La santé au travail Vision nouvelle et professions d`avenir

Rapport remis aux
Ministre du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique
Ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche,
Ministre de la Santé et des Sports
- avril 2010 -
RAPPORT
PROVISOIRE
Présenté par
La santé au travail
Vision nouvelle et professions d’avenir
- Propositions pour des formations et un réseau de
recherche en phase avec les missions -
Christian DELLACHERIE
Membre du Conseil
économique, social et
environnemental
Paul FRIMAT
Professeur de médecine
du travail à l’Université de
Lille II, praticien
hospitalier au CHRU de
Lille
Gilles LECLERCQ
Médecin conseil
de l’ACMS
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Synthèse
La médecine du travail est en danger. D’ici 5 ans, si rien n’est fait pour aider les
professionnels de la santé au travail à anticiper les départs à la retraite des praticiens et des
enseignants hospitalo-universitaires, ce dispositif unique au monde, qui concerne en France près de
16 millions de salariés, pourrait s’éteindre, faute d’expertise et de perspectives. La discipline est en
crise. Elle est depuis longtemps jugée peu attractive, et aujourd’hui les étudiants en médecine
s’interrogent sur son avenir. Les médecins du travail, qui pâtissent d’une image sociale peu
flatteuse, désespèrent d’un métier dont ils connaissent pourtant les atouts et mesurent les
potentialités. Déjà confrontés à l’impossibilité de remplir l’ensemble des missions que leur a confié
le code du travail, certains ne reconnaissent pas le métier qu’ils ont choisi dans ce qu’ils vivent ou
ne se reconnaissent pas dans les évolutions annoncées. Beaucoup enfin se sentent atteints dans leur
conscience professionnelle de ne pas pouvoir consacrer le temps qui leur paraît nécessaire aux
salariés qui en ont le plus besoin.
La situation n’est pas meilleure dans le domaine de la recherche en santé au travail. Le
déficit en la matière est criant depuis plusieurs années, au point que le manque d’experts pourrait
mettre en péril les intérêts de la France dans les dossiers stratégiques défendus au niveau
international ou européen, comme l’application de la réglementation REACH1.
Pourtant, rarement la question de la santé des travailleurs s’est posée avec autant d’acuité.
L’intensification du travail, les risques psycho-sociaux, les troubles musculo-squelettiques, les
pathologies à effets différés, les risques nouveaux induits par des technologies en perpétuelle
évolution, rendent nécessaire l’intervention coordonnée, au service de la prévention et du maintien
dans l’emploi, d’une équipe de professionnels de la santé au travail, qu’ils ou elles soient médecins,
infirmières, assistantes médicales, ergonomes, psychologues, toxicologues ou ingénieurs de
sécurité. La médecine du travail a tout pour s’imposer comme une médecine moderne, à l’interface
entre l’homme et son environnement, associant dans une démarche globale l’approche collective
des risques professionnels et le suivi clinique individuel. Des freins et des obstacles subsistent à cet
accomplissement, ils ont été dûment analysés par les rapports et avis qui se sont échelonnés entre
2007 et 2008. La profession s’interroge sur le contenu de la réforme annoncée, sur sa capacité à
mettre en phase son organisation et ses missions.
C’est dans ce contexte que le Ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la
solidarité et de la ville, le Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, et le Ministre de
la santé et des sports nous ont confié une mission de réflexion portant sur la formation des
professionnels de la santé au travail et l’attractivité de ses métiers.
A l’issue des auditions, auxquelles plus d’une centaine de personnes ont participé, nous
avons formulé plus d’une quarantaine de propositions, qui traduisent huit préoccupations
principales :
- Une approche intégrée pour un travail d’équipe :
La formation d’une culture interdisciplinaire et d’une communauté d’objectifs partagée entre
les professionnels travaillant dans les services de santé au travail est indispensable pour éviter que
la pluridisciplinarité ne se réduise à une juxtaposition des compétences et pour que tous
concourent, de manière coordonnée, à une prise en charge globale des risques en matière de santé
au travail.
1 Registration, evaluation and authorisation of chemicals
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Constatant qu’une des faiblesses actuelles du dispositif est que les formations des
professionnels sont pensées au niveau des métiers considérés un par un, aux dépens d’une logique
plus globale, la mission préconise la mise en place d’un parcours de formation pluridisciplinaire
modulaire commun, à la carte, permettant aux professionnels à la fois de se rencontrer, d’échanger,
et de valider leurs compétences par un master Santé Travail.
Que le médecin soit ou non chargé de la coordination interdisciplinaire, une nouvelle
articulation est à rechercher dans les services entre les équipes médicales et les équipes
pluridisciplinaires. La mission encourage l’élaboration de chartes de coopération afin de clarifier et
définir les responsabilités et les prérogatives des membres de l’équipe de santé au travail.
- Le besoin d’ouvrir la perspective d’une deuxième carrière aux médecins souhaitant
se reconvertir et exercer la spécialité de médecine du travail :
Donner la possibilité d’exercer le métier de médecin du travail aux médecins expérimentés
doit être rendu possible et facilité pour répondre aux souhaits d’évolution exprimés par les pairs.
Pour réduire les freins à la reconversion, la mission propose de créer de manière urgente un
Diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC) permettant de se former au métier de
médecin du travail par alternance, dans le cadre de la formation continue.
- Un effort en profondeur pour redynamiser la recherche et reconstituer le vivier des
enseignants hospitalo-universitaires :
Pour revitaliser le secteur de la recherche en matière de santé au travail, la mission préconise,
outre la pérennisation des appels à projet de recherche, de soutenir la création de pôles d’excellence
en santé travail et de favoriser l’organisation de réseaux thématiques de recherche en santé travail.
La mission propose également d’attribuer des années recherche aux futurs médecins du
travail en fonction des besoins recensés par interrégion ou par pôle d’excellence, ceci afin de
reconstituer rapidement le vivier des enseignants hospitalo-universitaires. Dans l’attente, et de
manière urgente pour éviter la disparition des ressources en formation, il convient d’organiser le
maintien et la re-répartition des postes hospitalo-universitaires en « sanctuarisant » les postes
actuellement occupés par des enseignants souhaitant partir à la retraite dans les cinq prochaines
années.
- Une formation initiale des professionnels de santé adaptée aux nouvelles missions :
Des maquettes pédagogiques nationales doivent être élaborées pour l’ensemble des
professionnels des services de santé au travail (infirmières, assistantes santé travail, intervenants en
prévention des risques professionnels, etc.), comme elles ont été réalisées pour les médecins du
travail, et les référentiels de formation déclinés au niveau régional.
Pour mener à son terme la réforme des services de santé au travail, il est primordial de
reconnaître et de promouvoir le rôle, les missions et la place des infirmières de santé au travail. La
mission propose de mettre en place une formation qualifiante au sein du master interuniversitaire
Santé Travail. Seules les infirmières qualifiées en santé travail pourraient appliquer les protocoles
de coopération prévus à l’article L.4011-1 du code de la santé publique. L’indépendance technique
des infirmières santé travail, qui, pour deux tiers d’entre elles, travaillent dans les entreprises et ne
dépendent pas d’un service de santé au travail, serait en outre garantie par l’attribution du statut de
salariées protégées à celles qui bénéficient d’une délégation expresse du médecin du travail pour
réaliser des actes médicaux.
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Pour ouvrir de nouvelles perspectives professionnelles aux secrétaires médicales et mieux
utiliser le temps des infirmières, la mission estime qu’une délégation de certains actes
paramédicaux ou en milieu de travail aux assistantes de santé au travail est possible, sous réserve
de l’obtention d’une qualification, et que cette délégation s’inscrive dans une procédure encadrée
par le médecin (prescription ou protocole écrit).
La mission recommande de supprimer la procédure actuelle d’habilitation des intervenants
en prévention des risques professionnels (IPRP), de réserver ce titre d’IPRP aux seuls intervenants
exerçant dans les services de santé au travail, et de conditionner sa délivrance aux seuls
professionnels ayant suivi le module de formation commun aux acteurs de la santé au travail. Elle
estime également nécessaire de former les directeurs des services de santé au travail, en formation
initiale et continue, aux enjeux de santé publique et notamment aux problématiques de santé au
travail afin qu’ils soient en capacité d’animer une dynamique de concertation au sein du champ
santé au travail.
- La volonté de faire connaître et valoriser la médecine du travail en tant que
discipline médicale :
Sur les 6 premières années d’études de médecine, seules 9 heures sont consacrées en
moyenne à la « médecine et santé au travail ». Il n’est donc pas étonnant que cette discipline soit
largement méconnue des étudiants, ce qui ne favorise pas l’attractivité de la spécialité à l’issue des
épreuves nationales de classement, et, à plus long terme, les échanges entre médecins. Pour
remédier à cette situation, la mission recommande dans un premier temps de préciser le contenu du
module « Santé Publique, Société, Humanité » de la licence santé pour garantir que soient
enseignées les premières notions en matière de médecine et de santé au travail.
Elle préconise vivement que soient développés les stages de terrain aux périodes clés où
naissent et se confirment les aspirations professionnelles, en parallèle à l’acquisition du socle des
compétences médicales (stages découverte aux étudiants en deuxième et troisième année de
licence, stages dans les services de consultation de pathologies professionnelles et/ou dans les
services de Santé-Travail aux étudiants en D2, D3 ou D4). Elle propose de présenter la spécialité de
médecine du travail aux externes avant l’amphi garnison. Enfin, elle recommande de laisser libre le
choix d’un stage professionnalisant aux internes de médecine du travail.
Enfin, partant du constat que quelles que soient ses modalités d’exercice, tout médecin peut
être confronté à des pathologies résultant d’une exposition professionnelle, la mission estime
indispensable d’introduire a minima un enseignement de santé au travail dans la formation des
futurs médecins, notamment les médecins généralistes.
- Le souci de valoriser l’action des services de santé au travail et d’affirmer les
prérogatives du médecin du travail :
La santé au travail est une branche de la santé publique, tant les conditions et
l’environnement de travail sont des déterminants structurants de l’état de santé de la population.
Les professionnels de santé au travail devraient être systématiquement associés à la mise en œuvre
des réseaux de veille sanitaire.
La mission constate que l’employeur n’est actuellement pas tenu, sauf exception, de suivre
ou prendre en considération l’avis du médecin du travail, lorsqu’il a une portée collective. Il n’a pas
non plus l’obligation de lui faire connaître les raisons qui motivent son inaction, ce qui alimente le
ressenti d’une faible efficacité de la part des professionnels. La mission recommande de renforcer
les prérogatives du médecin du travail en élevant au rang d’une obligation une réponse motivée
écrite de l’employeur qui ne prend pas en considération les recommandations ou les préconisations
du médecin du travail après le constat dûment établi d'un risque patent ou persistant.
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