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Traitement de la gale par l’ivermectine
Treatment of scabies with ivermectin
! P. del Giudice*
RÉSUMÉ. Le traitement de la gale humaine repose depuis longtemps sur l’utilisation de scabicides topiques. L’ivermectine, active sur les
nématodes et certains arthropodes, constitue une nouvelle arme contre la gale. Cette molécule, bien tolérée, est administrée par voie systémique ; elle est particulièrement utile dans le contrôle des épidémies de gale en institution, dans les gales profuses en association avec les traitements topiques classiques et dans les situations où un traitement topique est difficile.
Mots-clés : Ivermectine - Gale - Gale croûteuse - Gale épidémique - Ectoparasite.
ABSTRACT. Scabies treatment was based on the use of topical scabicids. Ivermectin, an antiparatic molecule, active against nematods,
and some arthropods, represents a new weapon against human scabies. This drug is well tolerated and orally administered. It is particularly
useful for the control of epidemic scabies in institutions, in severe scabies in association with classical topical treatments and in situations
where the topical treatment is difficult.
Keywords: Ivermectin - Scabies - Crusted scabies - Scabies outbreaks - Ectoparasite.
L
e traitement de la gale humaine repose depuis longtemps
sur l’utilisation de scabicides topiques (1-3). L’ivermectine per os constitue une nouvelle approche thérapeutique dans le traitement de la gale et apporte un réel bénéfice.
L’ivermectine est très largement utilisée en médecine vétérinaire depuis 1981, et depuis 1988 chez l’homme dans le traitement de l’onchocercose en Afrique et en Amérique du Sud
(4-8). Depuis presque une dizaine d’années, de nombreuses
publications ont rapporté l’intérêt de ce médicament dans le
traitement de la gale.
ACTIVITÉ ANTIPARASITAIRE
L’ivermectine est un composé semi-synthétique dérivé d’une
classe de composés appelés avermectine (4, 6). Les avermectines ont été isolées en 1979 d’une bactérie actinomycète nommée Streptomyces avermilitilis (4, 5). Structurellement, ces composés sont des lactones macrocycliques proches des macrolides,
antibiotiques, mais sans activité antibactérienne. L’ivermectine
est un mélange de deux avermectines. Ces composés agissent
en induisant une paralysie des arthropodes et des nématodes en
interrompant la neurotransmission au niveau des récepteurs de
l’acide gamma-aminobutyrique (GABA) (4, 5). L’ivermectine
bloque la transmission nerveuse au niveau de la synapse, et cette
interruption est responsable de la paralysie et de la mort du parasite. Chez les mammifères, les récepteurs GABA sont stricte-
* Unité de maladies infectieuses et dermatologie, hôpital Bonnet, avenue
André-Léotard, 83700 Fréjus, et service des maladies infectieuses et tropicales,
hôpital l’Archet I, CHU Nice.
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ment confinés au système nerveux central. L’ivermectine, ne
traversant pas la barrière hématoencéphalique, n’est donc pas
toxique chez les mammifères. En parasitologie humaine, ce
médicament est actif contre les filarioses (onchocercose, loase,
filariose lymphatique), certaines nématodoses intestinales
(anguilluloses, ascaridiose, tricocéphalose) et les ectoparasitoses, principalement les pédiculoses et la gale (4, 8).
EFFETS INDÉSIRABLES
La bonne tolérance de l’ivermectine a été démontrée par son
utilisation extensive contre les nématodes (5-8). Des millions
de doses ont été distribuées dans le monde pour le traitement
de l’onchocercose et des autres filarioses. Les effets indésirables sont rares et minimes. La plupart d’entre eux ont été
décrits chez les sujets traités pour une filariose. Il s’agit d’effets indésirables gastro-intestinaux (douleur abdominale, anorexie, diarrhée, nausées, vomissement), neurologiques (somnolence, vertiges, tremblements), cutanés (prurit, éruption
maculopapuleuse, urticaire), et de rares anomalies biologiques
(élévation des transaminases, leucopénie).
L’effet indésirable le plus sévère est une réaction de type
Mazzotti, observée dans le traitement des filarioses (loase et
onchocercose) et due à la lyse des microfilaires, chez les patients
avec une microfilarémie (loase) ou une microfilarodermie
(onchocercose) élevée (5, 6, 8). Mais ce type de réaction ne
concerne pas la gale. Lorsque l’ivermectine était utilisée pour
traiter une gale, les effets indésirables étaient très rares, minimes
et transitoires. Ainsi, Leppard et al. ayant traité 1 153 prisonniers avec une dose unique de 150 µg/kg ont rapporté des effets
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVIII - n° 4 - juillet-août 2003
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indésirables (douleur abdominale, nausées, diarrhée, hématurie) chez seulement 10 patients (0,9 %) dans les premiers jours
(9). Ces effets indésirables ont duré moins de 48 heures. Une
aggravation transitoire du prurit est possible dans les premiers
jours après le traitement d’une gale commune ou d’une gale
croûteuse, et ne doit pas faire craindre un échec du traitement
(7, 10). Les craintes concernant la toxicité potentielle de l’ivermectine chez les personnes âgées rapportées lors d’une étude
n’ont pas été confirmées depuis (7, 10). Cependant, il a été suggéré que, dans certaines conditions où l’intégrité de la barrière
hémato-encéphalique pourrait n’être pas totale, comme chez
certains jeunes mammifères ou lors de l’administration d’une
dose élevée, la molécule pourrait entrer dans le système nerveux central (10). L’ivermectine est donc contre-indiquée chez
l’enfant de moins de cinq ans ou de moins de 15 kg, chez la
femme enceinte ou allaitante, en cas d’antécédents d’allergies
ou d’affections du système nerveux central.
INDICATIONS DANS LA GALE
Gale commune
La première étude réalisée au Mexique est une étude comparant l’ivermectine 150 µg/kg en une dose unique à un placebo
(11). Cinquante-cinq patients ont été inclus ; à la première
visite, au 7e jour, 26 patients sur 29 (79 %) ont été considérés
comme guéris dans le groupe ivermectine contre 4 (26 %) dans
le groupe placebo. Quelques études ont comparé l’ivermectine
par voie générale aux traitements topiques classiques. Deux
études ont comparé une dose unique d’ivermectine au benzoate
de benzyl à 10 % chez 44 sujets dans l’une et 80 enfants âgés
de 6 mois à 15 ans dans l’autre (12, 13). Il n’y avait pas de différence significative en termes d’efficacité entre les traitements.
Deux études ayant comparé l’ivermectine au lindane n’ont pas
présenté de différence significative en termes d’efficacité entre
les traitements (14, 15). L’ivermectine 200 µg/kg a été comparée à une pommade à la perméthrine à 5 % dans une étude randomisée ouverte ; elle a montré une supériorité de la perméthrine lors de l’évaluation à deux semaines. Mais après une
seconde dose d’ivermectine au 15e jour, les deux traitements
avaient une efficacité équivalente (16). Malgré quelques critiques possibles sur le plan méthodologique (faible nombre de
sujets inclus, absence de double aveugle pour certaines, nonstratification selon la gravité de la gale), ces études tendent à
montrer que l’ivermectine a une efficacité comparable à celle
des traitements topiques classiques.
Gale croûteuse et de l’immunodéprimé
La gale croûteuse (encore improprement appelée norvégienne)
est une forme rare de gale, particulièrement sévère, caractérisée par une charge parasitaire très importante, et habituellement
associée à une immunodépression ou à une maladie neurologique (3). Dans cette forme clinique, le traitement est difficile
et nécessite, en général, plusieurs applications de scabicide
topique en plus de kératolytiques. Des observations de gale
croûteuse guérie grâce à l’ivermectine ont été rapportées
(17-19). Plusieurs schémas thérapeutiques ont été utilisés,
comme l’ivermectine en dose unique ou multiple, en associaLa Lettre de l’Infectiologue - Tome XVIII - n° 4 - juillet-août 2003
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tion éventuelle avec des scabicides topiques ou avec des kératolytiques. Il semble que l’utilisation de doses multiples d’ivermectine à la posologie de 200 µg/kg en association avec un scabicide topique donne les meilleurs résultats.
Chez le patient immunodéprimé (en particulier au cours de l’infection par le VIH), des résultats semblables ont été obtenus
grâce à l’utilisation de doses répétées d’ivermectine, en association avec des scabicides topiques (10, 18, 20).
Épidémie de gale en institution
L’apport le plus important de l’ivermectine s’observe au cours
d’épidémies de gale en institution, dans lesquelles l’éradication de la gale est souvent difficile. Les institutions particulièrement touchées par ces épidémies de gale sont les maisons de
retraite, les services de long séjour, les établissements psychiatriques, les prisons… Plusieurs articles ont montré l’intérêt de l’ivermectine pour l’éradication de la gale dans ces situations (7, 9, 10, 21). Dans ces cas, l’ivermectine était généralement
distribuée à tous les sujets, symptomatiques ou non, et, dans
quelques cas, au personnel. Grâce à ce traitement, des épidémies ayant duré plusieurs années dans ces établissements ont
pu être éradiquées.
L’IVERMECTINE : UN TRAITEMENT ORAL, ALTERNATIF
AU TRAITEMENT SYSTÉMIQUE ?
L’ivermectine est donc le seul traitement antiscabieux efficace
par voie orale. Son efficacité sous forme topique a également
été rapportée dans quelques études. Depuis octobre 2001, l’ivermectine a l’autorisation de mise sur le marché, et est commercialisée sous le nom de Stromectol® (comprimés dosés à 3 mg).
Le Stromectol® est indiqué dans la gale sarcoptique humaine
lorsque le diagnostic est établi par la clinique et/ou l’examen
parasitologique (22). La sécurité d’emploi n’ayant pas été établie chez l’enfant de moins de 15 kg, non plus que chez la
femme enceinte et allaitante, l’ivermectine doit être évitée dans
ces situations.
Les principaux avantages de ce traitement systémique sont sa
facilité d’utilisation, avec une compliance maximale (posologie de 200 µg/kg, soit 4 comprimés pour un adulte de 60 kg),
et sa tolérance. Ce traitement offre une alternative au traitement
topique classique. Des résistances à certains traitements
topiques classiques sont possibles (surtout suspectées avec le
lindane). En outre, un traitement oral est particulièrement indiqué dans certaines formes très excoriées, où les traitements
topiques sont parfois responsables de dermite irritative, ainsi
que chez des personnes grabataires ou présentant un handicap
sévère, pour lesquelles le traitement topique est difficile.
Cependant, un certain nombre de questions restent en suspens.
En effet, les études sur l’ivermectine dans le traitement de la
gale sont peu nombreuses ; elles ont généralement concerné
peu de sujets, et ne permettent pas de répondre précisément à
toutes les questions. Ainsi, la plupart des auteurs s’accordent
pour proposer comme dose optimale 200 µg/kg, mais aucune
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étude comparative de dose n’a été publiée. De plus, la prise de
deux doses, à quelques jours d’intervalle, est possiblement plus
efficace qu’une dose unique, mais cela n’a pas été évalué par
des études comparatives. La durée à respecter entre les deux
prises n’a pas non plus fait l’objet d’une évaluation précise. On
ne peut que regretter le manque d’intérêt manifeste de l’industrie pharmaceutique pour ce traitement de la gale, l’une des
pathologies dermatologiques les plus répandues dans le monde.
CONCLUSION
L’ivermectine orale est une nouvelle arme thérapeutique dans
le traitement de la gale. D’autres études seraient néanmoins
nécessaires pour mieux préciser la place et les modalités d’utilisation optimales de ce traitement.
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ALJAC SA - Locataire-gérant d’EDIMARK SA © octobre 1985
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Ce numéro est routé avec une Infos-Congrès : “Actualités sur le saquinavir - 2nd IAS” (8 pages) ;
une Infos-Journée : “1re Journée scientifique VIH et foie” (12 pages) ;
Un encart central : une Infos-Interview : “Les nouvelles fluoroquinolones dans les infections respiratoires” (8 pages).
La Lettre de la Fédération nationale des Centres de lutte contre le sida (FNCLS) - N° 21 - septembre 2003 (12 pages)
est routée à une partie de la diffusion.
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