme qui renie celles de son peuple pour
adopter celles d’un autre est un homme perdu. Nos « parents » qui ont eu le malheur d’avoir
été à l’école du Toubab ne suivent plus les coutumes et traditions de nos pères : ils ne
mangent plus comme eux (...), ils ne se soignent plus comme eux. Ils croient que la médecine
des Rouges Oreilles est plus efficace que la nôtre. Or, moi, Buxama, je dis que cette médecine
là ne guérit pas nos maux, à nous autres fils d’Afrique noire. Est ce que je mens ? »67.
Cette tirade montre, au delà de la haine du colonisateur, les dérives religieuses qui agitent
aujourd’hui le Sénégal. En critiquant les Blancs, le marabout veut surtout vendre sa médecine
propre faite de gri-gri et de prières.
67
Marouba Fall, Adja, militante du GRAS, NEAS, 2005.
57
Section 2 : Après la colonisation, l’indépendance
Parler de la colonisation, c’est aussi raconter ce qui a suivi, c’est-à-dire l’indépendance. Cette
dernière est rythmée par les maux qui découlent des années de domination occidentale. C’est
ce qu’Amadou Moustapha Wade a voulu démontrer dans La Tragédie des Indépendances. Le
titre à lui seul nous laisse deviner l’intention de l’auteur : il dépeint un pays laissé en
lambeaux après des années d’occupation blanche. La Zanzibie est un pays imaginaire qui
pourrait être n’importe laquelle des anciennes colonies françaises d’Afrique noire. Le décor
est posé dès la première intervention du présentateur de la pièce : « Ces défis virils et ces
combats parfois sanglants ne sont que le lointain reflet des forces politiques qui s’affrontent
en République de Zanzibie, ancienne possession française devenue, par la grâce de Dieu et du
Général de Gaulle, l’un des nombreux États africains surgis de la nuit de l’histoire
coloniale »68. L’emploi du mot nuit ne laisse aucun équivoque, la colonisation est ici désignée
comme la responsable des maux du pays.
Cette pièce est particulièrement intéressante car sa longueur permet l’intervention de plusieurs
personnages. Le cœur de la pièce est le combat politique entre l’actuel président Biafrana qui
veut coûte que coûte rester au pouvoir et son opposant Sangalaane qui défend les intérêts du
peuple. Mais cela n’empêche pas l’intervention de nombreuses autres personnes : une scène
se déroule au marché et on peut y entendre les marchands, une autre laisse la parole aux
femmes des dirigeants, on peut aussi écouter les pêcheurs parler de politique. Tout cela
permet une grande hétérogénéité dans les points de vue et rend la pièce d’autant plus
profonde. Chacun des comédiens introduit une des problématiques de la pièce. Dans la scène
du marché, un citoyen s’exprime ainsi faisant référence aux années de colonisation : « Chacun
sait que notre personnalité a été brisée en milles morceaux par les vicissitudes de l’histoire.
Mais voici que, au moment même où nous clamons aux quatre coins du monde le primat de la
recherche de notre identité, nous nous nions nous même par des actes insensés comme le
xeesal (fait de se blanchir la peau. ndlr) ou la revendication et l’exercice empressé du droit à
l’assimilation, la rage de ressembler à l’autre, et physiquement d’abord »69. Un autre citoyen
de lui répondre « Tu as raison. Nous sommes nos propres bourreaux, nous sommes la plaie et
68
69
Amadou Moustapha Wade, La Tragédie des Indépendances, NEA, 1987.
Ibid.
58
le couteau, nous sommes de nous mêmes les vampires comme dit le poète »70. Ces deux
personnages introduisent un des problèmes qui secoue l’Afrique indépendante : la France
reste un modèle pour les africains, ils veulent lui ressembler plutôt que se construire selon
leurs propres schémas. La France est aussi présentée comme un modèle dans la bouche de
Madame Rabio, épouse d’un ministre : « Oui, bientôt, ce sera, de nouveau, Paris, encore
Paris, toujours Paris qui reste la plus belle ville du monde malgré l’ardeur que mettent les
autres capitales à rivaliser avec l’Inimitable, l’Unique ! »71.
Une scène entre des pêcheurs montre là encore la persistance du modèle et du pouvoir
français dans le pays. Ce sont les personnages les plus modestes qui amènent les facettes les
plus dérangeantes de la pièce. Un pêcheur affirme ainsi que la France est responsable des
maux actuels que doit affronter la Zanzibie : « Mais paraît que c’est freiné là haut par les
Blancs (quand on vous dit qu’ils sont encore les vrais chefs !). Paraît qu’ils veulent doser petit
à petit. Ils pensent qu’en laissant faire seuls les Noirs, on reculerait de cent ans ! C’est
pourquoi ils veulent nous apprendre d’abord comment on met debout, puis comment on tient
fermement la rame, comment augmenter les récoltes, donner un toit à tout le monde, apporter
l’eau et la lumière dans chaque foyer, ils veulent nous apprendre à mieux vivre, comme chez
eux, nous former quoi ! »72. Toute cette argumentation est résumée dans une autre phrase de
la même scène : « Tu ouvres les yeux, tu regardes bien, tu ne vois plus les Blancs, mais tu
sens, tu sais quand même qu’ils sont là, c’est comme si tu les touchais »73.
La Tragédie des Indépendances reprend tous les thèmes chers à la littérature sénégalaise,
thèmes que nous avons identifiés dans la partie précédente. On y parle de dictature, de
corruption mais aussi de vie quotidienne. Une scène nous présente plusieurs paysans parlant
entres eux de leurs problèmes. Le premier d’entre eux nous donne une vision claire des
conséquences de l’indépendance dans sa vie quotidienne : « Avant, je veux dire du temps des
toubabs, chacun il avait sa chance, son droit de recevoir des graines. Maintenant qu’on est
libre, indépendant comme on dit, ce n’est plus pareil. Les uns reçoivent beaucoup de
semences, ceux qui sont membres du parti, les autres rien. Sûr que le grand chef il sait pas
70
Ibid.
Ibid.
72
Ibid.
73
Ibid.
71
59
tout, sûr que le grand chef Biafrana y mettrait bon ordre s’il savait. On dit qu’il est juste, qu’il
veut tout pour tout le monde, comme le bon dieu quoi ! Dommage qu’on ait ici que les préfets
et les autres sous-fifres qui font ce qu’ils veulent et qui, des fois, vous poussent à souhaiter le
retour des blancs. »74. Cette longue tirade donne la parole à un paysan, ils sont très peu
représentés dans les pièces de théâtre. Ce dernier met en avant la corruption des élites locales.
Une corruption qui n’existait pas sous la colonisation. La pièce nous donne différents regards
sur la colonisation : plus ou moins accusateurs. Mais le seul regard qui demeure à la fin de la
pièce est un regard critique.
La colonisation a enfanté la dictature. On retrouve de nombreuses descriptions des pratiques
du président Biafrana usant tour à tour de violences contre son peuple mais aussi contre ses
opposants politiques. Biafrana est avide de pouvoir et veut en jouir autant que possible. La
pièce dénonce aussi la corruption qui règne dans les hautes sphères du pouvoir (cf. II, 2). On
retrouve aussi le personnage sénégalais du marabout.
Toutes ces caractéristiques font de cette pièce une œuvre éminemment politique qui use de
toutes les couches de la société pour faire passer un message : l’Afrique doit se reconstruire
sans prendre la France pour modèle et surtout en écoutant les revendications du peuple. Cette
pièce est aussi un avertissement contre les pratiques corrompues qui engendrent des dictatures
et des guerres sanglantes.
Chapitre III : L’exaltation de grandes valeurs
Lorsque j’ai choisi les pièces de théâtre de ce mémoire, j’ai veillé au caractère politique de
chacune d’entre elles. On y trouve souvent un personnage politique en proie au doute ou à la
peur face à l’ennemi ou face à son propre peuple.
Dans toutes les histoires qui sont racontées dans ces pièces, nous pouvons extraire deux
situations que l’on retrouve à plusieurs reprises. Il s’agit tout d’abord du dictateur qui doit
faire face à la protestation de son peuple et à une opposition forte. Dans cette configuration,
on va trouver un discours démocrate dans la bouche de l’opposant. Le peuple aura aussi son
mot à dire et pourra critiquer librement la corruption.
74
Ibid.
60
L’autre situation est celle du conflit guerrier. Les pièces sont alors situées dans le passé et
présentent des chefs de tribus, grands combattants qui défendent leurs territoires et leur
autonomie, contre les Blancs ou contre les tribus voisines. Les valeurs que l’on trouve dans
ces pièces épiques sont le courage et l’honneur.
Nous allons étudier en détail toutes les valeurs qui sont portées par les textes dramatiques
mais nous devons dans un premier temps comprendre la force de celles-ci. Elles sont au cœur
de l’aspect politique des ouvrages. Les dramaturges ont pris le parti de porter ces valeurs
universelles sur scène, de les rendre publiques. Chaque histoire va être porteuse d’un message
à l’encontre du public. Tous ces messages vont être, à n’en pas douter, constitutifs d’une
identité sociale et politique propre au pays. Ces valeurs vont être associées au Sénégal, à son
Histoire et vont donc aider à la reconstruction d’une identité noire après des années de
domination coloniale.
Elles vont aussi renvoyer à la situation actuelle du pays et vont amener les spectateurs à
prendre conscience des maux qui secouent le Sénégal.
Les idées portées par Lat Dior vont être particulièrement symboliques puisqu’il s’agit d’un
héros national qui a lutté contre la colonisation. Dans la pièce Lat Dior ou le chemin de
l’honneur de Thierno Ba, le héros va faire preuve d’un grand courage face aux colonisateurs
mais voyant leur supériorité en armes, il va finalement se rendre pour épargner son peuple.
Lat Dior est à la fois présenté comme un guerrier courageux qui maîtrise l’art du combat mais
aussi comme un homme qui chérie son peuple et qui veut le sauver, peut importe sa gloire
personnelle. Le héros va être très critique à l’égard du pouvoir : « je n’ai que faire d’un
pouvoir, monnaie d’échange à l’asservissement de ma patrie ». Il refuse avec cette phrase de
travailler à la solde des Blancs.
Cette résistance face à la colonisation fait partie de l’histoire sénégalaise, c’est un élément
dont le peuple peut être fier alors que les années de colonisation vont effacer son identité.
Deux pièces présentent la même situation ; un dictateur doit faire face à la rébellion de son
peuple et à l’opposition politique qui le menace. Il s’agit de L’Île de Bahia et de Salmoon.
Alors que les deux pièces adressent une vive critique à la dictature, on retrouve le même
discours démocratique chez les opposants au régime dictatorial. Dans L’Île de Bahia, le
personnage de Pedro joue ce rôle de démocrate convaincu. Lorsqu’il s’empare finalement du
pouvoir, il va se garder d’une vengeance froide contre les fidèles du dictateur et va mettre en
61
place une justice qui décidera du sort des coupables. Le héros critique les réactions du peuple
qui agit instinctivement et sans réflexion, pensant que la violence calmera leur colère
accumulée.
Dans Salmoon, c’est le personnage de Beur Saloum qui va être porteur du message en faveur
de la démocratie. Lorsque ses messagers sont assassinés par le dictateur Salmoon, Beur
Saloum demeure calme et demande son avis au peuple : « La voix du peuple est primordiale.
C’est à elle de décider et moi, je suivrai ». Le peuple décide alors de tuer Salmoon et c’est
seulement par cette décision populaire que Beur Saloum prend la décision d’envoyer des
combattants à la rencontre du dictateur. L’auteur nous montre explicitement où se situent le
bien et le mal chez ces deux personnages : celui qui écoute le peuple est chéri et adulé alors
que celui qui impose ses décisions et use d’une violence arbitraire va être renversé par son
propre peuple.
Avec cette pièce, Chérif Adramé Seck montre toute l’importance de l’expression du peuple.
Dans un pays où le peuple prend les décisions et peut exprimer son opinion, alors le système
fonctionne bien et chacun est heureux. La dernière scène est, à ce titre, très symbolique. Alors
que le dictateur a été retrouvé par le peuple, les opposants ne le tuent pas. Ils le présentent à la
foule et la laisse décider de son sort :
« Peuple du Sine, voilà Salmoon !
Voilà l’ignorant qui croyait à un pouvoir éternel !
Voilà l’inconscient qui a nié la force et la prépondérance du peuple !
[...]
Peuple à qui revient infailliblement le dernier mot,
DECIDE DU SORT DE SALMOON. »
La pièce se finit sur cette tirade, ne laissant aucun doute sur les intentions du dramaturge.
Une autre pièce défend les valeurs démocratiques mais elle ne correspond pas au modèle du
dictateur et de l’opposant cité ci-dessus. Il s’agit de Nogoye et Doy-Doy de Sada Weïndé
Ndiaye. Le personnage de Nogoye, la femme de Doy-Doy, s’illustre par son intelligence. Elle
fait une analyse judicieuse des problèmes de son temps et elle est très critique de son mari qui
ne jure que par « les temps modernes ». Lorsque Doy-Doy propose une mise en scène
politique pour s’entraîner à accueillir les chefs d’État, Nogoye lui reproche sa désorganisation
et lui propose une mise en scène plutôt bien pensée : « Ce que tu proposes n’est pas un plan,
62
c’est du n’importe quoi. Chaque dirigeant devra nous dire d’abord comment il est venu à la
tête de son pays. Ensuite, il nous présentera, ici même, un état complet de ses propres échecs
et avancera une proposition pour aller de l’avant »75. Elle fait figure d’opposante et cerne
toutes les faiblesses des propositions de son mari.
Dans Chaka de Marouba Fall, nous trouvons une idée très chère aux africains, celle d’une
unité du continent. Cela relève de l’imagination du dramaturge mais démontre bien ses
intentions dans la rédaction de la pièce. Chaka réunit les chefs d’État voisins pour leur parler
d’union. Cette union est présentée comme une force pour l’Afrique. Cette unité du continent
fait encore aujourd’hui partie des grands rêves politiques des africains, on la retrouve dans les
chansons notamment. Le découpage du territoire est le résultat de la colonisation. Le redéfinir
reviendrait à s’éloigner un peu de cette période sombre de l’histoire.
En abordant les valeurs, nous ne pouvons passer à côté du personnage d’Aline Sitoé Diata.
Dans la pièce de Marouba Fall, elle fait preuve de courage en se rendant pour sauver son
peuple. Elle prône le pacifisme, et une unité du territoire sénégalais. Autant de valeurs
nécessaires dans l’analyse actuelle de la situation casamançaise.
Enfin dans Adja, militante du GRAS, Marouba Fall démontre à travers son héroïne
l’importance d’une bonne éducation. Adja prend des cours du soir pour parler français et
pouvoir s’exprimer correctement au nom de son parti politique. Dès la première scène de la
pièce, Adja est en opposition avec sa propre fille qui lui reproche d’être trop vieille pour
s’instruire. Adja lui montre toute la valeur de l’éducation : « On est jamais trop vieux ou trop
vieille pour s’instruire, ma fille. Par les temps qui courent, parler et écrire le français font
partie des conditions qu’il faut remplir pour mériter la considération et le crédit de ses
concitoyens »76. Elle est par ailleurs désespérée que sa propre fille ait arrêté les études pour
élever un enfant non-désiré que le père ne reconnaît pas. Dans sa quête de l’instruction, Adja
est aussi très critique vis-à-vis de son mari, simple vendeur de chaussure : « Ton père ne sait
ni lire, ni écrire. Je n’ai jamais vu un homme aussi inculte que lui »77.
75
Sada Weïndé Ndiaye, Nogoye et Doy-Doy ou Les Temps Modernes, Ed. le Nègre internationale, 2001.
Marouba Fall, Adja, militante du GRAS, Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, 2005.
77
Ibid.
76
63
Elle rappelle aussi la nécessité de s’instruire aux membres féminins de son comité : « Je
rappellerai qu’il n’est jamais trop tard pour s’instruire. Instruisez-vous pour affermir votre
personnalité. Instruisez-vous pour apporter un meilleur soutien au parti »78. Toutes ces
références à l’éducation sous-entendent deux choses différentes ; c’est d’une émancipation
féminine qu’il est ici question mais ces nombreuses références à l’éducation prennent aussi un
sens engagé dans un pays où l’analphabétisme est monnaie courante. Cette pièce engage les
spectateurs à porter plus d’attention à l’éducation. D’autant plus que la pièce traduite en wolof
a été jouée au Théâtre Sorano. Dans l’entretien que j’eus avec l’auteur, celui-ci me dit qu’il
avait écrit Adja pour toucher un grand nombre de personnes. Le niveau de langue est simple,
beaucoup de gestes aident à la compréhension de la pièce et sa mise en scène en wolof a
ajouté un atout pour l’accessibilité de tous à cette œuvre.
Cette nécessité d’éducation que ressent Adja porte sur l’apprentissage de la langue française.
C’est donc une des ambiguïtés du pays qui est mise en avant. La maîtrise du français, langue
imposé par la colonisation, est encore aujourd’hui un facteur de réussite sociale. Nous verrons
cela dans une dernière partie qui présente les problèmes liées à la langue au Sénégal.
Les pièces de théâtre sénégalaises sont éminemment politiques ; leurs personnages le sont,
leur sujet, les messages dont elles sont porteuses. Chacun de ces éléments participe à la
reconstruction de l'identité du pays après des années de domination coloniale. L'étude de ces
textes mais aussi les rencontres avec les acteurs du milieux, m'ont amené à me questionner sur
certains points. Le théâtre au Sénégal semble aujourd'hui confronté à plusieurs problèmes. Il
devra surmonter ces difficultés pour aller de l'avant et s'affirmer en dehors des frontières
nationales.
78
Ibid.
64
PARTIE IV : LES ENJEUX A RELEVER
AUJOURD'HUI
Plusieurs problématiques traversent aujourd'hui le théâtre au Sénégal. Celles-ci découlent de
l'histoire du pays mais aussi de sa situation économique. Comment l'art théâtral peut-il exister
dans un pays en cours de développement ? Qui peut aller au théâtre alors que le taux de
scolarisation à l'école secondaire en 2007-2011 est de 33%79 et que 34% des personnes vit
sous le seuil de pauvreté80? Les dramaturges sénégalais ont beau écrire des pièces
compréhensibles de tous, leur public sera toujours fatalement le même ; le cercle des
intellectuels et les étudiants. Par ailleurs, cinquante ans après l'indépendance, la France
demeure présente dans le pays mais aussi dans les esprits ; l'exil est vu comme une solution
pour sortir de la misère. Les formes théâtrales sont très ressemblantes à celles que nous
pouvons voir dans l'Hexagone. Mais même s'ils parviennent à se détacher de la France, les
écrivains ne veulent pas pour autant être associés au continent africain. Il y a désormais un
désir fort de faire une littérature universelle à destination de l'Homme. Cette littérature serait
un moyen de s'ouvrir au monde et de prendre part à son évolution.
Chapitre I : Un théâtre pour le peuple ou le jeu des élites?
Il ne faut pas l’oublier le théâtre sénégalais est joué dans des conditions particulières, nous ne
pouvons pas poser sur lui le même regard que nous posons sur nos productions
contemporaines. Le Sénégal est un pays en voie de développement et même si l’oralité est
ancrée dans les mœurs depuis les premières civilisations, le théâtre reste aujourd’hui encore
cantonné à un public peu nombreux.
Le théâtre n’est pas une pratique culturelle populaire comme l’est la télévision ou encore le
cinéma. Mais au Sénégal, cette rupture est plus nette encore. Le théâtre ne semble réservé
qu’à une élite, le peuple s’en détourne. Pourtant il s’agit là d’une des préoccupations majeures
79
80
Source UNICEF 2007-2011
Source UNICEF 2007-2011
65
des dramaturges : « Le grand problème de tous les dramaturges, c'est d'aboutir à un théâtre
populaire. Il faut intéresser toutes les couches de la société »81.
Nous allons voir dans un premier temps que le théâtre est traditionnellement rattaché aux
élites dans le pays. Les populations lui préfèrent des formes parathéâtrales (l’expression est de
Michel Corvin dans son Dictionnaire Encyclopédique du Théâtre à travers le Monde) comme
la lutte. Celle-ci rassemble les foules alors que sa forme est très scénarisée. Mais le problème
majeur qui fait obstacle à un succès populaire, c’est avant tout la langue : les pièces sont
jouées en français mais les sénégalais parlent majoritairement wolof. Nous verrons dans un
dernier temps les solutions envisageables pour ouvrir le théâtre et lui permettre de toucher un
public plus hétérogène.
Section 1 : Un théâtre traditionnellement destiné aux élites
Quand nous parlons de théâtre et d’élites, c’est toujours à William Ponty que nous
aboutissons. A l’école de Gorée, les pièces jouées s’adressaient aux élites indigènes et
étrangères, jamais aux populations. Les comédiens étaient eux mêmes des élites en devenir.
Le dramaturge Marouba Fall entretient de nombreuses relations avec son lectorat, il a donc pu
me décrire les personnes qui le lisent : « Le public qui s'intéresse à mon œuvre est un public
essentiellement scolaire et universitaire. Surtout lorsqu’il s’agit de textes écrits en français.
C'est un public d’intellectuels puisque, au-delà de la langue, mes œuvres véhiculent un
message que je veux d’une certaine hauteur. »
Les rites et les contes sont bien plus populaires même s’ils disparaissent doucement avec
l’augmentation de l’urbanisation. Le théâtre le plus populaire est celui des amateurs, celui
joué dans les écoles, dans les clubs de quartier.
Les deux grands théâtres de Dakar participent aussi à cette rupture de par leur localisation. Le
Théâtre National Daniel Sorano est placé en plein centre. Le Grand Théâtre National est un
peu plus excentré mais il reste dans les quartiers riches de la ville. Youma Fall, directrice de
81
Extrait de l’entretien réalisé avec Marouba Fall, le 30 juillet 2012
66
ce dernier, a voulu endiguer ce phénomène d’exclusion et a organisé des représentations en
banlieue lors du festival Le Ramadan du Grand Théâtre. Cette initiative a permis de
déconstruire l’image sacralisée que les dakarois ont du Grand Théâtre. Un grand nombre de
personnes pensent « ce lieu ce n’est pas pour moi », c’est à cette impression que Youma Fall a
voulu mettre fin.
Pour le Théâtre Sorano, le problème est sensiblement le même. Le lieu est associé à la
personne du président Senghor. Même s’il jouit aujourd’hui encore d’une popularité sans
borne, cette structure n’en est que plus impressionnante pour les habitants de la ville.
Par ailleurs, le théâtre perd des territoires qu’il avait conquis par le passé. L’heure théâtrale du
lundi soir sur la RTS (Radiodiffusion Télévision Sénégalaise) a été supprimée. Un autre
facteur joue contre la popularisation du théâtre : il est parfois vu comme une exhibition dans
un pays très attaché à ses coutumes et très religieux.
Section 2 : La lutte sénégalaise : un facteur de l’identité nationale
Au Sénégal, les enfants veulent être footballeur ou bien lutteur. Le second métier leur
permettant d’être riche et célèbre en restant dans leur pays. La lutte sénégalaise est le sport le
plus populaire dans le pays. Il y a des lutteurs très célèbres que tous les enfants prennent en
modèle. Tous les sénégalais connaissent leur nom et les touristes de passage ne peuvent pas
ignorer les nombreux posters de Bombardier et les retransmissions de matchs dans toutes les
boutiques. Les matchs sont suivis de tous, à la télévision ou à la radio. Qu’importe l’heure,
lorsque l’on allume la télévision au Sénégal, nous trouvons toujours une rediffusion d’un
match.
Les citadins ne sont pas les seuls passionnés. Les villages de brousse les plus reculés suivent
aussi les matchs. Lors de mon premier séjour au Sénégal, j’ai eu l’occasion d’assister à un
concours de lutte organisé dans un village de brousse. Tous les habitants du village et de tous
les alentours étaient réunis autour du ring improvisé. Les combats ont duré six heures durant,
les lutteurs se succédaient sans cesse sur le ring, parfois deux ou trois combats avaient lieu en
même temps. Les enfants imitaient les lutteurs en courant autour du ring pendant toute la
durée de la cérémonie. Il s’agissait d’une véritable fête avec un orchestre, des danseuses en
67
costumes, le tout au milieu du sable avec quelques dizaines de chaises pour les centaines de
personnes présentes.
Il s’agit là d’une pratique culturelle extrêmement populaire et nous pouvons pourtant la
qualifier de théâtrale puisqu’elle est mise en scène.
La lutte est scénarisée un peu à la manière du catch américain. Le perdant n’est pas déterminé
à l’avance mais il y a toute une cérémonie préparée avant le contact physique et le combat
réel.
Les deux combattants se tournent autour comme deux animaux, se donnent de légers coups
qui font penser à des fauves qui joueraient. Cette partie là du match est la plus longue, elle est
pourtant chorégraphiée comme un ballet. Au delà de la chorégraphie, il y a aussi des
costumes. Les lutteurs sont recouverts de différents grigris porte-bonheur. Les supporters
enduisent les sportifs d’huile afin de leur porter chance. La mise en place des grigris a lieu en
public. Tout est ritualisé à l’extrême. Les discours des lutteurs, des entraîneurs, des soutiens
divers viennent poser un texte sur cette cérémonie déjà très théâtrale.
Le film sénégalais La Pirogue a connu un vif succès lors de sa projection à Cannes. La
première scène a lieu dans un stade dakarois et l’on peut y voir un match de lutte et toute la
foule qu’il réunit. La bande-dessinée L’Afrique de Papa d’Hippolyte porte aussi un regard sur
ce sport et en démontre particulièrement bien l’importance pour le pays.
La pièce La Tragédie des Indépendances débute sur une scène de lutte en Zanzibie, pays
imaginaire que l’on peut facilement assimiler au Sénégal. Cette scène a pour but de faire une
comparaison entre ce sport national et les oppositions politiques. Le présentateur de la pièce
fait clairement la mise en comparaison : « Vous allez voir deux champions de lutte :
Namourou Biafrana d’une part et Sangalaane derrière qui le peuple s’est rassemblé, d’autre
part. »82. Cette assimilation entre lutte et arène politique n’est pas innocente et trouve
naturellement sa place dans ce mémoire.
La lutte intégrée dans les pièces les rend plus populaires. C’est aussi une façon de populariser
les oppositions politiques auprès d’une population qui se détourne des politiciens corrompus.
82
Amadou Moustapha Wade, La Tragédie des Indépendances, NEA, 1987.
68
Section 3 : La barrière linguistique dans la compréhension des pièces francophones
Les personnes que j’ai eu l’occasion de rencontrer s’accordent toute sur un point : le véritable
barrage à un théâtre populaire est la langue.
Le français est la langue officielle du Sénégal, cela est consacré dans l’article un de leur
constitution. C’est donc la langue parlée dans l’administration et à l’école. Mais en réalité les
francophones au Sénégal représentent seulement 10% de la population83. Il y a une vingtaine
de groupes linguistiques dans le pays mais 80% de la population parle le wolof. Les
sénégalais sont tous polyglottes : ils parlent le dialecte de leur tribu d’origine, celui que leur
mère ou leur père parle, le wolof pour communiquer dans la rue et le français à l’école. La
persistance du français même après l’indépendance a été vue comme une solution pour
préserver l’unité du pays. Aujourd’hui il est parlé dans les hautes sphères et l’administration
mais il n’est pas une langue courante que l’on entend dans la rue.
Les politiques restent inactifs face à cette situation. Aucune décision ferme n’est prise ; ni
pour faire du wolof la langue officielle, ni pour améliorer l’apprentissage du français. Il en
découle que la maîtrise du français va être synonyme de pouvoir. Elle est pourtant cantonnée
à une minorité. Senghor était un grand défenseur de la francophonie ; il ne souhaitait
absolument pas que le français soit supprimé à l’école. Pour lui, la langue wolof est trop
pauvre grammaticalement, elle ne présente pas toutes les possibilités du français.
J’avais été particulièrement étonnée lors de mon premier séjour lorsque je m’étais rendue dans
une école de brousse à Louly’N’Gogome. Les enfants ne comprenaient pas un mot quand je
m’adressais à eux, pourtant les cours étaient donnés en français. L’imposition de cette langue
à l’école est sans nul doute un facteur d’échec scolaire et d’abandon.
Nous voyons d’après ces observations que les pièces jouées ou écrites en français ne
concernent finalement qu’une part infime de la population. Les représentations en français
sont un symbole de la domination, non pas de l’étranger, mais des élites locales, puisque la
maîtrise de cette langue est nécessaire à une ascension sociale.
83
Toutes les informations chiffrées relatives à la langue au Sénégal sont tirées de l’article de Mamadou Cissé,
« Langues et Glottopolique au Sénégal », Ethiopiques, n°87.
69
Les pièces jouées en wolof viennent confirmer cela. Elles parviennent toujours à rassembler
les foules. Le directeur du Théâtre Sorano, Ousmane Diakhate, me disait que L’Os de Mor
Lam de Birago Diop avait connu un succès sans précédent. Même dans sa version française, la
pièce conserve quelques phrases en wolof.
J’ai eu l’occasion de parler de ce problème avec le dramaturge Marouba Fall. Nous parlâmes
de sa pièce Adja, militante du G.R.A.S qui a été jouée et écrite en wolof : « Mais il y a Adja,
militante du G.R.A.S que j ai traduite en wolof. Cette pièce de théâtre a drainé toutes les
masses. C'est vraiment du théâtre populaire. Cela a intéressé tout le monde. La salle de
spectacle du Théâtre National Daniel Sorano était archi comble au moment des
représentations, en 1983. Quand je rentrais chez moi, en car rapide, après le spectacle, il y
avait des femmes engagées dans le militantisme politique qui commentaient la pièce et elles
s'étaient reconnues dans le personnage d’Adja Rama. Elles avaient bien compris la pièce
jouée dans la langue wolof qu’elles parlaient toutes. »84
Section 4 : Comment faire un théâtre accessible à tous ?
La première des choses à faire pour populariser le théâtre est de faire des représentations en
wolof. Cela permet de supprimer une première barrière qui élimine 90% du public potentiel. Il
faut aussi organiser des pièces dans des endroits non-sacralisés, des lieux de vie commune,
dans la rue par exemple.
Il faut aussi que le public puisse s’identifier aux personnages des pièces. Dans cette optique,
plusieurs pièces vont aborder les problèmes du quotidien, la pauvreté, les problèmes de la
femme qui doit s’occuper sans cesse des enfants et de la cuisine.
Pour se rapprocher d’un public moins restreint, les dramaturges tentent aussi de varier la
forme de leurs pièces. Ils font des comédies alors que le genre est très peu exploité dans le
pays.
C’est le cas de L’Os de Mor Lam de Birago Diop. Dans cette pièce, Mor refuse de partager un
os avec son frère. Il ira jusqu’à simuler la mort pour que son frère parte et qu’il puisse manger
tranquillement son os avec sa femme. Mais son égoïsme va si loin, qu’il ne sait pas s’arrêter
84
Extrait de l’entretien réalisé avec Marouba Fall le 30 juillet 2012
70
quand tout le village organise sa cérémonie funéraire. Finalement il sera enterré vivant, son
frère mangera son os et épousera sa femme.
Mr Pots de vin et Consorts est aussi une comédie très connue dans le pays. Elle a été écrite
par Maurice Sénar Senghor. Elle porte un regard sur la corruption des petites élites locales.
Tous les notables d’une petite ville vont donner des pots-de-vin à un inspecteur afin que celuici ne soit pas trop regardant sur les pratiques du village. Mais manque de chance, la personne
qu’ils paient n’est pas l’inspecteur et l’inconnu part avec son petit magot laissant les
corrompus ruinés, prêts à recevoir la visite du vrai inspecteur.
Sur cette question, Marouba Fall pense que si la pièce est comique, le sujet ne doit pas en être
léger pour autant.
« Le burlesque que l'on voit à la télé, à travers les productions appelées chez nous
« dramatiques », nuit à l’art dramatique. Pour faire venir les gens au théâtre, on n’a pas besoin
des recettes du théâtre amateur, on ne doit pas tourner le dos aux textes classiques, bien écrits
et bien structurés.
On utilise un langage accessible à tous les publics et des thèmes qui intéressent tout le monde.
Cela ne signifie nullement négliger l’écriture dramatique ou aborder des sujets terre à terre. Le
problème est de réussir un théâtre populaire, au sens positif du terme, c'est-à-dire un théâtre
qui ne soit pas un théâtre de classe, excluant une certaine catégorie de spectateurs »85
Il est donc très délicat de faire une comédie sans tomber dans la farce grotesque. Les
dramaturges devront pourtant relever ce défi pour constituer un théâtre du peuple qui aurait
une mission pédagogique et sociale. Nous avons vu que la langue est une des premières
barrières à la popularité des pièces, nous allons à présent observer que la présence de la
France s'étend au delà du langage employé.
85
Extrait de l’entretien réalisé avec Marouba Fall, le 30 juillet 2012
71
Chapitre II: L’influence persistante de la France
Nous l’avons vu dans une partie introductive, le théâtre a beaucoup évolué sous la
colonisation. Il s’est radicalement transformé pour se plier au modèle français imposé. Cette
influence n’a pas pris fin avec la colonisation.
Aujourd’hui encore, la France reste présente dans les écrits, en tout premier lieu dans la forme
même du théâtre. On trouve aujourd’hui au Sénégal des pièces divisées en acte et en scène,
selon le découpage du théâtral grec classique. Les pièces sont écrites, la société de l’oralité a
bel et bien pris fin. Les rituels sont l’apanage de quelques tribus qui vivent dans des villages
de brousse isolés. De nouveaux divertissements culturels ont vu le jour et ont pris le relais des
soirées de conte.
La création du Fesman, le Festival des Arts Nègres, permet une affirmation de la culture
africaine en dehors du modèle occidental. Mais les Arts Nègres et notamment le théâtre est
aussi mis à l'honneur lors du festival des Francophonies de Limoges. Celui-ci se déroule en
France et propose chaque année une large programmation de pièces d'origine africaine. A ce
jour, aucun festival d'une telle envergure n'a vu le jour en Afrique.
Les financements de l'art dramatique sont aussi liés à la France. En 1990, l'agence Afrique en
Créations est créée. Elle amène un soutien aux créations théâtrales du continent mais est
financièrement soutenue par le ministère français de la Coopération. Cette agence organise la
remise de prix annuellement et publie la revue Afrique en scène. Le MASA, Marché des Arts
du Spectacle Africain, assure la promotion des spectacles africains francophones. Cette
structure a été créée à Liège, elle est aujourd'hui située à Abidjan.
L’influence de la France est partout palpable. Le pays est toujours considéré comme un
modèle de développement pour le Sénégal. Chaque sénégalais s’est rendu en France ou a de la
famille dans l’Hexagone. L’exil revient sans cesse comme un thème récurrent dans les
conversations.
Cette influence transparaît dans les écrits. Je n’ai pas trouvé de pièce de théâtre qui traite de
ce sujet mais les romans sont nombreux. Cela laisse penser que les dramaturges écriront eux
aussi sur ce thème dans les années à venir. Le livre de Fatou Diome, Le Ventre de
l’Atlantique, a connu un grand succès en France et au Sénégal. Elle nous narre l’histoire d’une
72
femme sénégalaise exilée en France qui multiplie les petits boulots et vit très pauvrement.
Pourtant sa famille restée au pays l’imagine riche et lui reproche de ne pas leur envoyer plus
d’argent. Elle va tenter de briser cette image paradisiaque que ses proches ont de la France.
Tout le livre est un cri contre l’exil vécu comme une solution à la pauvreté.
Le dramaturge Marouba Fall a lui aussi écrit sur ce thème dans son roman Casseurs de
Solitude. Il y raconte ses impressions suite à un voyage qu’il a effectué dans le Nord de la
France. L’écrivain a été frappé par la solitude des habitants, lui qui ne connaissait que la vie
en communnauté que mènent ses compatriotes.
Ces deux témoignages nous montrent qu’une critique de l’exil est en train d’émerger. Il n’est
plus vu comme l’unique solution pour sortir de la pauvreté. Mais cette opinion se limite
aujourd’hui au cercle des intellectuels du pays. Les liens avec la France demeurent malgré
tout très nombreux.
Il y a une sorte de fatalité dans ce constat. Boniface Mongo Mboussa explicite une des
grandes problématiques qui traverse la littérature africaine. Les écrivains d’Afrique sont
malgré eux reliés à l’Occident et cela pour des considérations économiques. En effet, leurs
écrits s’adressent avant tout à un public africain afin de le « décomplexer face à l’homme
blanc »86. Il s’agit là de son public de cœur, selon l’expression de l’auteur. Pourtant, c’est le
« public de raison », les lecteurs occidentaux, qui va acheter les ouvrages et donc décider de la
continuité ou non du travail de l’artiste. Ces deux publics recherche des choses différentes
dans le livre et cela va être toute la difficulté de l’auteur, trouver un juste milieu entre ces
deux publics. Le public de raison va demander un certain exotisme dans l’écrit, le public de
cœur va vouloir lire une image embellie de son continent. L’auteur doit donc demeurer
autonome des attentes de ces publics afin d’écrire sans entrave. Cette autonomie ne sera
permise que par la création de maisons d’édition africaines.
Mais selon Boniface Mongo Mboussa, ces maisons d’édition, du type des Nouvelles Editions
Africaines du Sénégal, ne s’intéressent qu’à la « haute littérature », c’est-à-dire aux essais, à
la poésie, aux romans. Or ce ne sont pas les genres les plus populaires et donc les plus
rentables. Ces éditions ont donc souvent des problèmes financiers. Par ailleurs, un autre
86
Boniface Mongo Mboussa, Désir d’Afrique, collection Monde Noir, Ed Gallimard, 2008.
73
phénomène joue en la défaveur de ces entreprises : les lecteurs africains ont une préférence
pour les productions occidentales.
Certaines initiatives intéressantes sont tout de même en train d’émerger. L’écrivaine Aminata
Sow Fall a crée une maison d’édition à Dakar à laquelle elle a associé un centre culturellibrairie, celui-ci organisant des débats et assurant ainsi une part de la diffusion des ouvrages.
Ce genre de projet va permettre l’émergence d’une littérature plus libre par rapport à son
public et ses attentes. Les écrivains revendiquent le droit à une écriture libre ; cette
revendication s'applique notamment au sujet de leurs écrits. Parce qu'ils vivent en Afrique,
nous pensons que les écrivains doivent parler des maux du continent pauvre. Pourtant leur
littérature tend à s'en détacher, à s'universaliser pour toucher un public de plus en plus large.
Chapitre III : Faire une littérature de l'universel
Alors que les critiques littéraires occidentaux n’ont de cesse de parler des « écrivains
africains », les auteurs du continent se révoltent. Ils en ont assez d’être assimilés à l’Afrique et
à ses malheurs. Cette assimilation suppose le traitement de sujets de prédilection ; la guerre, la
famine, la pauvreté, la maladie... Et l’art dans tout cela ? C’est ce que les auteurs revendiquent
désormais : le droit d’écrire pour faire des ouvrages d’art et ne pas nécessairement dénoncer
les injustices dont l’Afrique est victime.
Boniface Mongo Mboussa traite de ce phénomène dans son ouvrage Désir d’Afrique. Le
critique littéraire a eu l’occasion de rencontrer des dizaines d’auteurs venus de tout le
continent africain et à chaque fois cette volonté de se détacher de l’Afrique émerge de leur
discussion.
Je me suis dans un premier temps questionnée sur l’existence effective d’une littérature
africaine. La dramaturge togolais, Kossi Efoui, affirmait lors d’une interview avec Boniface
Mongo Mboussa que cette littérature là n’existe pas, il s’agit seulement d’une classification
mais elle n’a aucune conséquence sur le fond ou la forme des textes.
J’ai aussi interrogé Marouba Fall à ce sujet. Son avis est quelque peu différent : une littérature
africaine a bel et bien existé mais cet intitulé ne fait plus sens aujourd’hui. Il distingue trois
74
temps dans la littérature : le premier temps correspond aux années 1950 jusqu’en 1980.
Durant cette période, les auteurs ont affirmé l’identité de l’Afrique. Le continent s’est opposé
en bloc à la domination blanche, cette union s’est naturellement retrouvée dans la littérature.
Cela correspond à la génération de Senghor. Le second temps est celui des littératures
nationales. Une fois les pays indépendants, ils se sont affirmés dans le cadre de leurs
frontières nationales. Les auteurs ont alors participé au processus de construction d’une
identité nationale. Marouba Fall explique ce phénomène ainsi : « L'ère de la littérature
africaine était dépassée car les auteurs s'intéressaient de plus en plus à leurs pays respectifs
dont chacun commençait à s’affirmer. Les États Unis d'Afrique avaient échoué. Les pays
africains ayant acquis la souveraineté se repliaient sur eux-mêmes, cherchant chacun à se
développer suivant une voie de développement choisie. »87. Le troisième temps correspond à
la période actuelle : nous pouvons désormais parler d’une littérature universelle. Nous ne
pouvons affirmer la nationalité d’un auteur à la simple lecture d’un de ses ouvrages. Les
écrivains s’ouvrent sur le monde et abordent des sujets qui concernent l’Homme et pas
seulement l’Homme africain. Marouba Fall se définit comme « un citoyen du monde »88.
Selon ces deux témoignages la conclusion est claire : de nos jours, la littérature africaine
n’existe pas. D’où cette volonté de se détacher du continent. Les auteurs s’adressent aux
lecteurs de tout pays. Eux mêmes ne se voient plus comme des africains : « Le brassage fait
que je ne sais pas qui est qui, que je ne sais plus quelle culture, quelle civilisation je dois
légitimement revendiquer en dehors de la Civilisation de l’Universel. Je ne me pense pas
comme un Africain quand je séjourne en France, je parle mieux le français que beaucoup de
Français et je connais mieux leur littérature. Où est la différence alors ? »89.
Parler de littérature africaine, c’est piéger les auteurs dans un cadre trop restreint en leur
imposant des thèmes récurrents. La notion d’universalité leur permet une libération effective
et une ouverture au monde. Les auteurs du continent africain sont aujourd’hui parvenus à
prendre le train de la mondialisation en marche.
87
Extrait de l’entretien réalisé avec Marouba Fall, le 30 juillet 2012
Ibid.
89
Ibid.
88
75
Cette volonté d’universalité n’est pas une idée nouvelle, elle revient couramment dans les
débats puisqu’elle a été formulée en premier lieu par Léopold Sédar Senghor, qui en avait
même fait son cheval de bataille. Cette théorie entre dans la construction de la négritude.
Nous l’avons déjà vu, selon le poète-président, l’Homme noir doit affirmer son identité et cela
passe par une valorisation de son histoire et de sa culture. Une fois cette négritude assumée,
l’africain souhaitera s’ouvrir au monde. Senghor veut prouver que cette ouverture peut se
faire sans que les africains n’aient à renier leur identité.
Il défend ainsi l’existence d’une « Civilisation Universelle ». Dans celle-ci, chacun des
peuples aurait une caractéristique complémentaire avec celles de leurs voisins. Tous les
peuples pourraient se rassembler dans un « rendez-vous du donner et du recevoir ». Les
africains, tout comme les européens, ont quelque chose d’enrichissant à amener à cette
civilisation globale. L’africain est un homme d’émotions, il peut donc amener sa contribution
à l’occident qui a perdu son humanisme dans son matérialisme. Sa culture est aussi très riche
et ses apports à l’art mondial sont non-négligeables.
L’affirmation de cette richesse permet d’asseoir la légitimité de l’Homme africain comme
citoyen du monde. Il est l’égal de son voisin blanc et peut lui aussi prendre part au système
international.
Cette idée de civilisation universelle va être très marquante chez les auteurs sénégalais, c’est
d’ailleurs sur les paroles de Senghor que Marouba Fall se base pour expliquer son désir
d’universalité.
Nous avons explicité les grandes valeurs dont les pièces sénégalaises sont porteuses. Cette
démarche fait aussi partie de la recherche de l’universalité. Si les valeurs s’inscrivent dans un
contexte africain, elles sont tout de même compréhensibles par tous et applicables à toutes les
sociétés. La présence des ces grandes valeurs rendent les pièces intemporelles d’une part et
universelles de l’autre.
76
CONCLUSION
L’étude du théâtre au Sénégal m’a souvent ramené à un ultime paradoxe ; cet art est l’apanage
d’une partie de la population et demeure méconnu de la plupart, pourtant il fait bel et bien
partie de la culture nationale. Dans une société de l’oralité, le théâtre et les formes
parathéâtrales sont présentes dans la vie quotidienne, c’est ce que j’ai tenté de montrer dans
une première partie consacrée à une perspective historique de cet art. Dans cette approche j’ai
mis en avant l’importance de la culture orale dans les sociétés africaines. J’ai aussi recadré
mon étude sur l’Afrique noire française en soulignant le rôle jouée par la puissance coloniale
sur les œuvres théâtrales du XIX et XXème siècle. Les colonisateurs français ont durablement
influencé l’art théâtral au Sénégal, notamment dans sa forme écrite. Le fait même d’écrire les
pièces est une pratique occidentale, les sociétés africaines partageaient leurs connaissances
dans l’oralité.
Cette observation historique se confronte pourtant à la réalité du terrain : le Sénégal est un
pays en voie de développement et le théâtre ne fait pas partie des priorités dans les politiques
publiques. Le faible taux de scolarisation et la grande part d’analphabétisme du pays laissent
aussi deviner un désintérêt pour cet art scénique mais aussi littéraire. Si le théâtre comme
spectacle vivant peut rencontrer un certain succès, les textes publiés restent cantonnés aux
foules estudiantines.
En prenant cette observation en considération, j’ai évité de me lancer dans une étude
sociologique ambitieuse du type de celle de Bakari Traoré qui voulait démontrer les fonctions
sociales du théâtre. Mes recherches m’ont confortée dans cette décision, si l’aspect politique
des pièces est existant, nous ne pouvons pas dire pour autant qu’il ait une influence directe sur
la population. Ce mémoire vise plutôt à déterminer la place du théâtre dans la société
sénégalaise contemporaine mais surtout à souligner le lien permanent entre cet art et la
politique.
L’analyse des textes mais aussi les entretiens menés au Sénégal ont confirmé les liens
existants entre le théâtre et la politique. Ces liens sont de différentes natures. Le principal est
sans nul doute l’influence de la politique comme sujet d’inspiration pour l’écriture
dramatique. Les dramaturges se nourrissent de la vie publique et des grands thèmes politiques
pour construire leurs œuvres. L’analyse des textes nous laisse voir cette influence constante.
77
Au delà des textes, les auteurs sont eux mêmes engagés en politique. Il s’agit là d’un second
lien, cette fois-ci entre les dramaturges et la vie publique du pays. Un troisième lien est à
établir entre les hommes politiques et les hommes de lettres. Du temps de Senghor, l’analogie
était facilement remarquable. Le poète président s’entourait de ses amis artistes et faisait lui
même parti du cercle des élites intellectuelles. Cette relation entre politiciens et auteurs est
toujours d’actualité. Pour démontrer cela, je me suis notamment appuyé sur la biographie de
deux dramaturges ; Marouba Fall qui fut un des soutiens de la candidature d’Abdoulaye Wade
et Alioune Badara Beye, lui aussi défenseur du président déchu et impliqué dans les hautes
sphères du pouvoir. Enfin il faut expliciter un dernier lien entre les hommes politiques et les
institutions culturelles. Les deux principaux théâtre du pays sont rattachés à des personnages
politiques, Léopold Sédar Senghor pour le Théâtre National Daniel Sorano et Abdoulaye
Wade pour le Grand Théâtre National.
Plusieurs des observations auxquelles j’ai abouti auraient pu constituer en soi un sujet de
mémoire. Mais les informations sur ces thèmes sont difficilement trouvables et une étude
approfondie aurait nécessitée un travail de terrain plus long et plus de temps de recherche.
Ces thèmes évoqués rapidement ne manquent pourtant pas d’intérêt, je pense notamment à
l’omniprésence de l’Histoire dans les pièces de théâtre. Cette récurrence constitue aussi une
difficulté à surmonter pour construire la structure de ce mémoire. J’ai du démontrer à
plusieurs reprises toute la dimension politique de l’utilisation de l’Histoire en m’appuyant
pour cela sur la pensée de Senghor, la Négritude.
Le rôle de l’homme blanc dans les pièces et la description qui est faite de la colonisation
française en Afrique sont aussi des sujets qui mériteraient une étude plus approfondie. Il aurait
été intéressant de comparer la représentation de la colonisation dans les pièces et la vision de
celle-ci par les populations, en se gardant là encore d’analyser l’influence des pièces sur les
sénégalais puisque la plupart sont à mille lieux des sphères théâtrales.
Par ailleurs, l’école de William Ponty constitue en soi une illustration symbolique de
l’influence culturelle que la colonisation a pu avoir dans le pays. Malheureusement les
informations sur cette institution sont parsemées dans de nombreux ouvrages et on ne peut les
regrouper en un temps limité.
78
Les évolutions récentes, du point de vue culturel mais aussi politique, laissent présager des
changements dans les années à venir. Il faut tout d’abord noter le changement de directeur à la
tête du Théâtre Sorano de Dakar. Suite à la direction d’Ousmane Diakhaté pendant dix sept
ans, la nomination de Massamba Gueye est un bouleversement pour l’institution. L’artiste
prend la suite du théoricien. Pour exemple de ces changements, la première édition du festival
des « Trophées francophones du cinéma » qui a été accueilli au théâtre Sorano. Pour cela les
deux théâtres de la ville ont travaillé en collaboration, le Grand Théâtre National accueillant
les spectacles du Sorano durant la durée du festival90. Cette collaboration montre une volonté
nette d’en finir avec la rivalité qui semblait animer le Sorano à l’encontre de son jeune frère.
Le Grand Théâtre travaille lui aussi d’arrache pied pour redorer l’image de l’art dramatique
dans le pays et à l’étranger. La directrice entend ouvrir l’institution à des publics plus
hétérogènes. Au mois d’août 2012, elle lançait le Ramadan du Grand Théâtre et déplaçait les
spectacles en banlieue de Dakar. Au mois de novembre 2012, la décentralisation a lieu dans
les régions. Ces initiatives de la part de Youma Fall permettent de tourner la page d’un vieux
théâtre sacralisé réservé aux élites.
L’art dramatique est un élément non négligeable de la culture sénégalaise. Il fait partie de la
culture artistique du pays, il est dans un même temps porteur de la culture nationale, de
l’Histoire du Sénégal.
90
Site du Théâtre Sorano de Dakar, article Actualité :
http://www.theatresoranodusenegal.com/rubriques.php?rub=article.php&id_article=49
79
ANNEXES
Sommaire des annexes
Annexe 1 : Le Théâtre National Daniel Sorano ....................................................................... 1
Annexe 2 : Le Grand Théâtre National ................................................................................... 2
Annexe 3 : Entretien avec Marouba Fall, dramaturge .............................................................. 3
Annexe 4 : Interview de Youma Fall, administratrice du Grand Théâtre ............................... 14
Annexe 5 : Entretien avec Ousmane Diakhaté, directeur du Théâtre Sorano .......................... 17
Annexe 6 : Lettre du président Léopold Sédar Senghor ......................................................... 20
Annexe 7 : Compte rendu d’une réunion au ministère de la culture sénégalais en 1976 ......... 21
Annexe 1
Le Théâtre National Daniel Sorano de Dakar
1
Annexe 2 :
Le Grand Théâtre National
Le Grand Théâtre National vu du périphérique de Dakar
2
Annexe 3 :
30 juillet 2012
Entretien avec Marouba Fall, dramaturge sénégalais
· Le théâtre peut-il exprimer directement des idées politiques tranchées ?
L’Art ne s'exprime pas directement. L'artiste dramatique ne pose pas des problématiques
politiques de façon abrupte, il suggère, il parle par image, par symboles. L’Art s'adresse à
l'Homme car il est intemporel. C'est pourquoi on lit encore avec intérêt les pièces de Molière
et de Racine.
Il ne s'agit pas de dire directement les choses sans quoi on les fige dans un temps qui sera
révolu et dans un espace non ouvert à tous.
· Est-ce qu'aujourd'hui on peut encore parler d'une littérature africaine ? Est-ce
que vous pensez qu'il existe une littérature sénégalaise ?
La littérature en Afrique évolue. Les écrivains de la génération de Senghor ont parlé de
littérature africaine car ils posaient les problèmes de l'Afrique vue dans sa globalité, une
Afrique encore sous le joug colonial. Les écrivains africains de la première génération avaient
le même objectif. C'est pourquoi la littérature n'avait pas de cachet autre que celui que lui
conférait la couleur raciale de ceux qui l’écrivaient. L’écrivain africain, poète, romancier ou
conteur, s'identifiait à un continent qui avait le même combat : prouver qu’il n’était pas une
terre de barbarie, qu’il avait une histoire propre et surtout une civilisation. Vers les années
d’indépendance et une décennie après les indépendances, soit entre 1945 et 1970, la littérature
africaine a prolongé certains thèmes relatifs à la valorisation de la culture et de l’histoire du
continent noir et développé d’autres pour s’attaquer aux séquelles de la colonisation. Vers les
années 80, on a parlé des littératures nationales, en Afrique. L'ère de la littérature africaine
était dépassée car les auteurs s'intéressaient de plus en plus à leurs pays respectifs dont chacun
commençait à s’affirmer. Les États Unis d'Afrique avaient échoué. Les pays africains ayant
acquis la souveraineté se repliaient sur eux-mêmes, cherchant chacun à se développant suivant
une voie de développement choisie. Aujourd'hui, je veux dire à partir des années 90, on ne
peut plus parler de littératures nationales. Dans mon recueil d’essais Lis tes ratures1, j ai
publié un texte qui aborde l'évolution de la littérature africaine qui aboutit aujourd'hui à une
3
littérature universelle, une littérature qui regarde au-delà de l’Afrique car l’ailleurs est devenu
un espace qu’investissent les Nègres pour se forger un destin d’homme tout court.
Aujourd'hui, je n'écris pas comme Senghor qui se posait en défenseur et illustrateur des
valeurs de civilisation du monde noir. Je ne parle pas que de réalités sénégalaises non plus.
Mon récit Betty Allen ou la liberté en question, ainsi que mon roman Casseurs de solitude
sont des œuvres qui s'ouvrent au monde, le premier abordant les causes et les conséquences
des attentats du 11 septembre 2001, et le second le problème de la situation des Français issus
de l’immigration. Je ne me considère plus seulement ni comme Africain ni comme Sénégalais
encore moins comme un Nègre. Je revendique un statut de citoyen du monde. J'écris pour tous
les Hommes, pas exclusivement pour les Africains. Je parle de problèmes universels. Le
problème des banlieues, par exemple ; « Banlieusards du monde, unissez vous, vous avez les
mêmes problèmes », voilà à peu près le message que je lance dans Casseurs de solitude.
Pour résumer mon propos, il faut retenir qu’il y a trois phases dans l’évolution de la littérature
négro-africaine d’expression française : une étape de la littérature africaine puis une étape des
littératures nationales et en dernier lieu la phase actuelle qui concerne l’étape de la littérature
universelle.
Il fut un temps où l’écrivain africain utilisait le français pour défendre les valeurs de
civilisation du monde noir, un autre où il empruntait la langue de Hugo pour dénoncer
l’impérialisme européen aussi bien que la dictature des dirigeants africains. Aujourd'hui, on
peut lire des livres en Afrique Noire sans deviner l’origine et la nationalité de l'auteur qui
n’aborde plus de question raciale ou nationale, évite de donner une couleur locale à son œuvre
pour ne parler que de l’Homme et de son destin d’être humain.
· Dans Désir d'Afrique de Boniface Mbongo Moussa, l'auteur avance que les
écrivains africains en ont assez d'être sans cesse assimilés à leur continent. Ils
veulent désormais avoir des productions artistiques qui se détachent des
problématiques africaines.
Nous parler de littérature africaine, c'est nous piéger. La littérature, c'est la littérature. Au
début, l’écrivain africain a tenu à jouer le jeu car il y avait un enjeu qui le méritait : des
revendications à formuler, des vérités à rétablir sur l’histoire et les réalités africaines mal
connues et mal rendues par les chercheurs occidentaux et africanistes de tous bords.
4
L'Africain n’était pas considéré comme un être humain à part entière. Il a fallu utiliser le
français et les autres langues occidentales pour présenter et illustrer nos valeurs de
civilisation. Après les indépendances, il fallait aussi se positionner, bien marquer notre
présence au monde. Mais aujourd'hui, ce que nous revendiquons, ce n’est point un statut
d'homme différent, enfermé dans une couleur ou un continent marginalisé par son sousdéveloppement mais un statut de citoyen du monde. Le problème de la libération est dépassé
depuis les années 60. Nous demandons les droits humains car nous faisons partie de
l’humanité. Ni Africain ni Sénégalais, je suis un homme tout court, et c’est en tant qu’homme
que j’écris désormais.
Le monde est devenu un grand village, nous avons tous droit de cité dans ce village. Le
brassage
fait que je ne sais pas qui est qui, que je ne sais plus quelle culture, quelle
civilisation je dois légitimement revendiquer en dehors de la Civilisation de l’Universel. Je ne
me pense pas comme un Africain quand je séjourne en France, je parle mieux le français que
beaucoup de Français et je connais mieux leur littérature. Où est la différence alors ?
· Pourtant vous utilisez beaucoup votre histoire nationale comme source
d'inspiration dans vos œuvres, cela va aboutir à des écrits très sénégalais.
L'histoire telle qu'elle est utilisée dans mes pièces de théâtre est un prétexte. Il ne s'agit pas de
restituer l'histoire telle quelle, c'est-à-dire de reconstituer les faits dans leur dimension
historique. Dans L'exil d'Albouri, l'auteur, Cheikh Aliou Ndao dit qu'il s'agit de « créer des
mythes qui galvanisent et portent en avant ». Il ne s agit pas de présenter les héros tels qu'ils
ont existé. Cela n''intéresserait ni les spectateurs d’aujourd’hui ni ceux de demain que je leur
présente un Chaka identique à celui que Thomas MOFOLO a peint dans son récit épique.
Dans Chaka ou le roi visionnaire que j’ai écrit en 1978 et publié en 1984, je ne parle pas
d’une histoire qui s’est passée en Afrique du Sud ni d’un personnage précis ; je parle du
problème du pouvoir en Afrique en général. Il y a une part de la personnalité des personnages
historiques qui peut nous intéresse. C'est cela qui nous sert de point d'appui pour réinterpréter
leurs aventures au profit de nos contemporains et dont la postérité pourra aussi s’en inspirer.
Quand je parle de Chaka, je n ai pas la prétention de restituer son histoire. Pour moi, le chef
zoulou est un type d’hommes politiques que nous avons connus en Afrique Noire et qui ont
deux visages : celui du libérateur qui sauve et celui du tyran qui sème le mal. Il y a eu, en eux,
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à la fois, l'ange et le démon. Dans tous les hommes politiques, il y a presque toujours ces deux
aspects-là. On dit souvent que celui qui veut faire des omelettes doit casser des œufs. Sékou
Touré de la Guinée incarne très bien ce type d’homme politique. Il a dit non à De Gaulle mais
il aurait martyrisé son peuple par la suite.
Si j ai utilisé l'Histoire dans Allin Sitooye Jaata ou la Dame de Kabrus, ce n'était pas
seulement pour glorifier la prêtresse mais aussi pour apporter ma contribution dans le
problème douloureux de la Casamance. C'est pourquoi je l'ai présentée comme pacifiste. Elle
défend des valeurs spirituelles mais comme c'était un leader d opinion, les Français voyaient
son action d'un mauvais œil. Elle demandait aux gens de s'accrocher à leurs traditions. Je me
suis servi de son personnage pour véhiculer mon message d’unité nationale. Aliin avait entre
20 et 23 ans, c'est très jeune pour les idées que j’ai mises dans sa bouche. J'ai beaucoup
anticipé dans la pièce. Au théâtre, il le faut pour que le personnage soit à la hauteur des
contemporains. L’anticipation a été facilitée par le fait qu’Aliin était une visionnaire, une
prêtresse qui pouvait lire l’avenir. À un moment donné, vers la fin de la pièce, elle parle de
Tombouctou, car elle sera déportée au Mali et c'est là qu'elle mourra dans la réalité.
L’histoire comme source d’inspiration rattache forcément une œuvre à un pays ou à un
continent précis. Cependant les problèmes posés dans les pièces historiques sont avant tout
des problèmes humains, susceptibles d’intéresser tout spectateur. La gestion du pouvoir
politique, la lutte pour la liberté, sont, me semble-t-il, des thèmes universels. Et puis il est
difficile de s’ouvrir au monde quand on n’est pas solidement enraciné dans sa terre ancestrale,
dans les réalités de son pays.
· Vous entretenez des relations avec votre lectorat. Vous le sollicitez même à
travers votre site internet. Pouvez-vous me dire aujourd'hui qui sont vos
lecteurs ?
Le public qui s'intéresse à mon œuvre est un public essentiellement scolaire et universitaire.
Surtout lorsqu’il s’agit de textes écrits en français. C'est un public d’intellectuels puisque, audelà de la langue, mes oeuvres véhiculent un message que je veux d’une certaine hauteur.
[…]
Mais il y a Adja, militante du G.R.A.S que j ai traduite en wolof. Cette pièce de théâtre a
drainé toutes les masses. C'est vraiment du théâtre populaire. Cela a intéressé tout le monde.
6
La salle de spectacle du Théâtre National Daniel Sorano était archi comble au moment des
représentations, en 1983. Quand je rentrais chez moi, en car rapide, après le spectacle, il y
avait des femmes engagées dans le militantisme politique qui commentaient la pièce et elles
s'étaient reconnues dans le personnage d’Adja Rama. Elles avaient bien compris la pièce
jouée dans la langue wolof qu’elles parlaient toutes.
C'est la première femme-député analphabète qui m'a inspiré la pièce. Elle captait l'attention de
son auditoire mieux que les intellectuelles qui s’exprimaient en français. C'était
l'effervescence lorsqu’elle prenait la parole. Elle était en parfait communion avec son public.
C’est en 1981 que j’ai écrit Adja, militante du G.R.A.S et, deux ans plus tard, en mars 1983,
la première femme analphabète entrait à l'Assemblée Nationale. Une prémonition.
· Aliin et Adja sont deux femmes, est-ce un engagement féministe de votre part de
raconter l'histoire de ces deux personnages ?
C'est un choix bien motivé. J'ai fait des études sur le théâtre négro-africain de langue
française. Je connais ses faiblesses. Le théâtre sénégalais était misogyne. Peut-être pas par la
volonté des dramaturges mais plutôt par nécessité parce qu'il n'y avait pas de comédiennes au
moment où naissait le théâtre moderne en Afrique Noire. À l'École William Ponty, il n'y avait
que des garçons. Les rôles féminins étaient tenus par des garçons, ce qui explique la tendance
des dramaturges de l’époque à éviter les rôles féminins. Il était hasardeux de faire jouer un
rôle de premier plan à un « travesti » !
J ai voulu combler le vide avec Adja et Aliin. Dans ma pièce de théâtre Le miroir, c'est aussi
la femme, à travers le personnage de l’étudiante Garmi, qui fait marcher les hommes.
Dans toutes mes pièces, j’accorde aux femmes une place importante. Nolivé n'a pas joué un
très grand rôle dans Chaka ou le roi visionnaire qui fait partie de ce que je considère
comme mes œuvres dramatiques d’apprentissage mais après j'ai équilibré les choses. Je suis
très féministe. j ai fait la part belle aux femmes dans l’ensemble de mon œuvre.
· Est-ce qu'avec des comédies du type d'Adja, vous captez un public plus varié ?
Le grand problème de tous les dramaturges, c'est d'aboutir à un théâtre populaire. Il faut
intéresser toutes les couches de la société. J’aborde cette question dans mon essai Théâtre et
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tradition en Afrique Noire francophone Le style d'Adja
est à la portée de tous les
spectateurs. C’est une pièce écrite dans un français à hauteur de tous les publics. Il est simple,
coloré de mots et d’expressions en langue wolof. Le jeu des acteurs aide aussi le public à
comprendre le message, en dehors du langage verbal. Les gestes sont souvent plus éloquents
que les mots Adja, militante du G.R.A.S est une pièce que j ai écrite pour toucher le plus
grand nombre d'Africains. Des Ivoiriens l'ont écoutée dans le cadre du Concours théâtral
interafricain organisé par RFI, en 1981, et sont venus m'en parler pour obtenir l’autorisation
de la monter à Abidjan, alors qu’elle était inédite C'est une pièce qui est aujourd’hui au
programme des collèges, au Sénégal.
· Quelle signification donnez-vous à la nécessité que ressent Adja d'être éduquée à
tout prix ?
Vous voulez parler de la situation d’Adja Rama qui est analphabète en français et qui fait tout
pour apprendre la langue officielle de son pays. Elle veut s’instruire pour réaliser plus
sûrement ses ambitions de politicienne. Et ici, on se trouve en présence d’'une ambiguïté du
théâtre africain où les personnages parlent français mais sont censés s’exprimer dans leurs
langues maternelles. Adja Rama apprend le français alors que dans la pièce toutes ses
répliques sont en français. C'est pourquoi la pièce a été traduite en wolof, au moment de sa
création par la troupe d’Art dramatique de Sorano. C’était
vraiment plus réaliste, plus
conforme à mon dessein d’assurer la vraissemblance.
Le G.R .A.S. (Grand Rassemblement Africain Socialiste, parti auquel Adja Rama adhère dans
la pièce) c'est en fait l'ancien parti socialiste de Senghor.
Cette pièce pose le problème de la francophonie au Sénégal. Adja fait de la politique, elle sait
que le français sera un tremplin pour elle. Sa fille est moins ouverte qu'elle alors qu'elle a été à
l'école. Adja sait que sa promotion passera par la langue française. D'où son acharnement à
apprendre le français, ce qui lui fait découvrir le problème des interférences linguistiques. Elle
rencontre des difficultés avec les mots oncle et mari (référence à une scène de la pièce où
Adja emploie un mot pour l'autre en français car la distinction entre ces deux termes n'existe
pas en wolof).
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· Que pouvez vous dire sur le marabout de la pièce, Buxama ?
C'est un personnage que l'on rencontre en politique. Il y a le griot et le féticheur qui sont des
personnages incontournables quand on parle de politique en Afrique Noire. Le griot flatte les
hommes politiques, les présente sous leur plus beau jour, alors que le féticheur leur promet le
miracle grâce à son pouvoir occulte. Dans Adja Buxama, le faux marabout, est là pour berner
la politicienne ambitieuse, lui faisant croire qu’il peut l’aider à obtenir la promotion dont elle
rêve. Buxama et Gewal, ces deux personnages, sont des escrocs, des complices qui se sont
entendus pour profiter de la crédulité d’Adja Rama.
Je voulais montrer qu'en politique les gens ne comptent pas sur eux-mêmes. Les politiques
doivent avoir un programme et compter sur l’adhésion de leurs concitoyens. C'est cela
qu'explique l'imam quand il dit à Adja Rama qu'elle peut réussir sans eux (le marabout et le
griot), car elle sait ce qu'elle veut et elle a de la suite dans les idées.
· Une pièce de théâtre même historique a toujours des préoccupations
contemporaines, est-ce que nous pouvons considérer Aliin Sitoye comme un
modèle en politique aujourd'hui ?
Je n'aime pas faire d’un de mes personnages un modèle. J'ai voulu poser, à travers la pièce de
théâtre Aliin Sitooye Jaata ou la Dame de Kabrus le problème de la Casamance, j'ai fait de
l’héroïne un chantre de l'unité nationale. Elle représente le Sud du pays mais elle comprend
que le problème qui divise le Sénégal est né pendant la colonisation. Il a été créé par
l'administration qui a divisé pour régner. Le malentendu doit disparaître avec la colonisation.
Elle souhaitait appeler l'enfant qu'elle portait (et qu’elle a perdu du fait de la brutalité du
Colonel Sajous) Sénégal ou Casamance. Ce pays lui appartient, dit-elle, de l’est à l’ouest et du
nord au sud. C’est une façon de militer pour la préservation de l’intégrité du territoire national
dont aucune partie ne peut être soustraite.
Aliin est contre le séparatisme. J'ai voulu utiliser ma pièce de théâtre pour décourager les
velléités indépendantistes en Casamance. Je donne tort aux politiques qui n'ont pas guéri le
mal né de la période coloniale. On aurait pu créer un pont pour que les Casamançais ne se
sentent pas enclavés, isolés du reste du pays et n’aient point l’impression d’être abandonnés,
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exclus en quelque sorte, vivant comme s’ils n'étaient pas au Sénégal. Il y a beaucoup de
choses qu’on n’a pas faites et qui auraient pu être faites depuis longtemps avec une politique
administrative, économique et culturelle de proximité. En plus de tous les problèmes évoqués
pour expliquer l’irrédentisme casamançais, il y a un problème religieux que les observateurs
hésitent à souligner. La rébellion s’est radicalisée pour ainsi dire avec la venue à la tête du
pays des musulmans.
· Il y a souvent un griot dans vos pièces. Est-ce pour vous une façon de renouer
avec un théâtre traditionnel africain?
Dans Chaka ou le roi visionnaire, il y a un Récitant qui apparaît à chaque début d'évocation.
Dans De la Bible au fusil, Banjo Bill tient un rôle similaire à celui du griot traditionnel et du
Récitant.
Dans mes pièces historiques, le Récitant qui présente le drame et, au besoin le commente
avant d’en faire l’épilogue, est assimilable au griot. Ces pièces sont présentées comme des
histoires racontées car nous ne les avons ni vécues ni créées. L’action dramatique qu’elles
reconstituent est évoquée d’où la division des pièces en Évocations et Rétrospectives alors
que les pièces abordant l’actualité comme Adja et Le miroir sont divisées en Visions et
Perspectives.
Le personnage du griot est un personnage qui peut évoquer la tradition africaine car il nous
vient du passé, de notre culture où l’oralité avait une grande importance. Les dramaturges
l’utilisent dans les pièces historiques comme dans les drames modernes car c’est un
personnage spécifique, typique de la société négro-africaine dans son ensemble même s’il
existe des ethnies qui n’ont pas de griot. Il faut tout de même préciser que la présence du griot
n’est pas ce qui fait renouer un dramaturge avec le théâtre traditionnel qui est déterminé par
une structure particulière, un traitement particulier du temps et de l’espace ainsi qu’un recours
à un langage total.
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· Dans Chaka ou le roi visionnaire, quand commence le despotisme du dirigeant
selon vous ?
La pièce comporte deux Évocations. La première montre l'ascension de Chaka qui fait d'une
tribu faible une nation redoutée. Il a réhabilité son peuple. La seconde Évocation montre la
métamorphose du chef zoulou qui instaure un pouvoir personnel, agit contre la volonté et les
besoins de son peuple. C'est là que s’amorce la chute. Dans Chaka, il y a ces deux
mouvements, ces deux temps forts dans la gestion du pouvoir comme c’est le cas dans
l'Afrique d’aujourd'hui où les dirigeants commencent par susciter l’espoir mais finissent en
général, à force de dérives, par décevoir les populations. Quand ils commencent à prendre
goût au pouvoir, ils s'accrochent n’importe comment et n’en font qu’à leur tête. C'est ce qui
est reproché à Chaka qui utilise un fétiche dangereux, un fétiche qui demande du sang,
toujours davantage de sang
Pour moi, Chaka n'est pas un tyran. Son histoire tragique m'a permis de parler du pouvoir en
Afrique Noire. Les pouvoirs qui ont été libérateurs ont ensuite viré à la dictature. Les
écrivains cherchent encore à proposer des modèles de dirigeants, nous n'en avons pas
beaucoup. À travers Chaka, j'ai voulu donner une idée du profil de celui qui incarne le
pouvoir. Lui-même ne reconnaît pas être un tyran. Il faut faire des sacrifices pour bâtir une
nation ; c’est alors que le peuple partisan du moindre effort, pressé de jouir, crie à la tyrannie.
· Est ce que Chaka vous apparaît comme un roi visionnaire quand il parle des
États Unis d'Afrique ?
Les Etats Unis d'Afrique, nous tous, nous en rêvons encore. Nos micro-Etats ne sont pas
viables. Il faut que le continent retrouve son unité, plus exactement son homogénéité d'avant
la venue des Blancs. Kwamé NKRUMAH a défendu cette thèse. Tous les intellectuels pensent
à ça. Senghor pensait qu'il fallait aller vers cette fédération étape après étape. Unité
économique d abord. Ce qui reste réellement difficile, c'est l intégration politique. Chaka est
justement un visionnaire dans ma pièce car il réunit tous les chefs de tribus pour demander
qu’ils unissent leurs forces en formant une seule et grande entité qui préfigure les États-Unis
d’Afrique.
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· Dans la biographie que l'on trouve sur votre site personnel, il est indiqué que
vous êtes « intéressé par la politique », dans quelle mesure s'exprime cet intérêt ?
Tout citoyen devrait s'intéresser à la politique. Il y a un moment où je disais être apolitique.
Avec la maturation qui correspondait à l'avènement de Wade j ai changé de position. Je pense
qu’il faut se salir les mains. Il ne faut pas critiquer les acteurs politiques sur le terrain quand
on croise les bras. J'ai d'ailleurs rédigé un texte intitulé « L’ intellectuel face à la politique »,
dans Lis tes ratures 1. Il ne faut pas se contenter de critiquer, il faut s’engager d’une manière
ou d’une autre, intellectuellement ou bien en militant activement dans un parti politique.
J'ai milité pendant un certain temps dans le PDS (parti démocratique sénégalais) parce que
Wade avait suscité beaucoup d'espoir. Beaucoup de gens ne le savent pas car je n'ai jamais
fait de la propagande ou participé aux batailles de positionnement. Je me suis tenu en dehors
du jeu politicien car je ne veux assumer aucune fonction élective. Je pense juste que j'ai mon
mot à dire et je le dis ou plutôt je l’écris à travers des contributions que la presse locale a
l’amabilité de publier et dont certaines figurent dans Lis tes ratures 1 et les autres seront en
bonne place dans les volumes suivants.
· Est ce qu'on retrouve cet engagement dans vos pièces ?
Mon engagement politique est venu après l'écriture de mes pièces. C'est pour compléter mon
engagement littéraire que je me suis engagé dans un parti que j’ai dû quitter, du reste, pour un
engagement citoyen. Comme Hugo, personnage de SARTRE, je rêvais d’actions directes,
histoire de me salir les mains jusqu’aux coudes plutôt que de rester là à parler ou à écrire des
textes que la majorité des Sénégalais ne pourront pas lire. Malheureusement, j’ai découvert
qu’en politique politicienne, il ne s’agit pas de se salir les mains au boulot mais de se salir
l’âme à force de combines et de compromissions. Malgré ma profonde désillusion, je
reconnais qu’on comprend mieux les choses sur le terrain. Les expériences de Senghor et de
Césaire ont pu ouvrir les yeux à beaucoup de personnes. Il est facile, par exemple, de taper sur
la colonisation mais quand on se retrouve au pouvoir, les choses sont différentes. Aimé
Césaire, auteur du Discours sur le colonialisme n’a pas demandé l’indépendance de la
Martinique mais a préféré qu’elle devînt département français. L’écrivain est maître de sa
parole mais l'homme politique ne peut prendre de décision qu'au nom du peuple. Ce peuple ne
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vit pas seulement de belles intentions. C'est pourquoi Senghor, poète adulé, a été beaucoup
critiqué en tant qu’homme politique.
· Dans un discours que vous avez prononcé en 2008 à l'occasion d'une
représentation théâtrale, vous avez dit que jamais le Sénégal n'avait eu de
président aussi bienveillant pour les Arts et la Culture que le Président Wade.
Pourquoi avez-vous eu ce sentiment ?
Je pense qu'Abdoulaye WADE a essayé de faire beaucoup pour la Culture. D’abord parmi ses
grands projets, une bonne partie est réservée à la culture. Le Grand Théâtre, le Musée des
Civilisations Noires, le Fonds d'Appui à l'édition qu'il a trouvé à 100 millions et qu’il a porté à
600 millions. Il a nommé un écrivain parmi ses Conseillers. Il a mis des écrivains au Conseil
de la République et au Conseil Economique et Social. Chaque fois qu'il voyageait, il
s'arrangeait pour que l'on mette dans sa délégation un homme de culture. Il a aussi rénové la
maison des écrivains. Enfin il a organisé le Fesman en 2010 dont la coordination générale a
été d’abord confiée au Président de l’Association des Écrivains du Sénégal. Je dois préciser,
pour éviter toute confusion, que je n’ai jamais rien demandé ni obtenu quoi que ce soit venant
de lui.
S'il n’a pas tout réussi dans son projet culturel, c'est parce que les acteurs culturels qu'il avait
responsabilisés ont trahi leur devoir et se sont servis avec leurs parents et leurs amis au lieu de
servir la Culture, les Arts et les Lettres.
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Annexe 4 :
20 juillet 2012
Interview de Youma Fall, administratrice du Grand Théâtre de Dakar
par deux journalistes culturels sénégalais,
(Extraits et notes)
Dernièrement le Grand Théâtre s'est ouvert à des acteurs plus populaires du monde de la
culture (rappeurs, spectacles traditionnels). Il y a une augmentation des événements très nette
depuis ces deux derniers mois. Quel est le programme de l'été à venir ?
Oui il y a une augmentation des événements. Les activités avec le chef de l'Etat qui avaient
lieu au théâtre c'était avant que mon équipe ne soit installé ici. J'ai été nommée en Novembre
2011 et ait pris mes fonctions en janvier. Durant mes premiers mois, j'ai effectué des études de
public. Le jour même où j'ai été nommée, j'étais passé devant le Grand Théâtre dans la
matinée et je m'étais fait la réflexion que c'était un lieu austère...
Mon projet est d'utiliser le Grand Théâtre comme un outil du développement de la culture au
Sénégal. Je veux en faire un espace d'excellence mais non élitiste, avec un public hétérogène.
Mon équipe est réunie autour de ce projet ; c'est une équipe jeune. Nous avons un service de
développement stratégique, de communication, d'accueil et d'information, un service de
production...
Nous avons établi plusieurs facteurs clés du succès et le premier est la formation. Ainsi les
comédiens ont suivi une formation d'un mois et les journalistes ont pu suivre le séminaire. IL
faut aussi sensibiliser le public, désacraliser le lieu. C'est dans ce but que nous avons mis en
place l'été du Grand Théâtre dans son versant le Ramadan du Grand Théâtre.
Ce Ramadan du Grand Théâtre a lieu dans les centres culturels de la ville pour rendre le
Grand Théâtre plus accessible, le lieu faisant peur, « le Grand Théâtre ce n'est pas pour moi ».
Par exemple, le Grand Théâtre offre des spectacles joués par des comédiens de l'association
ARCOS dans les villes qui jouxtent Dakar, Pikine et Rufisque. Il faut montrer aux sénégalais
que c'est un lieu ouvert.
[…]
14
Le Grand Théâtre doit aussi être un lieu de création de l'information. Actuellement nous
travaillons sur la mise en place d'un centre de documentation et sur une exposition sur
l'histoire du théâtre intitulée « De Ponty au Grand Théâtre ».
Je veux aussi créer un milieu dynamique. La première œuvre théâtrale mise en scène sous sa
direction fût le Choix de Madior d'après un texte d'Ibrahima Sall. Jouée en juin 2012, cette
pièce a connu un vif succès.
[…]
Détail
2012, c'était l'année zéro du Grand Théâtre. C'est durant cette année que l'équipe a tenté
d'amener les publics dans ce lieu. C'est dans le but de désacraliser que le Grand Théâtre a
accueilli les 20 ans de Hip Hop. Le public de rap regardait mal le Grand Théâtre avant,
assimilé aux activités du président.
Dans cette même logique, amener Pape Diouf au Grand Théâtre était aussi très symbolique.
C'est un des meilleurs artistes de Mbalax. Il vient de la banlieue et le revendique, il drenne
derrière lui un grand public qui vient de la banlieue. Il a eu un tarif préférentiel pour la salle
Voulez vous pratiquer des tarifs plus accessibles dans cette logique d'ouverture ?
Le Grand Théâtre est dans une dynamique de partenariats et de coproductions. Chaque tarif
pour une location de salle ou un partenariat se fait « à la tête du projet et non à la tête du
client ». Il peut y avoir de l'aide à la communication mais c'est en fait du sur mesure pour
chaque spectacle.
Il y a une hausse dans les demandes, tous les artistes veulent se produite au GT. Des dizaines
de metteurs en scène qui veulent travailler avec le GT. Tous les jours il y a une demande de la
part de rappeurs.
Le théâtre Daniel Sorano est notre grand frère. Il y a une volonté de travailler en collaboration
avec lui. Le Grand Théâtre bénéficie du label « neuf » par rapport à Sorano. Son
15
administratrice est vue comme « une toubab avec une montre et des sapeurs pompiers ». Chez
elle, les spectacles commencent à l'heure et une fois la salle pleine les portes sont fermées car
elle ne veut prendre aucun risque au niveau sécurité de la salle.
Le site Internet va être mis en ligne la semaine prochaine normalement.
Le Grand Théâtre a été inauguré en avril 2011. Cette année là, le théâtre n'avait pas de budget.
Il n'y avait même aucune chaise dans les bureaux. La salle uniquement était bien équipée. Le
budget a été voté en décembre 2011 pour 2012 et les gens ont été recrutés sur deux mois,
jusqu'en février.
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Annexe 5 :
Vendredi 27 juillet 2012
Entretien avec Monsieur Ousmane Diakhaté,
Directeur Général du Théâtre National Sorano et Professeur à l’Université
Cheikh Anta Diop de Dakar
(Notes)
· Youma Fall, directrice du Grand Théâtre, applique une politique spécifique à
l'égard des public qu'elle accueille, elle a une volonté forte d'avoir un public
hétérogène. Dans cette optique, elle organise des spectacles plus populaires,
concerts de rap, chanteur populaires... retrouve-t-on cette même volonté au
Sorano ?
La mission du Sorano est de pérenniser un patrimoine culturel. Le fonctionnement des deux
théâtres est très différent. Youma Fall ne doit gérer qu'un espace. Elle diversifie ses publics en
animant cet espace. Le Sorano est un lieu fait spécifiquement pour le théâtre alors que le
Grand Théâtre est une salle qui peut accueillir un spectacle de théâtre mais aussi d'autres types
de représentations.
Il y a un problème dans la construction du Grand Théâtre, pour y jouer des pièces on est
obligé de mettre des micros d'ambiance qui pendent du plafond vers la scène afin que toute la
salle entende les acteurs.
Au contraire au Sorano, il y a une volonté de faire du théâtre sans artifice. Un théâtre avec des
micros n'est pas souhaitable, cela coupe le jeu de l'acteur, il n'y a plus de relation directe entre
le comédien et son public.
Le Sorano a 1100 places alors que le Grand Théâtre en a 1900.
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· Je remarque que le Grand Théâtre est un édifice très imposant et qu'il est
nécessaire de le désacraliser si on veut son succès. Alors qu'il me semble que le
Sorano fait plus partie des mœurs, il est mieux accepté dans le pays...
Au début du Sorano, celui-ci a connu exactement les mêmes problèmes que le Grand Théâtre
connaît aujourd'hui. C'était aussi un lieu critiqué. À l'époque, O. Diakhate était un étudiant et
en 68 une révolution a eu lieu dans ce milieu. Les étudiants étaient alors très critiques de la
classe bourgeoise. Et le Sorano avait été le sujet de leurs critiques aussi. Ils ne comprenaient
pas que le président Senghor construise un lieu si majestueux alors que les priorités leur
semblaient être tout autre. Pourquoi construire un lieu tellement grand que l'on peut faire
dormir des gens dans ses toilettes alors que les paysans n'ont pas même de quoi se nourrir.
De plus le Sorano est situé en plein centre. Comme le Grand Théâtre. Cette implantation est le
reflet des volontés de la classe dirigeante. Ce ne sont pas les habitants de Pikine ou
Guediawaye qui vont venir assister aux pièces.
La révolution de 68 a changé beaucoup de choses dans le milieu du théâtre. Des pièces ont été
jouées dans des lieux populaires, des hangars... On voulait s'éloigner des préoccupations
bourgeoises.
· Avant de prendre la direction du Grand Théâtre Youma Fall a fait une grande
étude de public. Est ce que des études de ce genre ont lieu au Sorano ?
Avant même l'étude du public, ce qui semble le plus important au DG de Sorano ce sont les
raisons pour lesquelles les gens viennent au théâtre, qu'est ce qui les motive. Cela peut être
parce qu'ils connaissent la troupe, ou bien ils ont un intérêt pour le thème traité. La langue est
un obstacle important aussi au Sénégal, les gens n'iront pas voir une pièce en français s'ils ne
maîtrisent pas la langue. Les plus grands succès du Sorano ont été des pièces jouées en wolof.
C'est le cas de l'Os de Mor Lam de Birago Diop.
18
· Peut-on dire que la lutte sénégalaise est une forme de théâtre populaire ?
Tout à fait, la lutte est avant tout un spectacle qui fait appel à des rituels, à de l'art avec la
danse. Dans la lutte traditionnelle, le vestimentaire était très porche des costumes de théâtre.
Le théâtre a beaucoup d'affinités avec les rituels. La magie joue aussi un rôle important dans
la lutte. On retrouve la même configuration dans une pièce et dans un match de lutte, on est
dans l'arène.
Il y a de fortes affinités entre la lutte et le théâtre, au sens où la lutte est une forme de théâtre
populaire.
· Comment faire venir les gens au théâtre ?
On assiste aujourd'hui à une rarification du public de théâtre. Moins de gens y viennent à
cause de problèmes économiques mais aussi parce qu'ils y a de plus en plus d'activités
concurrentes...
· Le griot est-il encore aujourd'hui un élément incontournable du théâtre
sénégalais ?
Le griot avait un rôle très important dans le théâtre traditionnel. Il est toujours très présent. Il
est aujourd'hui réutilisé de façon à donner un cachet plus africain à des pièces modernes.
· Qui décide de quelles pièces vont être jouées au Sorano ?
Il y a un comité de lecture qui décide de ce qui est joué. Toujours on cherche à ce qu'il y ait
une création en wolof par an. En moyenne sur une année, il y 2 créations et 1 reprise. En
2012, la TND a repris le Rois Christophe d'Aimé Césaire et a joué l'île aux esclaves de
Marivaux.
L'année prochaine, la Troupe Nationale Dramatique va mettre en scène Othello de
Shakespeare. Nous n’apportons pas d’importance à la nationalité de la pièce, nous avons un
répertoire universel. Jouer des pièces sénégalaises n'est pas une obligation.
19
Annexe 6 :
Lettre du président Léopold Sédar Senghor à son neveu Maurice Sonar Senghor, directeur du
Théâtre National Daniel Sorano
20
Annexe 7 :
Compte rendu d’une réunion au Ministère de la Culture sénégalais en1976
21
BIBLIOGRAPHIE
Pièces de théâtre :
Thierno Ba, Lat Dior ou le chemin de l'honneur*
Alioune Badara Bèye, Demain la fin du monde, 2003, Éditions Maguilen.
Alioune Badara Bèye, Nder en flammes*
Birago Diop, L'os de Mor Lam*
Marouba Fall, Aliin Sitooye Jaata ou la dame de Kabrus suivi de Adja, militante du G.R.A.S,
2005, Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal.
Marouba Fall, Chaka ou le roi visionnaire, 1984, Nouvelles Éditions Africaines.
Cheik Aliou Ndao, L'île de Bahila, 1975, Éditions Présence Africaine.
Cheik Aliou Ndao, L'exil d'Albouri*
Sada Weindé Ndiaye, Nogoye et Doy-Doy ou les Temps Modernes, 2001, Le Nègre
International Éditions.
Cherif Adramé Seck, Salmoon*
Ousmane Sembène, Vehi-ciozane (adaptation pour le théâtre), 1972*
Maurice Sonar Senghor (sénégalisé par), Monsieur Pot-de-vin et Consorts*
Amadou Moustapha Wade, La tragédie de l'indépendance, 1987, Nouvelles Éditions
Africaines.
Romans :
Nouvelles du Sénégal, ouvrage collectif, dans la collection Miniatures produite par Marc
Wiltz, dirigée par Pierre Astier, 2010, MAGELLAN et Cie, en partenariat avec le magazine
Courrier International.
Fatou Diome, Le ventre de l'Atlantique, 2003, Le Livre de poche.
Toutes les références suivies d’un astérisque ont été consultées dans les archives du Théâtre Sorano de Dakar et
ne sont pas trouvables à la vente. Afin de prendre connaissance de ces textes il est nécessaire de s’adresser à
l’auteure du mémoire.
Articles :
Aïssata Soumana Kindo, « Senghor : De la Négritude à la Francophonie », Ethiopiques, n°69,
2002.
Sylvie Coly, « Littérature : Vers une civilisation de l’uinversel ? », Ethiopiques, numéro
spécial dixième anniversaire.
Alioune Mbaye, « L’autre théâtre historique de l’époque coloniale : le Chaka de Senghor »,
Ethiopiques, n°72, 2004.
Mamadou Cissé, « Langues et glottopolique au Sénégal », Ethiopiques, n°87, 2011
Ouvrages universitaires :
Jacques Chevrier, La littérature africaine, 2008, Librio.
Michel Corvin, Dictionnaire encyclopédique du théâtre à travers le monde, 1995, Éditions
Bordas.
Autres ouvrages :
Marouba Fall, Lis Tes Ratures, 2010, Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal.
Boniface Mongo Mboussa, Désir d'Afrique, 2002, Éditions Gallimard.
Jacques Chevrier, L'arbre à Palabres, Essai sur le conte et récits traditionnels d'Afrique
Noire, Collection « Monde Noir », Ed. Hatier International, 2005.
Bakari Traoré, Le théâtre négro-africain et ses fonctions sociales, 1958.
Sites:
Site internet du Théâtre Sorano de Dakar :
www.theatresoranodusenegal.com
Site internet du Grand Théâtre National:
www.legrandtheatrenational.sn
Page Wikipédia de l’école Normale William Ponty :
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_normale_William_Ponty
Page Wikipédia de Chaka :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Chaka_Zulu
Table des matières
INTRODUCTION ................................................................................................................. 1
Chapitre I : Annonce du sujet et de la problématique ......................................................... 1
Chapitre II : Méthodologie de recherche ............................................................................ 5
Chapitre III : Résultats obtenus et annonce du plan ............................................................ 7
PARTIE I : AVANT PROPOS HISTORIQUE ET SITUATION ACTUELLE DU THEATRE
AU SENEGAL ................................................................................................................... 10
Chapitre I : Une approche historique du paysage théâtral sénégalais ................................. 10
Section 1 : Les origines du théâtre négro-africain ........................................................ 10
Section 2 : Le théâtre de l’École Normale William Ponty ........................................... 15
Section 3 : Les ballets africains et les centres culturels ................................................ 17
Section 4 : L’influence persistante de Léopold Sédar Senghor ..................................... 18
A) Sa vision du théâtre ........................................................................................... 18
B) Senghor, défenseur de la négritude et la francophonie ....................................... 19
Chapitre II : Les lieux de la scène théâtrale sénégalaise .................................................... 20
Section 1 : Le Théâtre National Daniel Sorano ........................................................... 21
Section 2 : Le Grand Théâtre National ......................................................................... 24
Section 3 : Les relations entre entre le Théâtre National Daniel Sorano et le Grand
Théâtre National ......................................................................................................... 25
Section 4 : Les autres structures culturelles du pays .................................................... 26
PARTIE II : LES LIENS ENTRE POLITIQUE ET THEATRE : DES TEXTES SOUS
INFLUENCE ....................................................................................................................... 28
Chapitre I : Les hommes politiques et le théâtre au Sénégal ............................................. 28
Chapitre II : Une classification thématique des pièces de théâtre sénégalaises .................. 30
Section 1 : La domination de la thématique historique ................................................. 31
Section 2 : Des textes critiques vis-à-vis de la dictature et de la corruption .................. 33
A) Combattre la dictature par l’écriture ................................................................... 33
B) Une dénonciation littéraire de la corruption ........................................................ 37
Section 3 : La description de la vie quotidienne pour populariser le théâtre ................. 39
Section 4 : L’émergence d’une voix féministe dans les écrits ...................................... 40
Chapitre III : Les dramaturges engagés en politique ......................................................... 43
PARTIE III : ANALYSE LITTERAIRE DES GRANDES PIECES POLITIQUES ............. 47
Chapitre I : L'utilisation des grands héros du passé pour exalter l’identité nationale ......... 47
Section 1 : Chaka, le roi des zoulous ; un modèle guerrier pour le continent africain .... 48
Section 2 : Aline Sitoé Diata, un espoir pour la Casamance ......................................... 51
Chapitre II : L’éternel retour de la colonisation dans les textes ......................................... 54
Section 1 : La colonisation comme thème récurrent ..................................................... 54
Section 2 : Après la colonisation, l’indépendance ........................................................ 58
Chapitre III : L’exaltation de grandes valeurs .................................................................. 60
PARTIE IV : LES ENJEUX A RELEVER AUJOURD'HUI ................................................ 65
Chapitre I : Un théâtre pour le peuple ou le jeu des élites? ............................................... 65
Section 1 : Un théâtre traditionnellement destiné aux élites ........................................ 66
Section 2 : La lutte sénégalaise : un facteur de l’identité nationale ............................... 67
Section 3 : La barrière linguistique dans la compréhension des pièces ......................... 69
Section 4 : Comment faire un théâtre accessible à tous ? ............................................. 70
Chapitre II: L’influence persistante de la France ............................................................. 72
Chapitre III : Faire une littérature de l'universel ............................................................... 74
CONCLUSION .................................................................................................................... 77
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