Patrick Garcia L’historiographie et l’épistémologie de l’histoire comme ressource pour l’enseignement 4
de la communauté historienne (donner des exemples d'historiens) comme si le fait de
s’adonner à une réflexion théorique était une contre-indication à la pratique d’une “bonne”
histoire. Cette méfiance est ancienne et provient de la volonté des historiens professionnels
de se démarquer de la philosophie (Humboldt par exemple), et notamment de la philosophie
de l’histoire, lorsque s’affirme le processus de professionnalisation des historiens – pour la
France dans le dernier tiers du XIXème siècle7.
De fait les historiens français qui se sont risqués à une réflexion de type épistémologique et
l’ont revendiquée sont peu nombreux tant et si bien qu’on peut citer les principaux : Charles
Seignobos, Marc Bloch, Paul Veyne, Henri-Irénée Marrou, Michel de Certeau, Roger
Chartier, Antoine Prost, François Dosse ou encore François Hartog. Si on peut noter une
plus grande densité de travaux depuis les années 1980, la réflexion épistémologique a
longtemps été comme externalisée ou plutôt ce sont des philosophes voire des sociologues
qui se sont emparés du chantier (Raymond Aron, Paul Ricœur, Jacques Rancière, Jean-Claude
Passeron…).
Parler épistémologie pour un historien ne va donc pas de soi. Se pensant comme un artisan
voire un chiffonnier du passé, l’historien parle plus volontiers de méthode que
d’épistémologie, son empirisme est même un élément de distinction revendiqué. Dans le
débat qui l’oppose à François Simiand en 1907, Charles Seignobos, qui s’est pourtant efforcé
de théoriser sa pratique dit au sociologue : “Avec des pierres, je peux construire une maison,
je ne puis pas construire la Tour Eiffel8”. Puis il confesse, faussement affecté “Oh ! c’est un
sale travail que celui d’historien !9”, pour mieux soutenir ensuite que les productions
historiennes ne peuvent correspondre à l’idéal de perfection des “philosophes” (i.e. les
sociologues durkheimiens) et que “ce ne sont pas les auteurs des grandes spéculations, les
philosophes, qui ont créé la science moderne ; ce sont les empiriques10”. La faiblesse
7 Cf. Gérard Noiriel, La ‘crise’ de l’histoire, Belin, 1996 ou Christian Delacroix, François Dosse et Patrick Garcia, Les
courants historiques en France XIXe/XXe siècles, coll. “U”, Armand Colin, 1999, réédition revue et augmentée : Gallimard,
Folio histoire, 2007.
8 Charles Seignobos, “Intervention lors de la séance du 30 mai 1907”, Bulletin de la société française de Philosophie,
Armand Colin, cit. p. 268.
9 Ibid., p. 305.
10 Ibid., p. 289.