Iatrogénèse médicamenteuse chez les sujets âgés Dr CHERGUI SAÏDA Polyclinique de Rillieux Lyon Nord 20 Octobre 2011 Iatrogénèse n Problème de santé publique: loi du 9 août 2004. n L âge est un facteur de gravité des accidents iatrogènes (mais pas un FdR ?). n La polymédication (la polypathologie) est un facteur de risque indépendant d accident iatrogène. Une personne est dite âgée après 75 ans ou polypathologique de 65 ans ou «vulnérable». Epidémiologie n Peu d études avant AMM chez les sujets âgés ou fragiles; prescriptions empiriques en gériatrie n 10% des hospitalisations après 65 ans dues à des accidents iatrogènes (de 3 à 23%). n 10 % des hospitalisations se compliquent d accidents iatrogènes (jusqu à 19%). n Les médicaments incriminés: CV (anti HTA, diurétiques, AVK…), psychotropes, AINS, AA, AB. Sémiologie et iatrogénèse n Confusion mentale n Malaises, chutes n Troubles digestifs, urinaires Physiopathologie Modifications pharmacocinétiques avec l âge : n Réduction filtration glomérulaire (cf. clearance créat n n n n Cockcroft , MDRD après 80 ans). Marge thérapeutique étroite, forte affinité protéique/ dénutrition, hémoconcentration. Volumes de distribution: réduction rapport masse maigre/grasse qui explique la biodisponibilité rapide mais brève des substances hydrosolubles (digoxine) et a contrario l accumulation puis le relargage secondaire des subst. liposolubles (demi-vie + longue: diazépam). Perméabilité barrière hémato-encéphalique aux psychotropes. Pas de modification sensible de l absorption digestive ni du métabolisme hépatique (cytochr p 450…) Physiopathologie Modifications pharmacodynamiques avec l âge: n Réduction du nombre de cellules nodales du myocarde et risque conductif. Altération fonction diastolique du VG n Ostéoporose et chutes. n Sensibilité des récepteurs cholinergiques (confusion, délires aux anti cholinergiques), adrénergiques (hypo TA ortho, chutes), thermorégulateurs. Interactions médicamenteuses ,prescriptions inadaptées, poly médication, automédication ; affections intercurrentes et environnements; mauvaise observance thérapeutique et formes galéniques ou génériques Modalités de prescription non optimales chez le sujet âgé n Excès de médicaments : over use Prescriptions excessives / nombre de prescripteurs ou absence d indication ou d efficacité (vasodilatateurs cérébraux, Vastarel, veinotoniques, IPP au long cours, benzodiazépines) n Prescription inappropriée : miss use Médicaments inappropriés = rapport bénéfices/risques défavorable n Insuffisance de traitement : under use Médicaments sous-utilisés sous prétexte de l âge Déclin cognitif et iatrogénèse n Les anti cholinergiques induiraient dans 80 % des cas une altération modérée des capacités intellectuelles (temps de réaction, mémoire immédiate ou différée, langage). Cependant, il n est pas établi qu ils conduisent à une authentique maladie d Alzheimer n liste des 82 médicaments anti cholinergiques potentiellement risqués : n Score 1 : les anti cholinergiques légers : Alprazolam, Aténolol, Captopril, Codéine, Colchicine, Diazépam, Digoxine, Furosémide, Fentanyl, Haloperidol, Hydralazine, Hydrocortisone, Isosorbide, Lopéramide, Morphine, Nifédipine, Prednisone, Quinidine, Ranitidine, Triamtérène... n Score 2 : les anti cholinergiques modérés : Amantadine, Tégrétol, Loxapine... n Score 3 : les anti cholinergiques sévères : Amitriptyline, Atropine, Chlorpromazine, Chlomipranine, Chlomipramine, Chlozapine, Atarax, Toframil, Deroxat, Scopolamine... n Les psychotropes et la liste à venir des médicaments inducteurs de la maladie d Alzheimer selon le Professeur BEGAUD (benzodiazépines et hypnotiques). n Les anesthésies et le risque post-op de confusion/délires et/ou dysfonctions cognitives Cas clinique 1 n Mme X.91 ans vue en Cs avril 2010 pour troubles mnésiques n pas d ATCD (dyslipidémie modérée), pas de trt n Diagnostic : maladie Alzheimer débutante : Aricept n Cs de contrôle 15 juin 2011: n EC : déclin cognitif stable ; TA 11/5; bio normale (hypocholest) ordonnance depuis qq mois: Aricept + Exelon+ Tahor + IEC… n Ordonnance en fin de CS : Aricept seul Cas clinique 2 n Madame S. 85 ans vue en CS en oct 2011 n Douleur chronique traitée depuis de nombreuses années par Durogesic n Décision de sevrage progressif n Évolution: pas d accentuation de la douleur n Amélioration voire normalisation des anomalies cognitives (mémoire immédiate, lenteur idéatoire) et des troubles de l équilibre Cas clinique 3 n Mr B. 95 ans hospitalisé pour lombalgie aigüe fébrile. Discarthrose lombaire au scanner n n n 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. Vit chez sa fille, autonome ATCD : arthrose; prostatisme; basocellulaire oreille droite Traitement : Aérius et Locaderm (eczéma récent des MI) Art 50 Piasclédine 300 Tadenan Tanakan Structum Vastarel Cas clinique 3 n n 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. n Diagnostic :spondylodiscite L5 à la scinti osseuse et septicémie à staphylocoque aureus. ETO négative Traitement: Orbénine 2gx3 Genta 100 mg x2 Actiskénan 5 mg/4 h fonction EVA Durogésic 12 Morphine sc. 5 mg/4 h fonction EVA Acupan Dafalgan 1g x 4 Évolution à J7: pauses respiratoires, globe, IRA, tx résiduel genta 4,6. Décès J10 Cas clinique 4 n Mme N, 66 ans, hospitalisée pour pneumopathie aiguë et décompensation respiratoire sur terrain asthmatique, se plaint depuis qq mois de flou visuel, acouphènes, baisse d audition, céphalées, pertes de mémoire, vertiges, douleur abdominale, douleurs neuropathiques chroniques. n Antécédents : obésité, hypertension artérielle, notion de FA ? Endartériectomie carotidienne gauche, séquelle lacunaire frontale, thyroïdectomie pour cancer, cure de hernie hiatale, cure de canal lombaire étroit et douleurs neuropathiques chroniques. n Traitement : Augmentin Tahor, Tareg, Plavix (Lasilix) Rivotril, Lyrica, Imovane Levothyrox 150 en alternance avec 175 (hypothyroïdie non contrôlée) Durogesic Hexaquine, Tanganil, Inexium, Fero-grad, Spasfon, … n Diagnostic : interactions médic., cinchonisme, escalade thérapeutique Cas clinique 5 n Mme C, 85 ans, hospitalisée pour aggravation des troubles cognitifs n n n n n n n n (manque du mot, troubles mnésiques et praxiques modérés). Antécédents : ostéoporose, arthrose et lombosciatique, chondrocalcinose et arthralgies chroniques, dépression, sécheresse lacrymale. Traitement habituel : Lysanxia, Stablon, Sulfarlem, Transilane Scanner cérébral : AVC hémorragique temporal gauche avec œdème périphérique. Bilan de coagulation : normal. Angio-IRM cérébrale : aucune malformation vasculaire Echocoeur : normale Evolution : amélioration clinique significative avec persistance des troubles cognitifs de type temporal. Etiologie possible : automédication à domicile par Nurofen pour douleur articulaire et chondrocalcinose. Troubles cognitifs et psychotropes Cas clinique 6 n Mr A, 85 ans, hospitalisé pour plaies variqueuses chroniques n n n n n surinfectées et OMI. Antécédents : arythmie par FA lente (arrêt du Previscan après AVC hémorragique), hypertension artérielle, diabète insulinorequérant, chirurgie d un cancer des cordes vocales, DMLA. Traitement : Adancor, Aprovel, Kardegic, Lasilix, Novonorm, Lantus, Doliprane, Equanil , Atarax Examen clinique et paraclinique : en faveur d une décompensation cardiaque sur myocardiopathie hypertrophique en FA lente. Indication : réintroduction des AVK. CHADS 4 Troubles mnésiques antérogrades avec difficulté de concentration et peu de coopération du patient : psychotropes ? Cas clinique 7 n Mme G. 70 ans, hospitalisée pour tassement vertébral hyperalgique L1 n Antécédents : chutes multiples (hypotension orthostatique, éthylisme) et fractures multiples sur ostéoporose, polyvasculaire post tabagique (dilatations et pontages fémoropoplités),HTA, FA (arrêt du Previscan (relais AAP) en Janvier 2011 après récidive de chute/TC/ hémorragie cérébroméningée frontotemporale droite), syndrome coronarien aigu en Février 2011, à coronaires saines. n Traitement : Temerit 5 mg, Hemigoxine, Discotrine, Amlor, Perindopril, Lasilix 40+20 mg, Plavix, Kardegic § Neurontin, Actiskenan, Skenan, Dafalgan, Lumirelax, Artotec § Levothyrox, Alprazolam, Omeprazole. n Indication : over use ? under use? Recommandations par classe thérapeutique n 1 – Médicaments du système cardiovasculaire : n - Digoxinémie entre 0.8 et 1 ng /ml n - Hypotenseur : peu voire pas d indication des antihypertenseurs n n n n n n centraux (Catapressan, Hypérium). Après 80 ans : ne pas dépasser 3 hypotenseurs, se contenter d une baisse systolique de 2 à 3 points. Se méfier d une diastolique < 70-80. - Diurétiques : Thiazidiques si clairance > 30, Furosémide si clairance < 30, essentiellement si facteur congestif . - Statines : l institution d un traitement avec une statine en prévention primaire après 75 ans ne repose pas sur des données validées - Bêtabloquants à instaurer à petite dose.se méfier des collyres, BPCO, AOMI - Dérivés nitrés : pas d indication au long cours si les crises angineuses ont disparu car aucun effet sur la morbimortalité cardiovasculaire. - AVK : risque hémorragique majoré(score HAS BLED), pas de dose de charge, dose initiale réduite de moitié. Score CHADS 2 : carnet d information et de suivi. En attente Pradaxa, Xarelto ? - HBPM : contre-indiquées à dose curative et déconseillées à dose préventive si clairance < 30. Recommandations par classes thérapeutiques 2- psychotropes - Demi-dose, demi-vie courte ou intermédiaire des anxiolytiques (Tranxène : 100 heures!), durée déterminée. - Eviter les anticholinergiques, notamment après 80 ans. - Problème de sevrage, de masquage de dépression et d apparition ou d aggravation de troubles mnésiques, chutes (sédation, effet myorelaxant , hyponatrémie, …). - Cas particuliers : place des anticholinestérasiques ? Recommandations par classes thérapeutiques n Antalgiques : pas d indication d association d antalgiques de même palier ou de palier 2 + 3 (OMS). n Anti-inflammatoires non stéroïdiens : toxicité gastro-intestinale et risque hémorragique accru après 65 ans (1000 à 2000 décès par an ?), risque d insuffisance rénale, risque de décompensation cardiaque, risque de résistance au traitement de l hypertension artérielle, risque d interaction avec les IEC, les IRS, les AVK : l indication des antiinflammatoires doit rester prudente et pesée chez le sujet âgé . Les Coxibs sont CI si maladie cardiaque ou cérébrovasculaire; indication prudente si FdR cv (HTA, diabète, cholestérol, tabac) (même à petites doses) n Cas particulier de la crise goutteuse : indication de la corticothérapie plutôt que Colchicine en attendant l immunothérapie Principes de précaution 1) 2) 3) Evaluer la nécessité du traitement. Commencer par le dosage le plus faible possible, pas de dose de charge. Adapter les posologies selon poids, tension artérielle, pouls, iono (potassium), albuminémie, clairance de la créatinémie, interactions médicamenteuses.(réduire la posologie des médicaments à index thérapeutique large ; adapter selon la clairance créat les médicaments à index étroit) 4) 5) 6) Evaluer les effets du traitement. En cas d apparition de plaintes symptomatiques, s interroger sur son origine iatrogène plutôt qu introduire un nouveau médicament et induire une cascade thérapeutique. Réduire le nombre de médicaments au strict indispensable, en hiérarchisant les pathologies, en définissant les objectifs thérapeutiques, en substituant un trt médic. par trt non médic.(TENS, lombostat, bas contention…) 7) 8) Réduire la durée du traitement. Réadapter le traitement en cas de survenue d une nouvelle comorbidité (déshydratation, insuffisance rénale, insuffisance cardiaque, insuffisance hépatique, …). Conclusion Tout évènement inhabituel survenant chez un patient âgé doit faire rechercher en premier lieu une cause médicamenteuse. La poly médication augmente les risques iatrogènes conduisant à l émergence des grands syndromes gériatriques (altération cognitive, troubles du comportement, incontinence urinaire, chutes, perte d autonomie…): morbi-mortalité= fardeau financier Tout effet indésirable grave ou inattendu doit être signalé au Centre Régional de Pharmacovigilance.