dans quelles circonstances l`infirmier anesthesiste

Session professionnelle 301
DANS QUELLES CIRCONSTANCES L’INFIRMIER
ANESTHESISTE (IADE) PEUT-IL REMPLACER LE
MEDECIN ANESTHESISTE- REANIMATEUR (M.A.R)?
T. Faucon (Cadre Supérieur I.A.D.E.) , Service d’anesthésie, Hôpital Foch, 92151 Suresnes.
INTRODUCTION
L’intitulé de cette communication peut apparaître à première vue réducteur pour
certains, et alarmant pour d’autres :
Réducteur pour l’infirmier anesthésiste qui peut y lire un remplacement temporaire
ou ponctuel quand le médecin anesthésiste a besoin de «sortir de salle» pour une
raison ou une autre.
Alarmant pour le médecin anesthésiste qui peut y voir une dérive, voire d’une démé-
dicalisation de l’Anesthésie.
Ces deux visions extrêmes sont à l’évidence à rejeter, mais reflètent bien le fréquent
problème de positionnement de deux professions en constante cohabitation. Il convient
en conséquence de dépassionner le sujet, de ne pas réduire la discussion à l’aspect
purement technique de la spécialité et de valoriser le rôle de chaque acteur dans le
cadre de sa mission propre.
C’est pourquoi il apparaît nécessaire de rappeler que l’infirmier anesthésiste di-
plômé d’Etat (IADE) est un soignant ayant un rôle, des compétences et des responsabilités
inhérents à sa profession et qu’il n’est ni un «simple technicien», ni en recherche per-
manente d’identité médicale.
1. RAPPEL HISTORIQUE
La pratique de l’anesthésie «moderne» par des infirmiers remonte aux années 50, et
dès cette période, une formation de qualité a été dispensée à la Faculté de médecine de
Paris puis dans des écoles régionales. Ce bref rappel est important puisqu’il constitue le
fondement de la situation actuelle et qu’il démontre l’implication ancienne des infir-
miers dans la discipline. En effet, la grande majorité des infirmiers exerçant en anesthésie
avait suivi la formation de deux années de spécialisation. Ceci a conduit dans les an-
nées 80 à une revendication essentielle, à savoir l’obtention l’exclusivité de compétence
en anesthésie par rapport aux infirmières D.E. Cette exclusivité a été acquise en 1988
(décret du 30/08/88) après que les pouvoirs publics ont pu constater au plan national le
faible pourcentage de «faisant fonction». Contrairement à certaines idées reçues, les
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infirmiers anesthésistes ont donc tenu à faire valoir leurs compétences spécifiques au
sein de la profession infirmière tout en accompagnant la médicalisation de l’anesthésie.
En quelques années, l’anesthésie s’est complexifiée, les techniques et la technologie
ont évolué proportionnellement à la connaissance médicale, permettant la prise en charge
de patients toujours plus complexes en optimisant les résultats.
C’est une période fondamentale au cours de laquelle les médecins anesthésistes ont
su ériger l’Anesthésiologie en une véritable spécialité médicale et les infirmiers anes-
thésistes affirmer leur spécificité par rapport à la profession infirmière. Ces deux groupes
ont donc largement contribué, hélas parfois en ordre dispersé, voire en opposition, à
l’évolution de l’anesthésie et à la qualité de prise en charge des patients que nous con-
naissons aujourd’hui.
2. IADE AUJOURD’HUI
Les temps ont changé, les pratiques et les mentalités aussi. L’infirmier anesthésiste
d’aujourd’hui n’est pas l’infirmier aide-anesthésiste des années 80 qui exerçait de
façon plus ou moins autonome en fonction de la structure de santé, de l’existence ou
non d’un service d’anesthésie, de l’heure du jour ou de la nuit. En clair, l’époque est
heureusement révolue où l’infirmier anesthésiste pratiquait l’anesthésie de A à Z,
souvent seul, sans aide ou soutien médical approprié. Les progrès médicaux, la deman-
de de la société de tendre vers le «zéro défaut», la médiatisation des pratiques médicales
et soignantes, les contraintes sécuritaires ont très tôt conduit la profession à clarifier
son rôle et ses missions.
Comme souvent en France, il aura fallu en passer par la réglementation. L’anesthé-
sie s’exerce aujourd’hui dans un contexte sécuritaire strict et de réglementation suffisante
pour bien cadrer sa pratique.
2.1. ANESTHESIE : DECISION MEDIC ALE
L’anesthésie procède d’une décision médicale d’où vont découler l’évaluation du
patient et la stratégie à adopter durant une période qui va de la consultation du spécia-
liste jusqu’à la période postopératoire. Cette période plus ou moins longue est, pour la
partie anesthésie, sous l’autorité directe et la responsabilité du M.A.R. Le décret 94-
650 [1] en définit les modalités. C’est une suite répétée d’actes diagnostiques et
thérapeutiques pour laquelle le raisonnement médical a toute sa justification.
2.2. PERIODE OPER ATOIRE
La période opératoire nécessite la collaboration de personnels hautement qualifiés,
indispensables à la prise en charge des patients dans un contexte sécuritaire et haute-
ment technique. Depuis 1988 seuls les IADE sont habilités à participer à cette activité
et à réaliser des gestes et des tâches spécifiques, grâce à leur formation et leurs compé-
tences propres. Cette exclusivité de compétence par rapport aux IDE est réaffirmé en
1993 [2] et en 2001 [3] par décret, prenant en compte l’évolution et la transversalité de
la discipline. Le programme de formation tient compte de cette évolution par une réac-
tualisation régulière de son contenu [4].
2.3. RESPONSABILITES ET DEV OIRS DE L’IADE
Les IADE sont soumis à des règles professionnelles qui leur rappellent comme à
tout professionnel de santé leurs devoirs et leurs responsabilités [5].
«L’infirmier n’accomplit que les actes professionnels qui relèvent de sa compé-
tence (Art. 3). L’infirmier a le devoir d’actualiser et de perfectionner ses connaissances
professionnelles. Il a également le devoir de ne pas utiliser des techniques nouvelles de
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soins infirmiers qui feraient courir au patient un risque injustifié (Art. 10). L’infirmier
est personnellement responsable des actes professionnels qu’il est habilité à effectuer
(Art. 14)».
Ce devoir de perfectionnement et d’actualisation des connaissances est bien com-
pris des IADE qui, pour l’immense majorité, suivent annuellement des formations ciblées
(Source : enquêtes du Syndicat National des Infirmiers Anesthésistes 1994-1999).
2.4. ORG ANISA TION DES SERVICES D’ANESTHESIE
Enfin les services d’anesthésie doivent être gérés par des cadres issus de la spéciali-
té, ceci visant à optimiser le bon fonctionnement des services par une unité de langage,
de formation et de compréhension des impératifs de sécurité et d’organisation [6, 7].
Ce rappel, non exhaustif, de la réglementation en vigueur, prouve l’attachement des
pouvoirs publics et des professionnels à une pratique rigoureuse d’une discipline à haut
risque et à contrainte sécuritaire forte.
3. ROLE PROPRE DE L’INFIRMIER ANESTHESISTE
Pour la profession, la prise en charge d’un patient anesthésié ne peut s’envisager sur
le seul aspect médical. Si la connaissance médicale est indispensable pour poser l’indi-
cation, définir la stratégie à adopter et évaluer l’état physiopathologique du patient,
l’infirmier anesthésiste revêt tout son rôle pour la mise en route de la procédure et
l’adaptation de celle-ci en fonction des besoins physiologiques de ce patient. En effet,
l’anesthésie est une période courte mais intense dans la vie de l’hospitalisé, durant
laquelle il va se trouver en totale dépendance vis-à-vis de l’équipe soignante. Durant
cette période, l’état physiologique particulier dans lequel va être mis volontairement le
malade devra être soumis à une surveillance et à une réactivité permanentes du person-
nel qui le prend en charge. C’est ce qui différencie, pour l’essentiel, l’infirmier
anesthésiste de l’infirmier D.E. La réaction de chaque individu à l’anesthésie, à l’acte
chirurgical ou diagnostique, en fonction de sa gravité et/ou de sa durée n’est pas totale-
ment prédictible. Il convient en conséquence d’adapter en permanence la procédure
prédéfinie (paramètres ventilatoires ; remplissage ; gestion de l’analgésie, de la nar-
cose ; réchauffement, etc.) et d’analyser en temps réel toutes les données fournies par
un monitorage toujours plus sophistiqué. En clair, maintenir un état physiologique et
clinique au plus près de la normale afin que l’acte pour lequel le patient est anesthésié
soit réalisé dans les meilleures conditions, tant pour le per que pour le postopératoire.
L’anesthésie ne peut donc être «protocolisée» au sens strict du terme. C’est ce qui
justifie la formation supérieure que reçoivent pendant 24 mois les IADE. C’est ce que
Pascal ROD, Président de l’IFNA (Fédération Internationale des Infirmiers Anesthésis-
tes), développe dans un article consacré à l’approche infirmière de l’anesthésie [8].
Mais cette connaissance acquise en physio-pathologie, pharmacologie, en soins tech-
niques permettant le maintien de l’équilibre, permet également à l’infirmier anesthésiste
d’identifier toute rupture de cet équilibre et le passage dans un état pathologique. C’est
pour répondre à ces situations que le M.A.R. doit impérativement pouvoir intervenir à
tout moment.
L’IADE joue donc un rôle essentiel dans le maintien de l’équilibre physiologique
au cours de l’anesthésie et est le collaborateur incontournable du M.A.R. quand il sur-
vient une situation critique et/ou pathologique.
Nous ne reviendrons pas sur l’accueil, la continuation des protocoles en cours, la
mise en route de l’antibioprophylaxie, l’installation, l’hygiène, qui relèvent d’un rôle
infirmier spécifiquement adapté à l’environnement du bloc opératoire.
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Enfin, l’infirmier anesthésiste aura toute compétence dans la gestion du site d’anes-
thésie, de la préparation de la salle en fonction du type de chirurgie et des demandes
spécifiques prévues en consultation.
Si ce partage des tâches et cette complémentarité sont la règle pour une majorité
d’actes opératoires, certaines interventions imposent la présence effective et perma-
nente d’une équipe, de par leur complexité médicale et technique : chirurgie cardiaque,
thoracique, neurochirurgie, pédiatrie, transplantation, par exemple. Il faut alors repren-
dre les recommandations de la SFAR [9] concernant le rôle de l’IADE, lesquelles laissent
à l’organisation locale le soin d’apprécier les moyens humains à mettre en œuvre dans
des situations spécifiques :
«La composition de l’équipe d’anesthésie, son importance numérique, la répartition
des rôles, la plus ou moins grande autonomie de l’IADE dans le déroulement de l’acte,
sont déterminés par le niveau de complexité de l’intervention projetée, le degré de
gravité de la pathologie et l’état antérieur du patient». «L’intervention de l’un et l’autre
(M.A.R. - IADE) varie selon l’importance des actes d’anesthésie et de chirurgie».
4. DISCUSSION
On l’a vu, la France dispose d’un arsenal réglementaire suffisamment strict et
précis concernant la (bonne) pratique de l’anesthésie. Les infirmiers anesthésistes
bénéficient d’une formation des plus poussées parmi celles des pays industrialisés (source
IFNA), leur conférant une compétence réglementée et professionnelle reconnue. Ils
jouent un rôle prépondérant dans la prise en charge des quelques 8 millions de patients
anesthésiés en France chaque année [10]. Ils concourent largement à la qualité des
actes et soins spécifiques à l’anesthésie et à la sécurité des patients. Ils doivent, dans le
respect des textes et en toute responsabilité, n’effectuer que des gestes et appliquer des
techniques dont ils ont la pratique validée et répétée.
Le décret de compétence spécifique aux IADE ne prévoit d’ailleurs pas dans sa
rédaction une liste d’actes ou gestes précis réalisables par l’IADE, tant la diversité
contextuelle est grande et l’évolution des techniques rapide. Il n’établit en conséquence
pas de hiérarchie dans les actes, à l’exception des anesthésies locorégionales avec mise
en place de cathéter qu’il proscrit implicitement. En effet, le professionnel exerçant
habituellement en chirurgie thoracique ou cardiaque n’aura pas les mêmes connais-
sances spécifiques, ni la même dextérité pour certains gestes, que celui exerçant en
pédiatrie, en orthopédie, en neurochirurgie, ORL, et vice-versa. Les disciplines sont
diversifiées, les techniques plurielles. La formation est une base solide, un socle com-
mun, mais qui, comme pour tout professionnel, doit être approfondie et adaptée au
contexte d’exercice.
Toutefois, en France, les structures de soins sont multiples et variées, tant par le
cadre juridique (public, privé, PSPH) que par la taille et la diversité des disciplines
(CHU, CHG, clinique). L’organisation des services, la variabilité quantitative et quali-
tative des personnels suivant les structures, la pénurie de moyens peuvent amener à des
pratiques différentes, voire à des dérives.
Des règles simples mais incontournables doivent être rappelées :
Tout patient doit bénéficier d’une évaluation médicale (consultation, visite pré-
anesthésique)
Tout protocole (ou stratégie anesthésique) doit être mise en œuvre, adapté et surveillé
en permanence par des personnels qualifiés (M.A.R/I.A.D.E).
Le médecin anesthésiste doit avoir une connaissance précise des programmes opéra-
toires.
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Le médecin anesthésiste est effectivement présent sur le plateau technique et dispo-
nible à tout moment.
Le médecin anesthésiste ne délègue aucun geste ou technique à un IADE dont il n’a
pas évalué et constaté la pratique.
L’infirmier anesthésiste s’assure de l’évaluation médicale de tout patient à prendre
en charge (dossier d’anesthésie).
L’infirmier anesthésiste procède à un interrogatoire succinct mais complémentaire
avant l’intervention (jeûne, traitement…).
L’infirmier anesthésiste s’assure de la présence effective d’un médecin anesthésiste
sur site et de sa connaissance du programme opératoire.
L’infirmier anesthésiste n’effectue aucun geste ou technique dont il n’a pas la maî-
trise par une pratique régulière.
CONCLUSION
En dehors de l’urgence extrême et vitale pour laquelle l’infirmier anesthésiste est
tenu de mettre en œuvre les gestes d’urgence et de survie relevant de sa compétence
(compétence élargie par rapport à celle d’un I.D.E), l’infirmier anesthésiste ne peut
remplacer le médecin anesthésiste dans son rôle médical.
En pratique, l’infirmier anesthésiste est fréquemment amené à appliquer des straté-
gies et des techniques prescrites, à assurer l’entretien de l’anesthésie et la surveillance
du patient. Il exerce une fonction relevant de sa compétence propre dans les limites sus
décrites. Il est là dans un rôle de partage des tâches avec le médecin anesthésiste qui
aura in fine jugé de la faisabilité en fonction du patient et de l’acte à réaliser.
L’infirmier anesthésiste est bien le collaborateur idéal du médecin anesthésiste ja-
mais en concurrence mais en parfaite complémentarité.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
[1] Décret n° 94-1050 du 5 décembre 1994 relatif aux conditions techniques de fonctionnement des
établissements de santé en ce qui concerne la pratique de l’anesthésie et modifiant le code de la santé
publique (troisième partie : Décrets). J.O., 8 décembre 1994
[2] Décret n° 93-345 du 15 mars 1993 relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la profession
d’infirmier. J.O., 16 mars 1993
[3] Texte à paraître
[4] Arrêté du 30 août 1988 relatif à la formation préparant au certificat d’aptitude aux fonctions d’infir-
mier spécialisé en anesthésie-réanimation. J.O., 1
er
septembre 1988
[5] Décret n° 93-221 du 16 février 1993 relatif aux règles professionnelles des infirmiers et infirmières.
J.O., 18 février 1993
[6] Décret n°88-1077 du 30 novembre 1988 portant statuts particuliers des personnels infirmiers de la
fonction publique hospitalière. J.O., 1
er
décembre 1988
[7] Circulaire DH/FH 3 n°05 du 27 janvier 1992 relative au développement de l’accès des infirmiers
anesthésistes diplômés d’Etat aux grades d’encadrement.
[8] Rod P. L’approche infirmière de l’Anesthésie. Revue de l’infirmière sept 2000 ; Ed. Elsevier
[9] Recommandations concernant le rôle de l’infirmier anesthésiste diplômé d’Etat. SFAR, janvier 1995
[10] Enquête SFAR/INSERM ; 3 jours d’anesthésie en France, 1998
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