
Questions de recherche / Research in question – n° 24 – Mars 2008
http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm
4
INTRODUCTION
« Génération : pendant des années, je m’étais juré à moi-même de ne pas
prononcer ce mot ; il me répugne d’instinct. Je n’aime pas l’idée d’appartenir à ce
bloc coagulé de déceptions et de copinages, qui ne se réalise et ne se ressent
comme tel qu’au moment de la massive trahison de l’âge mûr. On ne devient
génération que lorsqu’on se rétracte, comme l’escargot dans sa coquille, et le repenti
dans sa cellule ; l’échec d’un rêve, la strate des rancoeurs, le précipité qui retombe
d’un soulèvement ancien se nomment ‘génération’. Celle qui, aujourd’hui, va de la
trentaine attardée à la cinquantaine précoce s’est déposée comme le sel amer de la
désillusion2 »
Au début des années 1970, le politiste Guy Hermet créait au sein du Centre d’études
et de recherches internationales3 un groupe de politique comparée qui se proposait d’étudier
en particulier « l’aire politique recouverte par les pays déjà moyennement industrialisés dont
l’orientation autoritaire fondamentale s’inscrit dans la ‘voie capitaliste réactionnaire’ de la
‘révolution par le haut’, définie par Barrington Moore par référence à l’Allemagne
bismarckienne ou au Japon du Meiji »4. Réticent à toute systématisation d’inspiration
2 Guy Hocquenghem, Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary, Paris, Agone, 2003, p. 35
(nouvelle édition revue & augmentée).
3 En fait le CERI se dénommait alors Centre d’études des relations internationales. Devenu directeur du
laboratoire, Guy Hermet prit l’initiative de ce changement d’intitulé pour bien signifier que l’analyse des sociétés
politiques ne pouvait se réduire à celle du système international et pour mettre en exergue la priorité qu’il
entendait accorder à la recherche fondamentale par rapport à ce que l’on n’appelait pas encore l’ « expertise ».
Le groupe de politique comparée et ceux qui lui ont succédé - en particulier le Groupe d’analyse des modes
populaires d’action politique et le Groupe d’analyse des trajectoires du politique - ont été la matrice de cette
inflexion de l’orientation du CERI. Il convient de le rappeler maintenant que la contractualisation de la recherche
et la vague néo-conservatrice redonnent l’avantage à l’étude, souvent idéologiquement très orientée, des
relations internationales.
Cette réflexion doit beaucoup aux échanges que j’ai eus, au fil des ans, avec Fariba Adelkhah, Romain
Bertrand, Christian Chavagneux, Yves Chevrier, Jean Coussy, Béatrice Hibou, Françoise Mengin, Jean-Louis
Rocca, Mohamed Tozy, Olivier Vallée et, bien sûr, Guy Hermet. Pour mémoire, j’ai eu recours pour la première
fois à une problématisation « thermidorienne » à propos de l’Iran en 1991 in « Thermidor en Iran », Politique
étrangère 3, automne 1991, pp. 701-714, et l’ai progressivement affinée jusqu’au passage que je lui ai consacré in Le
Gouvernement du monde. Une critique politique de la globalisation, Paris, Fayard, 2004, pp. 174-179. Je tiens à
remercier plus particulièrement Martine Jouneau (CERI/CNRS-Sciences Po) qui m’a aidé à réviser mon Sartre, et
notamment sa définition de la « situation », ainsi que le Département de la recherche de l’Agence française de
développement et le Fonds d’analyse des sociétés politiques qui ont financé l’essentiel du travail de terrain sur lequel
s’appuie mon essai de problématisation.
4 G. Hermet, « Dictature bourgeoise et modernisation conservatrice. Problèmes méthodologiques de l’analyse
des situations autoritaires », Revue française de science politique, 25 (6), décembre 1975, p. 1029.