Café d’histoire du 1.12.2016 : Rodina 1944, l’épopée de 37 gamines soviétiques en terre lorraine.
Par René Barchi.
M. Spisser. M. Barchi, ingénieur, qui a travaillé dans la Fédération de Russie, est venu spécialement de Paris.
Il est passionné d’histoire, et en particulier pour cette histoire qu’il est venu nous présenter ce soir.
M. René Barchi : Je suis un historien amateur. Ce sont les événements qui m’ont conduit à me passionner. Je
suis fils d’imigrés italiens, né dans le pays minier lorrain. Mes parents sont d’anciens résistants qui m’ont sen-
sibilisé très tôt à la résistance, notamment autour de Normandie-Niemen. Après mes études, j’ai travaillé pour
une société française d’informatique qui m’a envoyé en Russie pour donner des cours d’informatique, au titre
d’un contrat. Je suis tombé amoureux d’une Russe, ce qui m’a encouragé à apprendre le russe pour l’épouser.
Un ami russe plus âgé est décédé et dans sa bibliothèque l’épouse m’a montré un livre sur des gamines russes
qui ont travaillé – travail forcé – dans la mine de mon village lorrain. J’ai retrouvé l’épouse de l’auteur du li-
vre qui m’en a offert un exemplaire. J’ai intéressé le maire de Thil à cette histoire de la localité. En Russie, il y
a une association des anciens combattants russes engagés dans la Résistance française : ce sont des prisonniers
faits par les Allemands et déportés en France, certains se sont évadés pour entrer dans la résistance.
600 jeunes femmes russes ont été déportées à Thil pour travailler dans la mine de fer, ce qui était inédit. Les
quelques unes qui ont pu s’évader ont constitué la seule cellule de femmes résistantes combattantes en France.
L’orateur montre aussi la photo du plus jeune déporté russe de 2 ans, devenu mascotte dans la résistance fran-
çaise, puis il reprend l’épopée des 37 gamines (moyenne d’âge : 25 ans ; la plus jeune a 16 ans). Il rappelle la
situation historique de l’Europe de 1941 : les annexions successives pratiquées par l’Allemagne, le pacte de
non-agression avec l’URSS, la défaite de la France et sa partition ; l’Angleterre subit les bombardements ; en
1942 c’est l’apogée de l’Allemagne nazie, mais la résistance commence à s’organiser. Le destin de l’Europe
est suspendu à la capacité de l’URSS à stopper l’avance des Allemands : 2 pays restent en guerre : la Grande
Bretagne et l’URSS ; 3 millions de prisonniers de guerre russes ont été déportés vers l’Europe de l’ouest.
Leningrad ne se rend pas, et c’est la victoire à Stalingrad : toutes les couches et tous les âges se mobilisent.
A partir de 1942-1943, l’effort de guerre en Russie épuise l’économie allemande et crée une pénurie de main
d’œuvre ; cela entraîne les déportations : 100 000 prisonniers de guerre et 100 000 civils russes sont déportés
vers la France. En août 1943 l’usine de V1-V2 de Peeneminde est anéantie par les bombardements alliés. Le
camp d’Errouville, près de Thil et l’une des mines de Thil vont devenir un des éléments de remplacement de
ce centre détruit au moyen du travail forcé. Les 800 prisonniers d’Errouville – hommes et femmes – sont em-
menés à la mine de Thil en train, pour des raisons de sécurité. Dans une cuvette proche de Thil, les Allemands
ont installé aussi un camp de concentration avec four crématoire pour des Juifs déportés d’Europe centrale.
A la Libération on a trouve des V1 dans cette mine de Thil. La galerie centrale de la mine a été élargie et bé-
tonnée par les femmes sur 500 m. Lors du creusement pour élargir la galerie un effondrement a tué 50 femmes.
La genèse de Rodina : Rodina signifie patrie, terre natale. Des gamines de 15 à 25 ans ont traversé toute
l’Europe, presque sans nourriture, dans des wagons à bestiaux, au cours de l’hiver 1943-1944 ; puis elles ont
été employées aux travaux forcés dans la mine de Thil. Peu se connaissaient avant la déportation, mais des
amitiés se sont nouées dans les wagons et dans la mine, y compris avec des mineurs locaux qui eux-mêmes
étaient des immigrés italiens, polonais… d’avant-guerre.
Le 8.5.1944, a lieu l’évasion de 37 femmes et de 27 hommes avec l’aide de la résistance FTPF, après une
manifestation le 1.5.1944 au cours de laquelle les prisonniers, hommes et femmes ont entonné l’internationale
en allant à la mine ; les meneurs des 2 sexes ont été enfermés et pourtant ils ont pu s’évader aussi. Cette
évasion fut sans doute possible parce que les gardiens du camp étaient de vieux Allemands, moins motivés.
Pendant 2 nuits de marche forcée, les évadés ont parcouru les 70 kms jusqu’aux forêts de l’Argonne près de St
Mihiel. Au départ ces femmes devaient rejoindre un détachement de FTPF en Argonne : il était relativement
impensable de mettre ces femmes au combat.
Mais la ténacité des gamines et leur expérience des luttes en Russie ont été plus fortes et un territoire séparé
leur a été attribué. Elles ont participé à des embuscades et ont récupéré des armes. Elles ont créé une
organisation en se constituant en 3 détachements : combat, soins médicaux, intendance. Le conférencier a
retrouvé la seule survivante de 99 ans qui avait gardé toute sa tête : elle a été nommée citoyenne d’honneur de
Thil et de la mine ; elle est décédée le 9.12.2014 peu avant ses 100 ans : Alexandra Paramonova.
A Thil, l’entrée de la mine a été aménagée en mémorial, après restauration et inaugurée le 6.9.2015 en
présence de familles de déportées.
En 1960, lors du voyage de Khrouchtchev en France, Nadya a lu un message à la TV biélorusse où elle
raconte son voyage en France. Nadya était une rescapée de la mine de Thil, elle rapporte la préparation de
l’évasion, ses contacts avec la résistance, l’évasion elle-même, la solidarité des Français, l’organisation du
détachement Rodina, la récupération d’armes, une des embuscades menées.
Le consul de Russie remercie pour cette étude et l’association pour l’organisation de ce café d’histoire. Même
les pages sombres de l’histoire ne doivent pas être oubliées. Notes R. Kriegel.