Rose ou rouillé? L`avenir des métaux industriels à l`exemple du cuivre

Thème du mois
20 La Vie économique Revue de politique économique 9-2008
Il n’y a plus besoin d’alchimistes pour
transformer le plomb en or. Les marchés fi-
nanciers y suffisent amplement. Les vieux
maîtres du «Grand Œuvre», tels Nicolas Fla-
mel, John Dee ou Heinrich Khunrath, se-
raient bien étonnés d’apprendre que l’appré-
ciation du métal lourd est depuis peu plus
importante que celle du métal noble. Entre le
1er janvier 2000 et le 31 décembre 2007, le
prix du plomb exprimé en USD a quintuplé,
alors que celui de l’or a «seulement» triplé.
D’autres métaux industriels ont connu une
évolution similaire. Durant la même période,
le cuivre augmentait de 253%, le nickel de
210%, le zinc de 92% et l’aluminium de
66%.
Les métaux industriels ont, certes, concé-
quelque peu de leur valeur ces douze der-
niers mois; leurs prix restent cependant, dans
de nombreux cas, toujours nettement plus
élevés que la moyenne des 25 dernières an-
nées: ainsi, l’ensemble de ces matières pre-
mières fait actuellement l’objet de pénuries.
Il convient de savoir pourquoi et de détermi-
ner les perspectives à long terme. Pour ré-
pondre, nous devons nous pencher sur les
déterminants actuels de l’offre et de la de-
mande. Nous le faisons ici avec l’exemple
spécifique du marché du cuivre, pour lequel
les séries statistiques sont les plus longues et
qualitativement les meilleures.
Les déterminants de la demande
Le graphique 1 montre la tendance qui ré-
sulte du rapport entre la demande de cuivre
et le produit intérieur brut (PIB) réel depuis
1900 pour les États-Unis et depuis 1950, 1960
et 1970 pour quelques pays d’Asie. Le graphi-
que 2 montre, de son côté, le comportement
du ratio «demande de cuivre/nombre d’ha-
bitants» sur la durée. Des formes similai-
res (U inversé dans le rapport «demande de
Rose ou rouillé? L’avenir des métaux industriels
à l’exemple du cuivre
Andreas Höfert
Économiste, UBS
Financial Services Inc.,
New York
Le «boom» des matières premiè-
res depuis l’an 2000 a poussé les
prix des métaux industriels à des
niveaux record. Beaucoup d’indi-
ces suggèrent néanmoins que
cette tendance n’est pas durable.
Loffre des métaux industriels
devra s’adapter – même si c’est
avec retard – à l’expansion conti-
nue de la demande. Dans tous les
cas, les ressources devraient être
suffisantes pour les prochaines
décennies.
Le développement d’une économie industrielle – comme dans les pays émergents – est très gourmand en matières
premières. Les métaux industriels, tels que le nickel, le zinc, le fer, le cuivre ou l’aluminium, sont fortement demandés.
En illustration: transformation du cuivre en Chine. Photo: Keystone
Thème du mois
21 La Vie économique Revue de politique économique 9-2008
métal/PIB» et S suivi d’un U inversé dans le
rapport «demande de métal/habitant») ap-
paraissent pour d’autres métaux industriels.
Ces formes s’expliquent facilement. Le
tronçon ascendant du U inversé (en rapport
avec le PIB) reflète en premier lieu l’indus-
trialisation de ces économies, c’est-à-dire le
déplacement du poids économique du sec-
teur primaire (agriculture) vers le secteur
secondaire (industrie). Le développement
d’une économie industrielle est très gour-
mand en matières premières. Les métaux in-
dustriels, tels que le nickel, le zinc et le fer
(pour produire de l’acier), ou encore le cui-
vre ou l’aluminium, sont fortement deman-
dés.
Le déclin relatif de l’agriculture accélère
également l’urbanisation. La croissance phé-
noménale des métropoles asiatiques en est
une bonne illustration. La population de
Tokyo a crû de 8,7 millions d’habitants en
1950 à 19,9 millions en 1970 et 24,4 millions
en 1990; celle de Séoul est passée d’environ
1 million en 1953 la fin de la guerre de
Corée) à 5,4 millions en 1970 et plus de
10 millions en 1990. Aujourd’hui, 20% de
l’ensemble de la population japonaise vit
à Tokyo. Près de la moitié des Sud-Coréens
habitent la grande agglomération de Séoul
avec ses 23 millions d’habitants.
Lorsqu’une économie arrive à maturité,
son poids se déplace du secteur secondaire
vers le tertiaire (services). À partir des années
cinquante pour les États-Unis et à partir du
milieu des années septante pour le Japon,
l’importance relative du secteur secondaire
mesurée en termes d’emplois (et donc de
PIB) a décru. Comme il s’agit du secteur le
plus gourmand en matières premières, l’im-
portance relative de ces dernières par rapport
à l’économie a également diminué. Cela ne
signifie pas forcément que la demande de
matières premières a reculé en valeur abso-
lue. Cependant, dans une économie où le
secteur tertiaire occupe la part du lion dans
la valeur ajoutée, la production d’un point de
PIB nécessite moins de matières premières
que si l’activité principale était manufactu-
rière.
De manière générale, on peut observer la
tendance suivante: l’élasticité-revenu de la
demande de métaux industriels s’accroît
dans un premier temps avec l’augmentation
du revenu; elle atteint ensuite un maximum
avant de décliner. Ainsi, pour le cuivre, nous
estimons, sur la base de données historiques
concernant douze des plus grandes écono-
mies mondiales, que le PIB par habitant, qui
maximise l’élasticité-revenu de la demande,
se situe aux alentours de 5000 USD (mesuré
avec la parité de pouvoir d’achat et aux prix
de 2008). On peut déterminer la demande
États-Unis Chine Japon Inde Corée du Sud
1900 1927 1954 1981 2008
0
0.1
0.2
0.3
0.4
0.5
0.6
0.7
0.8
0.9
1.0
Source: US Geological Survey, Brook Hunt, OCDE, UBS WMR / La Vie économique
Graphique 1
Demande de cuivre et produit intérieur brut (en grammes par USD), 1900–2008
États-Unis Chine Japon Inde Corée du Sud
1900 1927 1954 1981 2008
0
5
10
15
20
Source: US Geological Survey, Brook Hunt, OCDE, UBS WMR / La Vie économique
Graphique 2
Consommation de cuivre (en kilos par personne), 1900–2008
1 Voir à ce sujet UBS WMR (2006).
Thème du mois
22 La Vie économique Revue de politique économique 9-2008
future de métaux à l’aide de telles fonctions
d’élasticité mises en relation avec des prévi-
sions longues du PIB et de la population du-
rant la prochaine décennie1. Ainsi, nous nous
attendons à ce que la consommation de cui-
vre, estimée actuellement à 18,7 millions de
tonnes par an, augmente à 28 millions de
tonnes en 2020 (ce qui implique une crois-
sance annuelle moyenne de 3,4%).
Les déterminants de l’offre
La hausse massive de la consommation et
des prix des métaux industriels a accentué les
doutes quant à une offre suffisante à long
terme. Bien que la production de beaucoup
de métaux ait connu une croissance moyen-
ne de plus de 3% par an ces trente dernières
années, force est de constater que, pareille-
ment au pétrole, leurs réserves ne sont pas
inépuisables. Savoir si la production actuelle
est durable ou non est donc une question qui
s’impose. Il existe cependant une grande dif-
férence – que ce soit en matière d’extraction,
de production ou d’utilisation entre les
combustibles fossiles et les métaux: ces der-
niers peuvent être reconditionnés et recyclés.
Dans le cas du cuivre, la part de recyclage au
sein de la production globale est estimée ac-
tuellement à quelque 15%.
Pour déterminer la disponibilité à long
terme d’un métal, il s’agit d’estimer, d’une
part, les réserves (c’est-à-dire la part des ma-
tières premières qui a été découverte, réper-
toriée et quantifiée) et, d’autre part, la base
des ressources (matières premières non dé-
couvertes ou dont l’exploitation aux prix ac-
tuels du marché n’est pas rentable). Si l’on
s’intéresse uniquement aux réserves, la situa-
tion actuelle peut paraître critique; mais le
point de vue change dès qu’on inclut la base
des ressources dans l’analyse. Ainsi l’US Geo-
logical Survey estime les réserves actuelles de
Encadré 1
La Chine, une nouvelle puissance de marché
Durant la dernière décennie, la Chine est devenue
une importante consommatrice des cinq métaux indus-
triels les plus importants. Elle est au premier rang
mondial pour le zinc, l’aluminium, le cuivre, le nickel et
le plomb. La Chine est également une importante pro-
ductrice pour certains de ces métaux: elle occupe no-
tamment la première place dans le classement mondial
en ce qui concerne le zinc, l’aluminium et le plomb.
Cela signifie que l’influence de la Chine sur certains
marchés de métaux ne provient pas seulement de son
statut de demandeur, mais également de producteur
de premier plan. La grande consommation de métaux
de la Chine reflète bien évidemment la taille du pays,
mais également son industrialisation spectaculaire.
Secteur tertiaire
Secteur primaire
Tokyo (droite)
Secteur secondaire
% des emplois % de la population
1950 1960 1970 1980 1990 2000 2008
0
10
20
30
40
50
60
70
80
10
15
20
25
Source: Japanese Bureau of Statistics, UBS WMR / La Vie économique
Graphique 3
Le développement du Japon, 1950–2008
En %
Chine Europe occidentale États-Unis Japon
Nickel AluminiumPlombZincCuivre
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
Source: Brook Hunt, UBS WMR / La Vie économique
Graphique 4
Consommation de métaux industriels (en % de la consommation mondiale)
Thème du mois
23 La Vie économique Revue de politique économique 9-2008
cuivre à 960 millions de tonnes. La base des
ressources est quant à elle estimée à 3,7 mil-
liards de tonnes (plus de 3 milliards de res-
sources terrestres et 700 millions de tonnes
de ressources marines). En tenant compte du
fait que chaque tonne de la croûte terrestre
contient en moyenne 33 grammes de cuivre,
les ressources effectives pourraient s’élever à
un multiple bien plus élevé que celles esti-
mées.
Avec une production primaire de l’ordre
de 16 millions de tonnes en 2008 et en ta-
blant sur une croissance de l’ordre de 3% par
an –, les réserves de cuivre pourraient être
épuisées dans environ 35 ans. Cela corres-
pond à un laps de temps relativement court.
Ne pas considérer la base des ressources
pourrait, cependant, conduire à une erreur
de prévision similaire à celle du Club de Ro-
me en 1972. Dans son rapport d’alors, ce
dernier estimait que les réserves de cuivre se-
raient épuisées en 1990.
Pour la plupart des métaux industriels, la
base des ressources potentielle permet ac-
tuellement plus de 200 ans de consomma-
tion. À long terme, l’exploitation de nou-
veaux gisements inconnus ou non rentables
aujourd’hui devrait garantir la disponibilité
des métaux industriels. Cette perspective est
encore rehaussée si l’on inclut dans les ré-
flexions le recyclage qui devrait continuer de
gagner en importance dans le futur.
Où se situent les goulets
d’étranglement?
À court terme, l’offre de métaux indus-
triels est entravée par des déficits d’investis-
sements dans les capacités de production,
par des barrières au sein du commerce inter-
national et par des restrictions législatives
touchant aux aspects environnementaux de
l’extraction. En raison de la baisse importan-
te des prix des métaux durant les années no-
nante, les producteurs étaient peu enclins à
rechercher de nouveaux gisements ou à aug-
menter la production. Nos scénarios d’offre
et de demande suggèrent dans le cas du cui-
vre que le manque d’offre continuera à se
faire sentir avec de plus en plus d’acuité jus-
qu’en 2025, surtout en raison d’une demande
de plus en plus forte provenant des marchés
émergents. Avec l’augmentation récente des
prix, les investissements reprendront et nous
nous attendons à ce que de nouvelles réser-
ves soient rapidement exploitées.
Conclusion
Selon nos prévisions, les besoins des mar-
chés émergents devraient continuer à aug-
menter ces prochaines années du fait de leur
développement économique accéléré et de la
croissance de leurs capacités industrielles. A
contrario, la demande en métaux des pays
industrialisés – ces derniers étant toujours
plus orientés vers les services et donc moins
dépendants des matières premières – devrait
stagner, voire même diminuer. La demande
globale devrait, toutefois, continuer de croî-
tre sensiblement ces deux prochaines décen-
nies.
Le manque d’investissements dans les ca-
pacités d’extraction de ces dernières années
limité les réserves de métaux industriels à
court terme. Bien que les investissements se
soient accélérés récemment, nous ne nous
attendons pas à une amélioration significa-
tive de l’offre pour ces trois à cinq prochaines
années.
À plus long terme et au vu de la très
grande base des ressources, la question d’un
épuisement des métaux industriels ne se pose
pas vraiment. Bien que ce marché soit sou-
mis à des fluctuations récurrentes de l’offre,
l’exploration continuelle des dépôts miniers
existants devrait permettre de revaloriser les
réserves actuellement inintéressantes au plan
économique et donc de maintenir un poten-
tiel de réserve à long terme.
Spéculé
(non exploré)
Mesuré Estimé
Identifié
Réserves
Ressources
Non découvert
Prouvé Déduit Hypothétique
(exploré)
Degré de preuve géologique
Degré de rentabilité
Non rentables
Rentables
ProchesLointains
Encadré 2
Références
Giraud Pierre-Noël, L’économie mondiale
des matières premières, Paris, 1989, La Dé-
couverte.
Maddison Angus, L’économie mondiale:
une perspective millénaire, Paris, 2004,
OCDE.
Radetzki Marian, A guide to primary com-
modities in the world economy, Oxford,
1990, Basil Blackwell.
Rodgers Jim, Hot commodities, New York,
2004, Random House.
UBS Wealth Management Research, «Ma-
tières premières», Research Focus, juin
2005, Zurich.
UBS Wealth Management Research, «Les
matières premières», Research Focus, août
2006, Zurich.
Source: d’après Giraud (1989), Höfert / La Vie économique
Graphique 5
Définition des réserves et des ressources
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