Mesurer les transports d`eau douce dans l`archipel canadien : la

Mesurer les transports d’eau douce dans l’archipel canadien : la question du
changement climatique
Jim Hamilton et Simon Prinsenberg
L’océan Arctique est un océan unique par sa vaste couverture de glace. Il est
recouvert sur près de sa moitié d’une couche de glace d’une épaisseur moyenne de
trois mètres, et au cours du long hiver que connaît la région la superficie englacée
double pratiquement. Certains indices révèlent que la partie pérenne de ce
manteau glaciel rétrécit et que les eaux restent libres de glace plus longtemps dans
les parties de l’Arctique ou s’installe habituellement la couche de glace
saisonnière. Ces changements se répercutent sur l’écosystème local et sur les gens
qui en dépendent. De plus, comme la couverture de glace isole l’atmosphère de
l’océan et renvoie les rayons solaires dans l’espace avec un effet calorique
minime, on craint qu’une diminution de cette couverture puisse accélérer le
réchauffement régional et se traduire par une fonte encore plus grande, non
seulement de la glace marine, mais aussi de certains des vastes glaciers du
Groenland et de l’archipel canadien. Il en résulterait un apport d’eau douce de ces
deux sources, qui pourrait avoir des incidences importantes et de grande portée.
Tous les océans du monde sont reliés par des régimes de circulation planétaire, qui
redistribuent la chaleur et le sel et qui ont par conséquent une grande incidence sur
le climat. Dans la partie supérieure de l’océan Atlantique, les eaux chaudes et
salées qui se déplacent vers le nord depuis l’équateur s’alourdissent au fur et à
mesure qu’elles sont refroidies par l’air de l’Arctique et s’enfoncent dans les
profondeurs, où elles induisent un courant de retour vers le sud. Un plus grand
transfert de cette eau douce et légère de l’Arctique aux eaux de surface de
l’Atlantique Nord pourrait nuire à ce processus de convection et modifier le
régime de circulation océanique à grande échelle.
Pour comprendre comment l’océan Arctique réagit au réchauffement de la
planète, il est nécessaire de connaître ses nombreuses composantes et leurs
interactions. Étant donné l’effet possible d’une fonte accrue sur la circulation
océanique planétaire, le cycle de l’eau douce dans l’Arctique est un grand sujet de
préoccupation. Les principaux apports d’eau douce nouvelle dans l’océan Arctique
viennent du ruissellement fluvial, de l’afflux d’eaux légèrement plus douces du
Pacifique par le détroit de Bering et des précipitations. Ces apports sont
contrebalancés par l’évacuation de l’eau douce (sous forme liquide et à l’état de
glace) qui transite, d’une part, par le détroit du Fram pour longer la côte est du
Groenland et, d’autre part, par les trois passages principaux de l’archipel canadien
pour aboutir dans l’Atlantique Nord-Ouest. Aucun de ces paramètres n’est facile à
quantifier précisément, mais notre connaissance à cet égard s’améliore grâce à
l’utilisation de nouveaux outils et techniques qui permettent d’effectuer les
mesures nécessaires. Jusqu’à récemment, on n’avait pas été capable de bien
quantifier les transports d’eau passant par l’archipel canadien, mais un
programme de recherche amorcé en 1998 nous a permis d’élaborer les
instruments spéciaux nécessaires à cette fin et d’obtenir une série de six ans de
données sur les courants, la salinité et la température dans le détroit de Barrow
(figure 1). Ces données ont servi à calculer les transports d’eau douce dans ce
détroit et, grâce à la longueur de leur série temporelle, à en quantifier la variabilité
saisonnière et interannuelle.
[[Figure 1]]
En raison des aspects uniques du milieu océanique polaire, il a fallu
concevoir des techniques et des instruments spéciaux pour recueillir les données
nécessaires à l’étude. Une des difficultés consistait à mesurer la direction des
courants océaniques là où notre proximité au pôle magnétique nord rend inutiles
les compas des courantomètres commerciaux, à cause de la faible composante
horizontale locale du champ magnétique terrestre. La technique élaborée pour
surmonter cette difficulté fait appel à un système de référence de cap précis, qui
permet de mesurer l’orientation d’un profileur de courant Doppler (ACDP)
émettant vers le haut et monté sur un module sous-marin de flottaison fuselé
(SUB). Le dispositif est illustré à la figure 2. Les SUB sont une technique brevetée
conçue par le personnel de l’IOB. Ils assurent l’alignement avec le courant,
réduisant ainsi le temps durant lequel le système de référence de cap, qui est un
système à grande consommation d’énergie, doit être en fonctionnement pour
chaque échantillonnage de cinq minutes réalisé par le profileur de courant. De ce
fait, les besoins modestes en batterie permettent de réunir tous les instruments
dans une unité autonome facile à manipuler. Plusieurs de ces unités sont utilisées
comme dispositifs flottants supérieurs sur certains de nos ancrages sous-marins
d’instruments dans le détroit de Barrow (figure 3), et elles fournissent des mesures
détaillées de la vitesse et de la direction des courants, ainsi que de la dérive de
glace, à un intervalle de profondeur de 75 m. Ces ancrages, ainsi que d’autres,
comportent aussi des profileurs CTP, qui servent à mesurer la salinité, la
température et la profondeur, alors qu’un autre dispositif de la batterie
d’instruments mesure l’épaisseur de la glace. Depuis 2003, un ADCP à grande
portée (250 m) est aussi utilisé en un endroit. Le déploiement de cet instrument est
illustré à la figure 4.
[[Figure 2]]
[[Figure 3]]
La glace recouvre les lieux d’ancrage des instruments dix mois sur douze.
Les crêtes qui se forment quand cette glace est poussée par les vents et les
courants peuvent descendre jusqu’à 20 ou 30 m et balayer toute la zone d’ancrage,
ce qui présente un réel danger pour tout équipement placé dans cette couche
proche de la surface. C’est pourquoi aucun de nos ancrages d’instruments
classiques ne va jusqu’à cette zone de glace à haut risque. Pourtant, c’est dans
cette couche proche de la surface qu’on peut s’attendre à trouver l’eau la plus
douce, puisqu’elle est plus légère que l’eau salée se trouvant en dessous. Étant
donné qu’un des principaux objectifs de l’étude est de déterminer quel est le
transport d’eau douce par le détroit, l’IOB a aussi conçu des instruments aptes à
effectuer ces mesures de la salinité dans la couche supérieure de l’océan. Le
Icycler, illustré à la figure 5, se compose d’un treuil situé dans le flotteur principal
d’un ancrage, qui déroule un profileur CTP une fois par jour en utilisant un sonar
pour établir à la fois la profondeur de la glace et la distance de déroulement du
profileur en toute sécurité. Quand il n’est pas en usage, le profileur CTP est
ramené jusqu’au flotteur de manière à être protégé de tout impact de la glace. La
figure 5 présente aussi les mesures prises pendant un an par le Icycler. D’août à la
mi-octobre, l’eau se trouvant dans la partie supérieure de la colonne d’eau est plus
douce (dans une proportion de 1 à 5 parties par 103), qu’à 30 m. L’absence de
données sur la couche supérieure à 10 m de la mi-mars à la mi-mai donne à penser
qu’une crête de glace s’est formée sur l’ancrage et y est restée jusqu’à la débâcle.
Certaines des interruptions dans les données enregistrées plus tôt viennent de ce
que les glaces ont été évitées, mais d’autres sont dues au démantèlement des
ancrages par les forts courants.
[[Figure 4]]
[[Figure 5]]
La série de six années de données exhaustives que nous avons recueillie et
analysée nous a permis de mesurer les transports d’eau douce par le détroit de
Barrow et cela avec plus de certitude qu’il avait été possible d’en obtenir jusqu’à
maintenant pour ce qui concerne n’importe laquelle des voies de passage entre les
océans Arctique et Atlantique. Nous avons établi que le flux moyen d’eau douce
par le détroit de Barrow est de 1 500 km3/an, ce qui représente environ 20 % de
toute l’eau douce évacuée de l’océan Arctique, soit une quantité bien plus
importante qu’on l’avait cru jusqu’ici. Comme on pouvait le prévoir, la variabilité
saisonnière est élevée, les transports d’eau douce étant plus abondants en été; ce
qui est plus intéressant, toutefois, ce sont les différences interannuelles
importantes. On constate que le transport d’eau douce peut varier du simple ou
double d’une année à l’autre. Il semble donc qu’il faudra une série chronologique
plus longue que celle que nous avons établie jusqu’ici pour être capable de déceler
une tendance engendrée par la fonte de la calotte glaciaire. Mais on étudie
maintenant les corrélations possibles entre la variabilité interannuelle observée
dans le détroit de Barrow et d’autres composantes du système climatique arctique.
Les régimes atmosphériques à variation lente influent grandement sur les
conditions météorologiques de la région et déclenchent vraisemblablement aussi
des réactions de l’océan. En trouvant les liens entre les différentes composantes de
cette association complexe, nous serons mieux en mesure de déterminer comment
cette partie sensible du monde réagira au changement climatique, et comment les
changements qui s’y produiront se répercuteront sur les systèmes océaniques et
climatiques planétaires.
[[Figure 6]]
[[Figure 7]]
Arctic Ocean = Océan Arctique
Smith Sound = Détroit de Smith
Cardigan Strait = Détroit de Cardigan
Barrow Strait = Détroit de Barrow
Baffin Bay = Baie de Baffin
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