mise au point La résistance aux diurétiques Resistance to diuretics P. de Groote* Mécanismes et prise en charge Six mécanismes possibles sont évoqués pour expliquer la résistance aux diurétiques : ➤➤ le non-suivi du traitement médical ; ➤➤ la diminution du débit sanguin rénal ; ➤➤ l’activation hormonale ; ➤➤ la diminution de la sécrétion tubulaire des diurétiques ; ➤➤ la réabsorption sodée compensatrice ; ➤➤ l’hypertrophie-hyperplasie des cellules du tube contourné distal, causée par une utilisation chronique des diurétiques. * Service de cardiologie C, pôle de cardiologie et maladies vasculaires, hôpital cardiologique, CHRU de Lille. La diminution du débit sanguin rénal La diminution du débit sanguin rénal, proportionnelle à celle du débit cardiaque, est responsable d’un amoindrissement des possibilités fonctionnelles rénales, mais également d’une baisse de la concentration intrarénale des diurétiques. Chez l’insuffisant cardiaque, la courbe dose-réponse des diurétiques de l’anse est déplacée vers le bas et la droite. Pour un même effet diurétique, il faut une concentration plus importante de diurétiques (figure 1). Toute diminution de la concentration intrarénale de diurétiques s’accompagnera d’une diminution importante de l’excrétion sodée. Excrétion sodée L a résistance au traitement diurétique se rencontre régulièrement, tout particulièrement dans les formes chroniques et avancées de l’insuffisance cardiaque. Elle évolue parallèlement à l’aggravation de la situation hémodynamique et à l’altération inéluctable de la fonction rénale. Bien que la résistance aux diurétiques soit fréquente, sa prévalence n’est pas connue et les définitions utilisées dans les études sont différentes. Elles s’appuient en effet soit sur la persistance de signes de rétention hydrosodée malgré un régime sans sel bien suivi et des doses suffisantes de diurétiques, soit sur la prescription de doses élevées de diurétiques (sans seuils de doses bien définis) ou sur la nécessité d’augmenter progressivement les doses de diurétiques afin de contrôler la situation. Malgré ces définitions vagues, plusieurs études ont montré que la présence d’une résistance aux diurétiques était de mauvais pronostic (1). Concentration en diurétiques Figure 1. Courbes effet-dose des diurétiques chez le sujet sain (orange) et l’insuffisant cardiaque (vert). Le non-suivi du traitement Activation hormonale Il s’agit là d’une situation classique, et malheureusement fréquente, que nous devons rechercher systématiquement. Il n’est pas rare que les patients, pour améliorer leur confort, réduisent voire arrêtent le traitement diurétique. L’activation neuro-hormonale est un des mécanismes majeurs de la résistance aux diurétiques. La plupart des systèmes hormonaux (système nerveux autonome, système rénine-angiotensine-aldostérone, vasopressine, endothéline) sont stimulés dans l’insuffisance 16 | La Lettre du Cardiologue • n° 420 - décembre 2008 Points forts »» La résistance diurétique est fréquente, surtout dans les avancées d’insuffisance cardiaque. »» Il faut toujours y penser en cas d’aggravation fonctionnelle. »» Un régime sans sel bien suivi et des doses adaptées de diurétiques limitent cette résistance. cardiaque. Cette activation hormonale favorise la réabsorption hydrosodée et la résistance aux diurétiques en induisant une vasoconstriction, en particulier rénale. De plus, l’efficacité des systèmes vasodilatateurs et natriurétiques, comme les peptides natriurétiques, est diminuée dans l’insuffisance cardiaque. Le seul moyen thérapeutique pour lutter contre ces trois phénomènes est une optimisation de la thérapeutique de l’insuffisance cardiaque et une bonne éducation du patient (2, 3). Diminution de la sécrétion tubulaire des diurétiques Pour agir, les diurétiques doivent être sécrétés dans la lumière du tubule. Cette sécrétion est active et nécessite des transporteurs, qui sont des transporteurs à anions (organic anions transporters [OAT]). Il en existe plusieurs, présents dans les différentes parties du tubule. La sécrétion des diurétiques dans la lumière du tubule entre en compétition avec les anions, mais aussi avec d’autres médicaments utilisant les mêmes transporteurs (comme les bêtalactamines et les anti-inflammatoires non stéroïdiens) [4]. Cette compétition avec les anions circulants explique la relative résistance aux diurétiques observée chez l’insuffisant rénal, qui a toujours besoin de doses plus importantes pour obtenir un effet natriurétique similaire. Sur le plan thérapeutique, le seul moyen pratique est d’augmenter les doses de diurétiques pour diminuer Thiazidiques Mots-clés Résistance aux diurétiques Insuffisance cardiaque sévère Régime sans sel Activation hormonale Traitement la compétition avec les anions circulants. La compétition avec les autres médicaments est théorique et, à notre connaissance, il n’y a pas eu d’étude humaine in vivo chez l’insuffisant cardiaque démontrant une baisse de l’effet natriurétique des diurétiques après l’introduction, par exemple, de bêtalactamines. Réabsorption sodée compensatrice Il s’agit d’un des mécanismes majeurs de la résistance aux diurétiques (5). Il existe plusieurs zones de réabsorption sodée dans le rein (figure 2). En utilisant un seul type de diurétiques, généralement les diurétiques de l’anse, la réabsorption sodée n’est bloquée que sur le site d’action de celui-ci. Les autres sites de réabsorption du sodium, en particulier le segment cortical de dilution et le tube contourné distal, sont capables de réabsorber tout le sodium non réabsorbé au niveau de l’anse de Henlé. Sur le plan pratique, plusieurs moyens simples existent pour limiter cet effet. ➤➤ La prescription de diurétiques doit toujours s’accompagner d’un régime sans sel. La réabsorption sodée compensatrice est proportionnelle au sodium arrivant au niveau du tubule : plus cette quantité est faible et plus la réabsorption sodée sera limitée. ➤➤ La réabsorption sodée compensatrice est limitée par l’augmentation des doses des diurétiques de l’anse. L’effet natriurétique sera plus important, et combiné au régime sans sel, dépassera les possibilités de réab- Highlights Diuretic resistance is frequent, particularly in advanced heart failure. It could explain a functionnal worsening. To limit diuretic resistance patients need to follow a sodium restriction diet and to receive adequate doses of diuretics. Keywords Diuretic resistance Severe heart failure Sodium restriction Hormonal activation Treatment Anti-aldostérones Acétazolamide Diurétiques de l'anse Figure 2. Sites d’action des différents diurétiques. La Lettre du Cardiologue • n° 420 - décembre 2008 | 17 mise au point Références bibliographiques 1. Neuberg GW, Miller AB, O’Connor CM et al. Diuretic resistance predicts mortality in patients with advanced heart failure. Am Heart J 2002;144:31-8. 2. Motwani JG, Fenwick MK, Morton JJ, Struthers AD. Furosemide-induced natriuresis is augmented by ultra-low-dose captopril but not by standard doses of captopril in chronic heart failure. Circulation 1992;86:439-45. 3. Good JM, Brady AJ, Noormohamed FH, Oakley CM, Cleland JG. Effect of intense angiotensin II suppression on the diuretic response to furosemide during chronic ACE inhibition. Circulation 1994;90:220-4. 4. Hasannejad H, Takeda M, Taki K et al. Interactions of human organic anion transporters with diuretics. J Pharmacol Exp Ther 2004;308:1021-9. 5. Volpe M, Tritto C, DeLuca N et al. Abnormalities of sodium handling and of cardiovascular adaptations during high salt diet in patients with mild heart failure. Circulation 1993;88:1620-7. La résistance aux diurétiques sorption sodée distale. Plus l’insuffisance cardiaque sera évoluée et plus les pics plasmatiques de diurétiques devront être élevés pour obtenir un effet natriurétique équivalent. Il est fondamental chez l’insuffisant cardiaque d’éviter tous les diurétiques retard prescrits habituellement dans l’hyper-tension artérielle. ➤➤ La répétition des prises de diurétiques dans la journée permet également de combattre la réabsorption sodée compensatrice. Plus l’insuffisance cardiaque sera sévère et plus l’effet thérapeutique des diurétiques sera bref, nécessitant l’augmentation du nombre d’administration. ➤➤ Enfin, dans les formes avancées de résistance aux diurétiques, une association de diurétiques thiazidiques et de diurétiques de l’anse permet d’obtenir une réponse explosive, nécessitant une surveillance étroite. Il est préférable de prescrire cette association lors d’une hospitalisation, en raison de l’importante diurèse parfois induite (plusieurs litres en quelques heures), à l’origine de chutes tensionnelles et de troubles hydro-électrolytiques. Cet effet sera bref et sera d’autant plus conséquent que le traitement par diurétiques de l’anse est ancien. Il est parfois nécessaire dans les formes évoluées d’insuffisance cardiaque chronique d’associer en permanence des thiazidiques aux diurétiques de l’anse pour contrôler la rétention hydrosodée des patients. Hypertrophie-hyperplasie des cellules du tube contourné distal Ce phénomène semble inéluctable après une utilisation chronique à fortes doses de diurétiques de l’anse, mais il pourrait être diminué par la combinaison de diurétiques (encadré). • Régime sans sel bien suivi • Traitement optimal de l’insuffisance cardiaque – Éducation du patient – Doses adaptées à l’insuffisance cardiaque • Éviter les diurétiques “retard” • Attention aux associations médicamenteuses • Augmentation des doses des diurétiques de l’anse • Augmentation des prises des diurétiques de l’anse • Association de diurétiques thiazidiques et de diurétiques de l’anse • Toutes les modifications des doses de diurétiques chez un insuffisant cardiaque doivent être réalisées avec une surveillance clinique (poids, tension artérielle) et biologique (fonction rénale, natrémie et kaliémie). Encadré. En pratique, comment éviter la résistance aux diurétiques ? Conclusion La résistance aux diurétiques est une situation fréquente, liée à une diminution progressive de l’effet natriurétique des diurétiques de l’anse. L’optimisation de la thérapeutique de l’insuffisance cardiaque, comprenant un régime sans sel bien suivi, et la prescription de doses suffisantes de diurétiques (doses et nombre de prises) permet le plus souvent de contrôler cette situation. ■ Agenda C ongrès I NFORMATIONS S CIENTIFIQUES , O RGANISATION L OGISTIQUE , I NSCRIPTIONS Agence PLB. Organisation 15-17, rue de Pontoise - 78100 ST GERMAIN EN LAYE Tél. 01 39 04 24 24 - Fax 01 39 04 24 77 E.mail : [email protected] ■■ La quatrième édition de Cœur et diabète Pour tout renseignement, s’adresser à : Les 6 et 7 février 2009, à l’hôtel Méridien Montparnasse, à Paris. PLB Organisation. Tél. : 01 39 04 24 24. 18 | La Lettre du Cardiologue • n° 420 - décembre 2008