Pratique quotidienne · formation complémentaire Inadéquation des moyens mis en œuvre lors du diagnostic et du traitement fonctionnel* 2e partie La présente deuxième partie des considérations concernant Ies inadéquations des moyens mis en œuvre (excès, déficiences ou erreurs) lors du diagnostic et du traitement fonctionnel traite des raisons des déficits existants en la matière, dont la prédominance de concepts axées sur les aspects somatiques et morphologiques, l’attribution d’une importance démesurée aux résultats de différentes méthodes d’imagerie, le non-respect de con- cepts éprouvés dans le domaine de la médecine de la douleur et finalement certains aspects socio-économiques et financiers. Il serait souhaitable que les questions quant à la qualité, aux bénéfices et aux risques des méthodes de diagnostic et de traitement fonctionnel soient davantage prises en considération en pratique quotidienne. Jens-Christoph Türp 1, 2 Clinique de prothèse dentaire et d’occlusodontie, Centre de médecine dentaire, Université de Bâle 2 Polyclinique de prothèse dentaire, Cliniques universitaires, Fribourg-en-Brisgau 1 (Illustrations et bibliographie voir texte allemand, page 909) Mots-clés: Myoarthropathies, diagnostic et traitement de la douleur, assurance de qualité, médecine dentaire fondée sur les preuves Adresse pour la correspondance: Priv.-Doz. Dr Jens-C. Türp Klinik für Prothetik und Kaufunktionslehre, Zentrum für Zahnmedizin der Universität Basel Hebelstrasse 3, CH-4056 Bâle Tél. +41/61/267 26 36, fax +41/61/267 26 60 E-mail: [email protected] Traduction française de Thomas Vauthier * Le présent article se fonde sur une conférence de l’auteur intitulée «Unter-, Fehl- und Überversorgung in der Zahnmedizin», tenue le 1. 12. 2001 dans le cadre d’un symposium à Heidelberg (Allemagne) organisé par l’Académie des Sciences (Akademie Praxis Wissenschaft, APW). * N. d. tr.: Les citations en anglais ont été laissées telles quelles dans la traduction française. Les citations en allemand ont été traduites littéralement. 916 Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 112: 9/2002 Raisons des déficits de moyens mis en œuvre pour le diagnostic et le traitement fonctionnel 1. Prédominance de concepts axés sur les aspects somatiques et morphologiques, en partie purement spéculatifs, concernant l’étiologie et de ce fait d’approches thérapeutiques (présumées être) axées sur l’étiologie, donc monocausales, qui en résultent Le Comité d’experts allemands (SACHVERSTÄNDIGENRAT, 2001a) a fait remarquer, notamment sous l’angle de la prise en charge des patients souffrant de maladies chroniques: «La fixation sur les organes et la vision mono dimensionnelle qui en découle dans la prise en charge médicale des malades est basée sur la prédominance d’un concept étiologique de la maladie qui s’oriente essentiellement selon des repères issus de la pathogenèse et la thérapeutique des maladies aiguës (qui, du point de vue historique, étaient en premier lieu des maladies infectieuses). Ce concept biomécanique unilatéral de la maladie ne s’accorde en rien avec le large spectre des maladies chroniques d’origine multifactorielle qui prédominent dans les pays industrialisés.» Et de continuer: «il existe un nombre d’indices suffisamment sûrs que dans bien des cas, les relations sociales et les Inadéquation des moyens mis en œuvre lors du diagnostic et du traitement fonctionnel – 2e partie conditions de vie des malades chroniques et de leurs proches ne sont pas pris en considération du tout, ou seulement de façon insuffisante.» Le Comité d’experts allemands (SACHVERSTÄNDIGENRAT, 2001a) fustige le «modèle mécanistique qui a pour but la simple ‹réparation› des maladies», de même que la «‹fixation somatique› du système de la santé». Dès lors, «il faut que les programmes d’enseignement s’écartent enfin des idées purement mécaniques et techniques pour les remplacer par des concepts fondés sur des idées médicales et biologiques qui soient orientées vers la prévention» (SACHVERSTÄNDIGENRAT, 2001a). Ces remarques critiques s’appliquent de manière analogue aux domaines du diagnostic et du traitement fonctionnel en médecine dentaire. L’ignorance du concept bio-psycho-social de la maladie et de la douleur (TURK & RUDY 1992) dans lequel les manifestations au plan psychologique et social survenant en tant que conséquence de douleurs chroniques persistantes, revêtent la plus haute importance pour le diagnostic, le traitement et le pronostic (BASLER et coll. 1999; RUDY et coll. 1995), entraîne une situation caractérisée par l’absence, sauf dans de rares cas, d’une collaboration interdisciplinaire et d’un concept de traitement multimodal, en dépit du fait que la supériorité thérapeutique de cette démarche ait amplement été démontrée (cf. p. ex. TURK et coll. 1993). De ce fait, la restriction de l’angle de vision sur les traitements causals et ciblés sur l’étiologie, de même que les réserves et l’embarras existants par rapport à une thérapeutique ciblée sur les symptômes doit être considérée comme étant fort problématique (Clark 2001). Une prise en charge optimale des patients nécessite que l’on définisse des objectifs thérapeutiques réalisables, tels que l’atténuation des douleurs, l’amélioration de la mobilité de la mandibule et la possibilité de reprendre les activités entravées par les douleurs, de même que l’amélioration de l’état général, voire de la qualité de vie – au lieu de fixer comme objectif thérapeutique un hypothétique état où le patient serait entièrement libéré de douleurs (Okeson 1996). Pour ce faire, il est impératif d’assurer une étroite collaboration entre médecins-dentistes, psychologues cliniques spécialistes de la douleur, physiothérapeutes et, le cas échéant, d’autres spécialistes de la douleur (p. ex. neurologues, rhumatologues ou orthopédistes) qui doivent coopérer dans une équipe agissant de façon interdisciplinaire. Il est malheureux de constater que la situation prédominante dans les universités germanophones ne permet pas la mise en pratique d’un tel concept (qui correspondrait au modèle exemplaire des Facial Pain Clinics aux EtatsUnis); pour cette raison, la formation des étudiants en médecine dentaire reste dans bien des cas très lacunaire à ce propos. De même, dans la pratique quotidienne en dehors du cadre universitaire, la réalisation de modalités thérapeutiques interdisciplinaires se heurte à des obstacles importants et demeure un défi difficile à relever. Toutefois, il devrait être possible de mettre en œuvre, du moins dans des villes d’une certaine importance, un «réseau» approprié permettant de prendre en charge les patients souffrant de douleurs orofaciales. 2. Attribution d’une importance démesurée à des critères objectivés plutôt qu’à l’état subjectif du patient, de même que la confiance aveugle dans la technique plutôt que le respect des compétences cliniques. «Les rapports entre l’état somatique et l’état subjectif des patients souffrant de douleurs chroniques sont bien moins évidentes que ce que laisseraient supposer nos expériences au quotidien» (NILGES & GEBERSHAGEN 1994). De ce fait, l’attribu- tion d’une importance excessive à la valeur diagnostique des procédés à haute technologie, en particulier lors du diagnostic fonctionnel, doit être relativisée. Ainsi, JÄGER et coll. (2001) ont par exemple exigé de recourir à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) en tant que première méthode d’imagerie lors du diagnostic des articulations temporo-mandibulaires (ATM). Par opposition à cette opinion, la majorité des auteurs de la littérature spécialisée sont d’avis qu’il ne fait nul doute – à l’instar de la médecine (VON TROTSCHKE 2001) – que pour le diagnostic chez les patients souffrant de troubles algo-dysfonctionnels ou de MAP, également, l’anamnèse du malade et l’examen clinique doivent toujours et encore être considérés comme l’étalon-or (BABA et coll. 2001; LUND et coll. 1995; PALLA 1998a; STOREY 1994). C’est ainsi que HALEY et coll. (2001) ont réussi à démontrer que chez les patients souffrant de douleurs unilatérales des ATM, les informations cliniques recueillies lors de la palpation des ATM étaient bien plus pertinentes que celles résultant des examens par IRM. Il convient de mettre en garde contre le risque d’une «sur interprétation» des observations (parfois fortuites) lors des examens destinés au diagnostic (NILGES & GERBERSHAGEN 1994), de même que celle des modifications physiologiques (remodelage) dans le cadre des processus de vieillissement. Ce n’est que dans des cas exceptionnels que les patients souffrant de troubles algo-dysfonctionnels ou de MAP, ont besoin d’une médecine faisant recours à des appareils hightech; par voie de conséquence, STOHLER et ZARB (1999) ont exigé une approche «low tech, high prudence». Force est toutefois de constater que malheureusement de telles mises en garde des risques découlant de l’utilisation et de l’introduction hâtive de méthodes high-tech (et de ce fait souvent très coûteuses) tombent bien souvent dans les oreilles de sourds (LEONARD 1994; LOHMANN 1999). Or, il n’est pas rare que de telles techniques ou procédés s’avèrent inefficaces quelque temps après ou – ce qui est pire encore – qu’elles provoquent des lésions assimilables à des interventions non nécessaires qui se répercutent par des effets secondaires thérapeutiques, donc à une «iatrogenèse clinique», (ILLICH 1995): «Lorsque l’intensité des interventions médicales dépasse un certain seuil critique, l’iatrogenèse clinique ne peut plus être disculpée sous prétexte d’être due à une erreur, un accident de parcours ou une défaillance; elle devient alors une dégénérescence non curable de la pratique médicale» (ILLICH 1995). Pour ces raisons, l’idée d’exiger la réalisation de clichés IRM ou de CT en tant qu’examens de routine lors de «l’investigation des troubles algo-dysfonctionnels de l’ATM» (GSELLMANN 2001) évoque de sérieux doutes. Il est indéniable que le recours aux méthodes modernes d’imagerie médicale est indiqué dans certains cas spécifiques, par exemple lorsqu’il s’agit d’exclure une éventuelle tumeur ou pour l’objectivation de la progression des symptômes d’affections inflammatoires des ATM. Les critères régissant les indications pour des examens par IRM ou par CT devraient essentiellement être d’ordre médical; à titre d’exemple, on pourrait citer une progression de la symptomatologie, une asymétrie lors de l’examen clinique (p. ex. tuméfaction péri-auriculaire), ainsi que des situations réfractaires au traitement. Nonobstant ce fait, nous ne devrions jamais oublier que «nous traitons des patients et non des ‹cas› définis par des clichés d’imagerie» («[…] we treat patients and not radiographic or magnetic resonance images, and that the clinical findings should be the final determinant of therapy». (LASKIN 1995). Hormis ces considérations, il convient, comme l’a exprimé BLEULER (1963), de tenir compte du fait que «la plupart des in- Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 112: 9/2002 917 Pratique quotidienne · formation complémentaire terventions coûtent de l’énergie et de l’argent, deux choses qu’il vaudrait mieux ne pas gaspiller sans réfléchir». A titre d’exemples, on peut notamment évoquer à ce propos la mise en pratique de procédés de traitement fonctionnel grevés de rapports risque/bénéfice ou coût/bénéfice défavorables (par exemple ajustements occlusaux systématiques par meulages; attelles de repositionnement antérieur, etc.). Ou, comme l’a fait remarquer STOREY au début des années 1990, «Unfortunately the history of the past decade documents the potential for overtreatment, increased risk and higher cost». Force est de constater que cette opinion a gardé toute sa valeur jusqu’à nos jours. En Suisse, les traitements par meulage sélectif figurent en première position des modalités thérapeutiques des MAP dans le Tarif Dentaire et peuvent de ce fait être facturés dans la note d’honoraires (Chiffre 4171: «Etablissement d’un plan de meulage par le médecin-dentiste sur la base des modèles montés en articulateur»; de même, Chiffre 4171: «Meulage, y compris le polissage et la fluoration des dents meulées». Or, le fait qu’une méthode thérapeutique considérée presque unanimement par des experts internationaux comme étant généralement inacceptable pour le traitement des MAP (cf. NATIONAL IINSTITUTES OF HEALTH 1996) est admise, voire légitimée, par un tarif relevant d’une convention légale entre partenaires sociaux, et qu’elle peut de ce fait légitimement être facturée au patient, constitue un écueil considérable à l’exigence de la modification des concepts thérapeutiques (ou elle peut même, dans le pire des cas, faire échouer complètement cette démarche nécessaire, pour des raisons pratiques économiques). 3. Négligence et non-respect de principes, de stratégies et de méthodes éprouvées et scientifiquement étayées en matière de diagnostic et de thérapeutique, telles qu’elles sont appliquées dans le domaines de la médecine de la douleur (cf .ZENZ & JURNA 2001) D’avis de NILGES et GERBERSHAGEN (1994), il n’y pas l’ombre d’un doute: «A défaut d’intégration de facteurs psychologiques, les douleurs chroniques ne peuvent ni être expliquées, ni traitées.» Pour sa part, le Comité d’experts allemands (SACHVERSTÄNDIGENRAT, 2001a) a défini des exigences on ne peut plus claires: «Il est impératif de compléter les concepts actuels par un concept de la maladie fondé sur les conditions individuelles, en d’autres termes, un concept qui tienne compte de façon adéquate des différents facteurs psycho-sociaux, environnementaux et comportementaux qui influencent l’évolution de la maladie.» «Un tel concept ouvre la voie à un modèle de traitement pluridimensionnel qui répond bien mieux aux besoins variés et complexes des patients souffrant de maladies chroniques.» En fait, la réalité est: en règle générale, les psychologues cliniques spécialisés dans la prise en charge de la douleur «n’entrent en jeu qu’à partir du moment où la quantité et la qualité des diagnostics ne peuvent plus être ni appréhendées ni maîtrisées – ou alors après qu’une opération se soit soldée par un échec». (NILGES et GERBERSHAGEN 1994). Il est regrettable de constater qu’il existe des lacunes notoires en matière des connaissances des médecins-dentistes au sujet des douleurs chroniques (TÜRP 2000a). Nonobstant ces lacunes, on observe souvent une envie quasi irrésistible – telle qu’elle est si caractéristique de la médecine actuelle «fixée sur le passage à l’acte thérapeutique» (PORTER 1985) – d’aider le patient, même si au fond le praticien se sent (ou devrait se sentir) dépassé dans ses compétences (LOË 1995). «Le courage d’admettre, indépendamment des émotions, sa propre ignorance en disant ‹je ne sais pas› présuppose que l’on se trouve à un palier supérieur de sa propre relation avec la réalité» (BLEULER 1963). Une telle hu- 918 Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 112: 9/2002 milité préserverait sans doute bon nombre de patients de bon nombre d’interventions superflues et en partie délétères. Ce faisant, il est important de faire preuve de prudence concernant les conseils et recommandations formulés par des soi-disant ‹experts›, car la seule preuve par l’exemple émanant de personnes faisant autorité restera toujours suspecte». (MINDACH 2001). Il est impératif de continuer à promouvoir les connaissances des médecins-dentistes en ce qui concerne l’étiologie et des concepts thérapeutiques des douleurs chroniques et de ne pas relâcher la lutte contre le scepticisme et les réticences, telles qu’elles existent toujours, en ce qui concerne la médecine dentaire fondée sur des preuves scientifiques (TÜRP & ANTES 2001). L’approfondissement des connaissances du praticien traitant au plan de l’étiologie et des principes thérapeutiques reconnus est également susceptible de contrecarrer l’information insuffisante des patients relative à leurs symptômes; dans ce domaine il existe en effet un certain nombre d’indices révélant un déficit considérable d’informations de qualité (NEUGEBAUER & TÜRP 2001; TÜRP et coll. 2001). Pour sa part, le Comité d’experts allemands (SACHVERSTÄNDIGENRAT, 2001b) constate qu’il y a actuellement «un certain nombre de développements qui pointent dans une mauvaise direction, développements qui sont préoccupants du fait qu’ils vont dans le sens d’une désinformation», et de mettre en garde que «la majeure partie des sources disponibles sur Internet fournissent des recommandations qui risquent à terme d’entraîner des excès massifs de moyens mis en œuvre tant pour le diagnostic que pour le traitement. […] Ce faisant, les informations publiées que nous avons examinées sur Internet ne se distinguent guère de celles provenant de certaines brochures destinées aux patients fort tendancieuses publiées par certaines chambres médico-dentaires ou des associations des médecins de Caisse [‹Kassenärztliche Vereinigung›] traitant de ce thème». Force est toutefois de constater que tout le monde n’est pas réceptif dans la même mesure à de nouvelles idées. Tant les cliniciens que les patients sont souvent enclins à biaiser leur jugement en cherchant à se voir confirmés dans leur opinion ou leurs idées (en anglais: confirmation bias) (HAGER & WEISSMANN 1991). Par ce «biais de confirmation» on entend la tendance, déjà décrite par FRANCIS BACON (1620/1994), de l’être humain à s’attacher à des opinions et des convictions et de les confirmer par la recherche sélective d’informations, voire par une interprétation biaisée de celle-ci, qui permettent de les maintenir. (BÖRDLEIN 2000). A ce propos, le spécialiste en communication autrichien PAUL WATZLAWIK (2000) a fait remarquer qu’«une fois qu’une croyance ou une supposition a été trouvée, et spécialement si elle permet de résoudre une incertitude inconfortable, elle introduit un biais chez l’observateur qui lui fait remarquer toute information permettant de confirmer la croyance, et de sous-évaluer tout élément opposé. L’investissement émotionnel peut être tel que nous préférons à la limite nier des faits irréfutables plutôt que de chercher à accorder notre explication avec les faits». Ce mécanisme d’auto-perpétuation, renforce l’erreur originale et construit une confiance excessive au point que les arguments des opposants sont vus comme trop dispersés pour défaire la croyance adoptée. Le psychiatre BLEULER a mis en exergue une raison particulièrement humaine pour un tel état d’esprit: «Lorsque nous réfutons, voire refoulons, de nouvelles idées, l’aspect de la commodité joue évidemment un rôle non négligeable. Car, au fond, tout changement nous oblige à repenser à nouveau les choses, de les placer dans un autre contexte, d’apprendre éventuellement de nouvelles méthodes de traitement, dont nous ne sommes pas à même de saisir toute la portée d’emblée. Toute nouveauté s’accompagne d’un arrière- Inadéquation des moyens mis en œuvre lors du diagnostic et du traitement fonctionnel – 2e partie goût quelque peu gênant, même si l’état existant ou antérieur ne nous n’a pas entièrement satisfait.» 4. Aspects socio-économiques et financiers FRANKS et ses collaborateurs (1992) ont fait remarquer que dans le domaine de la médecine, le risque d’un excès de moyens investis pour la prise en charge est en règle d’autant plus important que le patient occupe un rang social plus élevé, en comparaison avec des personnes économiquement défavorisées. Les résultats de leur analyse semblent indiquer que «higher income not only improves access to appropriate care, but also increases the risk of receiving excessive care». Force est de constater que des tendances similaires peuvent également être décelées pour les patients souffrant de troubles algo-dysfonctionnels ou de MAP. D’un autre côté, en Suisse et en Allemagne la majorité des prestations considérées judicieuses du point de vue médical pour le diagnostic et le traitement des douleurs ne sont pas prises en charge par les caisses-maladie (ce qui entraîne des déficits de traitements), ou elles ne sont considérées en tant que prestations obligatoires qu’à condition qu’une pathologie de l’ATM peut être objectivée par des clichés radiologiques (ce qui entraîne des excès de moyens mis en œuvre en matière de diagnostic). Ce qui pose particulièrement problème est l’antinomie entre la clinique et la radiologie. D’un côté, le clinicien est légalement obligé, par respect du principe ALARA («As Low As Reasonably Achievable») de n’exposer le patient aux rayons ionisants qu’au seuil le plus bas possible qu’il est possible de raisonnablement le faire (obligation d’optimisation des moyens) (PASLER & VISSER 2000); il s’ensuit que le clinicien doit s’efforcer de recourir aux méthodes de diagnostic radiologiques de la manière la plus conservatrice possible. De l’autre côté, dans bien des cas les assureurs refusent de prendre en charge le traitement lorsqu’il n’y pas de «clichés radiographiques», bien que ceux-ci ne représentent souvent que des observations fortuites dont la relation avec les symptômes cliniques présents demeure incertaine (cf. CALLENDER & BROOKS 1996; EPSTEIN et coll. 2001; JOHN & PULLINGER 1997; RUF & PANCHERZ 1995). De telles exigences assécurologiques sont susceptibles, en particulier chez des patients économiquement défavorisés, d’être à l’origine de déficits de la prise en charge thérapeutique et, dans des situations défavorables, entraîner la chronification des douleurs myo-arthropathiques (qui cause des frais bien plus importants au plan socio-économique). Remarques en guise de conclusion Il ne fait plus guère de doute que le diagnostic et le traitement des troubles algo-dysfonctionnels du système stomatognathique se caractérisent dans une large mesure par des problèmes d’inadéquation – qu’il s’agisse d’excès, de déficiences ou d’erreurs – des mesures mises en œuvre. Il y a un certain nombre d’indices laissant supposer que dans le domaine topographiquement relativement étroit du système stomatognathique – en particulier dans des formes précoces et moins prononcées (STOHLER & ZARB 1999) – il existe une situation caractérisée par des excès de moyens médico-dentaires mis en œuvre pour le diagnostic et le traitement; force est toutefois de constater que, dans ce même domaine, il y a des déficits no- toires en matière des moyens investis pour le diagnostic et le traitement des douleurs chroniques. En outre, les question relatives à la qualité (fiabilité, validité, valeur positive et négative quant au pronostic) et du bénéfice clinique des méthodes de diagnostic fonctionnel (LUND et coll. 1995) et des méthodes thérapeutiques, de même que celle du coût/bénéfice des modalités de traitement envisagées dans le cas précis, ne sont dans bien des cas pas suffisamment prises en considération. Le modèle «somatique» de l’intervention aiguë, qui a fait ses preuves dans de nombreux domaines de la médecine dentaire et qui assure dans la plupart des cas le succès thérapeutique quasi immédiat, ne permet en règle générale pas d’obtenir un résultat satisfaisant dans la prise en charge des patients MAP. Dans le domaine du diagnostic des douleurs en particulier – mais pas seulement dans ce domaine (cf. MANNEBACH 1997) – les indications rapportées par les patients, souvent considérées à tort comme des «données molles», ainsi que les observations lors de l’examen clinique doivent être pondérées comme étant bien plus importantes que les «données dures» obtenues par des appareils de haute technologie. Force est toutefois de constater que ces dernières sont en général favorisées par les médecins-dentistes (et les assurances). Dans de tels cas tout particulièrement, il existe un «danger que la pratique de la médecine soit soumise au règne de la technique» (LOHMANN 1999). Pour ces raisons, il ne reste qu’à espérer que le concept de la médecine fondée sur les preuves (Evidence Based Medicine), tel qu’il est de plus en plus admis (du moins dans le domaine de la médecine) (KUNZ et coll. 2000; TÜRP & ANTES 2001) puisse à l’avenir – dans le domaine du diagnostic et du traitement fonctionnel également – servir de filtre au service de l’assurance de qualité en matière de décisions cliniques et puisse de la sorte améliorer la protection des patients affectés à l’égard du risque d’«iatrogenèse clinique». En tout état de cause, il convient de mettre en garde contre toute tentation de mettre en pratique sans réflexion critique des techniques et méthodes nouvelles, non étayées par des résultats probants. Les propos critiques qu’a tenu en février 1938 le neurologue HERMAN CHOR à l’occasion du traditionnel Midwinter Meeting à Chicago, devant un public de médecins-dentistes ébahis méritent d’être rappelés en mémoire: «Although explanations may appear attractive and at first glance a proposed hypothesis may sound logical, definite proof should be presented before conclusions can be accepted as factual. This is particularly important when a plan of treatment is proposed. As a result of a more critical attitude, a great deal of misguided therapy may be prevented.» Le diagnostic et le traitement des MAP se prêtent particulièrement bien à renouer avec (et à respecter) les origines et les traditions médicales de la médecine dentaire; ce faisant, on redécouvrira le véritable «art de guérir que d’aucuns pensaient perdu» (LOWN 2002) – pour le plus grand bien de nos patients. Salus aegroti suprema lex! (Le premier principe éthique du médecin est le bien-être du malade.) Remerciements L’auteur tient à remercier tout particulièrement le confrère et expert (resté anonyme) qui a relu, corrigé et apporté ses critiques constructrices à une version précédente du manuscrit. Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 112: 9/2002 919