de William Shakespeare mise en scène Clément Poirée Presse : Pascal Zelcer 06 60 41 24 55 [email protected] Rideau ! Le Blog théâtre de Jack Dion Des rires et des larmes Un coup de cœur avec « Beaucoup de bruit pour rien » de Shakespeare, mis en scène par Clément Poirée, au théâtre de la Tempête. Des rires et des larmes Le propre des grands, c’est qu’ils le restent même avec des œuvres jugées mineures au regard de leur palmarès. A preuve « Beaucoup de bruit pour rien », de Shakespeare. A côté d’ « Hamlet » ou de « Othello », il s'agit d'une douce bluette. L’histoire est un peu bancale. Une jeune fille prénommée Hero, (Suzanne Aubert, toute en finesse et en charme) est courtisée par le prince Don Pedro (Matthieu Marie) au profit du jeune comte Claudio (Laurent Menoret). Elle sera finalement rejetée par ce dernier sous prétexte que sa promise l’aurait trompé avant le mariage avec un troisième larron. En fait, les uns et les autres avaient été victimes d’un complot ourdi par un demi frère bâtard du prince. Tout finira bien grâce à un retournement aussi drôle qu’incertain. Aux échanges des susnommés s’ajoutent les pérégrinations amoureuses d’une cousine de Hero, Béatrice (sublime Alix Poisson) et d’un gentilhomme, Benedict (Bruno Blairet) experts dans l’art de jouer ensemble le grand air de : « Je t’aime, moi non plus ». Qu’est-ce qui fait donc de ce conte à dormir debout un bonheur intact ? Primo, un Shakespeare, aussi « petit » soit-il reste un Shakespeare, autrement dit un bijou de créativité, d’inventivité, de musicalité, servi par une langue hors du commun (texte français de Jude Lucas). Le grand Will n’a pas son pareil pour trousser une aventure montée à la diable. Il invente des personnages forts en gueule et en présence. Il joue sur toutes les gammes de la paillardise, de la crudité verbale, et de l’humour, sans jamais franchir la limite au-delà de laquelle on sombre dans la vulgarité (certains contemporains devraient s’en inspirer). De ce point de vue, il faut saluer la performance de cet acteur hors du commun qu’est Eddie Chignara. On l’avait déjà salué dans « Le Dindon » de Feydeau, mis en scène par Philippe Adrien. Ici, il réussit l’exploit d’interpréter un ecclésiastique effacé et un chef de la police municipale digne du Bérurier de San Antonio. Un régal. Clément Poirée, vieux complice de Philippe Adrien, a su tirer toute la saveur de cette pièce succulente. Rien n’est laissé au hasard. Tout est millimétré. La scénographie (Erwan Creff) tient de la magie. Les acteurs (saluons également l’explosive Manon Combes dans le rôle de Margaret, dame de compagnie de Hero) donnent toute la mesure de leur talent, et Dieu sait s’ils en ont. C’est du cousu main, du grand art, du plaisir permanent, et le public ne s’y trompe pas. Il s’agit là, à n’en pas douter, d’une des plus belles mises en scène de « Beaucoup de bruit pour rien », à ne rater sous aucun prétexte. Jack Dion * « Beaucoup de bruit pour rien » de William Shakespeare, texte français de Jude Lucas, mise en scène Clément Poirée, Théâtre de la Tempête 75012 Paris jusqu’au 11 décembre (01 43 28 36 36). Vendredi 18 Novembre 2011 Dimanche 27 novembre 2011 «Beaucoup de bruit pour rien» est une comédie de Shakespeare qu’on ne se lasse jamais de voir. Elle est légère, vive, enjouée et les rebondissements ne manquent pas pour explorer le thème de l’amour. Le travail du jeune metteur en scène Clément Poirée est des plus réussis. Son parti pris tient la route, tant du côté de la dramaturgie que de la direction d’acteurs. S’appuyant sue les décors d’Erwan Creff, les lumières de Maëlle Payonne et les costumes de Hanna Sjödin, la scénographie marque le côté sombre qui se cache derrière la comédie. C’est aux comediens qu’il revient de faire la farce, frémir le drame... Nous avons alors droit à un festival de nuances, de ruptures, de sincérités, de trouvailles scéniques... Suzanne Aubert, Manon Combes ( une révélation ), Jean-Claude Jay, Eddie Chignara, François de Brauer, Matthieu Marie, Laurent et Julien Villa sont épatants.Et puis, il y a les deux grands rôles de ce texte, Béatrice et Benedict, couple légendaire, jouant des mots, des phrases et des envolées lyriques. Alix Poisson et Bruno Blairet nous ont emballés. Menés tambour battant par Clément Poirée, les acteurs nous font passer du rire à l’émotion avec la délicatesse des virtuoses. Marie-Céline Nivière Lundi 21 novembre 2011 Beaucoup de Bruit pour rien de Shakespeare de Shakespeare mise en scène Clément Poirée Ecrit par Philippe CHEVILLEY Clément Poirée a monté Shakespeare comme on l’aime, à la Tempête : vif, incisif, équivoque, en dehors du temps. Musical et chantant, son « Beaucoup de bruit pour rien » revêt des habits d’hier et d’aujourd’hui, embarque le spectateur dans une taverne de conte. La comédie du grand Will est mise en scène comme une farce cassante, où derrière fous rires et larmes, pointent l’ironie et la mélancolie. L’amant jaloux, Claudio, a tôt fait d’humilier sa future épouse, Hero ; les électrons libres, Béatrice et Benedict, sont convertis au mariage par la ruse de leurs proches. L’amour est un un jeu dérisoire - beaucoup de bruit pour vraiment pas grand-chose... Même le happy end part en quenouille : plutôt que célébrer les noces, on préfère d’abord rire et danser... Adaptation brillante de Jude Lucas, lecture intelligente de Clément Poirée, mais aussi - et surtout casting d’enfer. Charismatiques, étincelants, Alix Poisson (Béatrice) et Bruno Blairet (Benedict) brûlent les planches, Jean-Claude Jay (Leonato) est un patriarche-chef de clan, irrésistible. Chaque comédien a son morceau de bravoure. Le public, qui n’est pas venu pour rien, fait beaucoup de bruit à la fin. N°191 / OCTOBRE - 2011 Entretien / Clément Poirée Escroquerie des apparences et mélancolie Assistant fidèle de Philippe Adrien, Clément Poirée a choisi une comédie de Shakespeare pour sa quatrième mise en scène : Beaucoup de bruit pour rien, où sous l’apparente légèreté du propos se dissimule une grande mélancolie. « La pièce parle beaucoup de la circulation du désir et de la peur que celui-ci engendre. » Vous semblez vouloir entrer dans cette comédie à rebours, par le biais surprenant de la mélancolie. Qu’est-ce qui vous y conduit ? Clément Poirée : Beaucoup de bruit pour rien est une pièce vive, drôle et spirituelle. Mais ce qui me touche en elle, c’est que s’y produisent deux grandes bascules. L’une est philosophique. Pedro se propose d’exécuter une expérience alchimique en voulant rendre amoureux l’un de l’autre les deux personnages les plus réfractaires à l’amour, et qui de surcroît se détestent. Mais pour cela, il n’a pas recours aux habituels philtres d’amour. Simplement, il aiguillonne leur désir et détruit leur orgueil à partir de petites saynètes factices. Il construit une grande escroquerie des apparences et parvient à ses fins. On quitte donc un monde des sentiments transcendants pour un univers où tout est transformable à l’échelle humaine. C’est un grand basculement vers le désenchantement du monde. Et quelle est la seconde bascule ? C.P : Elle rejoint la première, mais c’est la deuxième intrigue qui la conduit. En parallèle, Hero et Claudio sont des amoureux de légende, lisses et héroïques. Mais on découvrira qu’en fin de compte, il s’agit d’un couple pragmatique qui ne s’aime pas. Ici encore, les apparences sont trompeuses, et le doute face à ce que l’on voit, ce que l’on entend parcourt toute la pièce et entretient la mélancolie des personnages. Finalement, le couple qui ne devait pas s’aimer choisit de se marier : « dansons et nous nous marierons après » proposent-ils. Face au scepticisme ne demeure donc que la possibilité de jouir du présent. C’est la leçon de ce rite initiatique, de ce passage à la vie d’homme et de femme. Finalement, cette pièce ne fait-elle pas beaucoup de bruit pour rien ? C.P : Le titre pourrait être pris comme une affirmation provocatrice. Dans cette pièce, on s’agite beaucoup et à travers tous les renversements de situation qui la parcourent, l’ordre initial, à la fin, demeure inchangé. On est toujours à deux doigts du drame qui ne se produit jamais. Mais le « nothing » du titre (Much Ado about Nothing) désigne aussi dans le contexte élisabéthain la supposée absence de sexe de la femme. Ce qui prend du sens, car la pièce parle beaucoup de la circulation du désir et de la peur que celui-ci engendre. Des apparences trompeuses, celles qui abusent le plus facilement les personnages sont celles qui correspondent à ce que ces derniers craignent et désirent à la fois. Traiterez-vous scéniquement cette lecture ? C.P : Pour souligner les moments où les personnages décident de mettre en scène leurs propres mots, il faudra que nous traitions tout particulièrement la forme. Et en écho de la mélancolie, la thématique des vanités occupera la scène avec des jeux de miroirs et des figures du temps qui passe, du périssable. Propos recueillis par Eric Demey spectacles-selection Beaucoup de bruit pour rien, de William Shakespeare. Mise en scène de Clément Poirée. Avec Suzanne Aubert, Bruno Blairet, Eddie Chignara, Manon Combes, François de Brauer, Jean-Claude Jay, Matthieu Marie, Laurent Menoret, Alix Poisson, Julien Villa. Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes (12e). Jusqu’au 11 décembre 2011 Hero s’évanouit de honte et de douleur, Don Juan s’évanouit dans la fuite, une fois son forfait perpétré. Béatrice ne se mariera jamais, ah mais non ! Benedict restera célibataire, cochon qui s’en dédit ! Toute l’intrigue repose sur ce double jeu de miroir. La douce, blonde et virginale Hero est la pureté incarnée, son père Leonato l’adore et la fiance au comte Claudio, sous l’œil bienveillant de Don Pedro. Happy end possible de l’intrigue. Ce serait compter sans Don Juan, frère bâtard du Prince, qui n’a d’autre remède à sa mélancolie que la calomnie jalouse. Et comme il résonne en perversité avec son gredin de suivant Borachio, le piège se referme sur l’angélique Hero et son soupirant, bien prompt à prêter foi à sa vision abusée. Pleurs, rage, vengeance plurielle, mort. Nulle rémission à cet excès de tragique… si, dans ce jeu cruel des apparences et de la réalité, Shakespeare n’emboîtait pas l’autre intrigue, à peine moins grinçante. La cousine de Hero, Béatrice, à la langue caustique et acérée, s’est juré un célibat sans appel. Benedict, quant à lui, clame haut et fort son allergie au mariage. Ce serait compter sans les autres qui jouent les démiurges de l’amour. Comme des phalènes aimantées au même feu, les deux bretteurs de mots se donnent l’assaut répété. Tout sera bien qui finira bien. On mariera tout ce joli monde. Fin de parties. Mais quoi, on se contenterait d’une si mièvre bluette ? ! ! C’est là tout le génie de cette double intrigue, soulever l’amertume rieuse, susciter le rire en fausset, déciller même les plus naïfs regards sur la réalité de l’amour. Jeux de dupes, artifice d’aristocrates en mal de distraction, qu’en est-il de ces unions fondées sur un mensonge avéré, une lucidité pervertie ? Hero oubliera-t-elle la trop facile trahison de son beau Claudio qui, parce qu’il se sent morveux, se prêtera à la compromission d’un nouvel engagement ? Les deux duellistes de charme s’aiment-ils autrement que dans la vanité d’eux-mêmes ? Paroles creuses qui sonnent dans le clair-obscur des temps et des cœurs. On rit beaucoup, on tremble à peine, à l’image de ces policiers matamores qui se donnent l’importance de leur réjouissant charabia. Jubilatoire métaphore d’un monde de bruit vain et de fausse fureur, où on s’aime et s’épouse faute de mieux. La mise en scène, alerte et très convaincante, joue avec les espaces, les respirations, les miroirs, les masques, les voix et les silences. Et les acteurs, excellents à l’unanimité, se prêtent à ces virevoltes des sentiments, des mensonges et des lucidités. Dans l’insondable dérision des amours humaines. Qu’en termes et gestes joyeux ces choses-là sont dites ! Annick Drogou Comédie de William Shakespeare, mise en scène de Clément Poirée, avec Suzanne Aubert, Bruno Blairet, Eddie Chignara, Manon Combes, François de Brauer, Jean-Claude Jay, Matthieu Marie, Laurent Ménoret, Alix Poisson et Julien Villa. Après "Dans la jungle des villes" de Bertold Brecht, dont il avait su débrouiller la complexité, le jeune metteur en scène Clément Poirée, collaborateur artistique et assistant de Philippe Adrien, confirme sa grande acuité d'analyse et sa maîtrise dans la direction d'acteur avec "Beaucoup de bruit pour rien" de Shakespeare. Il en propose, à partir d'une traduction signée Jude Lucas, un texte contemporain jubilatoire et grinçant qui use cependant de toutes les subtilités de la langue classique pour ne pas verser dans la trivialité tout en restant terriblement explicite, une déclinaison originale qui, puisant dans l'esthétique du décadentisme avec une pointe de maniérisme, donne à cette comédie d'intrigues articulée autour de deux couples en miroir et du jeu des fausses apparences, dont chacun finit par s'accommoder, une couleur mélancolique et désenchantée. Pour ce qui est de l'intrigue, tout arrive par le fait d'un prince qui, prenant ses quartiers avec deux de ses frères d'armes, l'un romantique l'autre célibataire misogyne, chez le gouverneur de Messine pourvu d’une fille, une adorable ingénue, et d’une nièce, une pucelle rétive et androphobe, se pique de jouer les démiurges et plus précisément se substituer à Cupidon pour conclure un double mariage. Mais il a son judas en la personne de son demi frère, un envieux, jaloux et méchant, qui faillit bien remplacer la fleur d'oranger par le chrysanthème n'était l'intervention inopinée de la maréchaussée. Tout se déroule dans une atmosphère étrange, presque irréelle, appuyée par les lumières de Maëlle Payonne, dans une camera obscura encadrée comme un tableau de Erwan Creff dans lequel scintille quelques éléments de décor tels des vanités reflétés par un miroir gravé et se meuvent les personnages dans des clairs-obscurs caravagesques. Pour jouer cette partition de mystifications tendues de fils aiguisés comme des rasoirs, des comédiens en pleine possession de leurs moyens, fidèles à la scène du Théâtre de la Tempête, auxquels se joignent de nouveaux venus : jeunes promus du CNSAD, François de Brauer dans le rôle de l'homme de main et Manon Combes, au physique pétulant et au jeu intense et expressif qui "crève" la scène avec le personnage de la suivante, et Suzanne Aubert de la dernière promotion du TNS physique de Tanagra idéal pour camper la délicieuse ingénue au corps de poupée de porcelaine. Jean-Claude Jay joue fort bien le patriarche courroucé, Matthieu Marie est parfait dans le rôle du prince et Alix Poisson incarne une véhémente et impétueuse Béatrice, soeur de plume de la Catarina de "La Mégère apprivoisée". Bruno Blairet est excellentissime dans le rôle du désabusé et railleur Bénédick tout comme Laurent Ménoret, longue silhouette noire au crane rasé qui ressemble à une figure d'un interlope cabaret berlinois, dans celui de l'amoureux frileux. Quant à Eddie Chignara et Julien Villa, ils réalisent, dans le rôle des watchmen, un numéro burlesque de pieds nickelés truculents absolument époustouflant. MM fousdetheatre.com 16.11.2011 Clément Poirée, collaborateur artistique de longue date de Philippe Adrien, propose un Shakespeare de toute beauté, drôle, intense et sans esbroufe, porté par une distribution contenant quelques personnalités à suivre de près... "Beaucoup de bruit pour rien" nous propulse au cœur de deux histoires d'amour. L'une provoquée, l'autre contrariée. Chacune finira cependant par un mariage après de nombreuses péripéties. Cette comédie aux accents parfois graves ou mélancoliques, dans la lignée du "Songe" et annonciatrice de "La Mégère" par l'un de ses personnages, est habilement transposée par le metteur en scène dans la première moitié du vingtième siècle, traduite avec modernité et vivacité par Jude Lucas, dans le plus grand respect du style de l'auteur. Visuellement, Clément Poirée parvient à faire de chaque tableau de la pièce une véritable peinture. Parfois inachevée. Il en oublie même ses outils sur le plateau (pinceaux, escabeau, bâche de protection...) Eclairages sculptés, postures des acteurs ultra travaillées, éléments de décor rares, choisis et disposés avec le plus grand soin. Un cadre doré sert d'écrin à l'action. Les images sont belles, fortes. On se croirait immergé dans la toile d'un artiste naturaliste. C'est superbe ! Revenons aux comédiens. Si tous se révèlent à la hauteur des personnages, nonobstant un Jean-Claude Jay dont le jeu nous laisse au fil des ans toujours aussi perplexes (mais on ne peut pas plaire à tout le monde...), ce sont les femmes qui ont surtout retenu notre attention. Alix Poisson compose une truculente Béatrice, jeune fille au tempérament de feu ne voulant pas entendre parler du mariage et dénigrant la gent masculine (qui dira pourtant "oui" à la fin de l'intrigue). Efficace, à la technique sans faille, elle insuffle une belle dynamique au spectacle. Parallèlement, la fragilité de Suzanne Aubert, qui en Hero (c'est le nom du personnage) se verra insultée et humiliée publiquement par celui qu'elle devait épouser (et qu'elle épousera finalement...), nous a touchés. Enfin nous fûmes conquis par la force comique de Manon Combes, irrésistible en Margaret, suivante de Hero, au naturel et à l'accent marseillais des plus rafraîchissants ! Ces trois là illuminent le spectacle de leur talent et de leur personnalité. Thomas Baudeau Le Mague Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare mise en scène Clément Poirée J’aimerais, dans un univers résolument contemporain, rendre à la pièce [Beaucoup de bruit pour rien] son aspect hirsute, incongru, un peu velléitaire aussi : c’est presque une comédie musicale, à peu de chose près une tragédie, une quasi-farce… Clément Poirée Beaucoup de bruit pour rien (Much Ado About Nothing) (v. 1598) est une comédie en 5 actes de Shakespeare. Clément Poirée, qui la met en scène au Théâtre de la Tempête, a choisi un texte étrange, à la fois excessif et ambigu, dans lequel nihilisme et misogynie font bon ménage. De quoi parle Beaucoup de bruit pour rien ? Justement de pas grand chose… C’est l’histoire d’un prince (Don Pedro), qui veut à tout prix unir deux couples : Hero au comte Claudio ; Béatrice, à Benedict. Il y a - bien entendu – un méchant (Don Juan, le frère du prince), qui tente, vainement, de contrecarrer le projet de mariage. Quant au gentil (Leonato), père de Hero et oncle de Béatrice, c’est un homme poli au caractère placide. Quelques apparitions pittoresques (Verjus, Borachio...) sillonnent la trame, offrant comme en apéritif un jeu théâtral rafraîchissant. Mais l’essentiel de Beaucoup de bruit pour rien se profile ailleurs, dans sa forme même de savante mascarade. Elle dure près de deux heures, tenant en haleine le spectateur. En effet, ces quatre personnages (Claudio, Hero, Benedict, Béatrice) sont tout sauf de dociles tourtereaux. L’aversion de Béatrice pour les hommes fait écho, comme une sempiternelle balle de ping-pong, à l’agacement de Benedict envers les femmes. Excités comme une puce sur la scène, nos quatre protagonistes ruent dans les brancards, à la fois possédés par le démon de la reconnaissance sociale et déprimés par la réalité inexorable du mariage. Au cours de cinq actes copieux, Beaucoup de bruit pour rien nous convie à un véritable feu d’artifice verbal. Le langage y est à la fois roi et rien du tout, une sorte de lieu hybride dans lequel toute affirmation renvoie à son contraire, en une constante mise en scène. Poirée formule ainsi le nœud stratégique de la comédie : « Beaucoup de bruit pour rien est une pièce profondément subversive. Shakespeare retourne le gant. Non seulement les dessous sont révélés […], mais on assiste à un renversement profond : la forme y détermine le fond. » La mise en scène de Poirée s’avère persuasive. Elle nous séduit par sa modernité, en harmonie avec le sentiment diffus de facétie et de révolte qui enveloppe le texte du poète dramatique anglais. Tout concourt à nous faire pénétrer dans cet univers énigmatique : d’excellents comédiens, un décor intimiste (rutilant zinc, miroir géant), d’astucieux jeux d’ombre, une musique évanescente, des costumes variés… Par sa dérision constante et sa provocation subtile, Beaucoup de bruit pour rien se profile comme un bien beau spectacle ! Thierry de Fages BSC NEWS MAGAZINE Beaucoup de bruit pour rien ou la comédie des fauxsemblants C'est en 1600 que Shakespeare publie Beaucoup de bruit pour rien. Le style de ce texte mêle adroitement le langage de la comédie romantique avec le couple Claudio ( Laurent Menoret) et Hero (Suzanne Aubert) à un sens non formel de la tragédie. L'histoire raconte le retour du Prince d'Aragon, Don Pedro incarné par Matthieu Marie, lequel avec ses compagnons de guerre rentrent victorieux d'une campagne. Son ami de toujours le gouverneur de Messine, Leonato joué par Jean-Claude Jay, le reçoit avec les honneurs en son palais. C'est ainsi que l'imprévisible Béatrice (Alix Poisson), la nièce de Leonato, retrouve Benedict (Bruno Blairet), chevalier du Prince. L'heure n'est point au baisemain, galéjades et moqueries fusent dans des joutes verbales dont Béatrice sort vainqueur. Claudio n'a d'yeux que pour la pétillante Hero, la fille de Leonato. Sept jours suffisent pour préparer les noces et pendant ce temps, un complot fomenté par les amis de Don Pedro se trame pour déjouer les amours entre Béatrice et Benedict. La pièce évolue dans une semi pénombre, une façon d'annoter la double intrigue suspendue dans la mise en scène de Clément Poirée. La scénographie prend les apparences d'un tableau grandeur nature où les tirés de rideaux laissent deviner la scène suivante sans en connaître le décor. Au premier plan, les personnages s'ingénient à souffler le temps au temps dans une confusion de sentiments contradictoires. L'amitié et la trahison, l'amour et la haine, la vie et la mort défilent dans cette galerie éclairée de la profondeur du texte et des répliques déclamées dans des duels engagés. En arrière-plan, le décor s'ouvre sur des fresques dépeignant l'amour désenchanté. L'entrée des jeunes femmes masquées n'est pas rappeler la satire exprimée avec subtilité par Aristophane dans L'Assemblée des femmes. Les masques couvrent l'intégralité du visage et les robes portées sont toutes identiques. Claudio et Benedict devront reconnaître sous les apparences l'élue de leur cœur. Les rapports humains dénivellent les confrontations intérieures manifestées par la cupidité et la mesquinerie. Le mensonge mal-à-propos aura raison du mariage entre Hero et Claudio. Clément Poirée épice des valeurs absolues la confusion des sentiments, lesquels sont sous l'instigation de perfides personnages prêts à tout pour anéantir un bonheur ultime au profit d'intérêts impurs. Béatrice et Benedict jouent leurs improbables amours sur un échiquier où la Dame se joue du Roi entre deux tours d'incompréhension. Les répliques sont saillantes et lequel des deux Cupidon décochera ses flèches sur le fruit mûri au cœur. Beaucoup de bruit pour rien, c'est une pièce rondement menée de bout en bout, l'intrigue se mêle à l'intrigue, l'amour à l'amour. Les comédiens donnent beaucoup de rythme et d'énergie à cette comédie main d'œuvre. Un clin d'œil à Suzanne Aubert pour le lyrisme qu'elle apporte à l'interprétation de Hero. Clément Poirée est un brillant metteur en scène qui étonne agréablement de spectacle en spectacle. A ses côtés, le théâtre vit de belles heures. Beaucoup de bruit pour rien De William ShakespeareTexte français de Jude Lucas Mise en scène Clément Poirée Avec Suzanne Aubert, Bruno Blairet, Eddie Chignara, Manon Combes, François de Brauer, Jean-Claude Jay, Matthieu Marie, Laurent Menoret, Alix Poisson et Julien Villa.Scénographie Erwan Creff, Lumières Maelle Payonne, musique Stéphanie Gibert, Costumes Hanna Sjodin, assistée de Camille Lamy. mesillusionscomiques.com 17 novembre 2011 Clément Poirée fait brillamment «Beaucoup de bruit pour rien» au Théâtre de la Tempête «Il y avait alors dans le ciel une étoile qui dansait,et c’est sous elle que je suis née» Encore du Shakespeare. Mais on aurait tort de s’en priver. Surtout lorsque c’est une aussi belle réussite que ce Beaucoup de bruit pour rien, proposé par Clément Poirée au Théâtre de la Tempête. L’histoire pour commencer : de retour de la guerre, Don Pedro trouve l’hospitalité chez le vieux Leonato. Dans sa suite, ses deux amis, Claudio et Benedict, mais aussi son demi-frère, le sombre Don Juan. Au premier regard, Claudio tombe amoureux de la belle et fragile Héro, fille de Leonato. Un coup de foudre réciproque et un mariage vite plannifié. Mais Don Juan, prêt à tout pour nuire, jette le discrédit sur la demoiselle, compremettant ainsi l’union. Parallèlement, chacun s’emploie à réunir la piquante Béatrice, nièce de Leonato, à l’excentrique Benedict. Béatrice, c’est un peu la jumelle de Catharina dans La Mégère apprivoisée : pleine d’esprit, elle est tout autant indomptable et opposée au mariage. Elle manie également les mots comme des lames, au détriment de la gent masculine en général et de Benedict (Bruno Blairet) en particulier. Un personnage merveilleusement incarné par Alix Poisson, déjà remarquable et remarquée dans Le Dindon. La comédienne passe sans difficulté des passages légers, plein de badinage et de moquerie, à des scènes où elle nous montre ses talents de tragédienne. Car cette pièce est pleine de ce que Clément Poirée décrit comme «des revirements difficiles à assumer pour les acteurs»*. Une pièce assez gaie mais dont le point de départ est «un constat mélancolique sur le monde». «Shakespeare nous montre comment les sentiments les plus hauts sont manipulables (...) tout est volatile. Malgré tout, à la fin, Béatrice et Benedict font le choix de l’amour, mais pas d’un amour idéaliste, simplement celui de l’instant» nous explique le metteur en scène. Pour lui, la pièce met ainsi en avant «une force de vie qui ne peut être que le présent.» Mais pour cela, il faut accepter, comme il l’a fait, «les détours, les voyages de la pièce», car comme souvent chez Shakespeare, les intrigues sont multiples. Poirée décide de n’en privilégier aucune, de ne pas faire le choix d’un fil directeur. Les personnages secondaires prennent ainsi toute leur ampleur. Telle Margaret (Manon Combes), la suivante de Héro (Suzanne Aubert). Doté d’un accent du Sud, elle manie admirablement les effets de jupe et aguiche son monde - sans tomber dans le côté cagole - apportant ainsi comique et fraîcheur. La scène où les deux comédiennes font mine de ne pas voir Béatrice et évoque les qualités de Benedict est irrésistible. Et que dire de ces watchmen, voisins de Leonato surveillant les environs (Eddie Chignara et Julien Villa), qui prennent un mot pour un autre ? Hilarants ... Notons qu’il s’agit (encore une fois) d’une nouvelle traduction de l’œuvre, signée Jude Lucas. Résultat plutôt concluant. La pièce sera présentée à Londres en juin, dans le cadre du Globe to Globe Festival : Shakespeare dans toutes les langues avant le début des J.O. (on en reparlera). Et l’on peu déjà dire que la France n’aura pas à rougir de la prestation de ces athlètes là ! Audrey Natalizi La Tempête Cartoucherie «Beaucoup de bruit pour rien» de Shakespeare mise en scène Clément Poirée Jusqu’au 11 décembre 2011 La célébration du mariage qui devait lier la belle Héro au Comte Claudio est interrompue à la dernière minute, à la suite d’insinuations calomnieuses jetant le discrédit sur la personne de la jeune fille. Dans le même temps, il est question de faire éclore l’amour entre le fantasque gentilhomme Bénédict et la farouche Béatrice, tous deux, selon leurs dires, fermement opposés au sacrement du mariage… «Beaucoup de bruit pour rien» est une comédie où l’on s’agite, rit, joue ou l’on s’affronte, chante et ou le drame n’est jamais bien loin, même si l’on y sombre que par supercherie… Clément Poirée a pris le texte à bras le corps en respectant l’esprit de l’écriture et en laissant la bride sur le cou à sa mise en scène le plus souvent inspirée, débordante d’inventivités, de cocasserie et d’apartés qui permettent, derrière un rideau qui va et qui vient, aux différents décors, de de succéder en des temps record. Le jeu des comédiens est à l’avenant et même si Alix Poisson, toute juste sortie de chez Feydeau en fait beaucoup dans la première partie du spectacle ou si Bruno Blairet, à force de sur jeu, semble parfois courir après une «composition» mi-figue mi-raisin, les autres comédiens rattrapent largement le coup. Et Jean-Claude Jay, au mieux de sa forme ou Julien Villa, en traitant leur partition avec beaucoup plus de mesure –mais non sans fantaisie-apportent à la distribution un bel équilibre. On rit, on s’amuse, on se laisse porter par le tourbillon de la mise en scène et au final, on passe une très bonne soirée, même si Clément Poirée, sans doute soucieux de soutenir le rythme, charge parfois la barque. Si on comprend parfois mal l’éclectisme des costumes, on apprécie la musique de Stéphanie Gibert très bien utilisée et du coup, on pardonne les dérapages de jeu de certains comédiens et la surabondance d’idées. La reprise du «Dindon» de Feydeau sur lequel Clément Poirée assistait Philippe Adrien et maintenant, cette comédie de Shakespeare menée tambour battant, laissent augurer une belle saison au théâtre de La Tempête. Francis Dubois Du 11 novembre au 11 décembre 2011 Texte français de Jude Lucas Mise en scène de Clément Poirée Avec Suzanne Aubert (Héro, le Sacristain), Bruno Blairet (Benedict), Eddie Chignara (Dogberry, Antonio), Manon Combes (Margaret, le Sacristain), François de Brauer (Borachio), Jean- Claude Jay (Leonato), Matthieu Marie (Don Pedro), Laurent Menoret (Claudio), Alix Poisson (Béatrice), Julien Villa (Don Juan, Verjus) Décidément cette pièce de William Shakespeare « Beaucoup de bruit pour rien » a de la chance car non contente de figurer au programme du Théâtre de La Tempête comme ce soir du 13 novembre 2011, il y a quelques années sous le titre de Béatrice et Bénédict, opéra d’Hector Berlioz, elle fut donnée par deux fois à Paris dans une version scénique à l’Opéra Comique sous la direction d’Emmanuel Krivine et par Sir Colin Davis en version de concert au théâtre des Champs-Elysées ! Pour en revenir à ce qui se passait lors de cette représentation de « Beaucoup de bruit pour rien »donnée ce soir du 13 novembre 2011, Clément Poirée, le metteur en scène de cette pièce de William Shakespeare, nous proposait une vision singulièrement dépoussiérée, rajeunie, revisitée, réinventée, de cette comédie douceamère, menaçant constamment de passer brutalement du rire aux larmes. En effet William Shakespeare aurait parfaitement pu limiter le propos de la pièce aux chamailleries, railleries et autres moqueries échangées réciproquement par Beatrice et Benedict jurant qu’en aucune façon, aucun d’eux ne succomberait à l’amour. Pourtant à cause d’une sombre machination ourdie par Don Juan qui veut à tout prix empêcher le mariage de Claudio et d’Hero, la pièce qui n’aurait dû mériter que le titre de comédie, bascule dans la tragédie : Hero est rejetée, accusée ignominieusement de tromperie, de dissimulation et de mensonge. William Shakespeare réussit ici un tour de force qui lui est coutumier : obtenir une pièce déconcertante, surprenante, par un mélange audacieux d’éléments comiques et tragiques remettant en cause une trame banale, aux conclusions attendues d’avance, bref à un schéma dramatique tout tracé dénué de tout effet de surprise. Bien sûr, « Beaucoup de bruit pour rien » comporte tous les éléments dignes de faire triompher la pensée shakespearienne. Encore fallait-il un chef d’orchestre capable de mener à terme cette aventure théâtrale. Clément Poirée, qui mène ce vaisseau théâtral issu de l’imagination débridée de William Shakespeare, semble avoir trouvé le ton juste qui convient à cette pièce, d’une part grâce à un rythme soutenu qui ne tombe ni dans l’exagération ni dans l’essoufflement. Les caractères sont bien dessinés, jamais caricaturaux, bref on ne peut que constater que la direction d’acteurs est parfaitement dominée, assumée par un metteur en scène qui sait où il va et qui à aucun moment ne trahit la pensée de l’auteur. Très motivée la troupe d’acteurs réunie par Clément Poirée se surpasse. Pas de rôles « secondaires », tant chaque personnage se sent impliqué et entraîné dans ce délire théâtral où tout peut à chaque instant basculer vers la tragédie ou au contraire vers la félicité ! Un très bon spectacle qui enchantait ce soir-là tous les spectateurs rappelant les acteurs de multiples fois. Ce spectacle sera présenté les 1er et 2 juin 2012 au Shakespeare’s Globe à Londres dans le cadre du Globe to Globe Festival RHINOCEROS Rhinocéros La critique à la dent féroce Don Pedro revient victorieux de la guerre, entouré de ceux qui ont servi avec lui : son frère à l’humeur sombre, Don Juan, le loyal Claudio et l’excentrique Bénédict. Après les faits d’armes héroïques, l’heure du repos a sonné et ils sont tous accueillis pour quelques jours chez Léonato, le gouverneur de Messine. Claudio tombe amoureux de la fille du gouverneur tandis que Bénédict reprend ses éternelles chicanes avec Béatrice, demoiselle à la langue bien pendue. L’esprit de la fête et de l’amour semble régner mais, dans l’ombre, Don Juan observe pour mieux nuire… Beaucoup de bruit pour rien fait partie des comédies shakespeariennes assez peu montées, même si Kenneth Branagh lui avait offert un regain de popularité dans les années 1990 grâce à une adaptation cinéma réussie. Il est vrai que l’histoire souffre de quelques défauts structurels, avec ses rebondissements un peu tirés par les cheveux, mais sa force réside dans des personnages très attachants et, pour le coup, très bien écrits. Et quand ils sont bien joués, comme c’est le cas ici, les défauts sont vite oubliés. Un duo virevoltant Si Claudio et la fille du gouverneur, Héro, représentent les parfaits amoureux romantiques, les vraies stars de la pièce sont sans conteste leur contrepoint comique, Béatrice et Bénédict. Elle est grande gueule et féministe avant l’heure. Il est un homme joyeux, célibataire endurci jurant par tous les dieux que nulle femme ne lui passera la corde au cou… Ces deux-là se détestent comme d’autres s’aiment : avec constance, ténacité et inventivité. Ce duo est ici interprété par une Alix Poisson et un Bruno Blairet vifs et virevoltants, à la fois touchants et désopilants. La mise en scène souligne le décalage de ces personnages en habillant Béatrice en pantalon et Bénédict en kilt – on regrette presque qu’ils finissent par revenir à des tenues plus conventionnelles. À part un Claudio un peu en deçà des autres, le reste de la distribution est très convaincant. On retrouve avec plaisir Eddie Chignara qui se sort avec son brio habituel du difficile rôle de Dogberry et offre une belle résonance au personnage d’Antonio. La jeune comédienne Manon Combes donne une vitalité et une rare épaisseur à la servante de Héro, Marguerite. Le plateau est placé dans un cadre noir : le procédé n’est pas nouveau, mais fonctionne ici très bien. Clément Poirée fait jouer ses acteurs avec cet espace, leur donnant parfois l’occasion de littéralement sortir du cadre pour apporter un autre point de vue à ce qui est en train de se dérouler, espionner ou être espionné. Si l’on peut regretter des transitions parfois longuettes, cela n’est pas suffisant pour gâcher notre plaisir. Ce Beaucoup de bruit pour rien, enlevé et relevé comme il se doit, mérite – en dépit de son titre – toute votre attention. Beaucoup de bruit pour rien de William Shakespeare, mise en scène de Clément Poirée, théâtre de La Tempête. Avec : Suzanne Aubert, Bruno Blairet, Eddie Chignara, Manon Combes, François de Brauer, Jean-Claude Jay, Matthieu Marie, Laurent Ménoret, Alix Poisson, Julien Villa. « Beaucoup de bruit pour rien », de William Shakespeare Un Shakespeare comme du champagne La comédie de Shakespeare, « Beaucoup de bruit pour rien », contient tant et tout… De l’humour, des mots d’esprit, de la musique et de la poésie, une once de mélancolie, des questions sociales et de grands coups de théâtre, autant d’ingrédients que l’on retrouve sur la scène de La Tempête. La pièce s’y déguste comme un champagne ! C’est par des retrouvailles à Messine – en Sicile – entre les soldats victorieux et leurs familles que commence la pièce. Immédiatement, les cœurs s’échauffent : le prince Claudio tombe amoureux de la jolie Héro tandis que Béatrice et le chevalier Benedict, qui disent se détester, se battent à coups de mots. Dans cette joyeuse pagaille de bals et d’ambiance gaillarde, une âme reste grise et taciturne : Don Juan tentera de faire écrouler joies, plaisanteries et mariages… Cet homme qui semble agir sans raison aucune, si ce n’est par jalousie et méchanceté, est le diable. En bon sorcier, il est représenté dans un coin noir de la scène autour d’appareils d’alchimiste, de fioles et de poulies. Le frère de ce bâtard, Don Pedro, son exact contraire, joue Cupidon : il tire, en bon dieu, les fils de l’intrigue. Grâce à lui, Claudio et Héro sont rapidement promis l’un à l’autre, mais pour Benedict et Béatrice, il faut agir masqué, par intrigues… Classée parmi les pièces comiques de Shakespeare, Beaucoup de bruit pour rien n’est pas du lot des mières comédies du dramaturge, faciles à ranger dans ce registre (comme la Mégère apprivoisée). Elle est de ces comédies dites romantiques, un peu plus tardives et plus fines, dans lesquelles le rire n’est plus si brut. S’y mêle de la romance, du tragique et un peu de la mélancolie. Comme dans le personnage de Béatrice, qui dit être née d’une mère en pleurs, mais sous une bonne étoile. Dans sa mise en scène, Clément Poirée est fidèle à cette diversité shakespearienne. Les moments romantiques côtoient les scènes hilarantes et moqueuses. Benedict, l’homme d’esprit, est présenté lisant sur la cuvette des toilettes, tandis que les compères de la maréchaussée, grimés comme des personnages de la commedia dell’arte, s’emberlificotent dans leur vocabulaire, tels des Gad Elmaleh de la fin du xvie siècle. De l’humour pétillant pour oublier l’absence de sacré Le cadre doré qui entoure la scène, qui fait du plateau une suite de multiples tableaux picturaux, met le spectateur à distance : ce que vous voyez n’est que théâtre, qu’apparence, un léger divertissement. Cachant des visages d’amoureux ou de douces jeunes filles, les masques morbides arborés pendant le bal symbolisent eux aussi la question des « faux-semblants » qui traverse toute la pièce : n’est pas forcément mauvais celui que la société désigne comme tel, de même que n’est pas sans cœur l’homme qui se dit frigide, et la manipulation, pourtant condamnable, peut être salvatrice. À l’intérieur de ce cadre, les tableaux s’enchaînent. Reliés entre eux par un beau refrain musical et des mouvements d’entrée et de sortie rapides, ils sont nourris d’un décor et de costumes illustratifs et surtout de bons jeux d’acteur. Ainsi, la femme de chambre de Héro, Margaret (Manon Combes), est très drôle avec son ton franc et son accent marseillais qui viennent casser le sérieux de ses maîtres. Quant à Béatrice et Benedict, ces personnages sympathiques qui font régner sur scène le bruit de leur esprit moqueur, ils sont joués par deux comédiens de grand talent (Alix Poisson et Bruno Blairet). Seul Don Pedro (Matthieu Marie) et Leonato (Jean-Claude Jay) dissonent, par leur sérieux. Dans le texte, Don Pedro est plus vieux que le soupirant Don Claudio, ce qui le laisse en dehors de la comédie de l’amour. Dans ce spectacle, par son visage et par sa voix chaude de jeune premier, il n’est pas crédible en entremetteur désintéressé. Quand à Leonato, ses changements d’humeur sont trop soudains, mal amenés. Mais trop en parler serait faire beaucoup de bruit pour rien, le spectacle est de qualité, bourré de vie comme le texte l’est de métaphores plus ou moins farfelues. Les spectateurs, qui ont bien ri, en ressortent avec le sourire. Ici, Shakespeare est comme Molière : il réconcilie, après les avoir bien rudoyés, des hommes funambules marchant sur un fil entre l’angoisse du vide et la joie de vivre… Être ou ne pas être, telle n’est pas la question : l’absence du sacré et la pesanteur des apparences doivent nous soustraire à trop de gravité, jouissons donc ! Sur le plateau, le bar autour duquel se déroule une grande partie de l’intrigue (y compris les scènes les plus tragiques) évoque cette légèreté : nous sommes au café et ce spectacle est comme le champagne que l’on y sirote, pétillant et léger ! ¶ Marie Barral b.c.lerideaurouge critique théâtrale "Beaucoup de bruit pour rien", de William Shakespeare, traduction de Jude Lucas, mise en scène de Clément Poirée (11-11-2011) Oui, ce "Beaucoup de bruit pour rien", Divertissement aérien, Déclenche une forte tempête Au "Théâtre de La Tempête". Une adaptation intrigante D'une traduction élégante. Une version bien truculente Sur mise en scène pétillante. Bulles de savon qui éclatent, Farces, attrapes qui épatent. De bien beaux discours qui appâtent Pour faire d'eux de bonnes pâtes. Une distribution brillante Pour des vérités éclatantes. "L'amour est le fruit du hasard", Il naît de bien des traquenards. Comment on fabrique un amour ? Venez voir, ça vaut le détour ! Béatrice mène le jeu. D'un naturel qui met le feu, Elle déjoue tous les enjeux Et détrône bien des envieux. Elle défie les amoureux De pouvoir être un jour heureux Et, ayant de l'esprit pour deux, De maris ? N'a nul besoin d'eux. La plus belle bouffonnerie, C'est le mariage, sur ma vie ! Car Béatrice et Bénédict Ont fait un pacte qui leur dicte D'éviter cette vraie folie Considérée comme vindicte. L'amour, arrangement social, Vécu de manière bestiale. Rêve enjolivé et fatal, Forçant un destin si brutal. Salir une réputation ? Hypocrisie, supputations, Calomnies et puis jalousie Dénouent des liens que l'on renie. A son aimée on fait l'injure De renoncer et on le jure. Puis les beaux serments on abjure, Sans état d'âme, on se parjure. Disons "Beaucoup de bruit pour rien" Car, s'il ne faut jurer de rien, Mourir d'amour ne sert à rien. Si l'amour n'était que ce rien Qui illusionne par des riens Les cœurs ensorcelés d'un rien ? Béatrice Chaland /b.c.lerideaurouge