Rose ou rouillé? L`avenir des métaux industriels à l`exemple du cuivre

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Thème du mois
Rose ou rouillé? L’avenir des métaux industriels
à l’exemple du cuivre
Le «boom» des matières premières depuis l’an 2000 a poussé les
prix des métaux industriels à des
niveaux record. Beaucoup d’indices suggèrent néanmoins que
cette tendance n’est pas durable.
L’offre des métaux industriels
devra s’adapter – même si c’est
avec retard – à l’expansion continue de la demande. Dans tous les
cas, les ressources devraient être
suffisantes pour les prochaines
décennies.
Le développement d’une économie industrielle – comme dans les pays émergents – est très gourmand en matières
premières. Les métaux industriels, tels que le nickel, le zinc, le fer, le cuivre ou l’aluminium, sont fortement demandés.
En illustration: transformation du cuivre en Chine.
Photo: Keystone
Il n’y a plus besoin d’alchimistes pour
transformer le plomb en or. Les marchés financiers y suffisent amplement. Les vieux
maîtres du «Grand Œuvre», tels Nicolas Flamel, John Dee ou Heinrich Khunrath, seraient bien étonnés d’apprendre que l’appréciation du métal lourd est depuis peu plus
importante que celle du métal noble. Entre le
1er janvier 2000 et le 31 décembre 2007, le
prix du plomb exprimé en USD a quintuplé,
alors que celui de l’or a «seulement» triplé.
D’autres métaux industriels ont connu une
évolution similaire. Durant la même période,
le cuivre augmentait de 253%, le nickel de
210%, le zinc de 92% et l’aluminium de
66%.
Les métaux industriels ont, certes, concédé quelque peu de leur valeur ces douze derniers mois; leurs prix restent cependant, dans
de nombreux cas, toujours nettement plus
élevés que la moyenne des 25 dernières années: ainsi, l’ensemble de ces matières premières fait actuellement l’objet de pénuries.
Il convient de savoir pourquoi et de déterminer les perspectives à long terme. Pour répondre, nous devons nous pencher sur les
déterminants actuels de l’offre et de la demande. Nous le faisons ici avec l’exemple
spécifique du marché du cuivre, pour lequel
les séries statistiques sont les plus longues et
qualitativement les meilleures.
Les déterminants de la demande
Andreas Höfert
Économiste, UBS
Financial Services Inc.,
New York
20 La Vie économique Revue de politique économique 9-2008
Le graphique 1 montre la tendance qui résulte du rapport entre la demande de cuivre
et le produit intérieur brut (PIB) réel depuis
1900 pour les États-Unis et depuis 1950, 1960
et 1970 pour quelques pays d’Asie. Le graphique 2 montre, de son côté, le comportement
du ratio «demande de cuivre/nombre d’habitants» sur la durée. Des formes similaires (U inversé dans le rapport «demande de
Thème du mois
Graphique 1
Demande de cuivre et produit intérieur brut (en grammes par USD), 1900–2008
États-Unis
Chine
Japon
Inde
Corée du Sud
1.0
0.9
0.8
0.7
0.6
0.5
0.4
0.3
0.2
0.1
0
1900
1927
1954
1981
2008
Source: US Geological Survey, Brook Hunt, OCDE, UBS WMR / La Vie économique
Graphique 2
Consommation de cuivre (en kilos par personne), 1900–2008
États-Unis
Chine
Japon
Inde
Corée du Sud
20
15
10
5
0
1900
1927
1954
1981
2008
Source: US Geological Survey, Brook Hunt, OCDE, UBS WMR / La Vie économique
1 Voir à ce sujet UBS WMR (2006).
21 La Vie économique Revue de politique économique 9-2008
métal/PIB» et S suivi d’un U inversé dans le
rapport «demande de métal/habitant») apparaissent pour d’autres métaux industriels.
Ces formes s’expliquent facilement. Le
tronçon ascendant du U inversé (en rapport
avec le PIB) reflète en premier lieu l’industrialisation de ces économies, c’est-à-dire le
déplacement du poids économique du secteur primaire (agriculture) vers le secteur
secondaire (industrie). Le développement
d’une économie industrielle est très gourmand en matières premières. Les métaux industriels, tels que le nickel, le zinc et le fer
(pour produire de l’acier), ou encore le cuivre ou l’aluminium, sont fortement demandés.
Le déclin relatif de l’agriculture accélère
également l’urbanisation. La croissance phénoménale des métropoles asiatiques en est
une bonne illustration. La population de
Tokyo a crû de 8,7 millions d’habitants en
1950 à 19,9 millions en 1970 et 24,4 millions
en 1990; celle de Séoul est passée d’environ
1 million en 1953 (à la fin de la guerre de
Corée) à 5,4 millions en 1970 et plus de
10 millions en 1990. Aujourd’hui, 20% de
l’ensemble de la population japonaise vit
à Tokyo. Près de la moitié des Sud-Coréens
habitent la grande agglomération de Séoul
avec ses 23 millions d’habitants.
Lorsqu’une économie arrive à maturité,
son poids se déplace du secteur secondaire
vers le tertiaire (services). À partir des années
cinquante pour les États-Unis et à partir du
milieu des années septante pour le Japon,
l’importance relative du secteur secondaire
mesurée en termes d’emplois (et donc de
PIB) a décru. Comme il s’agit du secteur le
plus gourmand en matières premières, l’importance relative de ces dernières par rapport
à l’économie a également diminué. Cela ne
signifie pas forcément que la demande de
matières premières a reculé en valeur absolue. Cependant, dans une économie où le
secteur tertiaire occupe la part du lion dans
la valeur ajoutée, la production d’un point de
PIB nécessite moins de matières premières
que si l’activité principale était manufacturière.
De manière générale, on peut observer la
tendance suivante: l’élasticité-revenu de la
demande de métaux industriels s’accroît
dans un premier temps avec l’augmentation
du revenu; elle atteint ensuite un maximum
avant de décliner. Ainsi, pour le cuivre, nous
estimons, sur la base de données historiques
concernant douze des plus grandes économies mondiales, que le PIB par habitant, qui
maximise l’élasticité-revenu de la demande,
se situe aux alentours de 5000 USD (mesuré
avec la parité de pouvoir d’achat et aux prix
de 2008). On peut déterminer la demande
Thème du mois
Graphique 3
Le développement du Japon, 1950–2008
Secteur primaire
Secteur secondaire
Secteur tertiaire
Tokyo (droite)
% des emplois
% de la population
25
80
70
Les déterminants de l’offre
60
20
50
40
30
15
20
10
0
future de métaux à l’aide de telles fonctions
d’élasticité mises en relation avec des prévisions longues du PIB et de la population durant la prochaine décennie1. Ainsi, nous nous
attendons à ce que la consommation de cuivre, estimée actuellement à 18,7 millions de
tonnes par an, augmente à 28 millions de
tonnes en 2020 (ce qui implique une croissance annuelle moyenne de 3,4%).
10
1950
1960
1970
1980
1990
2000
2008
Source: Japanese Bureau of Statistics, UBS WMR / La Vie économique
Graphique 4
Consommation de métaux industriels (en % de la consommation mondiale)
Japon
États-Unis
Europe occidentale
Chine
En %
90
80
70
60
50
40
30
La hausse massive de la consommation et
des prix des métaux industriels a accentué les
doutes quant à une offre suffisante à long
terme. Bien que la production de beaucoup
de métaux ait connu une croissance moyenne de plus de 3% par an ces trente dernières
années, force est de constater que, pareillement au pétrole, leurs réserves ne sont pas
inépuisables. Savoir si la production actuelle
est durable ou non est donc une question qui
s’impose. Il existe cependant une grande différence – que ce soit en matière d’extraction,
de production ou d’utilisation – entre les
combustibles fossiles et les métaux: ces derniers peuvent être reconditionnés et recyclés.
Dans le cas du cuivre, la part de recyclage au
sein de la production globale est estimée actuellement à quelque 15%.
Pour déterminer la disponibilité à long
terme d’un métal, il s’agit d’estimer, d’une
part, les réserves (c’est-à-dire la part des matières premières qui a été découverte, répertoriée et quantifiée) et, d’autre part, la base
des ressources (matières premières non découvertes ou dont l’exploitation aux prix actuels du marché n’est pas rentable). Si l’on
s’intéresse uniquement aux réserves, la situation actuelle peut paraître critique; mais le
point de vue change dès qu’on inclut la base
des ressources dans l’analyse. Ainsi l’US Geological Survey estime les réserves actuelles de
20
10
Encadré 1
0
Nickel
Cuivre
Zinc
Plomb
Aluminium
Source: Brook Hunt, UBS WMR / La Vie économique
La Chine, une nouvelle puissance de marché
Durant la dernière décennie, la Chine est devenue
une importante consommatrice des cinq métaux industriels les plus importants. Elle est au premier rang
mondial pour le zinc, l’aluminium, le cuivre, le nickel et
le plomb. La Chine est également une importante productrice pour certains de ces métaux: elle occupe notamment la première place dans le classement mondial
en ce qui concerne le zinc, l’aluminium et le plomb.
Cela signifie que l’influence de la Chine sur certains
marchés de métaux ne provient pas seulement de son
statut de demandeur, mais également de producteur
de premier plan. La grande consommation de métaux
de la Chine reflète bien évidemment la taille du pays,
mais également son industrialisation spectaculaire.
22 La Vie économique Revue de politique économique 9-2008
Thème du mois
Graphique 5
Définition des réserves et des ressources
Déduit
Estimé
Non découvert
Hypothétique
Spéculé
(exploré)
(non exploré)
Proches
Réserves
Ressources
Lointains
Non rentables
Rentables
Mesuré
Identifié
Degré de rentabilité
Prouvé
sements dans les capacités de production,
par des barrières au sein du commerce international et par des restrictions législatives
touchant aux aspects environnementaux de
l’extraction. En raison de la baisse importante des prix des métaux durant les années nonante, les producteurs étaient peu enclins à
rechercher de nouveaux gisements ou à augmenter la production. Nos scénarios d’offre
et de demande suggèrent dans le cas du cuivre que le manque d’offre continuera à se
faire sentir avec de plus en plus d’acuité jusqu’en 2025, surtout en raison d’une demande
de plus en plus forte provenant des marchés
émergents. Avec l’augmentation récente des
prix, les investissements reprendront et nous
nous attendons à ce que de nouvelles réserves soient rapidement exploitées.
Degré de preuve géologique
Source: d’après Giraud (1989), Höfert / La Vie économique
Encadré 2
Références
– Giraud Pierre-Noël, L’économie mondiale
des matières premières, Paris, 1989, La Découverte.
– Maddison Angus, L’économie mondiale:
une perspective millénaire, Paris, 2004,
OCDE.
– Radetzki Marian, A guide to primary commodities in the world economy, Oxford,
1990, Basil Blackwell.
– Rodgers Jim, Hot commodities, New York,
2004, Random House.
– UBS Wealth Management Research, «Matières premières», Research Focus, juin
2005, Zurich.
– UBS Wealth Management Research, «Les
matières premières», Research Focus, août
2006, Zurich.
cuivre à 960 millions de tonnes. La base des
ressources est quant à elle estimée à 3,7 milliards de tonnes (plus de 3 milliards de ressources terrestres et 700 millions de tonnes
de ressources marines). En tenant compte du
fait que chaque tonne de la croûte terrestre
contient en moyenne 33 grammes de cuivre,
les ressources effectives pourraient s’élever à
un multiple bien plus élevé que celles estimées.
Avec une production primaire de l’ordre
de 16 millions de tonnes en 2008 – et en tablant sur une croissance de l’ordre de 3% par
an –, les réserves de cuivre pourraient être
épuisées dans environ 35 ans. Cela correspond à un laps de temps relativement court.
Ne pas considérer la base des ressources
pourrait, cependant, conduire à une erreur
de prévision similaire à celle du Club de Rome en 1972. Dans son rapport d’alors, ce
dernier estimait que les réserves de cuivre seraient épuisées en 1990.
Pour la plupart des métaux industriels, la
base des ressources potentielle permet actuellement plus de 200 ans de consommation. À long terme, l’exploitation de nouveaux gisements inconnus ou non rentables
aujourd’hui devrait garantir la disponibilité
des métaux industriels. Cette perspective est
encore rehaussée si l’on inclut dans les réflexions le recyclage qui devrait continuer de
gagner en importance dans le futur.
Où se situent les goulets
d’étranglement?
À court terme, l’offre de métaux industriels est entravée par des déficits d’investis-
23 La Vie économique Revue de politique économique 9-2008
Conclusion
Selon nos prévisions, les besoins des marchés émergents devraient continuer à augmenter ces prochaines années du fait de leur
développement économique accéléré et de la
croissance de leurs capacités industrielles. A
contrario, la demande en métaux des pays
industrialisés – ces derniers étant toujours
plus orientés vers les services et donc moins
dépendants des matières premières – devrait
stagner, voire même diminuer. La demande
globale devrait, toutefois, continuer de croître sensiblement ces deux prochaines décennies.
Le manque d’investissements dans les capacités d’extraction de ces dernières années
limité les réserves de métaux industriels à
court terme. Bien que les investissements se
soient accélérés récemment, nous ne nous
attendons pas à une amélioration significative de l’offre pour ces trois à cinq prochaines
années.
À plus long terme et au vu de la très
grande base des ressources, la question d’un
épuisement des métaux industriels ne se pose
pas vraiment. Bien que ce marché soit soumis à des fluctuations récurrentes de l’offre,
l’exploration continuelle des dépôts miniers
existants devrait permettre de revaloriser les
réserves actuellement inintéressantes au plan
économique et donc de maintenir un poten
tiel de réserve à long terme.
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