Economie dématérialisée au service d`une croissance propre : les

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Economie dématérialisée au service d’une
croissance propre : les limites
jeudi 28 janvier 2010, par Anne Thibaut
Comment concilier stabilité économique et réduction urgente de l’utilisation des ressources et
des émissions polluantes ? Une approche très régulièrement proposée repose sur l’économie
dématérialisée. De quoi s’agit-il exactement et quelles en sont les limites ? Eléments de
réponses…
C’est aujourd’hui de plus en plus prouvé et accepté : dans un système économique basé sur la croissance
de la consommation et de la production, confier notre salut écologique au seul progrès technologique
relève de l’illusion. Les effets rebonds inhérents à l’évolution technologique ne font que renforcer la
consommation et donc la pression sur l’environnement naturel. Qu’à cela ne tienne, diront certains, si on
ne peut sortir (rapidement) du modèle de croissance, changeons le moteur de cette croissance en le
basant sur des sources d’énergie non polluantes et en vendant des services immatériels et des produits
non polluants ou, de façon plus réaliste, les moins polluants possibles. En bref, il s’agit de vendre et de
produire des services « dématérialisés » plutôt que des biens matériels. Mais de quoi parle-t-on ?
Tordons le cou tout de suite à un mythe encore largement répandu : notre économie dite « de services »
ou "tertiaire", en croissance depuis les années 60, n’a en rien réduit sa pression sur l’environnement. Ainsi,
en croisant les émissions de CO2 par habitant avec le poids des services dans l’emploi pour 28 pays de
l’OCDE, Gadrey montre une corrélation significative : les pays les plus "tertiaires" sont aussi les plus
pollueurs [1]. Il est vrai que si un nombre croissant d’employés belges ressortent aujourd’hui de leur
bureau les mains propres et le pli du pantalon ou de la jupe impeccable, c’est au prix d’une délocalisation
massive de la production de biens de consommation consommés chez nous à bas prix grâce à des gains de
productivité très important bien souvent réalisés au détriment de l’environnement, des conditions de
travail et de la qualitié de vie des personnes.
Alléger l’empreinte des services existants
Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Amplifier les services est une voie intéressante à condition
d’alléger au maximum leurs empreintes écologiques. Car les services ne sont pas – et ne seront jamais -
totalement immatériels.
Les trois composantes de la matérialité des relations de service sont les suivantes.
- les déplacements des personnes, prestataires ou usagés : ils sont aujourd’hui très importants. Le secteur
du tourisme et des loisirs, a priori bon candidat à la dématérialisation, est responsable d’environ ¼ des
émissions d’énergie et de carbone produites par les citoyens britanniques [2] .
- les espaces de prestation (bureaux, salles d’enseignements, hôpitaux, guichets de banques, …) qu’il faut
construire et ensuite entretenir, chauffer et éclairer.
- les outils techniques d’appui, au bureau, au guichet, au comptoir, à l’hôpital… qui peuvent aussi être
énergivores et polluants. L’avènement de l’ordinateur et de l’utilisation des applications informatiques
promettait un avenir avec « moins de ressources, moins de papiers » ; cela s’est pourtant soldé par «
encore plus de ressources et encore plus de papier ». Du fait de ces technologies et notamment de
l’accessibilité aux imprimantes et photocopieuses privées du fait de prix devenus excessivement bas
(certaines imprimantes coûtent moins cher que le prix du set de cartouches nécessaire à son
fonctionnement, jamais autant de documents n’ont été imprimés. La consommation mondiale de papier
augmente de 4% par an en moyenne.
Tout l’art réside donc dans la mise en place de services utiles et accessibles au plus grand nombre, aux
empreintes écologiques faibles, en optimisant les déplacements à effectuer, le nombre et la qualité des
bâtiments à faire utiliser et la gestion des outils techniques.
Créer de nouveaux services
A côté de l’optimisation des services existants, une piste à développer davantage est celle de l’économie
fonctionnelle ou de la "fonctionnalité". L’idée d’une telle économie est de substituer la prestation d’un
service à la vente d’un bien.
Quelques exemples : une entreprise gère des lavoirs au lieu de vendre des machines à laver individuelles
fussent-elles A++++ ; une autre loue des tapis (lien vers niews Entreprise durable : vendre un service
plutôt qu’un produit), une autre encore vend de la mobilité plutôt que des voitures. Dans ce dernier
exemple, à prestations sensiblement égales, une voiture Cambio remplace en moyenne 30 voitures
individuelles, réduisant d’autant la production automobile et sa consommation en ressources naturelles [3].
On peut imaginer que si les pouvoirs publics mettaient en place des réglementations suffisamment
contraignantes à l’égard des entreprises, ils contribueraient à l’évolution vers plus de dématérialisation :
celles-ci deviendraient de plus en plus des prestataires de services au lieu de rester des vendeurs de biens
matériels. Dans une telle configuration, le producteur est réellement incité à concevoir des équipements à
longue durée de vie, faciles à réparer et à recycler et consommant peu d’énergie.
Revoir notre modèle de croissance
Favoriser une telle économie est une piste intéressante mais elle soulève aussi de nombreuses questions.
Par exemple, est-ce que les nouvelles activités générées par ce type d’économie compenseront les pertes
d’emplois liés aux activités de production de biens ?
Par ailleurs, nous l’avons vu, les services nécessiteront toujours un support matériel (ressources,
infrastructures, …). Ce qui signifie que même si la totalité de l’économie était « immatérielle », dans un
contexte économique caractérisé par un objectif de croissance, la question des limites se fera sentir un
jour ou l’autre. Comme le remarque Mauro Bonaiuti, « on ne pourra jamais obtenir le même nombre de
pizzas en diminuant toujours la quantité de farine, même si l’on augmente le nombre de cuisiniers ». Le
compte à rebours sera certes allongé mais pour combien de temps ?
Par la porte ou par les fenêtres, il est indispensable de reconsidérer notre modèle économique basée sur
la croissance. Comme le rappelle Tim Jackson, John Stuart Mill, un des pères fondateurs de l’économie
moderne, pensait qu’il était nécessaire et souhaitable d’évoluer vers un état stationnaire du capital et de
richesse précisant que cela n’impliquait pas l’arrêt de l’évolution positive de l’homme. Keynes, économiste
du début du 20ème siècle insistait aussi sur la nécessité d’avoir une croissance « prudente », et prévoyait
un moment où nos problèmes de nature économiques seraient réglés et que nous préférerions consacrer
nos énergies à des matières non économiques...
Notes
[1] J. Gadrey « Les services ne sont pas LA solution à la crise écologique », in Proceedings of the first
international conference on economic degrowth for ecological sustainability and social equity, Paris
18-19 avril 2008 ; p. 42
[2] Tim Jackson, Prosperity without growth ? The transition to a sustainable economy, Sustainable
Development Commission téchargeable sur
[3] M.Sonck, le capitalisme vert est-il une bonne affaire du point de vue social ? Bruxelles en
mouvement , n°226, 5 octobre 2009
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