
L'expérience plurielle de la maladie chronique. Maladie pulmonaire et famille
Notre deuxième remarque est relative à l'espace de jeu qui existe entre le « fait » somatique, d'une part, et la
subjectivité, d'autre part. Même dans le cas de la maladie chronique « dure », il semble qu'il y ait entre ces deux
pôles, une sorte de mouvement dialectique ou de mouvement à double sens. D'une part, la survenue et l'évolution
d'une maladie chronique contraignent le sujet à métaboliser dans l'espace de son expérience vécue l'événement et
les éventuels traumatismes qui l'atteignent au niveau infrasymbolique de son corps biologique. Les blessures et les
altérations qui modifient actuellement son organisme n'ont en effet jamais un sens qui serait prédonné. Il revient au
sujet à la fois de sentir et de donner un sens aux perturbations qui atteignent son corps dit « physique », et de les
intégrer ou de les incorporer dans le mouvement en cours de son existence. D'autre part, ce travail d'intégration (à la
fois symbolique et pratique) peut exercer des effets cri retour sur la façon dont le corps et la maladie se donnent à
vivre pour le sujet. II est par exemple possible que la façon dont la maladie est perçue émotionnellement, agisse sur
la sensibilité à la douleur, ainsi que sur les facultés résiduelles effectives. Même dans le cas de la chronicité fondée
sur un dommage organique irréversible. Il existerait ainsi des facteurs « modulateurs » de la chronicité : des facteurs
qui agissent, sinon sur la maladie définie au sens biomédical du terme du moins sur le devenir de la personne
malade et, en ce sens, sur la « réalité phénoménologique de l'être malade » (Rothlisrger 1993).
Suivant nos hypothèses - et nous passons là au troisième point - la façon dont la famille du patient s'ajuste à la
maladie, constitue l'un des facteurs importants qui modulent le devenir et l'évolution clinique du patient chronique
Cette hypothèse a été mise à l'épreuve dans le cas d'enfants et d'adolescents atteints d'une maladie pulmonaire
chronique (Capelli et al., 1989 Patterson et aI :, 1990 ; Thompson et al., 1992), mais très peu d'études se sont
intéressées au rôle du contexte familial dans le cas des patients adultes (Kahle et al., 1999).
2.3. Hypothèses relatives au lien entre la maladie et la famille
Comment la famille est-elle impliquée dans la problématique de la maladie chronique ? Nous avancerons ici trois
hypothèses (Vannotti & Célis-Gennart 1997).
• La survenue ou la persistance d'une maladie n'affecte pas seulement celui qui en est le porteur ; elle atteint
aussi les membres de la famille du malade.
• De par sa valence perturbatrice, la maladie - surtout chronique contraint le système familial à réaliser un travail
d'assimilation et de réorganisation
• La manière dont l'entourage familial fait face à la maladie, agit sur les vulnérabilités et les ressources du patient
lui-même.
La maladie chronique, en tant qu'atteinte vitale, affecte de façon directe les membres de l'entourage qui sont liés au
malade par une relation d'attachement Elle atteint en fait le lien d'attachenent lui-même.
Elle éveille des menaces de mort : les différents membres de la famille sont, chacun à leur manière, exposés à
1'angoisse de perdre le proche qui est atteint par la maladie, et confrontés à la possibilité de la séparation et du
deuil.
Du fait du caractère persistant de ces menaces, la maladie chronique induit des transformations dans le style de la
relation que chaque membre de la famille entretient avec le patient (Caillé, 1997).
• La maladie chronique atteint le système familial en son niveau d'organisation profond - celui où se déterminent
de façon largement implicite, les règles qui structurent les échanges, les attentes et les rôles réciproques, celui
où se contractent les missions, les dettes et les mérites, c'est-à-dire le niveau de l'éthique familiale.
Ces règles et ces mythes ont une dimension diachronique essentielle.
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