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C’est dans ce sens que va Delahaye, qui remarque que les résultats énoncés par
Zwirn ne permettent pas de conclure à une limite de la connaissance, au moins en
mathématiques, mais peut-être aussi dans le domaine des sciences empiriques.
Pour lui, les résultats de limitation en mathématiques et en logique n’indiquent
clairement pas une limite de la connaissance, et il reproche à Zwirn de suggérer le
contraire. Pour expliquer son point de vue il énumère divers résultats de limitation, en
mathématiques, puis en logique, et veut à chaque fois se poser la question :
« limitation de quoi ? ». Son premier exemple est la découverte de l’irrationalité de
racine de 2. C’est peut-être le premier résultat « négatif » et de limitation. La
limitation n’est pas que nous ne pouvons pas trouver de couple d’entier dont le
rapport au carré fait 2, mais que ce couple n’existe pas. Si limitation il y a elle est
dans les entiers. Le résultat conduit à un enrichissement de la compréhension. Les
entiers n’épuisent pas le continu. A cette occasion on découvre, on crée le continu.
Comment a-t-on pu croire que toute grandeur est rapport de deux entiers ? Puis il
prend comme deuxième exemple la non résolubilité des équations polynomiales de
degré 5 par radicaux (Abel 1824). Là aussi le résultat paraît simple à posteriori : la
notation par radicaux avec seulement l’addition, la soustraction, la multiplication, la
division et l’extraction de racines ne permet pas d’exprimer certains nombres. Avec
Cantor la compréhension est immédiate : ce type de notation est dénombrable, alors
que le continu ne l’est pas. Il n’y a pas de limitation. Dieu ou un martien seraient
conduits au même résultat. On est « déniaisé » par le résultat, comme on dit au
Québec. De même avec la transcendance de pi et l’impossibilité de la quadrature du
cercle (1882, Riemann), on découvre une limitation des constructions à la règle et au
compas. La croyance naïve doit être révisée, la compréhension est enrichie. Dans
chacun de ces trois premiers exemples on voit très clairement que ce qui est montré
c’est la limite de l’outil de connaissance considéré, comme si on découvrait à un
moment donné qu’on ne peut pas visser un boulon avec un tournevis.
Son quatrième exemple est l’impossibilité de démontrer le postulat des parallèles. Le
résultat est une limitation des preuves en géométrie élémentaire. C’est en réalité un
résultat de consistance relative. Nous pouvons être déçu, de même qu’on peut être
déçu de l’impossibilité du mouvement perpétuel en physique, mais dans chacun de
ces exemples la limite n’est pas celle du sujet connaissant. Puis il considère des
exemples en logique, et commence par l’indécidabilité de Gödel. Aucun système
formel ne peut à la fois contenir un minimum d’arithmétique, de logique, être
consistant, et pour toute formule F démontrer soir F, soit « non F ». On peut ici avoir
l’impression d’une limitation. Mais le résultat est que l’ensemble des vérités
mathématiques, les formules vraies de la structure L n’est pas un ensemble
récursivement énumérable. On retrouve un énoncé comme dans l’exemple 1. Les
vérités mathématiques sont un objet qu’on peut parfaitement définir. Il y a
inadéquation entre les systèmes formels et ce qu’on veut capter par eux. Il s’agit
d’une limite de ce qu’on a pu espérer des systèmes formels.
De même avec le théorème de Church on démontre qu’il n’existe pas d’algorithme
qui puisse décider pour toute formule du calcul des prédicats du premier ordre si
c’est un théorème ou non. Là encore il y a une inadéquation entre la méthode qu’on
veut mettre en œuvre (ici les algorithmes) et l’objet qu’on vise. On pourrait penser
que le théorème de Church est bien une limitation : un esprit humain ne pourra
jamais énumérer toutes les vérités d’un système formel pour savoir s’il est consistant.
Un esprit infini pourrait savoir si ZF est contradictoire. Mais pour Delahaye la
question n’a pas de sens. Admettons qu’on puisse un jour mener un calcul infini en
temps fini. Alors le théorème de Church indique la nécessité d’utiliser un tel procédé.