Introduction Comme le souligne le document introductif de France

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Introduction
Comme le souligne le document introductif de France stratégie, la croissance actuelle, et cela va
se renforcer dans les dix prochaines années, se développe essentiellement autour de quelques
pôles métropolitains. Si la politique d’aménagement du territoire a longtemps eu pour objectif
de contrecarrer la crainte d’un « Paris et le désert français », quelle doit-elle être aujourd’hui
puisque semble se poser la crainte de métropoles dynamiques dans un désert français ? Dans le
contexte de mutations territoriales que nous connaissons, la politique d’aménagement du
territoire telle qu’elle a été pensée et conduite dans les grandes années de la « DATAR » n’est
plus adaptée. Mais la politique du « laissez faire », de la « main invisible » territoriale, ne peut
pas être une réponse. Porteuse d’inégalités territoriales, elle serait également porteuse
d’inefficacités pour la croissance, et plus encore pour le bien-être de la population. C’est à partir
d’une politique d’accompagnement des projets territoriaux, de tous les projets territoriaux, que
doit se développer une nouvelle politique d’égalité des territoires, porteuse d’égalité, mais aussi
de croissance et de bien-être.
1. La transition territoriale appelle dans un contexte de changement de paradigme, une
nouvelle politique d’aménagement et d’égalité des territoires
Depuis la décentralisation, soit en 30 ans, l’organisation économique s’est profondément
transformée, suivant en cela le changement de modèle économique. La croissance qui reposait
sur de grandes entreprises et des filières industrielles, souvent historiques, et le développement
des services, repose aujourd’hui sur la capacité d’innovation, les interrelations entre recherche,
formation, industrie, les réseaux. L’investissement, l’innovation et l’internationalisation en sont
les clés : l’investissement pour adapter son appareil productif, l’innovation pour gagner des
parts de marché, l’internationalisation pour capter la demande mondiale. Ce changement va se
poursuivre, s’amplifier même, dans les 10 prochaines années, suivant en cela l’introduction et la
maturation des innovations technologiques.
Cette transition de grande ampleur, troisième révolution industrielle, voire même mutation
équivalente à la Renaissance tant les transformations bouleversent bien au-delà de
l’organisation économique, a des conséquences aussi sur les territoires. Une transition
territoriale profonde est à l’oeuvre, avec comme premier symptôme le fait que nombre de
territoires se retrouvent en difficultés économiques et sociales. Les travaux des universitaires
illustrent par des chiffres le ressenti de nos concitoyens. Entre 2006 et 2011, si l’augmentation
de l’emploi a été de 2,6 % dans l’aire urbaine de Paris et de 4,7 % dans les grandes aires
urbaines de province, elle n’a été que de 0,8 % dans les autres aires urbaines, et négative dans
le reste du pays. Entre décembre 2007 et décembre 2014, la France a perdu 450 000 emplois
privés, mais 7 aires urbaines en ont créé 110 0001. L’explication en est simple : le nouveau
modèle économique privilégie les écosystèmes de croissance, soit les territoires ou se créent
l’innovation par des interrelations dynamisantes entre entreprises, formation et recherche, et
où se rencontrent les services dits supérieurs, avec une traduction en activités et en emplois
compétitifs, soit, pour faire simple, quelques grandes aires urbaines très insérées dans les
échanges.
Dans ce contexte, une politique d’égalité des territoires est plus que nécessaire. La politique
d’aménagement du territoire des trente glorieuses reposait sur une vision colbertiste,
répartissant sur le territoire national les activités de production et de services, réalisées par de
grandes entreprises et accompagnées par les monopoles de service public, les tâches de
recherche, de conception et de direction étant elles concentrées à Paris et dans quelques
grandes villes. Depuis la décentralisation, la liberté territoriale avait déjà largement mis en
sourdine cette politique, avec de plus en plus une politique de compétition entre les territoires
comme l’a soulignée Philippe Estèbe2. Dans le contexte schumpétérien de mutations
technologiques accélérées et enchevêtrées qui se développe aujourd’hui, s’il devient encore
moins possible de diriger un aménagement national, une politique d’accompagnement
territorial de la croissance pourrait avoir pour objectif d’équilibrer les activités et les emplois et
d’augmenter la croissance elle-même car les territoires sont devenus des acteurs économiques
de grande importance. L’attractivité territoriale n’est pas un vain mot dans un contexte de
concurrence forte pour attirer les investissements, les créateurs, les entreprises.
Il convient donc de savoir désormais conjuguer un appui au développement d’écosystèmes
productifs et générateurs de forte croissance dans les métropoles et un soutien au
développement des autres territoires, soit par connexion avec les métropoles, soit en créant
du développement endogène. L’organisation et les politiques territoriales doivent répondre
aux mutations territoriales, participer à la croissance, et pour cela, permettre une
organisation aux bonnes échelles, dans une notion de territoires pertinents, et un
accompagnement des projets des territoires dans un mouvement désormais plus « bottom
up » que « top down ».
Dans cet objectif, la réforme territoriale, en renouvelant notre organisation territoriale
séculaire, est un atout car elle a mis en place un cadre adapté aux mutations économiques et
territoriales, autour de trois territoires pertinents : les communautés, les métropoles, les
régions. Parallèlement, la nouvelle politique d’égalité des territoires qui se dessine, autour
notamment des CIET, va également dans le bon sens et devra être amplifiée.
1
2
Les nouveaux territoires de la croissance. Laurent Davezies. Métropoles en chantier.
L’égalité des territoires, une passion française. Philippe Estèbe. PUF.
2. L’accompagnement du dynamisme métropolitain devrait être le premier axe d’une
politique d’égalité des territoires car la métropolisation est une chance pour la croissance et
pour les territoires.
Les grandes aires urbaines françaises ont capté ces dernières années l’essentiel de la croissance
de la population active métropolitaine de 25 à 54 ans et réalisé plus de 60 % de l’accroissement
de la richesse nationale. Comme on vient de le voir, c’est en effet dans les métropoles que se
rencontrent les fonctions supérieures, que l’innovation se développe, que les entreprises
s’insèrent dans des écosystèmes regroupant ressources scientifiques, économiques, formation.
Une métropole dynamique est source de forte croissance, en attirant les investisseurs, les
créateurs, les entreprises, en générant des entreprises innovantes, sources de créations de
richesses et d’exportations. Accompagnées par des politiques publiques nationales et locales et
des investissements privés, ces aires urbaines créent l’environnement nécessaire aux
dynamiques productives de l’économie de la connaissance, et ainsi renforcent la croissance du
pays.
La première priorité d’une politique territoriale soucieuse de croissance, c’est donc
d’accompagner les dynamiques métropolitaines, de les rendre fécondes, par des soutiens aux
innovations, aux universités, à la recherche, aux pôles de compétitivité, aux incubateurs, aux
pépinières, par des investissements dans tout ce qui permet un environnement attractif, par
exemple au niveau des transports, et en mobilisant des moyens permettant d’éviter les
congestions qui ralentiraient leur développement.
Cet accompagnement du dynamisme métropolitain sert également les autres territoires car les
métropoles représentent une opportunité de développement économique pour les territoires
reliés. La logique métropolitaine est en effet d’entraîner des grappes de territoires. Leur
dimension est variable, du grand bassin d’emploi, au bassin scientifique (par exemple, ParisSaclay pour Paris) ou aux axes de mobilité (par exemple, le Val de Seine pour Paris). Mais le
paradoxe de l’organisation économique aujourd’hui est que les liens de la métropole peuvent
être plus forts avec des territoires éloignés qu’avec des territoires proches, en raison de
l’intégration en réseaux. Les activités n’ont plus besoin d’être proches des métropoles si elles
établissent des liens avec les services cognitifs qui leur sont nécessaires (en métropole) et si
elles bénéficient d’écosystèmes adaptés mis en place dans leur environnement proche.
Les clés de stratégies territoriales de croissance sont donc également de favoriser les
interrelations, les synergies et les réseaux, des territoires comme des entreprises. La croissance
de l’ensemble des territoires dépendra de la puissance des métropoles, mais aussi de la qualité
des réseaux territoriaux mis en place avec des pôles de développement répartis dans les
territoires. Cela nécessite l’invention d’une gouvernance des réseaux autour des métropoles,
avec notamment un appui sur les villes moyennes, fondée davantage sur les connexions que sur
les continuités.
L’autre canal de redistribution des métropoles vers les autres territoires reliés passe par le
développement de l’économie résidentielle. Le tourisme, la mobilité liée à la retraite génèrent
des activités dans certains territoires attractifs par leur cadre de vie. Ces territoires ruraux,
littoraux ou montagnards, bénéficient de flux migratoires infranationaux et permettent la
création d’emplois pérennes.
3. La politique de soutien aux métropoles devrait être complétée par une politique spécifique
en direction de tous les territoires
Face au dynamisme métropolitain, certains pensent qu’il faudrait se garder d'agir, laisser se
concentrer les moyens de production en un petit nombre de lieux, puis laisser se redistribuer les
fruits de la croissance, par effet de « ruissellement » vers les territoires reliés et/ou présentiels,
les autorités publiques devant seulement assurer l’égalité des chances (éducation, santé, accès
à l’emploi). Cette vision apparaît toutefois réductrice, et ce pour trois raisons.
Elle aboutirait à abandonner une partie du territoire, celui qui n’est ni métropolitain, ni en lien
étroit avec les métropoles, ni possédant un cadre de vie attractif pour le développement d’une
économie résidentielle. Cette vision est politiquement et socialement dangereuse. Le sentiment
d’abandon d’une partie de la population est aujourd’hui bien identifié, et ne saurait, sans risque
politique et social majeurs, être laissé sans réponses. Il ne peut y avoir deux catégories de
territoires, et donc deux catégories de français.
Elle serait également contraire aux nécessités économiques. D’abord, les projets industriels ne
vont souvent pas dans les métropoles et si, depuis plusieurs années, la déconcentration des
activités industrielles s’est faite largement à l’étranger, on assiste de plus en plus à une
relocalisation qui devrait s’accentuer. Ensuite, c’est ignorer que les mutations en cours sont
capables de modifier rapidement les données de localisation de la production comme les choix
de l’économie résidentielle. On a vu en quelques années des localisations attractives devenir
non attractives. L’inverse est également valable. Il serait illogique de ne pas maintenir des
potentialités dans des territoires pouvant devenir attractifs. Les mutations sont rapides, y
compris sur les attractivités territoriales.
Enfin, les territoires, aujourd’hui considérés non attractifs pour l’économie compétitive,
peuvent développer d’autres créations de richesses, être porteurs de nouvelles formes
d’activités, voire de nouveaux modèles économiques et sociaux, et ainsi créateurs d’emplois
non délocalisables et de bien-être pour les populations. Ces territoires ont des potentialités de
développement, en matière de loisirs, de patrimoine culturel et naturel, d’économie sociale et
solidaire,…. La compétitivité mesurée par le PIB ne peut être la seule mesure d’un
développement territorial. Cela renvoie aux travaux sur la mesure de la croissance, et plus
largement sur les objectifs d’une politique de croissance, notamment dans un contexte de
mutation rapide des objectifs individuels et collectifs. D’ailleurs, selon la définition de l'Union
européenne, la compétitivité n’est-elle pas la capacité d'un territoire à améliorer durablement
le niveau de vie des habitants, et à leur procurer un haut niveau d'emploi et de cohésion sociale,
dans un environnement de qualité » ? Il faut donc laisser les habitants définir leur mode de
développement, en utilisant les potentialités du territoire, celles issues des innovations
technologiques, et également celles issues des innovations sociales en cours.
4. Le second axe d’une politique d’égalité des territoires devrait porter sur l’accompagnement
des projets territoriaux
C’est au niveau des bassins d’emplois, des bassins de vie, qu’il faut organiser la croissance et le
développement des territoires. C’est le bon niveau pour mettre en place et conduire des projets
de territoire, cohérents, solides, porteurs de croissance et/ou de bien-être. La réforme
territoriale, en renforçant la taille des intercommunalités, en les faisant coïncider avec les
bassins de vie, permet la mise en place d’un échelon de proximité, pertinent pour les services
rendus aux populations, mais pertinent aussi pour des projets de territoires.
Il conviendrait d’abord de soutenir notre maillage territorial en villes « moyennes ». C’est une
spécificité de notre pays, et une chance. Leur dimension humaine et leur qualité de vie sont des
atouts pour la préservation des équilibres et pour le développement d’une croissance en
réseaux autour des métropoles. Cela concerne d’abord les « satellites » des métropoles, sortes
de bassins d’emplois de réserve (par exemple Figeac, Albi, Montauban,…, autour de la
métropole toulousaine), à moins d’une heure de la métropole. Mais, la dynamique des réseaux,
on l’a vu, peut permettre la création de liens au-delà de la simple proximité géographique. Les
villes moyennes peuvent également organiser leur croissance par des économies de niches, à
l’exemple de villes « magiques » qui se sont développées autour d’une ou deux activités, dans
un effet cluster (Niort,… ), ou par une forte attractivité liée à l’économie résidentielle (Vannes,
Biarritz, La Rochelle,…).
Au delà des villes moyennes, il conviendrait de s’appuyer sur les territoires fonctionnels,
construits sur le principe d’accessibilité des réseaux et sur leurs spécificités, en se basant sur les
projets locaux, autour de la production de biens spécifiques, de services innovants, appuyés sur
des savoirs ancestraux, sur des particularités ou des volontés collectives. Il s’agit d’accepter une
forme de « spécialisation » des territoires, basée sur leurs avantages comparatifs et permettant
ainsi de construire une stratégie de développement territorial ambitieuse et endogène. La
réussite des projets locaux implique également, en préalable, un développement des réseaux
numériques, aussi important pour le développement des territoires que l’a été l’électrification
du pays.
L’objectif devra être de revitaliser des territoires qui peuvent être considérés comme non
compétitifs, de restructurer leur écosystème économique et serviciel et de favoriser le
développement, d’une économie productive, résidentielle ou occupationnelle, dans une optique
de développement local des services aux habitants et de maintien d’emplois pérennes. Tout
territoire a son potentiel de développement et peut construire un projet territorial s’appuyant
sur ses atouts, avec un accompagnement adéquat, dans une optique pas nécessairement
d’attractivité économique, mais de développement du bien être des habitants.
Pour organiser cet accompagnement, pour mettre en place des politiques de développement
des territoires, coordonnées, s’appuyant sur les complémentarités, la région est le bon outil.
Jusqu’ici, les réalités de la territorialisation de l’action publique ont davantage été marquées par
la concurrence que par la coopération, ce qui n’a pu qu’accroître des dynamiques qui ont une
tendance naturelle à diverger. C’est une dynamique opposée qu’il s’agit aujourd’hui de mettre
en œuvre : articuler, compléter et faire coopérer, à la fois verticalement et horizontalement, les
collectivités et tous les acteurs, dans des problématiques d’entraînement et de solidarités.
La réforme territoriale, en créant de grandes régions, en articulant celles-ci autour d’une ou
deux métropoles, en clarifiant les compétences régionales autour du développement
économique et de l’aménagement, en instaurant deux nouveaux outils d’animation (le schéma
régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) et le
schéma régional d’aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET)),
a donné les moyens aux nouvelles régions de devenir un acteur désormais majeur de l’égalité
des territoires. Aux régions de prendre progressivement en charge ces politiques, avec l’appui
de l’Etat notamment par le biais des contrats de plan, et de devenir l’acteur principal de
l’aménagement des territoires.
Le rôle de l’Etat dans cette nouvelle politique d’égalité des territoires devrait devenir, au delà
des contrats de plan Etat-région et de ses actions de soutien aux activités de croissance, et donc
au dynamisme métropolitain, un rôle d’impulsion, d’accompagnement, de conseil et de
contrôle, des projets territoriaux, en lien avec les régions. On rejoindrait ainsi le
développement plus général d’un Etat facilitateur et accompagnateur des collectivités
territoriales, qui est un des objectifs affichés de la réforme de l’Etat déconcentré en cours.
Cela nécessiterait plusieurs actions complémentaires : remettre à niveau certains territoires par
le biais d’actions ciblées de développement, accompagner les démarches locales de définition
d’un modèle propre de développement, soutenir la mise en place des projets de
développement territoriaux, puis les accompagner, des métropoles aux intercommunalités les
plus rurales. Pour ces dernières, le dispositif « AIDER » que le gouvernement vient de
développer est une expérience à amplifier, en y intégrant les régions. Le regroupement des
dispositifs et des financements de l’Etat au travers des nouveaux contrats de ruralités est
également une initiative intéressante. Mais, surtout, il conviendrait de s’appuyer sur les
dispositifs mis en place par la Caisse des Dépôts et Consignations, bras armé de l’Etat en la
matière, que ce soit pour les financements en ingénierie, en fonds propres ou en prêts….
Cela pose également la question des financements, et donc de la péréquation puisque
l’essentiel des moyens provient de cette politique, qui vise également l’égalité des territoires.
Mais elle est loin de remplir ces objectifs. L’étude présentée en 2015 au comité des finances
locales par la mission Pirès-Beaune montrait que l’écart moyen de richesses des 2 284
territoires intercommunaux existants n’était pas réduit par la dotation globale de
fonctionnement (DGF) et que c’étaient les territoires aux potentiels fiscaux par habitant les plus
élevés qui recevaient le plus de DGF. Quant aux fonds horizontaux, dont la multiplication ces
dernières années a accru l’illisibilité des dispositifs, la réduction des écarts qui en résultent
demeure en pratique assez faible.
Une réforme de fond de la péréquation s’impose, pour une simplicité, notamment dans les
dispositifs horizontaux, et un lien clairement établi avec la politique d’égalité des territoires,
avec une concentration des dispositifs verticaux vers les territoires nécessitant un véritable
soutien pour leurs projets de développement. Cette concentration sera de toute manière dans
les prochaines années une obligation puisque la pression sur les dotations de l’Etat aux
collectivités locales (au moins celles en fonctionnement) devrait se poursuivre, en lien avec la
poursuite de l’équilibre des finances publiques. A une logique de redistribution dans de vastes
dispositifs nationaux aux multiples critères censés égaliser les richesses se substituerait la mise
en place d’une part de dispositifs horizontaux simples de redistribution de richesses, et d’autre
part de dispositifs verticaux concentrés sur les territoires dont la localisation et les projets
nécessitent un fort accompagnement.
OIL
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