LES TROIS PILIERS DE L’IRAN FARIBA ADELKHAH CERI / FNSP Le 17 juin, l’Iran élira son président. Sur fond de ras-le-bol populaire. Mais l’avenir du pays dépend surtout du rapport conflictuel entre trois pouvoirs : l’Etat, le clergé, la famille. A première vue, l’Iran ressemble à une scène de théâtre coupée en deux. D’un côté, une société en ébullition, qui connaît des bouleversements démographiques, sociologiques, et culturels considérables et manifeste volontiers son aspiration au changement. De l’autre, un régime politique inerte, fréquenté depuis un quart de siècle par les mêmes hommes, ces Rafsandjani, Khatami, Khamenei, Rezai, Velayati, et autres Moussavi arrivés au pouvoir avec la révolution islamiqueet qui manifestent volontiers leur fidélité aux idéaux islamiques. Le 17 juin prochain, lors de la neuvième élection présidentielle de l’histoire de la république islamique, l’ancien président Hashemi Rafsandjani (au pouvoir de 1989 à 1997) pourrait succéder à Mohammed Khatami dans l’indifférence de citoyens qui se rendent de moins en moins aux urnes, tant ils sont convaincus à l’avance de se « faire encore avoir ». Une situation qui rappelle l’ampleur de l’autonomie de la société, en république islamique. La révolution n’a pas accouché d’un totalitarisme, quoi que l’on puisse dire par ailleurs du respect des normes démocratiques par le régime : en Iran, la société ne s’est pas dissoute dans l’Etat. Ni l’islam ni le pouvoir n’ont pu empêcher les dynamiques sociales d’être bouleversées par l’urbanisation, la transition démographique, ou la modernité technologique. Le régime conserve la principale capacité d’initiative sur la scène politique, preuve de sa vigueur malgré le mécontentement populaire dont il fait l’objet. Mais l’on aurait tort de conclure à la déconnexion de l’Etat et de la société. Ces deux espaces sont parcourus de dynamiques communes, qui expliquent l’essentiel des débats au sein du système politique iranien. Contrairement à l’idée reçue, l’enjeu fondamental n’est pas de choisir entre un projet Fariba Adelkhah – Les trois piliers de l’Iran – CERI/Alternatives internationales – Juin 2005 http://www.ceri-sciences-po.org 1 « conservateur » et un projet « réformateur ». Mais de renégocier l’influence des trois pouvoirs qui structurent la société iranienne : l’Etat, le clergé, la famille. En attribuant à chacun sa part de responsabilités dans la gestion de la société, notamment sur le plan éthique. Ainsi, le réformateur Mohammed Khatami a certes dû sa victoire lors de la présidentielle de 1997 à la mobilisation intellectuelle en faveur de son approche plurielle de l’islam, mais aussi - et peut-être surtout - à un certain nombre de réseaux financiers et religieux soucieux de leur autonomie matérielle et spirituelle, généralement soudés par des liens familiaux. De la même manière, la victoire du courant « néoconservateur » des Abadgaran lors des législatives de février dernier - sur fond d’abstention massive - s’explique par le repli de la famille iranienne sur elle-même, pour se tenir à distance d’une scène politique face à laquelle elle revendique le droit de conserver le contrôle de son espace privé. Pour y parvenir, le pouvoir familial utilise aussi bien le suffrage universel que la rhétorique islamique. Ce dont témoignait récemment le vote d’une loi contre la violence faite aux enfants. Partagé entre l’universalisme et le respect de l’espace privé, le Parlement a finalement exempté l’autorité parentale (uniquement au sens des géniteurs, et non des beaux-parents) de toute forme de condamnation en cas d’abus d’autorité contre les enfants. A l’évidence, le conflit entre ces trois pouvoirs restera dans les prochaines années au cœur du débat politique dans cette société qui fait des valeurs familiales des valeurs dominantes. Précisons, dans ce contexte, que le respect des principes religieux, ou l’obéissance à l’ordre divin, ne s’analyse en Iran qu’au regard des besoins de la société. Ainsi, la revendication du mariage temporaire - un croyant peut contracter une union provisoire, d’au moins une heure, afin de satisfaire de manière légitime un besoin sexuel - n’a guère à voir avec la l’application d’une loi islamique et beaucoup avec la résolution d’un problème de société, le coût prohibitif des mariages. Au demeurant, cette forme de mariage est fortement contestée dans la République islamique y compris par les tendances les plus conservatrices. Bref, ce n’est ni la volonté de sortir de la religion, ni le retour au temps supposé glorieux de l’islam du Prophète qui structure les débats et la compétition politique en Iran, mais la nécessité de composer entre le souci de la centralisation d’un Etat fort dont dépend la cohésion nationale, et la reconnaissance et le respect de la propriété privée et l’autonomie des « quatre murs » (la sphère privée). Fariba Adelkhah – Les trois piliers de l’Iran – CERI/Alternatives internationales – Juin 2005 http://www.ceri-sciences-po.org 2