1 Religiosité de la communauté cambodgienne française Introduction

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Religiosité de la communauté cambodgienne française
Introduction
A partir de la fin des années 1970 et jusqu’à la fin des années 1980, des immigrés cambodgiens
s’installent sur le territoire français. Ce mémoire de licence s’intéresse aux mutations que la religion
bouddhiste a subies lors de sa migration du Cambodge à la France. En particulier nous nous
interrogeons sur la transmission des croyances au sein de la communauté cambodgienne dans un
contexte religieux particulier, celui d’une société française profondément sécularisée. La religion est
étudiée selon trois composantes : les croyances, les rites et les acteurs du religieux. L’enquête repose
sur un questionnaire en ligne complété de deux entretiens. Afin de construire ce questionnaire, nous
avons cherché à nous informer sur le bouddhisme tel qu’il était pratiqué en Cambodge. A partir de ce
point initial, le questionnaire tentera de cerner les évolutions qui ont eu lieu dans la communauté
cambodgienne française.
1. Bibliographie
Bien que le bouddhisme soit religion d’état au Cambodge, le pays est multiethnique et
multiconfessionnel : la majorité de la population est khmère, mais il existe également des minorités
dont les deux plus importantes sont la minorité Chams, de confession musulmane, et la minorité
chinoise, sino-khmer ou ayant la nationalité chinoise, a priori bouddhiste. Il existe peu de recensement
fiable après l’indépendance du Cambodge qui donnerait un aperçu démographique de ces ethnies au
moment de l’établissement du régime khmer rouge et encore moins pendant le régime khmer rouge
et les années de guerre civile qui suivirent. Néanmoins, le Tableau 1 donne un aperçu quantifié de
cette diversité ethnique en 1936 et 1993. Nous allons dans cette étude nous focaliser sur le
bouddhisme car la communauté cambodgienne en France est majoritairement issue des ethnies
khmères et chinoises et délaisser l’islam de l’ethnie cham.
Ethnies
1936
1995
Khmer
85 %
95,4 %
Cham
2,4 %
2,1 %
Vietnamien
6,3 %
1,0 %
Chinois
3,4 %
0,48 %
Population totale (en millions)
3,046
9,746
Tableau 1 : Population et groupes ethniques au Cambodge (construit d’après (Schliesinger, 2011) )
Les croyances :
Une des caractéristiques fondamentales du bouddhisme au Cambodge est sa dimension syncrétique :
le bouddhisme a su s’adapter aux racines animistes de la spiritualité cambodgienne. Le monde
surnaturel khmer est en effet riche d’esprits, de génies, de fantômes.
Il existe différents courants du bouddhisme, dont les principaux sont le bouddhisme Mahayana, ou
bouddhisme du Grand hicule, développé notamment au Tibet, le bouddhisme Zen japonais et le
bouddhisme Theravada, ou bouddhisme du Petit hicule, qui est le bouddhisme prédominant dans
toute l’Asie du Sud-Est. Le bouddhisme Theravada est fidèle à un Canon rédigé en pali et fixé au Sri
Lanka autour du IVe siècle. La religion bouddhique considère que l’ensemble des êtres de ce monde,
hommes comme dieux, sont soumis aux cycles des réincarnations. Ces réincarnations sont autant de
fardeaux dont le bouddhiste cherche à se départir. Bouddha est celui qui a trouvé la voie pour
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échapper à ses réincarnations et atteint lEveil. Les bouddhistes suivent le Dhamma, l’enseignement
du Bouddha. Le bouddhisme du Petit Véhicule distingue fortement deux manières d’être bouddhiste,
selon que l’on soit moine ou laïc. Le but de la vie monastique est de pouvoir atteindre lEveil et de
rompre le cycle des réincarnations. Les laïcs quant à eux ne peuvent souvent pas prétendre accéder à
l’Eveil et suivent la voie dite « kharmique » dont l’objectif est d’acquérir des mérites afin de renaître à
la prochaine réincarnation dans de bonnes conditions.
Les êtres surnaturels sont nombreux dans la spiritualité khmère. Ainsi, le culte des neak ta était courant
dans les campagnes cambodgiennes. La communauté villageoise rurale s’organisait autour du culte de
Bouddha et du culte d’un neak ta. Le neak ta est un esprit gardien. Il assure la bonne production des
cultures, la venue de la pluie, la lutte contre la maladie, la prospérité de la communauté villageoise. Ce
culte est néanmoins en recul au Cambodge (Forest, 1992). Les bray sont une autre classe d’esprits
importante (Harris, 2008). Les bray sont des entités exclusivement féminines, dangereuses et
malveillantes qui proviennent de femmes mortes vierges ou en accouchement. Cependant, elles
peuvent être « domestiquées » par un bonze. Elles deviennent alors les gardiennes (boramei) des
temples bouddhistes. Il existe d’autres esprits, malveillants ou bienveillants, et nombres de fantômes.
Certains esprits peuvent parler à travers une femme medium lors de séances de possession, les
malemorts (suicidés, assassinés…) ou des individus ayant enfreints les règles bouddhiques peuvent
revenir sous la forme de fantômes M. Wadbleb (Wadbled, 2000) a remarqué qu’au sein de la
communauté vietnamienne, ces croyances liées aux esprits disparaissaient plus vite que les autres.
Est-ce aussi applicable pour la communauté cambodgienne ?
Les acteurs :
Les moines sont responsables des offices et du culte. Ils assurent également des fonctions d’éducation
religieuse et auparavant étaient aussi responsables de l’éducation civile du peuple,
L’achar (Chouléan A. , 1986) est un officiant de cérémonie qui introduit les prières. Il est choisi parmi
les personnes âgées. Il connaît les stances courantes des prières et, après le bonze, c’est une autorité
morale au sein de la communauté. Il préside aux cérémonies civiles (mariage, funérailles, inauguration
d’une nouvelle maison…).
Le domaine « magique » se partage entre magie noire et magie blanche. Ceux qui font un usage
bénéfique de la magie sont appelés gru. En général, gru peut se traduire par magicien (bénéfique), ou
guérisseur. Les moines bouddhiques et les achar occupent une place privilégiée pour être guérisseur.
Néanmoins, cette pratique magique est combattue par le bouddhisme « moderne ». Il existe
également des sorciers (dhmap’) qui pratiquent la magie noire. Ang Chouléan rapporte des
témoignages de « chasse au sorcier » au Cambodge dans les années 1960. Enfin, il existe des mediums,
rup, qui pratique la divination. Le medium peut être possédé par un esprit qui parle lors de la
possession à travers lui.
Quelques rites :
Nous allons ici parcourir les principales fêtes cambodgiennes. Le nouvel an civil a lieu le 12 ou 13 avril.
Bien qu’il soit civil, le nouvel an a un caractère religieux. Dans chaque famille pratiquante, on accueille
la divinité de la nouvelle année (l’animal de l’année) par des offrandes à l’autel familial comme des
fleurs, des fruits, des bougies ou de l’encens (Fuchs, 1991).
Le nouvel an bouddhique est célébré en avril ou en mai. Il commémore le triple anniversaire de la
Naissance, l'Illumination et l'Eveil de Bouddha. Les fidèles se rendent au monastère où ils passent une
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partie ou toute la nuit à écouter les homélies des moines. Les fidèles reviennent le lendemain prendre
le repas qu’ils ont offert avec les moines (Fuchs, 1991).
La fête de l’entrée des moines dans leur retraite est aussi la fête de l’entrée dans la saison des pluies.
La durée de la retraite peut varier et concerne des jeunes gens comme des adultes. Les personnes
effectuant une retraite prenne la vêture lors de cette cérémonie.
La Fête des morts se tient vers octobre/novembre. Elle dure 15 jours. Pendant cette fête l’on
honore les morts, le rite le plus important est le pansukul. Une fois mort, l’individu se réincarne en
fonction de ses mérites. Il existe toujours un risque pour que le mort se réincarne dans les enfers
bouddhiques. Ce rite permet de transférer les mérites qu’ont accumulés les proches du défunt à ce
dernier et ainsi d’améliorer sa renaissance (Chouléan A. , 1986).
La spiritualité cambodgienne est donc très riche en êtres surnaturels, en procédés magiques, en rites.
Les aspects les plus animiques de la religion cambodgienne sont en perte de vitesse au Cambodge. Ce
processus est-il accéléré par la migration ?
La sécularisation en France
La sécularisation de la société française a produit une perte d’influence de l’institution religieuse et
une privatisation du croire. La pratique religieuse passe beaucoup moins par une pratique intermédiée
par l’institution. L’autorité du prêtre, y compris dans le domaine religieux le croyant accède aux
textes spirituels directement, est affaibli. Le spirituel devient de l’ordre de l’intime. La moderni
consacre l’individu comme acteur et valeur première. L’individu des sociétés modernes souhaite « la
fin de toute contrainte, de toute obligation, et de toute forme de régulation ou de contrôle
institutionnelle » comme L. Obadia (Obadia, 1999) résume une des vues de Hervieu-Léger (Hervieu-
Léger, 1993). L’individu se détache de l’institution religieuse. Il se détache aussi de sa communauté
d’origine et des traditions culturelles ou religieuses qui y étaient rattachés. Pour G. Balandier, la
religion devient « non imposée par la tradition ou la coercition, [elle] relève de plus en plus du choix
et de l’appropriation individuelle » (Balandier, 1988). Tschannen (Tschannen, 2008) souligne
également une deuxième modalité de l’individualisme. Non seulement l’individu choisit son
appartenance religieuse, mais l’individu choisit aussi à l’intérieur de la religion son dogme particulier.
La religion est utilisée comme une ressource pour l’individu, un moyen d’accéder au bonheur, à la
sérénité…, plus que comme un discours général sur la transcendance à accepter dans son intégralité.
La religion se métamorphose en recueil de principes d’épanouissement personnel.
R.J. Campiche dresse une typologie des manières de croire et de pratiquer la religion en Europe
(Campiche & Alii, 1997). Il distingue six types (applicables à la religion chrétienne) suivant que l’individu
croit en Dieu ou non et suivant l’intensité du croire :
Les non religieux : ils sont soit athées, soit la religion ne joue aucune importance dans leur vie.
Les religieux : ils croient en Dieu, assistent à l’office religieux au moins une fois par mois et font
confiance à l’institution religieuse.
Les croyants hétérodoxes : ils croient fortement en certaines croyances religieuses (Dieu,
résurrection) mais ces croyances sont différentes des religions officielles. Ils assistent moins aux
offices et la religion tient une place un peu moins grande dans leur vie que les religieux.
Les « irréguliers » ou « tièdes » : ils assistent à un rythme mensuel au service religieux. Néanmoins,
les croyances au Diable ou à l’enfer sont pratiquement nul, la religion ne joue pas un rôle majeur
dans leur vie
Les « ritualistes » : ils nont pas de pratiques religieuses hors rites de passages et croyances
religieuses moins affirmés
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Humanistes non religieux : ils ne sont pas religieux mais estiment que l’Eglise doit prendre la parole
sur certains problèmes de société
Cette typologie fait bien apparaître la variété des situations recouvertes par le vocable courant de
« croyant ». Nous retenons aussi de cette typologie la distinction entre deux types de rites, le rite
régulier, associé au pratiquant, par exemple la messe dominicale pour la religion catholique, et les rites
de passages, comme le baptême, le mariage ou l’enterrement et qui touche une population plus large
et moins croyante.
2. Construction du questionnaire
Une première partie du questionnaire concerne les croyances, deux types de croyances ont été
distingués : les croyances transcendantales, en Bouddha et en la réincarnation, et les croyances
intramondaines, c’est-à-dire les croyances en des esprits ayant un impact dans le monde physique.
Une deuxième partie concerne la pratique rituelle. A quelle fréquence le répondant effectue des rites ?
Trois types de rites ont été distingués : les rites réguliers (prière), les rites collectifs et exceptionnels,
c’est-à-dire les fêtes, les rites de passage, c’est-à-dire le mariage et l’enterrement
Une troisième partie s’intéresse à la place de la religion dans la vie de l’individu, en quoi la religion est-
il une ressource pour lui et quelle place joue la religion dans l’identité de la personne.
Enfin, la dernière partie recueille les caractéristiques sociologiques du répondant.
3. Résultats
Le questionnaire a été posté sur des sites de groupes facebook, sur un forum ou bien j’ai envoyé une
demande par mail à des responsables d’association. Il s’agit d’associations qui promeuvent l’identité
khmère, la culture khmère, la langue ou il s’agit d’associations confessionnelles. Un collègue
cambodgien a également eu la gentillesse de faire circuler mon questionnaire parmi ses connaissances.
J’ai obtenu 27 réponses exploitables.
L’échantillon est équilibré en proportion d’hommes et de femmes (56% de femmes contre 44%
d’hommes). Les répondants appartiennent pour l’essentiel à la génération 20-35 ans (90%).
La croyance dans les deux piliers du bouddhisme, l’Eveil de Bouddha et la réincarnation, est très forte.
Parmi les gens qui se sont déclarés bouddhistes, 90% des individus pensent que Bouddha a atteint
l’Eveil, la moitié des participants croient tout à fait en la réincarnation et 70% y croient plutôt ou tout
à fait.
La croyance en des esprits et des fantômes qui ont une influence sur notre monde est du même ordre
mais l’intensité est moindre. Les répondants sont nombreux à être « plutôt d’accord » là où la position
dominante dans la croyance en la réincarnation ou en Bouddha était « tout à fait d’accord ». Il y a donc
un certain reflux de cette croyance non transcendantale même si, fondamentalement, le monde
spirituel de la communauté cambodgienne est intramondain.
La moitié des individus qui se sont déclarées bouddhistes ne connaissent pas les différences entre le
bouddhisme du Petit Véhicule et le bouddhisme du Grand Véhicule. Les connaissances religieuses ne
sont pas suffisamment précises pour distinguer les deux bouddhismes. Les individus croient en un
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certains nombres d’éléments du bouddhisme, mais ne connaissent pas forcément le « credo »
bouddhique. Une autre façon d’interpréter cela serait de considérer que les croyants connaissent très
bien le bouddhisme theravada et pas du tout le bouddhisme tibétain. Cela me semble cependant peu
plausible. D’ailleurs, sur les cinq pratiquants, identifiés comme les personnes faisant une prière chez
eux au moins 1 à 2 fois par mois, un seul a répondu qu’il ne connaissait pas les différences entre les
deux véhicules.
Les répondants assistent pour 80% d’entre eux à une des fêtes organisée à la pagode. Ils sont
également 80% à se rendre quelques fois par an à la pagode. On peut donc affirmer que les répondants
ne vont en majorité à la pagode qu’à l’occasion des fêtes collectives. A noter que parmi les quatre
personnes qui se sont déclarées chrétiennes ou athées, deux assistent au moins à une fête à la pagode
par an, ce qui souligne à mon sens le caractère familial de ces fêtes. Peu importe que l’on soit croyant,
on y accompagne sa famille. Cette vision d’une pratique religieuse essentiellement familiale est
renforcée par la réponse à la question « que vous apporte la religion ? ». En effet, la plupart des
répondants ont choisi parmi une des trois réponses « la continuité d’une tradition ».
La pratique chez soi est occasionnelle. Si 70% des répondants possèdent un autel chez eux, ils ne sont
que 20% à prier régulièrement. Les répondants font en majorité quelques prières par an. Nous pouvons
donc supposer que c’est à l’occasion d’évènements spéciaux, fêtes ou évènement important dans la
vie des individus, que des prières sont dites. Les offrandes aux ancêtres sont, elles aussi,
occasionnelles.
9% 5%
9%
77%
Bouddha a atteint l'éveil
J'hésite
Ne se prononce pas
Plutôt d'accord
Tout à fait d'accord
27%
18%
5%
50%
Après la mort, les hommes se réincarnent
J'hésite
Plutôt d'accord
Plutôt en désaccord
Tout à fait d'accord
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