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céda le pouvoir en avril 2011 au nouveau
président élu, Mahamadou Issoufou.
En 2012, l’opposition politique et ci-
vile unies au sein du mouvement du
23 juin (référence aux manifestations du
23 juin 2011) se sont efforcées d’em-
pêcher Abdoulaye Wade de briguer un
troisième mandat présidentiel, interdit
par la Constitution sénégalaise. Wade
a finalement été battu au second tour
de scrutin en mars 2012 par son rival,
Macky Sall, dont il a reconnu la victoire
avant de quitter pacifiquement ses fonc-
tions. Au Burkina Faso, un soulèvement
populaire a poussé à la démission le
président Blaise Compaoré alors qu’il
tentait d’obtenir une modification de
la Constitution qui lui aurait permis de
briguer un troisième mandat à l’élection
présidentielle prévue en 2015. Le chef
d’état-major de l’armée a annoncé la
suspension des institutions et la mise sur
pied d’un “organe de transition”, chargé
des pouvoirs exécutif et législatif, avec un
retour à l’ordre constitutionnel endéans
les douze mois. En septembre 2015,
le régiment de sécurité présidentielle
(RSP) a suspendu le gouvernement
transitoire et a arrêté le chef de l’Etat
et son Premier ministre. Appuyée par
la Communauté économique des Etats
d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’armée
demeura fidèle et rétablit les organes de
transition quelques jours plus tard. Au
Congo-Brazzaville, Denis Sassou-Nguesso
est lui aussi soupçonné d’ambition-
ner un troisième mandat consécutif
à la tête du pays, en 2016
8
. D’autres
exemples pourraient encore être cités.
Au Benin, Thomas Boni Yayi a renoncé
à un troisième mandat et a modifié la
Constitution pour ce faire après que son
parti ait perdu les élections législatives
en avril dernier. En Tanzanie, le président
Jakaya Kikwete, a lui aussi fait une croix
sur un troisième mandat. En République
de Guinée (Guinée Konakry), le président
Alpha Condé a été élu démocratique-
ment pour cinq ans en 2010. Son rival
malheureux Cellou Dalein Diallo a fini
par accepter les résultats en dépit de
soupçons d’irrégularités. A l’approche
des échéances électorales sur fond
d’épidémie Ebola, la situation s’est à
nouveau tendue dans le pays au prin-
temps dernier et les premières élections
communales depuis 2005 (initialement
prévues en 2014) ont été reportées
sine die par la Commission électorale
nationale indépendante (CENI) suite à
une demande conjointe de la majorité et
de l’opposition. Les élections législatives
de septembre 2013 s’étaient tenues
avec près de trois ans de retard dans
un climat détestable : manifestations
violentes et accusations de fraudes.
Le scrutin présidentiel d’octobre 2015
a lui aussi eu lieu sur fond de violence
et de contestation des résultats.
En Guinée équatoriale, en Angola, au
Cameroun ou encore au Zimbabwe,
la situation est très différente. Respec-
tivement, Teodoro Obiang Nguema est
au pouvoir depuis 1979, José Eduardo
Dos Santo depuis 1980, Paul Biya depuis
1983 et Robert Mugabe depuis 1987.
Dans une Ethiopie qui présente un taux
de croissance annuel supérieur à 10%
depuis plusieurs années, les élections
législatives de mai 2015 ont vu la coa-
lition des partis au pouvoir remporter
la quasi-totalité des sièges. Côté face,
le président de la Commission électorale
s'est réjoui de la “forte participation et du
déroulement harmonieux du processus
électoral”, qualifiant les élections de
“libres, équitables, pacifiques, crédibles
et démocratiques”. Côté pile, les partis
d’opposition fustigent “le caractère
malsain et non démocratique des élec-
tions” et stigmatisent un multipartisme
de façade 9. Amnesty International (AI) a
dénoncé les attaques systématiques des
autorités éthiopiennes “contre les droits
à la liberté d’expression, d’association et
de réunion” pendant la campagne élec-
torale. Selon AI, “cette offensive a porté
atteinte au droit de participer librement
et sans crainte aux affaires publiques,
car le gouvernement a sévi contre toutes
les forces dissidentes légitimes”. D’une
façon générale, AI affirme également
avoir recensé “des arrestations et pla-
cements en détention arbitraire et mo-
tivés par des considérations politiques,
des actes de torture et d’autres formes
de mauvais traitements, ainsi que des
violations flagrantes, systématiques
et généralisées des droits à la liberté
d’expression et d’association” depuis les
élections organisées en 2010 10. On ne
peut pas dire que l’Ethiopie ait défrayé
la chronique pour la cause ni que la
“communauté internationale” se soit
beaucoup émue de quoi que ce soit…
Professeur invité au Département de
sciences politiques de l’Université de
Montréal, le Sénégalais Moda Dieng
et une équipe de jeunes chercheurs
se sont récemment interrogés sur les
raisons pour lesquelles “les durs régimes
afro-marxistes et/ou militaires qui ont
marqué l’histoire de certains pays” afri-
cains ont cédé la place à “des pouvoirs
autoritaires plus souples, mais toujours
réfractaires au changement de majorité
au pouvoir”
11.
Bref, l’alternance au plus haut niveau
de l’Etat et, plus généralement, à tous
les niveaux de pouvoir apparaît comme
un point particulièrement sensible et
récurrent de la fragilité démocratique
de nombreux Etats africains. Au-delà
d’apparentes contradictions ou d’idées
reçues, ce constat invite à examiner plus
avant la pertinence de la corrélation
habituellement établie entre alternance
et démocratie, mais aussi la légitimité du
choix démocratique dans son rapport
au développement.
L’abbé Joseph Cardijn (1882-1967),
fondateur de la Jeunesse ouvrière chré-
tienne (JOC) et figure de proue mondiale
du catholicisme social, n’était pas un
inconditionnel de l’alternance démo-
cratique. Après avoir fait scandale en
1949 quand il déclara que l’injustice
sociale était telle en Amérique latine
que le pape Pie XII y serait taxé de
communiste
12
, il a notamment dit et
répété dans les années 1950 devant les
cadres de la JOC qu’”une stabilité dans
les responsabilités” était nécessaire et
qu’on ne pouvait sans cesse changer
de dirigeant
13
. Par ailleurs, il est dans
l’Histoire des exemples de pouvoirs non
démocratiques favorables aux couches
les plus modestes de la population. Ainsi
l’Athénien Pisistrate (600-527 ACN)
imposa fortement les riches et favorisa