DÉPARTEMENT DE SOCIOLOGIE
UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL
SOL 6447 — Épistémologie
Méthodologie qualitative
Jacques Hamel
Automne 2013
Ce séminaire veut aborder le thème au programme, les méthodes qualitatives en
sociologie, à la lumière d’une vaste réflexion sur la méthodologie qualitative en
envisageant dans la foulée les fondements épistémologiques de la discipline. La définition
et l’organisation de ce séminaire ne visent pas à l’aborder de manière définitive ou selon un
point de vue précisément circonscrit. Il a plutôt pour but de susciter l'exploration du sujet
en tentant de faire provisoirement le point sur les recherches actuelles en la matière.
Le sujet retenu, « les méthodes qualitatives en sociologie », désigne ici les démarches et
procédés qui se placent sous la bannière de la méthodologie qualitative.
Depuis une vingtaine d'années, les méthodes qualitatives gagnent du terrain en
sociologie. L'histoire de vie, l'entrevue semi-dirigée, l'observation participante et plus
généralement l'enquête de terrain obtiennent la faveur des chercheurs. Ouvrages, manuels et
articles foisonnent à ce propos. Les méthodes qualitatives se voient désormais accorder et
crédit et droit de cité. Elles ont prouvé leur pertinence et leur rigueur et se sont hissées à la
hauteur des méthodes quantitatives.
Le conflit des méthodes dont témoigne l'histoire de l'École de Chicago est révolu.
L'opposition entre méthodes quantitatives et qualitatives est en passe de disparaître. Les
débats se nuancent et finissent par laisser poindre une méthodologie générale en sociologie.
Nombre de problèmes restent toutefois à l'ordre du jour. Communs aux deux méthodes,
ils seront abordés dans le cadre de ce séminaire. En bref, les méthodes qualitatives
soulèvent d'office des débats à propos :
1) du statut de la connaissance sociologique;
2) de l'élaboration de la connaissance objective afin que la sociologie gravite dans
l'orbite de la science;
3) de la représentativité en vertu de laquelle l'explication exprime le passage du local au
global;
4) de la rigueur de la démarche et des procédés dont font foi les méthodes de collecte et
d'analyse;
5) des retombées pratiques de la connaissance sociologique au nom de l'application
attendue de la science.
Ces points se rattachent à des enjeux importants pour la discipline. La tendance actuelle
est de rendre les armes. La sociologie semble incapable de relever les défis que sous-
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tendent ces débats. Pierre Bourdieu, adepte des méthodes quantitatives, n'a pu s'empêcher
récemment de reconnaître « qu'il s'est débarrassé de son positivisme et de son scientisme ».
En adoptant les méthodes qualitatives, la sociologie devient pour lui « œuvre oblative ».
Voilà un étrange paradoxe. La querelle des méthodes semble devenir caduque. La
sociologie peut ainsi se doter de diverses méthodes, quantitatives et qualitatives, pour
atteindre son objectif d'expliquer les choses dans la lignée de la science. Or, ce but
s'évanouit tant les points relevés plus haut demeurent en litige. La spécificité de son objet,
tout comme celles de la démarche pour le cerner et de la connaissance qu'elle produit, font
obstacle à la démonstration qui donne sa valeur à la science.
La tendance postmoderne le proclame haut et fort en affirmant que, tout considéré, la
sociologie relève de la littérature d’où objectivité et méthode sont exclues. La connaissance
sociologique correspond à une forme de bricolage qui laisse la bride sur le cou à
l'imagination. L'entreprise a pour pivot son auteur, son corps et ses émotions et répond à
des motifs personnels, éthiques et politiques.
Il n'en fallait guère plus sur cette lancée pour affirmer qu'il est nécessaire d'être Afro-
américain pour étudier la condition sociale des noirs des États-Unis, d'être femme pour
parler de la condition féminine, etc. Le style de l'auteur tient lieu de rigueur et l'ego de ce
dernier fait office de socle de l'authenticité recherchée au premier chef. L' « affaire Sokal »
est venue battre en brèche ces « impostures intellectuelles » avec une telle virulence que
toute approche qualitative est ipso facto tenue pour suspecte. Il convient donc de reprendre
à nouveaux frais ces polémiques et de les envisager de manière à donner sa raison d'être et
son droit à la méthodologie qualitative.
1. DÉFINITION GÉNÉRALE DES LEÇONS DU SÉMINAIRE
Étant un séminaire de recherche, ce dernier est organisé en conséquence. Si chaque
leçon donne lieu à un bref exposé de la part de son titulaire, l'essentiel se retrouvera dans
les débats suscités par chaque thème au programme. Ces discussions nécessiteront une
préparation consistant en lectures des textes recommandés sous la rubrique suivante. Elles
devront toutefois être alimentées par les points de vue des participants et participantes,
appelés à contribuer à la réflexion entreprise dans le cadre de ce séminaire.
Le titulaire du séminaire ne se fera pas faute de défendre ses propres positions sur l’un
ou l’autre sujet au programme. A cet effet, on le constatera plus loin, les discussions se
fonderont en partie sur la réflexion qu’il a élaborée dans l’ouvrage dont la lecture sera
requise ici :
Jacques Hamel, Woody Allen au secours de la sociologie, Paris, Économica, 2010.
Le recours à du matériel audiovisuel sera favorisé en certaines occasions, soit pour la
préparation des leçons, soit dans le cours de la leçon proprement dite.
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2. PLAN DES SÉANCES DU SÉMINAIRE
Sous cette rubrique sont définis les thèmes au programme et les lectures qui s'y rattachent.
Chaque leçon est précédée d’une brève note qui circonscrit les textes au programme.
1re SEANCE : BREVE INTRODUCTION
Le séminaire débutera par la projection de la vidéo consacrée à l’enquête de terrain que
l’anthropologue américain Horace Miner a conduite à Saint-Denys de Kamouraska au
Québec dans l’intention de retracer les premières heures de la méthodologie qualitative
conduite ici et aux Etats-Unis et d’engager la réflexion sur les différents thèmes au
programme.
VIDEO : Bernard Émond, Le temps et le lieu, Cinéma libre, 2000, 50 minutes.
2e SEANCE: QUEL EST LOBJET DE LA SOCIOLOGIE ?
La recherche qualitative en sociologie se fonde d’entrée de jeu sur ce qu’est l’objet de la
discipline. En d’autres mots, ce que cible l’enquête et l’analyse qualitatives doit
correspondre aux éléments qui relèvent par définition de la sociologie et propices à
l’élaboration de la connaissance sociologique. Qu’est donc l’objet de la sociologie ? Force
est de constater que l’unanimité est loin de régner sur le sujet dans les rangs des
sociologues. On verra les difficultés que soulève cette indécision en termes théoriques,
certes, mais également sur le plan méthodologique. Le survol des positions les plus récentes
en la matière permettra d’ouvrir et d’alimenter le débat à ce propos.
o Jacques Hamel, « Woody Allen et l’objet de la sociologie », dans Woody Allen au
secours de la sociologie, Paris, Économica, 2010, p. 13-33.
+ François Dubet, « La société des sociologues », dans Le travail des sociétés, Paris,
Seuil, 2009, p. 15-47.
3e SEANCE : PEUT-ON METTRE LENQUETE QUALITATIVE EN PLAN ?
L'objet de la sociologie étant déterminé, comment le bien cerner ? de surcroît dans le cadre
d'une approche dite qualitative ? C'est dans cette voie que doit s’élaborer le devis de
recherche. La méthodologie qualitative sous-entend l’utilisation de stratégies et tactiques de
divers ordres afin que les méthodes auxquelles on recoure portent fruit. Elle ne s'établit
nullement de façon improvisée et sans qu'on ne puisse saisir la pertinence de la démarche et
des procédés qui portent son nom en vue de générer la connaissance sociologique qui se
veut objective. Sur ce point, la formule de l'anthropologue Françoise Zonabend s’avère
pleinement : « Sachons que l'objectivité la plus stricte passe nécessairement par
l'imagination la plus intrépide ».
4
o Pierre Paillé, « La méthodologie de recherche dans un contexte de recherche
professionnalisante : douze devis méthodologique exemplaires », Recherches
qualitatives, vol 27, no 2, 2007, p. 133-151.
+ Pierre Paillé, « La recherche qualitative. Une méthodologie de la proximité », dans
Henri Dorvil (dir.), Problèmes sociaux. Théories et méthodologies de la recherche,
Québec, Presses de l’Université du Québec, 2007, p. 409-443.
4e SEANCE : OBJECTIVITE ET METHODOLOGIE QUALITATIVE FONT-ELLES BON
MENAGE ?
Le talon d’Achille de la méthodologie qualitative semble apparemment l’objectivité à
laquelle donnent corps les méthodes qui portent ce nom, les méthodes qualitatives.
Toutefois, qu’entend t-on par objectivité ? Après avoir discuté la notion, souvent
amalgamée à impartialité et neutralité, on envisagera la notion sous trois chefs différents :
1) l’objectivation participante développée par Pierre Bourdieu en vertu de laquelle
l’objectivité se forme sur la base de la théorie ; 2) l’objectivation d’ordre éthique chère à
certains courants postmodernes qui repose sur les qualités et dispositions des chercheurs
susceptibles d’orchestrer les méthodes qualitatives et 3) l’objectivation fondée
essentiellement sur les méthodes utilisées et l’imagination dont on fait preuve pour collecter
et analyser les données utiles à la production de la connaissance méthodologique.
o Jacques Hamel, « Du sujet à l’objet, l’objectivation », dans Woody Allen au secours
de la sociologie, Paris, Économica, 2010, p. 73-91.
+ Pierre Bourdieu, « L’objectivation participante », dans Esquisses algériennes, Paris,
Seuil, 2008, p. 323-339.
5e SEANCE : ENQUETE QUALITATIVE ET ETHNOGRAPHIE VONT-ELLES DE PAIR ?
La recherche qualitative est encore de nos jours associée à bien des égards à une étude de
nature ethnographique. Sous ce chef, elle correspond à une enquête pointilleuse d’un objet
sans qu’elle ne puisse véritablement déboucher sur la connaissance explicative ayant valeur
de généralité. Le rappel de l’École de Chicago, sur laquelle l’anathème a été hâtivement
jeté, permettra d’y voir clair. Le renouveau de l’ethnographie en sociologie élargira la
discussion sur les problèmes de la pratique de l’ethnographie en sociologie et en
anthropologie et leurs solutions possibles.
o Jacques Hamel, « Bref rappel de la tradition monographique au Québec. Frédéric Le
Play et Everett C. Hughes au regard des auteurs contemporains », Études sociales, no
151, 2010, p. 38-53.
+ Jeanne Favret-Saada, « Entre prise et reprise », dans Les mots, la mort, les sorts. La
sorcellerie dans le Bocage, Paris, Gallimard, 1977, p. 25-39.
+ Jeanne Favret-Saada, « Être affecté », dans Désorceler, Paris, Éditions de l’Olivier,
2009, p. 145-161.
5
+ Jean-Pierre Olivier de Sardan, « Jeanne Favret-Saada ou l’engagement ambigu »,
dans La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l’interprétation socio-
anthropologique, Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant, 2008, p. 182-185.
Vidéo : Jeanne Favret-Saada, La pratique de l’ethnographie, Paris, Dailymotion, 2010.
6e SEANCE : COMMENT DOIVENT INTERVENIR LES SOCIOLOGUES ?
Comment intervenir en tant que sociologue afin d’élaborer la connaissance sociologique
avec la collaboration des individus et groupes directement concernés ? Faisant preuve d'une
audace méthodologique indéniable, Alain Touraine et son équipe du CADIS proposent une
méthode sociologique permettant aux acteurs d’une lutte sociale d’en entreprendre
l’analyse sociologique et, dans la foulée, d’orienter leur action à la lumière de l’explication
produite en leur compagnie. La méthode ne manque pas d'attrait. Elle soulève toutefois de
nombreux problèmes d'ordres épistémologique et méthodologique. Ils touchent d'abord au
choix des interlocuteurs invités qui, chez Touraine, se réduisent à des chefs de file, des
militants, voire les figures de proue de l'actualité politique. Ensuite, la position qui veut que
des personnalités publiques ou autres, étrangères à la théorie sociologique, soient capables
d'apprécier à son juste titre l'explication sur laquelle débouche l'intervention sociologique.
Voilà des problèmes, sinon des questions qui appellent la discussion.
o Jacques Hamel, « Objet et sujets réflexifs. La sociologie comme agent de
connaissance réflexive », dans Woody Allen au secours de la sociologie, Paris,
Économica, 2010, p. 110-125.
+ Michel Wieviorka, « L’engagement sociologique », dans Neuf leçons de sociologie,
Paris, Robert Laffont, 2009, p. 103-110.
+ François Dubet, « L’intervention sociologique », dans L’expérience sociologique,
coll. Repères, Paris, Éditions de la Découverte, 2008, p. 13-20.
Enregistrement sonore : Alain Touraine, La méthode de l'intervention sociologique,
Paris, École des hautes études en sciences sociales - CADIS, décembre 1988.
7e SEANCE : L’ENTREVUE EST-ELLE UNE AUTO-ANALYSE PROVOQUEE ET
ACCOMPAGNEE ?
Jadis adepte des méthodes quantitatives, Pierre Bourdieu change de cap en entreprenant une
enquête sur la Misère du monde. La méthode qualitative qu'il jette en défi, l'auto-analyse
provoquée et accompagnée, a pour but de montrer à l'œuvre le travail sociologique. À cette
fin, Bourdieu et son équipe n’hésitent nullement à pointer du doigt ses rouages livrés par le
moyen de l'écriture grâce à laquelle s'établit la différence entre le sens commun et la théorie
sociologique. La critique a été (outrancièrement) féroce en assimilant La misère du monde à
la misère de la sociologie...
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