Une boussole dans l’œil des oiseaux
Le Monde Octobre 2004
TEXTE et TEST
Une boussole dans l’oeil ……
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Une boussole dans l'œil des oiseaux
LE MONDE | 01.10.04 | 15h38 MIS A JOUR LE 01.10.04 | 16h29
Les migrateurs semblent avoir un compas magnétique dans la rétine. Ils le
recalibrent chaque jour au crépuscule.
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Chaque année , la nature renouvelle ce miracle : faire parcourir à certains oiseaux des
milliers de kilomètres, à la recherche de cieux plus cléments. L'énigme demeure :
comment parviennent-ils à s'orienter dans leur course intercontinentale ?
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On sait qu'ils peuvent utiliser la position du soleil et des étoiles pour s'orienter - des
expériences élégantes conduites dans des planétariums l'ont montré. Ils utilisent
aussi des repères visuels terrestres - chaînes de montagnes, fleuves, etc.
L'apprentissage de ces indices n'est cependant pas seul en cause, puisqu'on a pu
montrer, en croisant des fauvettes à tête noire, grégaires et migratrices, que leur
descendance présentait des caractères intermédiaires, la génétique étant donc
impliquée dans ce comportement.
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On les suspecte enfin - comme d'autres migrateurs, poissons, tortues par exemple -
d'être sensibles au champ magnétique terrestre. L'hypothèse a été émise pour la
première fois en 1859 par l'Allemand von Middendorff. Dans les années 1960,
Wolfgang Wiltschko, de l'Institut de zoologie de Francfort, a prouvé que le rouge-
gorge était désorienté lorsqu'on le plaçait dans un champ magnétique différent de
celui de la Terre. Dix-sept autres espèces de migrateurs ont depuis répondu de la
même façon à ce test.
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La composante magnétique ne fait plus de doute. En avril, un article de la revue
Science en a apporté une nouvelle confirmation, chez des grives à joues grises
américaines, migratrices nocturnes. Placées dans un champ magnétique orienté
artificiellement vers l'est au crépuscule, elles prenaient leur envol vers l'ouest, au lieu
de foncer vers le nord, comme elles le font naturellement.
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Henrik Mouritsen, de l'université d'Oldenburg (Allemagne), et ses collègues
américains, avaient équipé ces oiseaux cobayes de radiotransmetteurs, ce qui leur a
permis de les localiser au cours des jours suivants. Certains ont volé la première nuit
dans la mauvaise direction. D'autres ont préféré se poser dans les bois des environs.
Mais tous ont repris la direction du nord la nuit d'après.
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Comme si les grives combinaient les indices fournis par la position du soleil au
crépuscule et les stimuli magnétiques, pour recalibrer chaque soir leur compas
magnétique. "Cela pourrait expliquer comment les oiseaux réussissent à franchir
l'équateur magnétique", écrit Henrik Mouritsen. Mais aussi comment ils se débrouillent
avec la déclinaison, qui résulte du décalage entre nord magnétique et nord
géographique.
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Spectaculaires, ces résultats n'indiquent cependant pas comment fonctionne,
physiologiquement, ledit compas. Plusieurs hypothèses sont en compétition. On a
traqué des aimants minuscules, faits de cristaux de magnétite, chez les migrateurs.
On en a retrouvé dans le bec des pigeons. Mais, le champ magnétique terrestre étant
fort ténu, les chercheurs jugent peu probable qu'il soit capable de réorienter ces
fragments de magnétite, et comprennent encore moins quelle voie nerveuse pourrait
guider leur vol.
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Les chercheurs ont donc creusé la piste du lien étroit entre vision et orientation
magnétique. "Quand on place des rouges-gorges dans une ambiance lumineuse jaune
ou orange, ils perdent leur capacité à s'orienter", indique le pionnier Wolfgang
Wiltschko, qui, en 2002, a aussi montré que, si l'on couvrait l'œil droit du rouge-
gorge, celui-ci perdait son orientation magnétique. La salamandre semble, elle aussi,
perturbée par certaines longueurs d'onde (Le Monde du 18 octobre 1996).
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Aussi les recherches portent-elles désormais sur des molécules à la fois
photosensibles et capables de réagir à des champs magnétiques très faibles. Des
mécanismes pointus, qui mettent en jeu des effets de type quantique associant des
transferts d'électrons sous l'impact de photons de lumière... "Les conférences sur ce
sujet ont désormais lieu dans les départements de physique", indique M. Wiltschko,
biophysiologiste de formation, qui se réjouit de n'être plus isolé sur cette thématique.
Son équipe, fort active, a récemment employé des champs magnétiques oscillants et
montré, comme elle l'a expliqué le 13 mai dans la revue Nature, qu'un changement
d'orientation de ce champ modifiait la position d'envol des rouges-gorges. Le type de
signal magnétique employé suggérait qu'un mécanisme dit "de pair-radical", proposé
dès les années 1970 par Klaus Schulten (université de l'Illinois, Etats-Unis), pouvait
être à l'œuvre. Un bon candidat étant le cryptochrome, une molécule photosensible
que l'on retrouve également chez les plantes.
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Tout aussi en pointe, l'équipe d'Henrik Mouritsen apporte sa pierre à cet édifice
théorique. Dans la revue PNAS du 21 septembre, elle explique avoir mesuré des
concentrations élevées de cryptochrome (CRY) dans la rétine de la fauvette des
jardins. Concentrations qui ne se retrouvaient pas chez le diamant masqué,
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sédentaire. Les molécules de CRY étaient localisées dans des cellules nerveuses
activées la nuit, période de migration de la fauvette. Ces ganglions aboutissent en
outre exclusivement dans une zone du cerveau connue pour contenir des neurones
magnétosensibles.
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CQFD ? "Il faut encore répondre à beaucoup de questions avant d'être sûr que les
cryptochromes sont le principal capteur des oiseaux migrateurs", reconnaissent les
chercheurs. Il leur faudra par exemple encore montrer comment l'orientation des CRY
est fixée dans les cellules, "de sorte que des signaux induits par la lumière soient
modulés différemment par le champ magnétique en fonction de leur position dans la
rétine".
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"Ce sont effectivement des preuves par coïncidence", commente M. Wiltschko, qui
juge cependant ces nouveaux résultats "très intéressants". D'autant qu'une de ses
étudiantes vient de localiser deux types de cryptochromes dans la rétine des rouges-
gorges, décidément très sollicités.
Leurs geôliers commencent a avoir une idée assez précise de la façon dont les
migrateurs peuvent "voir" le champ magnétique. "Ce doit être un peu comme des
figures symétriques, imagine M. Wiltschko. Comme des anneaux, qui leur montrent le
nord."
Hervé Morin
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Les cryptochromes, entre aimant et lumière
L'orientation magnétique des oiseaux pourrait être commandée par les
cryptochromes, des molécules découvertes en 1993 dans la plante de laboratoire
Arabidopsis thaliana par Margaret Ahmad et Anthony Cashmore (université de
Pennsylvanie, Etats-Unis). "Il s'agit de protéines photosensibles, notamment à la
lumière bleue, qui interviennent dans de nombreux processus fonctionnels au cours de
la vie de la plante", explique Mme Ahmad, en poste actuellement à Paris-VI. Elles
semblent impliquées dans les processus liés aux cycles saisonniers et circadiens
(alternance du jour et de la nuit). Elles sont étudiées chez la souris et la mouche du
vinaigre, où elles jouent un rôle similaire. "On en trouve dans presque tous les tissus
humains, notamment nerveux, et dans la rétine", précise Mme Ahmad. Sous l'effet de
la lumière, ces molécules ont des propriétés qui les rendent sensibles à de faibles
champs magnétiques. "Mais elles ne servent probablement pas de compas
magnétique chez l'homme !", précise la chercheuse.
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 02.10.04
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