Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 112: 9/2002
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Pratique quotidienne · formation complémentaire
terventions coûtent de l’énergie et de l’argent, deux choses qu’il
vaudrait mieux ne pas gaspiller sans réfléchir».
A titre d’exemples, on peut notamment évoquer à ce propos la
mise en pratique de procédés de traitement fonctionnel grevés
de rapports risque/bénéfice ou coût/bénéfice défavorables (par
exemple ajustements occlusaux systématiques par meulages;
attelles de repositionnement antérieur, etc.). Ou, comme l’a fait
remarquer STOREY au début des années 1990, «Unfortunately the
history of the past decade documents the potential for overtreatment,
increased risk and higher cost».Force est de constater que cette
opinion a gardé toute sa valeur jusqu’à nos jours.
En Suisse, les traitements par meulage sélectif figurent en pre-
mière position des modalités thérapeutiques des MAP dans le
Tarif Dentaire et peuvent de ce fait être facturés dans la note
d’honoraires (Chiffre 4171: «Etablissement d’un plan de meulage
par le médecin-dentiste sur la base des modèles montés en articula-
teur»; de même, Chiffre 4171: «Meulage, y compris le polissage et
la fluoration des dents meulées». Or, le fait qu’une méthode théra-
peutique considérée presque unanimement par des experts in-
ternationaux comme étant généralement inacceptable pour le
traitement des MAP (cf. NATIONAL IINSTITUTES OF HEALTH 1996)
est admise, voire légitimée, par un tarif relevant d’une conven-
tion légale entre partenaires sociaux, et qu’elle peut de ce fait lé-
gitimement être facturée au patient, constitue un écueil consi-
dérable à l’exigence de la modification des concepts
thérapeutiques (ou elle peut même, dans le pire des cas, faire
échouer complètement cette démarche nécessaire, pour des rai-
sons pratiques économiques).
3. Négligence et non-respect de principes, de stratégies et de méthodes
éprouvées et scientifiquement étayées en matière de diagnostic et de
thérapeutique, telles qu’elles sont appliquées dans le domaines de
la médecine de la douleur (cf .ZENZ & JURNA 2001)
D’avis de NILGES et GERBERSHAGEN (1994), il n’y pas l’ombre
d’un doute: «A défaut d’intégration de facteurs psychologiques,
les douleurs chroniques ne peuvent ni être expliquées, ni trai-
tées.» Pour sa part, le Comité d’experts allemands (SACH-
VERSTÄNDIGENRAT,2001a) a défini des exigences on ne peut plus
claires: «Il est impératif de compléter les concepts actuels par un
concept de la maladie fondé sur les conditions individuelles, en
d’autres termes, un concept qui tienne compte de façon adé-
quate des différents facteurs psycho-sociaux, environnemen-
taux et comportementaux qui influencent l’évolution de la ma-
ladie.» «Un tel concept ouvre la voie à un modèle de traitement
pluridimensionnel qui répond bien mieux aux besoins variés et
complexes des patients souffrant de maladies chroniques.»
En fait, la réalité est: en règle générale, les psychologues cli-
niques spécialisés dans la prise en charge de la douleur «n’en-
trent en jeu qu’à partir du moment où la quantité et la qualité
des diagnostics ne peuvent plus être ni appréhendées ni maîtri-
sées – ou alors après qu’une opération se soit soldée par un
échec». (NILGES et GERBERSHAGEN 1994). Il est regrettable de
constater qu’il existe des lacunes notoires en matière des
connaissances des médecins-dentistes au sujet des douleurs
chroniques (TÜRP 2000a). Nonobstant ces lacunes, on observe
souvent une envie quasi irrésistible – telle qu’elle est si caracté-
ristique de la médecine actuelle «fixée sur le passage à l’acte
thérapeutique» (PORTER 1985) – d’aider le patient, même si au
fond le praticien se sent (ou devrait se sentir) dépassé dans ses
compétences (LOË 1995). «Le courage d’admettre, indépen-
damment des émotions, sa propre ignorance en disant ‹je ne
sais pas› présuppose que l’on se trouve à un palier supérieur de
sa propre relation avec la réalité» (BLEULER 1963). Une telle hu-
milité préserverait sans doute bon nombre de patients de bon
nombre d’interventions superflues et en partie délétères. Ce fai-
sant, il est important de faire preuve de prudence concernant les
conseils et recommandations formulés par des soi-disant ‹ex-
perts›, car la seule preuve par l’exemple émanant de personnes
faisant autorité restera toujours suspecte». (MINDACH 2001).
Il est impératif de continuer à promouvoir les connaissances des
médecins-dentistes en ce qui concerne l’étiologie et des con-
cepts thérapeutiques des douleurs chroniques et de ne pas relâ-
cher la lutte contre le scepticisme et les réticences, telles qu’elles
existent toujours, en ce qui concerne la médecine dentaire fon-
dée sur des preuves scientifiques (TÜRP & ANTES 2001). L’appro-
fondissement des connaissances du praticien traitant au plan de
l’étiologie et des principes thérapeutiques reconnus est égale-
ment susceptible de contrecarrer l’information insuffisante des
patients relative à leurs symptômes; dans ce domaine il existe
en effet un certain nombre d’indices révélant un déficit considé-
rable d’informations de qualité (NEUGEBAUER & TÜRP 2001; TÜRP
et coll. 2001). Pour sa part, le Comité d’experts allemands
(SACHVERSTÄNDIGENRAT,2001b) constate qu’il y a actuellement
«un certain nombre de développements qui pointent dans une
mauvaise direction, développements qui sont préoccupants du
fait qu’ils vont dans le sens d’une désinformation», et de mettre
en garde que «la majeure partie des sources disponibles sur
Internet fournissent des recommandations qui risquent à terme
d’entraîner des excès massifs de moyens mis en œuvre tant pour
le diagnostic que pour le traitement. […] Ce faisant, les infor-
mations publiées que nous avons examinées sur Internet ne se
distinguent guère de celles provenant de certaines brochures
destinées aux patients fort tendancieuses publiées par certaines
chambres médico-dentaires ou des associations des médecins
de Caisse [‹Kassenärztliche Vereinigung›] traitant de ce thème».
Force est toutefois de constater que tout le monde n’est pas ré-
ceptif dans la même mesure à de nouvelles idées.Tant les clini-
ciens que les patients sont souvent enclins à biaiser leur juge-
ment en cherchant à se voir confirmés dans leur opinion ou
leurs idées (en anglais: confirmation bias) (HAGER & WEISSMANN
1991). Par ce «biais de confirmation» on entend la tendance,
déjà décrite par FRANCIS BACON (1620/1994), de l’être humain à
s’attacher à des opinions et des convictions et de les confirmer
par la recherche sélective d’informations, voire par une inter-
prétation biaisée de celle-ci, qui permettent de les maintenir.
(BÖRDLEIN 2000). A ce propos, le spécialiste en communication
autrichien PAUL WATZLAWIK (2000) a fait remarquer qu’«une fois
qu’une croyance ou une supposition a été trouvée, et spéciale-
ment si elle permet de résoudre une incertitude inconfortable,
elle introduit un biais chez l’observateur qui lui fait remarquer
toute information permettant de confirmer la croyance, et de
sous-évaluer tout élément opposé. L’investissement émotionnel
peut être tel que nous préférons à la limite nier des faits irréfu-
tables plutôt que de chercher à accorder notre explication avec
les faits». Ce mécanisme d’auto-perpétuation, renforce l’erreur
originale et construit une confiance excessive au point que les
arguments des opposants sont vus comme trop dispersés pour
défaire la croyance adoptée. Le psychiatre BLEULER a mis en
exergue une raison particulièrement humaine pour un tel état
d’esprit: «Lorsque nous réfutons, voire refoulons, de nouvelles
idées, l’aspect de la commodité joue évidemment un rôle non
négligeable. Car, au fond, tout changement nous oblige à re-
penser à nouveau les choses, de les placer dans un autre contex-
te, d’apprendre éventuellement de nouvelles méthodes de trai-
tement, dont nous ne sommes pas à même de saisir toute la
portée d’emblée. Toute nouveauté s’accompagne d’un arrière-