identité(s) juive(s)

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le shofar
revue mensuelle de la communauté israélite libérale de belgique
N° d’agréation P401058 SEPTEMBRE 2013 - N°347 / ELLOUL 5773 - TICHRI 5774
synagogue
beth hillel
bruxelles
IDENTITÉ(S) JUIVE(S)
N°345 SEPTEMBRE 2013
ELLOUL 5773 - TICHRI 5774
N° d’agréation P401058
re v ue mensuelle de l a
communauté isr aélite
libér ale de belgique
EDITEUR RESPONSABLE :
Gilbert Lederman
REDACTEUR EN CHEF : 
Luc Bourgeois
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION :
Yardenah Presler
COMITÉ DE RÉDACTION : 
Rabbi Marc Neiger, Gilbert Lederman,
Isabelle Telerman, Luc Bourgeois,
Ralph Bisschops
Ont participé à ce numéro du Shofar :
Jonas Costens, Rabbi Abraham
Dahan, Anne De Potter, Pascale
Engelmann, Henri Lindner, Lucien
Luck, Jean Marc Peruch, Gaëlle
Szyffer, Pieter Van Cauwenberge
MISE EN PAGE : 
inextremis.be
ILLUSTRATION COUVERTURE :
"Le passage de la Mer Rouge"
Marc Chagall
Le Shofar est édité par la
COMMUNAUTÉ ISRAÉLITE LIBÉRALE
DE BELGIQUE A.S.B.L.
N° d’entreprise  : 408.710.191
Synagogue Beth Hillel
80, rue des Primeurs
B-1190 Bruxelles
Tél. 02 332 25 28
Fax 02 376 72 19
www.beth-hillel.org
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CBC 192-5133742-59
IBAN : BE84 1925 1337 4259
BIC : CREGBEBB
RABBIN : Rabbi Marc Neiger
RABBIN HONORAIRE :
Rabbi Abraham Dahan
DIRECTEUR: Luc Bourgeois
SECRÉTAIRE : Yardenah Presler
PRÉSIDENT HONORAIRE :
Paul-Gérard Ebstein
CONSEIL D’ADMINISTRATION : 
Gilbert Lederman (Président),
Myriam Abraham, Gary Cohen, Anne
De Potter, Patrick Ebstein, Nathan
Estenne, Ephraïm Fischgrund, Josiane
Goldschmidt, Gilbert Lederman, Willy
Pomeranc, Gaëlle Szyffer, Elie Vulfs,
Pieter Van Cauwenberge
Les textes publiés n’engagent que
leurs auteurs.
Sommaire
5
EDITORIAL
Identité(s) juive(s)
(Luc Bourgeois, Rédacteur en chef)
7
LE MOT DU PRÉSIDENT
De quoi Beth Hillel est-il le nom ?
(Gilbert Lederman, Président du Conseil d’Administration de Beth Hillel)
LE MOT DU RABBIN 9
Tradition et modernité
7
(Rabbi Marc Neiger)
IDENTITÉ(S) JUIVE(S) Orthodoxe Orthodoxe
11
(Rabbi François Garaï du GIL, Communauté Israélite
Libérale de Genève)
16
13
Juifs et Judaïsme
(Rabbi Abraham Dahan)
16
Eloge de l’hébreu
(Jean-Paul Borgerhoff)
21
De Varsovie à Bruxelles
(entretien avec Henri Lindner)
25 Mijn jodendom
(Pieter Van Cauwenberge)
28 Si je t’oublie, Ô Jérusalem
(Lucien Luck)
30 AGENDA
IDENTITÉ(S) JUIVE(S)
33 De la recherche de racine … au chemin …
(Pascale Engelmann)
33
37 Du Bund à Beth Hillel
(entretien avec Gaëlle Szyffer )
TALMUD TORA
40 Le Talmud Tora joue les prolongations
NOS BNÉ MITZVA
42 Deracha de Jonas Costens
45 Deracha de Jean Marc Peruch
ENVIE DE LI(V)RE
5070iéme anniversaire de la révolte du ghetto de
Varsovie(III)
44
(Isabelle Telerman )
52
Lectures d’identité
(Anne De Potter)
55
Exil aux Marolles
(Luc Bourgeois)
57 CARNET - CITATIONS
le shofar
Identité(s) juive(s)
par Luc Bourgeois
Les fêtes austères sont à nos portes. C’est le
moment où beaucoup de Juifs retrouvent le chemin de la synagogue. Démarche paradoxale :
on vient se retrouver, très nombreux, plus et
moins croyants, plus et moins religieux, pour
de longues heures de prières avec, à Kippour, la
faim et l’attente de la rupture du jeûne.
Curieuse démarche que d’aller s’enfermer
avec l’estomac qui crie alors qu’on pourrait
profiter du soleil de la fin de l’été. Et il en est
ainsi depuis des siècles. Qu’est-ce qui nous
distingue donc de nos contemporains qui
ignorent ce type de pratique ? Notre identité.
Oui, mais encore. C’est quoi notre identité ?
C’est quoi « être Juif » ?
Et malgré tout, notre synagogue est pleine
et vibre lors des grandes fêtes, et également
lors d’autres célébrations comme notre séder
annuel à Pessah.
Nous nous sommes donc interrogés sur notre
identité juive en général et sur notre identité juive libérale en particulier. La barbarie
et l’absurdité administrative nazies avaient
défini des critères permettant de ranger certaines personnes dans la catégorie « Juif ».
Ces critères ont été repris par l’état d’Israël
naissant pour définir qui peut bénéficier de
la loi du retour, ce qui était tout à fait compréhensible dans le cadre historique de la
création de l’état. Mais, poussés à l’extrême,
ils ont un côté profondément négatif : notre
identité ne se définirait-elle que par rapport à
la Shoah ? Qu’en est-il alors des Juifs qui ont
eu la chance de ne pas connaître la Shoah ?
Qu’en est-il des Juifs qui ont été expulsés
des pays musulmans (le Maghreb, le Yémen,
…) ? Nous en sommes donc arrivés à poser
la question d’une manière positive : qu’est-ce
qui nous pousse, en nous-mêmes, à être Juifs
et nous donne notre identité sans la mettre
toujours en perspective dans le regard de
l’autre, contrairement à l’opinion de JeanPaul Sartre1 ?
Pas de tshulent au Maroc. Pas de couscous en Ukraine. Pas beaucoup de kippa’s
sur les crânes des fêtards à Tel-Aviv. L’état
d’Israël est adulé ou vilipendé par les uns et
par les autres, Juifs et non-Juifs confondus.
Religieux, observants, croyants, agnostiques,
athées : tous ces profils, toutes ces convictions se retrouvent parmi les Juifs du monde
entier. Une mère juive : oui, certainement,
mais est-ce une garantie pour que quelque
chose soit transmis ? Dans les foyers mixtes,
le père n’assure-t-il pas aussi ce rôle et souvent très efficacement ? Le yiddish, le ladino,
le judéo-arabe, le judéo-persan : qui parmi
nos jeunes connaît encore de ces langues
plus que quelques expressions, et sont-elles
suffisantes à assurer une identité ? Louis
Armstrong, le trompettiste de jazz, parlait
couramment yiddish et n’était pas Juif.
Nous commençons par trois éclairages rabbiniques du judaïsme libéral, celui de notre
rabbin Marc Neiger, celui de notre rabbin
honoraire et fondateur de Beth Hillel, rabbi
Dahan, et celui du rabbin François Garaï de
notre communauté sœur de Genève.
On ne résume pas l’identité juive en un mot,
pas en une phrase, pas en un paragraphe, pas
en un chapitre, pas en un livre. La multiplicité
est trop grande.
Pour beaucoup, la judéité se retrouve aussi
dans nos petites lettre carrées, dans l’hébreu.
Jean-Paul Borgerhoff fait revivre pour nous
l’aventure de la langue retrouvée, du travail et
1
« C’est la société, non le décret de Dieu qui a fait de lui un Juif, c’est elle qui a fait naître le problème juif […] c’est nous qui le
contraignons à se choisir juif malgré lui » Jean-Paul Sartre, Réflexions sur la question juive.
5
ÉD I TO R I A L
de l’opiniâtreté dont a dû faire preuve Eliézer
ben Yehouda pour faire renaître la langue afin
qu’elle puisse devenir l’un des vecteurs de
l’identité israélienne et assurer une cohésion
renouvelée au peuple juif, sur sa terre et en
diaspora.
Nous avons ensuite interrogé quelques
membres de Beth Hillel, et avons essayé d’illustrer la diversité de leurs parcours, convictions, pratiques, approches et opinions.
6
Henri Lindner a retracé pour nous son
enfance à Varsovie, dans une famille religieuse sans excès, son départ en 1939 pour
aller étudier en Angleterre, son engagement
dans l’armée et son parcours militaire dans
les commandos jusqu’à la libération de l’Europe, son arrivée en Belgique et sa rencontre
avec Adèle, et, enfin, son retour aux textes du
Judaïsme et à la pratique religieuse à travers
ses rencontres et l’amitié qu’il a construite
avec rabbi Dahan.
Lucien Luck nous raconte sa merveilleuse
histoire d’amour avec Geneviève, z’’l, et comment grâce à elle il a retrouvé le chemin de la
communauté juive et de Beth Hillel après que
les traumatismes de la Shoah l’aient amené à
prendre ses distances avec la religion.
Gaëlle Szyffer nous a raconté son histoire peu
commune : élevée dans une famille mixte où
la politique et les idéaux de gauche avaient
plus d’importance que la religion, même si la
tradition juive y était bien présente, Gaëlle a
trouvé le chemin de Beth Hillel et du judaïsme
libéral grâce à rabbi Dahan et y a grandi spirituellement et dans l’action, qu’elle mène sur
tous les fronts pour la communauté juive en
général et pour Beth Hillel, en particulier.
En 1977, Pieter Van Cauwenberge a voyagé en
Israël et il en est revenu avec un grand amour
du pays et du peuple juif. Durant de longues
années, Pieter a étudié tous les aspects du
judaïsme et de la vie juive à l’Université de
Gand, et il a rejoint Beth Hillel il y a quelques
années. Depuis son entrée dans le peuple d’Israël Pieter participe très activement à la vie de
notre synagogue et nous fait souvent partager
son grand savoir et sa vision religieuse de la
vie juive. Pieter voyage encore très régulièrement en Israël où il a de nombreux amis.
Pascale Engelmann et son époux Alexandre
ont récemment rejoint le peuple d’Israël.
Tout en délicatesse, Pascale nous décrit
comment elle a commencé par s’intéresser
au judaïsme et comment elle et son mari ont
ensuite décidé d’étudier longuement et de se
convertir il y a peu. Son témoignage équilibre
parfaitement l’émotion et la réflexion.
Josiane Goldschmidt nous présente ensuite
les dernière réalisations du Talmud Tora
durant le mois de juin.
Pour cette édition du Shofar, nous vous
proposons quelques ouvrages récemment
parus. Isabelle Telerman poursuit sa recension d’ouvrages parus à propos du soulèvement du ghetto de Varsovie. Anne De Potter
nous invite à nous plonger dans plusieurs
ouvrages relatifs à l’identité juive. Nous
vous présentons enfin le livre de souvenirs
de Inge Schneid, une membre de Beth Hillel,
qui, petite fille, est arrivée en Belgique avec
sa famille, fuyant le nazisme qui s’installait
à Vienne, et comment elle y a grandi, dans un
exil douloureux.
Nous vous suggérons enfin, sur internet,
la conférence de Benjamin Gross à propos
de la vision de l’identité juive selon Leon
Ashkenazi, référence pour le judaïsme du
XXème siècle.
ht t p: //a k a dem .or g /s om m a i r e / t heme s /
philosophie/ les-gra nds-penseurs/ leonashkenazi-manitou-/y-a-t-il-une-identitejuive-07-05-2013-52488_298.php
Bonne lecture, chana tova, hag sameah et
bon jeûne de Kippour.
■
le shofar
De quoi Beth Hillel
est-il le nom ?
par Gilbert Lederman,
Président du Conseil d’Administration
Porter un nom, c’est
« être ». Porter le
nom d’un illustre
homme, c’est tenter de prolonger le
rayonnement de son
ex istence. Por ter
celui de Hillel, c’est
assumer la responsabilité de traduire son
héritage moral dans
la conscience de
notre époque. Pour
le peuple dont on
dit qu’il est celui des
livres, le choix d’un
nom n’est jamais anodin. Le nom recèle
une histoire. En 1979,
lors de son inauguration au 96 avenue
Kersbeek, notre rabbin Abraham Dahan, soutenu par le Conseil
d’Administration sous la présidence de PaulGérard Ebstein, fût bien inspiré d’attribuer à
notre synagogue le nom de Hillel.
A un homme en demande de conversion qui le
défia de définir le judaïsme, le temps de rester
debout sur une seule jambe, Hillel répondit :
« Ne fais pas à autrui ce que tu ne souhaites
pas qu’autrui te fasse. C’est toute la Tora. Le
reste, n’est que commentaires. Maintenant, va
et étudie » (Talmud
de Babylone, traité
Shabbat 31a.). Cette
phrase de la longueur d’un tweet ne
mentionne ni Dieu, ni
une croyance, ni les
rituels de la Tora. Cet
aphorisme met en
exergue les responsabilités de l’homme,
le sens à donner à son
existence et le savoirvivre avec son prochain. De fait, l’humain, les obligations
éthiques de celui-ci et
l’étude sont les piliers
de l’édifice juif.
De nombreuses
synagogues libérales
de par le monde portent le nom de Hillel
car ce dernier symbolise un judaïsme tolérant et accueillant. A une époque où plus de
40% de juifs se marient avec des conjoints
hors du yichouv, le message du sage est un
exemple dont Beth Hillel est fier de s’inspirer.
Le mouvement dont est issu notre communauté représente la tendance majoritaire du
judaïsme contemporain. Le judaïsme libéral
prône la relecture d’une tradition multimillénaire en phase avec la conscience de son
7
L E M OT D U PR ÉS I D EN T E X ÉC U T I F
époque. Le mouvement libéral tente de donner au judaïsme les moyens de vivre la modernité sans cesser d’être lui-même. La genèse
du judaïsme réformé apparaît en Allemagne
au siècle des Lumières, époque qui procura
de nouvelles libertés aux citoyens juifs, celle
notamment, de s’émanciper dans les cités.
L’une des conséquences cultuelles fût d’attribuer des droits égalitaires aux hommes et aux
femmes.
Porter le nom de Beth Hillel, c’est donc porter
une promesse, celle d’éclairer un judaïsme
et sa tradition ancestrale à la lumière de son
époque. C’est ce à quoi, notre communauté
s’est engagée depuis bientôt près de 50 ans.
A l’approche des fêtes austères, au nom du
Rabbi Marc Neiger, du Conseil d’Administration et du staff, je vous souhaite une bonne
et douce année.
■
« Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ?
Et si je ne suis que pour moi, qui suis-je ?
Et si pas maintenant, quand ? ».
« Ne te sépare pas de la communauté ; ne réponds pas de ta vertu avant le jour de ta mort ;
ne juge pas ton prochain tant que tu ne te sois pas trouvé dans sa situation ;
Ne dis pas : j’étudierai quand j’aurai le temps, car peut-être tu n’en auras pas ».
« Sois responsable là où tous fuient leurs responsabilités ».
8
Hillel.
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le shofar
Tradition et modernité
par Rabbin Marc Neiger
Tradition et modernité, ce sont deux mots
que l'on entend souvent dans le cadre des
réflexions du Judaïsme Libéral, du Judaïsme
progressiste en général et même occasionnellement dans le cadre du Judaïsme dit
"orthodoxe" ou consistorial.
l'on regarde de plus près, ce compromis ne
s'intéresse finalement qu'à des aspects pratiques : peut-on prendre la voiture pendant
chabbat, doit-on utiliser du vin kacher pour
Pessah, peut-on marier deux personnes de
même sexe, etc…
Et lorsque nous utilisons ces mots, tous
nous souhaitons prétendre à concilier, harmoniser, d'un côté ce que nous appelons
la tradition du Judaïsme et d'un autre coté
la modernité, c'est-à-dire d'un côté ce qui
nous rattache au passé, et de l'autre côté,
les attraits de la société civile, du progrès
scientifique, de la laïcité, tout ce qui d'une
certaine manière semble être à même de
façonner l'avenir.
Quitte à paraître un peu provocateur, je
pense que cette quête peut se résumer à :
comment devenir moderne sans perdre le
"goût" de l'ancien? Nous sommes toujours
dans la nostalgie de la "petite madeleine"
de Proust. Il n'y a sûrement rien de mal à
trouver réconfort dans les parfums de notre
enfance, mais la vraie question est plutôt :
est-ce la bien le sens du judaïsme ? S'agit-il
de flatter nos sens par une ivresse des souvenirs ou plutôt d'apprendre à améliorer notre
monde ?
On trouve dans Bereshit Rabba (11.4) (ainsi
que dans le talmud Shabbat 119a) une histoire bien connue qui nous parle du chabbat :
J'ai l'impression que "tradition et modernité"
deviennent alors trop souvent une manière
politiquement correcte de désigner la recherche d'un compromis entre les restrictions
supposées par la halakha et les exigences
pratiques de notre monde, le tout plus ou
moins modéré par l'envie de ne pas trop nous
éloigner de ce qui nous imaginons être "la
pratique ancestrale" et la volonté de paraître
moderne aux yeux des autres.
Les Juifs savent depuis longtemps allier
l'esprit de contradiction et la recherche de
compromis. Cette quête d'un équilibre pourrait donc nous apparaître salutaire et même
typique de notre état d'esprit. Cependant, si
1
‫רבינו עשה סעודה לאנטונינוס בשבת הביא לפניו תבשילין‬
‫של צונן אכל מהם וערב לו‬
‫עשה לו סעודה בחול הביא לפניו תבשילין רותחין א״ל‬
‫אותן ערבו לי יותר מאלו א״ל תבל אחד הן חסרין‬
‫א״ל וכי יש קלרין של מלך חסר כלום אמר לו שבת הן חסרין‬
‫אית לך שבת‬
Notre Rabbi (Juda HaNassi) prépara un repas
à Antoninus [à l'occasion d'un Chabbat] : des
plats froids lui furent présentés, il les mangea et les trouva délicieux. [Une autre fois]
J uda HaNassi, (135?-217 EC), communément appelé Rabbi, fut le rédacteur de la Michna. Il consolida l'influence des premiers
rabbins sur la vie Juive et entretint de bonnes relations avec le pouvoir Romain. On retrouve les traces de ces bonnes relations
aux travers de nombreuses légendes talmudiques comme celle citée ici et décrivant son amitié et sa complicité avec un empereur
nommé Antoninus. Il est fort probable que Juda HaNassi ait réellement fréquenté un ou deux empereurs romains, peut-être
Septime Sévère et Caracalla, pendant leurs séjours en Judée.
9
L E M OT D U R A B B I N
Rabbi lui prépara un repas en semaine où des
plats chauds lui furent présentés.
Antoninus lui dit : J'ai préféré les autres (les
froids).
Rabbi répondit : Il manque à ceux-ci un condiment particulier.
Il répondit : Qu'à cela ne tienne, est-il un
épice qui soit absent de la cuisine royale?
Rabbi précisa: Ils leur manque le Chabbat,
possèderais tu le Chabbat?
10
Cette histoire ne nous enseigne pas que
l'épice en question fait partie de la recette
de la dafina ou du tcholent, du couscous
ou du gefilte fish. Même si les recettes de
notre culture savent remuer en nous des
émotions profondes, ce que nous rappelle
cette histoire c'est que le chabbat dépend
avant tout du sens que nous donnons aux
choses et non de la manière dont nous les
faisons. Hors nous avons une fâcheuse tendance à nous intéresser au comment et non
au pourquoi ? Cela semble être une tendance
de nombreux Juifs aujourd'hui, mais c'est
avant tout la tendance de toute notre société
consumériste et productiviste qui s'intéresse
au résultat immédiat, sans se préoccuper des
conséquences d'une action, ni même de ses
motivations profondes.
Or le Judaïsme, et le chabbat en est un
exemple majeur, souhaite nous interpeller
sur le sens des choses, de notre vie et de
nos actes. La véritable question n'est donc
pas de choisir entre tradition et modernité,
entre passé et avenir, entre conservateur et
progressiste. D'une manière ou d'une autre
l'un est voué à la disparition, l'autre à l'assimilation. La véritable question est d'avoir un
Judaïsme qui ait un véritable sens au présent
et une perspective d'avenir. C'est-à-dire un
Judaïsme qui soit authentiquement enraciné
dans la tradition et la modernité, mais qui
sache être sans concession ni sentimentalisme tant avec l'un qu'avec l'autre.
Les réformes que nous devons mettre en
œuvre dans le Judaïsme Libéral ne doivent
pas être faites uniquement parce qu'elles
sont compatibles avec une possibilité d'évolution de la halakha; je pense que ces évolutions peuvent occasionnellement être en
rupture avec les pratiques existantes si elles
s'avèrent donner plus de sens et de justice à
une question contemporaine. Il s'agit d'assurer la continuité du sens et du fond, et non
de la forme du Judaïsme.
Une telle approche ne peut se faire sans
admettre le risque que nous pouvons aussi
nous tromper, et elle ne peut non plus s'affranchir de la difficulté que représente le
pluralisme des opinions au sein du peuple
Juif, et même au sein de nos communautés
où nous savons bien que deux Juifs ont au
moins trois opinions.
Nous vivons aujourd'hui dans un monde, où
non seulement les évolutions technologiques,
mais surtout de manière beaucoup plus troublante, les évolutions et les transformations
sociales, n'ont jamais été aussi rapides, tant
à l'échelle locale que globale.
Nous devons apprendre à vivre au sein de la
vague de ces changements, car c'est aussi
le seul moyen de survivre durablement aux
évolutions de notre monde. Aujourd'hui, près
de 18 siècles après la disparation de Rabbi, il
n'est toujours pas possible d'acheter l'épice
de chabbat en boutique, mais nous essayons chaque semaine de donner au chabbat
cette fragrance particulière. Pour y parvenir
nous devons aussi nous rappeler l'audace
dont ont su faire preuve Judah HaNassi et les
autres rabbins du début de notre ère, pour
renouveler le Judaïsme après la destruction
du temple.
■
le shofar
Orthodoxe, orthodoxe…
par Rabbi François Garaï, Genève
Nous utilisons des termes dont la signification est incontestable mais qui, aujourd'hui,
sont compris différemment. Ainsi le terme
« orthodoxe » veut dire: «conforme à la doctrine », ou « conforme à la loi». Pour tous ceux
qui se disent orthodoxes, il ne peut donc y
avoir qu'une seule doctrine ou une seule loi.
Comment alors peut-on être « ultra-orthodoxe » ou « modern-orthodox », car cela voudrait dire que plusieurs doctrines ou plusieurs
lois existent pour le même objet, et ce serait
donc une contradiction dans les termes.
Dans le monde juif, ce terme qualifie le courant
qui affirme que Moïse, sur le mont Sinaï et dans
l'enceinte du Tabernacle, reçut de Dieu l'ensemble
de la Tradition, écrite et orale, sous forme explicite ou implicite. En conséquence, tout ce qui fait
partie de la Tradition, avec un grand «T», ne peut
être remis en cause car Dieu en aurait communiqué tous les termes directement à Moïse. Cela
n'est pas une conception orthodoxe, mais une
approche fondamentaliste qui considère de valeur
égale la Tradition écrite et le Tradition orale.
Qualifier les courants fondamentalistes du
judaïsme de courants «orthodoxes» est donc
un abus de langage.
En Israël, ils sont qualifiés de datiyim c'est-à-dire
de «doctrinaires». Quant à ceux qui sont qualifiés
d'«ultra-orthodoxes», ils sont nommés: «harédim», c'est-à-dire «craignant» ou plutôt «scrupuleux» car ils sont attachés à une application
extrêmement stricte de la Halakhah. Ces qualificatifs semblent beaucoup mieux les décrire.
Toujours en Israël, les « conservative » s'appellent
entre eux « masortim », c'est-à- dire ceux attachés à la
Tradition, sans pour cela qu'ils soient les seuls. Et les
libéraux sont appelés « réformim », c'est- à-dire ceux
qui affirment la constante évolution de la Tradition.
C'est pourquoi nous sommes tous des « orthodoxes », c'est-à-dire des Juifs religieux attachés à la Loi et à la tradition juive, que nous
soyons des harédim ou des réformim. Notre
fidélité à la Tradition, à la Massorah, c'est-àdire à ce qui a été transmis depuis des temps
immémoriaux, depuis l'époque de Moïse et
au-delà, cette fidélité est entière.
Dans les communautés les plus rigoristes,
comme dans les communautés les plus libérales, on célèbre Hanoukah, Pourim,... des
fêtes postérieures à Moïse. Ces communautés
prônent l'allumage des lumières du Chabbat,
lisent le Hallel lors des jours de Fête, y compris de Hanoukah... Et pourtant, cela n'est
indiqué nulle part dans la Tora mais fait partie
de l'enseignement rabbinique, c'est-à-dire de la
Tradition au sens large du terme. Et dans ces
derniers cas, nous disons tous la même bénédiction: « achèr kidechanou bemitzvotav vetzivanou... » affirmant ainsi que cette pratique
est aussi constitutive de notre Tradition que
le sont le Chabbat, le port du Tallith et, qu'en
l'accomplissant, nous respectons les mitzvot,
les commandements de la Tradition orale.
Nous sommes donc tous des Juifs orthodoxes,
c'est-à-dire attachés à la Loi et à la doctrine fondamentale de notre Tradition. Ou pour le dire
en d'autres termes, nous sommes tous des Juifs
traditionnels, certains étant «traditionalistes»
ou « fondamentalistes » pour qui l'écrit et l'oral
sont de même valeur, et d'autres «modernistes»,
c'est-à-dire prenant en compte non seulement
l'évolution de notre Tradition dans le passé mais
aussi les acquis de notre époque.
Le judaïsme libéral est donc un judaïsme
orthodoxe, fondé sur une approche évolutive,
ouverte et novatrice de notre Tradition écrite
comme de notre Tradition orale.
■
11
le shofar
Juifs et Judaïsme
par Rabbi Abraham Dahan
C’est toujours délicat d’aborder le problème Chabbat. Ainsi en était-il de leur approche relide l’identité. Qu’il s’agisse d’un peuple ou d’un gieuse qui subordonne la foi à l’action juste, qui
individu, il y a le risque de
n’exige pas tant de croire
glisser vers une généralisaque de comprendre et d’agir
bien, et qui met au dessus
tion ou des clichés. Surtout
Un peuple que les
de tout la vie humaine et le
quand il s’agit de Juifs,
nations
se
sont
souci du prochain. Nos fêtes
dont les religions nées du
acharnées à effacer,
par exemple ne célèbrent
Judaïsme et leurs littérapas Dieu mais des événetures - religieuses ou pas
à chaque génération,
- n’ont jamais cessé d’en
ments de notre histoire et
mais qui survit, qui
fixer des portraits pour le
des moments de travail de
moins négatifs et les carila conscience comme Roch
vit et qui croît et fait
Hachana et Yom Kippour,
catures avilissantes que l’on
croître.
les jours cœur de notre
connait. Il en va jusqu’au
année où nous entrerons
dictionnaire où dans les
années ‘50 encore on trouUn peuple religieux, à bientôt.
vait pour le mot ‘juif’ d’époul’origine des religions
Chose étrange, le peuple juif
vantables qualificatifs.
du livre, mais aussi un qui a apporté à l’Occident
la révélation du Dieu Un,
Les choses changent, il faut
peuple profondément
éternel, créateur, infini et
l’espérer – même si un cerathée, peut être parce
ineffable avec la puissante
tain Islam prend le relai de
et bouleversante utopie de
cette malheureuse culture
qu’il met l’homme au
l’humain qui en découle,
antisémite – mais les précentre et pas Dieu.
sera longtemps perçu
juges mentaux sont très
comme peuple athée !
lents a évoluer.
Quels seraient les marqueurs de l’identité juive ?
Le Judaïsme a toujours surpris avant même la
naissance du Christianisme : la vertigineuse
abstraction de son monothéisme, le refus
absolu non seulement de toute représentation,
mais aussi de tout discours sur Dieu était pour
le païens incompréhensible et répréhensible.
Quand naîtra le Christianisme – avec des Juifs
au départ – il reprendra ces incompréhensions
et ces accusations. Il les creusera et les aggravera par l’accusation absurde et métaphysique de
peuple déicide. Les Juifs seront alors accablés
de toutes les malédictions imaginables, souvent
honnis, bannis, interdits, traqués on connaît
l’histoire de toutes ces infamies jusqu’à la Shoah.
Leur rituel vu souvent comme absurde. Les
Grecs qualifient les Juifs de paresseux parce
qu’ils ne travaillaient pas un jour par semaine, le
Malgré cet effrayant boulet et une incroyable
dispersion, le peuple juif survivra, traversant
les millénaires, les empires et les civilisations
13
I D EN T I T É(S) J U I V E(S)
avec pour seule patrie son Livre, la bible, qu’il être humain naît, grandit, atteint son apogée,
développera par l’étude infinie, l’interprétation décline et disparaît. On a alors posé la question
et le questionnement incessant, en monument de des Juifs, et Arnold Toynbe a eu cette incroyl’esprit. L’histoire du peuple
able réponse : les Juifs sont
juif n’est pas faite de rois, de
un fossile de l’Histoire.
Ne
suis
point
la
puissance et d’empires mais
L’Histoire les aurait oubliés.
multitude pour mal
de celle de ses Ecoles.
faire, n’opine point sur Puis il y a eu la prodigieuse
résurrection de l’Etat d'IsEt il survivra, vivant,
un litige dans le sens de raël. Mais avant d’en parler,
présent, contribuant à
tout ce qui est humain, en
quelques mots sur le rapport
la majorité pour faire
même temps dans tous les
du peuple juif à la terre. C’est
fléchir le droit, mais
systèmes de la vie et cepenle seul peuple qui n’est pas né
sur sa terre. Israël est né en
dant résistant aux enfermesuis la majorité.
Egypte. Même sa Tora, son
ments et aux dogmatismes
Exode
23.2
enseignement, il le reçoit
au point d’être perçu parfois
dans le désert. Cela veut dire
comme subversif…
beaucoup. D’abord l’accent mis sur la liberté, la
Certains historiens, et non des moindres, première des dix paroles. Paradoxalement, le
ont affirmé qu’une civilisation comme un peuple si souvent dominé en gardera toujours la
14
"KENÉ LEKHA HAVER"
‫עשה לך רב וקנה לך חבר‬
Tous les troisièmes samedi du mois
Après l'office de chaharit de 10h30
• Samedi 21 septembre (Soukkot)
• Samedi 19 octobre (Vayéra)
• Samedi 16 novembre (Vayichlah)
Basé sur la notion de "Assé lekha rav ouKené lekha Haver", qui signifie: "Trouve-toi (fais-toi) un
maître et acquiers un compagnon [d’étude]", ce Cercle d'Etude est animé par et pour les membres,
coordonné par Gaëlle Szyffer, avec le soutien de rabbi Neiger.
Les Cercles d'Etude se déroulent toujours le samedi, après l'office de chaharit de 10h30.
Après le kiddouch, un rapide lunch entre participants prend place vers 13h, avant l'étude. Le tout
dans la détente et la convivialité: tous sont les bienvenus.
Apportez votre déjeuner (sans viande, ni volaille) et vos recherches sur le thème du jour.
Infos et inscriptions
Secrétariat: 02.332.25.28
Rabbi Marc Neiger: [email protected]
Gaëlle Szyffer: 0474.310.610 ou [email protected]
le shofar
mémoire la direction et la volonté et il l’exprimera
dans la lecture de ses textes, lecture infinie.
Avec Israël, le peuple juif rentre dans le
jeu des nations: les tentations de territorialisme et de puissance. Il
perdrait alors, s’il y sucLa terre d’Israël n’est pas la
patrie. C’est la terre promcombait, quelque chose de
Un peuple unique
ce qui fait la singularité et
ise : c'est-à-dire qu’elle se
et singulier, mais
l’éternité du peuple juif.
mérite. Deux choses dit la
Je pense et je crois que la
Tora ne sont cédables que
également universel,
de notre histoire,
pour un temps – l’homme
par sa dispersion et par mémoire
que ce qu’une culture de
et la terre : « vous êtes mes
son refus du dogme.
Tora inscrit en nous et qui
serviteurs » d’où le rejet de
dépasse le plan religieux,
l’esclavage et « toute la terre
l’exigüité du pays d’Israël
est à moi » donc à Dieu, il
l’accorde et la reprend à qui il veut et quand il rappellent que ce n’est pas la taille du pays
veut. Mais cela ouvre sur autre chose : la Tora voit qui compte mais ce qu’on y construit et ce
l’homme comme citoyen du monde. Je suis partout qu’on y accomplit. Ces éléments, toujours
chez moi – là ou j’ai un toit, une table et du pain. présents, éviteront au peuple d’Israël de
Nous sommes tous des hôtes sur la terre. L’arbre a céder à ces tentations.
des racines, l’homme a des jambes. D’où le rejet des
nationalismes exacerbés, imbéciles et dangereux. Chana tova à toutes et à tous!
■
15
I D EN T I T É(S) J U I V E(S)
Eloge de
l’hébreu
par Jean-Paul Borgerhoff
Eliézer Ben Yehouda
16
On s’habitue à tout, même aux miracles.
Or, c’est bien de cet ordre que relève la renaissance de l’hébreu, phénomène exceptionnel
et unique dans l’histoire. Nombreux sont
les groupes humains qui ont réussi à fonder
un Etat indépendant, mais aucun, hormis
les Juifs, n’est allé jusqu’à créer une langue
nouvelle. Avoir rendu son statut de langue
vivante à l’hébreu –qui certes n’était pas totalement mort mais plutôt agonisant dans son
moule de « langue sacrée »- est assurément,
à côté de la création de l’Etat, la réussite la
plus éclatante du sionisme. « C’est dans une
large mesure la langue qui fait la nation »
a écrit Ferdinand de Saussure. Si Israël doit
son existence avant tout à ses succès économiques et militaires, que serait-il néanmoins
sans le ciment social de sa langue ? Or, la
dimension miraculeuse de ce phénomène
tient aussi, comme nous le verrons, au fait
qu’il est largement l’œuvre d’un homme. Un
homme seul, un visionnaire, qui consacra sa
vie à son idéal : Eliézer Ben-Yéhouda.
La force de la parole
En guise d’introduction, précisons d’abord
que, dans l’optique du judaïsme, la parole est
indissociable d’une relation. Une parole n’est
pas que l’émission d’un son : exprimant une idée
ou un sentiment, elle est le vecteur de la capacité humaine de transmettre, de communiquer.
Au sein d’elle s’inscrit la véritable la relation,
qui différentie l’homme des autres êtres créés.
La puissance génératrice de la parole est
considérable. Non seulement elle explique
et éclaire les actes, mais elle formule aussi
les engagements qui sont à la base des plus
grandes réalisations humaines. Pensons par
exemple à la « déclaration » d’indépendance,
qui a donné naissance au pays qui allait devenir le plus puissant de la planète.
Mais sans doute est-ce notre tradition toute
entière qui illustre le mieux cette puissance
de la parole : c’est en effet en « parlant » à
Moïse que Dieu s’est révélé, qu’il a transmis
ses commandements (les « dix paroles ») et
communiqué son message aux hommes. Par
le biais de la Tora, la parole devient ainsi support de la présence divine.
Mais attention cependant : si la parole que
Dieu nous a donnée peut unir et construire,
le shofar
elle peut aussi diviser et détruire. Il n’y a rien
de pire que la langue lorsque celle-ci devient
perfide et méchante. « Mon Dieu, préserve
ma langue de la médisance, et mes lèvres du
mensonge. Que devant ceux qui m’insultent,
mon âme se taise et que j’apprenne l’humilité. » Il est particulièrement révélateur que
cet « Elohaï netsor » figure en clôture de la
Amida, la prière centrale de nos offices.
Car c’est finalement par la conscience de la
force – utile ou nuisible – de notre parole que
nous définissons dans une large mesure les
paramètres de notre vie. Etre un homme,
c’est apprendre à parler…
Une langue ressuscitée
« J’ai fait un rêve. » Bien avant Martin Luther
King, c’est par ces mots que s’ouvre le récit
autobiographique d’Eliézer Ben Yéhouda, « Le
rêve traversé », rédigé en 1917. Il approche alors
de la soixantaine. Sa vie entière, il s’est efforcé
de concrétiser cette intuition de sa jeunesse :
il ne peut y avoir de renaissance nationale
juive sans renaissance parallèle de l’hébreu,
la langue des Pères. Le retour à la terre doit
s’accompagner du retour de la langue. Eliézer
Ben Yéhouda est de ces hommes capables de
mobiliser la totalité de leurs énergies au service d’une cause à laquelle ils s’identifient. En
l’occurrence un combat unique et singulier,
se situant au confluent de la langue, de l’histoire politique et de la psychologie humaine.
Quelques années avant sa mort (en 1922) il
a le privilège rare parmi les visionnaires de
voir son rêve réalisé : certes encore fragile,
le triomphe de l’hébreu semble assuré. La
« langue de Dieu » est redevenue langue quotidienne en terre d’Israël.
Et pourtant dur aura été le chemin, et nombreux les obstacles. Sa gloire, Eliézer l’a
payée de tant de souffrances. Son projet se
1
2
heurte d’abord à un scepticisme général.
Même le mouvement sioniste, et Théodore
Herzl en particulier, n’avait pas, à l’origine, inscrit la renaissance de l’hébreu
parmi ses objectifs. Les religieux orthodoxes considèrent ses agissements d’un
très mauvais œil, à l’image de ce rabbin de
Jérusalem : « Le moment n’est pas encore
venu, en notre génération, pour engager
les bouleversements que vous souhaitez.
Nous aussi, par la grâce de Dieu, nous
connaissons la langue sainte et nous ne
ressentons pas le besoin de la profaner
dans la vie quotidienne »1. En 1894, Ben
Yéhouda est dénoncé aux autorités turques
par les ultra-orthodoxes et est emprisonné
pendant un an. Bien des années plus tard se
produit aussi cet épisode demeuré célèbre :
Ithamar, le fils de Ben Yéhouda, traverse
un quartier orthodoxe de Jérusalem avec
son chien, auquel il s’adresse dans la seule
langue qu’il connaît. Des fanatiques interprètent ce comportement comme le comble
du sacrilège et lapident le chien…
La grande œuvre de Ben Yehouda est son
Dictionnaire de la langue hébraïque, même
si ce document précieux et premier du genre
n’a pas résisté au temps. A l’époque, l’hébreu
est assez pauvre en termes et expressions
de tous les jours : aussi établit-il, pour son
propre usage, une liste de mots, trouvés dans
des livres, utiles à la conversation. « Cette
liste fut à l’origine du Dictionnaire. Quand
elle commença à s’allonger un peu, je lui
cherchai un nom qui soit court, car l’expression habituelle « livre de mots » ne me
parut pas commode. Soudain l’idée me vint
de lui trouver un nom nouveau et, après y
avoir réfléchi quelques jours, tout à coup
ce mot nouveau surgit devant mes yeux :
milon. Ce fut le premier néologisme que je
créai en hébreu »2.
a renaissance de l’hébreu », édition Desclée de Brouwer, 1998, page 188
L
Page 7 Page 78
17
I D EN T I T É(S) J U I V E(S)
Bien vite, Ben Yehouda comprend que la restauration de la langue nécessite une injection
importante de mots nouveaux. Par cette activité créatrice, il acquiert le surnom de « dictionnaire vivant ». Il met cependant en place
une Commission de la langue, qui deviendra
plus tard l’Académie hébraïque, afin que cette
production terminologique procède d’une
décision collégiale.
18
Ben Yehouda note aussi les néologismes sortant de la bouche de son enfant, comme l’indique cet épisode relaté dans les « Mémoires
du premier enfant hébreu » (qui complètent
admirablement celles de son père) : « Je me
rappelle qu’un jour où nous nous préparions à partir en promenade hors de la ville
intra muros, je me précipitai soudain vers
ma mère :
- Maman, maman ! Regarde, j’ai trouvé
une sevivon (toupie) de Hannouca.
Ma mère me prit dans ses bras et me couvrit de baisers tant elle était émue. Quel joli
mot tu as trouvé là, mon fils ! C’est ainsi
que fut inventé le mot « sevivon », qui se
trouve dans la bouche de tous les enfants
hébreux depuis maintenant des dizaines
d’années »3.
Ben Yehouda se heurte au même scepticisme
dans la seconde « mission » qu’il s’assigne :
créer le premier enfant hébreu de l’ère
moderne, un enfant dont les premiers babils
soient en hébreu. L’expérience exige un confinement absolu de l’enfant afin de l’écarter
de toute voix, de tout contact, qui ne soit
pas hébraïque. Ben Yehouda interdit notamment à son épouse de prendre une servante.
Beaucoup accusent le père de menacer ainsi
age 209
P
Page 192
5
Page 123
3
4
la santé mentale de son enfant, de le traiter
comme « cobaye » de son expérience.
De fait, l’expérience se passe mal : à trois ans,
l’enfant n’a toujours pas parlé. Il arrive même
que l’impatience du père tourne au comique :
« Deborah ! Deborah ! hurla mon père de
joie en se précipitant au balcon, « as-tu
entendu Ben-Zion ? Il a ri en hébreu.
- Bientôt, lui rétorqua sévèrement ma
mère, tu m’annonceras que Ben-Zion a
pleuré en hébreu »4.
Finalement, voyant un jour son père bouillant
de colère mettre sa mère en pleurs, l’enfant
se jette contre son père en hurlant « Aba »…
L’obstination de Ben Yehouda a ainsi triomphé : comme il en avait rêvé, son propre fils
devient le premier enfant hébreu de l’ère
moderne. Une fois encore, Ben Yehouda a
fait œuvre de pionnier en inventant la pédagogie d’immersion totale, le « rak ivrit » qui
deviendra le slogan de générations d’immigrants et d’étudiants en hébreu.
Au crépuscule de sa vie, Ben Yehouda a ainsi
accompli son rêve et, se souvenant de ses
opposants qui l’accusaient de manquer de
réalisme, il écrit : « l’Histoire montrera que
nous, les aveugles, étions les véritables
voyants et avions vu juste »5.
La langue des Juifs
Aujourd’hui, pourquoi apparaît-il nécessaire,
indispensable même, de connaître, ou à tout
le moins d'apprendre, l’hébreu ? Bien entendu,
la connaissance de la langue locale rendra
nettement plus aisé un séjour en Israël. Mais
ce n’est pas seulement de cela dont il s’agit.
le shofar
Ceux qui étudient l’hébreu comprennent en
effet très vite qu’ils manipulent une matière
bien spécifique et s’étonnent de trouver cette
langue de plus en plus « géniale » au fur et à
mesure qu’ils l’apprennent…
On le sait, les mots hébreux se composent
autour d’une racine, le plus souvent de trois
lettres, auxquelles viennent s’accoler des sons
qui forment les voyelles. Ces racines sont en
quelque sorte la matière première de la langue
hébraïque ; elles donnent leur sens aux mots.
En d’autres termes, les mots, en hébreu, disent
une idée. Chaque terme est à ce titre l’expression d’une réalité profonde. Davantage, sans
doute, qu’une autre langue, l’hébreu réussit
ainsi à conserver le sens premier de ses mots.
Et c’est là son génie, son « trésor »…
Et puis, est-il besoin de le rappeler, si la
langue des Juifs n’est pas une langue comme
les autres, c’est qu’elle est celle de la révélation, celle dans laquelle Dieu a parlé à Moïse
et aux prophètes et leur a transmis son message. Et quel message ! On le sait également,
la science de l’interprétation fait apparaître
les mots de la Tora comme des tiroirs qui
s’ouvrent à l’infini, des termes matriciels
au travers desquels passent une série de
compréhensions successives. Face aux mots
de la Tora, les plus grands sages s’emplissent
de modestie, tant ils se sentent en présence
d’une richesse infinie qui les dépasse.
Voilà donc pourquoi il importe de connaître
l’hébreu ou de l’étudier (les cours prodigués
par nos centres communautaires sont à cet
égard excellents). D’une part, l’hébreu fournit
l’indispensable clé d’accès au savoir hébraïque,
d’autre part, il contribue à préserver l’harmonie et la convivialité entre tous les Juifs du
monde, et établit en particulier un pont entre
les Juifs d’Israël et ceux de la diaspora.
L’hébreu fait ainsi partie de l’identité du
peuple juif et de son destin, en constante
mutation. Lors des récentes Rencontres du
judaïsme libéral francophone à Toulouse, le
rabbin Cipriani soulignait à ce propos que,
dans la constante recherche d’une synthèse
entre tradition et modernité, il importait de
conserver certaines références culturelles
fortes afin de maintenir la cohésion du peuple
juif, d’éviter que son identité ne se dissolve.
Et de ces références culturelles fortes, l’hébreu constitue précisément l’exemple le plus
…parlant.
■
19
le shofar
De Varsovie à Bruxelles
Rencontre avec Henri Lindner
par Luc Bourgeois
« Grattez un Juif et le religieux apparaîtra. »
Le curé de la paroisse du Curé d’Ars, Forest
Le chabbat matin, au moment de la deracha,
quand Henri prend la parole, le silence se fait
pour l’écouter : enfants et adultes, tous se
taisent. Et à la fin, chacun s’en va, émerveillé
de ce qu’il a entendu, de ce qu’il a appris. Mais
ce savoir, cette sagesse, Henri les a bâtis au
fil des ans ; son identité juive il l’a façonnée et
renforcée au cours du temps et des lectures.
Un après midi d’été, Henri et Adèle m’ont
reçu pour retracer ce chemin qui ne s’arrête
jamais. Merci à eux pour leur accueil chaleureux et leur ouverture généreuse.
Henri a vu le jour en 1920 à Varsovie. Son père
était un hassid de Radzyn, ceux qui portaient
le fil bleu dans leurs tzitzit, vêtu et observant
comme un hassid. À partir d’une certaine
période, il a abandonné l’allure extérieure
des hassidim mais est resté observant des
mitzvot. La maman d’Henri était originaire
de Lodz. Elle avait étudié au lycée pour jeunes
filles juives de Lodz et avait fort intégré la
culture polonaise. Henri avait également une
sœur cadette. La mère d’Henri influençait très
fort l’atmosphère du foyer imprégné de culture
polonaise, sans renier pour autant la judéité de
la famille. À l’occasion de sa bar mitzva, Henri
a reçu de sa mère les œuvres complètes d’un
grand poète polonais.
Aux seize ans de son fils, le père d’Henri lui fit
prendre des leçons hebdomadaires de Tora et
de Michna par le rabbin/hazan de leur communauté : « un homme qui savait rendre la
prière vivante ».
A l’époque, la famille était abonnée à un
journal juif écrit en polonais et qui faisait
paraître un supplément hebdomadaire pour
les jeunes. Les articles de ce supplément
étaient essentiellement écrits par les jeunes
eux-mêmes et Henri y a apporté quelques fois
sa contribution.
Dans ce foyer juif de Pologne, l’identité juive
était très présente, le chabbat, les fêtes et
la cacherout y étaient observés, mais sans
piétisme ou observance extrême.
Suivant le souhait de son père qu’il apprenne
la médecine, Henri a fréquenté le meilleur
lycée, juif, de Pologne, où étaient appliquées
des méthodes pédagogiques nouvelles. Mais,
à l’examen d’entrée à l’université, Henri
échoua dans l’épreuve qui consistait à rendre
de mémoire de longs passages en latin : avec
le recul on peut se demander ce qu’Ovide pouvait apporter à de futurs médecins.
La solution fut alors d’envoyer Henri étudier
à l’étranger, plus précisément en Angleterre.
Mais là, l’examen d’entrée devait avoir lieu
le 10 Septembre 1939, le jour où l’Allemagne
envahit la Pologne, et l’examen fut annulé.
Commence alors une suite de petits boulots
pour survivre avant de rejoindre une compagnie de commandos formée de volontaires
polonais installés en Angleterre : the 10th
Interallied Company. Cette compagnie existait à côté de cinq autres compagnies de soldats de nationalités diverses. L’entraînement
très dur des commandos passe par l’Ecosse
et finalement la compagnie est envoyée en
21
le shofar
Algérie pour des missions « simples » et
rejoint enfin les troupes alliées qui libèrent
progressivement l’Italie en partant du Sud.
Les missions deviennent de plus en plus
dures et périlleuses. Henri perd plusieurs de
ses compagnons d’armes et fait face à l’horreur de la guerre. Durant cette période, ses
contacts avec les Polonais chrétiens sont très
bons et diffèrent des préjugés courants.
Les combats prenant fin, Henri est promu
responsable logistique pour sa compagnie
qui est entretemps devenu un bataillon.
Démobilisé, après de nombreuses péripéties, il se retrouve d’abord à Anvers et enfin
à Bruxelles. Sa passion pour la lecture ne
l’a pas quitté et elle lui donne la chance de
rencontrer une jeune fille, Adèle, avec qui il
fonde une famille et qui partage sa vie depuis.
À cette époque, Henri ne se sent pas religieux et ses sympathies politiques vont
vers la gauche. Il prend des cours du soir
d’électricité et fait carrière dans une société
d’automation.
Il est un jour envoyé en mission aux EtatsUnis, et, un soir d’insomnie, il lit la bible mise
à la disposition des clients de l’hôtel : c’est la
fascination, la re-découverte du texte appris
dans son enfance.
Âgé de plus de cinquante ans, Henri désire
reprendre la lecture de la Tora en hébreu
et s’inscrit aux cours d’hébreu de l’Institut
Martin Buber. La lecture devient enrichissante, elle dépasse l’impression stérile des
lectures du temps de l’école.
Henri se lie également avec Arié Goldberg,
z’’l, à l’époque directeur du Service Social
Juif. Et celui-ci lui propose un jour de venir
écouter le rabbin Dahan qui donne des
conférences en semaine. Et Henri devient
assidu aux conférences de rabbi Dahan et
une amitié très forte naît entre les deux
hommes. Quand Henri dit à rabbi Dahan ne
pas être croyant, celui-ci lui répond : « Si
tous les non-croyants pouvaient être comme
toi, ce serait une bonne chose. »
Et vient enfin chez Henri la découverte du
divin, de Dieu. Être croyant, c’est pour lui
être convaincu que le monde dans sa totalité ne peut s’expliquer que par l’existence de
Dieu. Un Dieu qu’on ne peut pas connaître,
pas comprendre, mais qui est la cause de
l’existence du monde et qui donne à l’homme
la liberté du choix.
Sans faire de théorie, Henri personnalise
cette liberté de penser et de chercher si chère
à notre judaïsme libéral. La religion et l’observance des mitzvot sont pour lui un choix,
mais un choix qui n’enlève en rien le respect
qu’il porte à celles et ceux qui pensent ou
agissent autrement que lui. Sa venue à Beth
Hillel, et aux positions que Beth Hillel défend,
est en grande partie l’œuvre de Rabbi Dahan
- et Henri lui en sera toujours reconnaissant
- et aussi un peu le fruit du hasard. Mais,
comme il aime citer Einstein, « le hasard
c’est le déguisement que prend Dieu pour se
promener incognito ».
Merci Henri pour ta chaleur, ton amitié, ton
savoir, ta sagesse, ta présence, ton regard
toujours neuf et indulgent.
Merci Adèle pour être présente aux côtés
d’Henri, pour nous forcer, Henri inclus, à
nous remettre en question, à refuser les dictats et les idées toutes faites et trop faciles.
Ad méa veesrim à tous les deux.
■
23
Importation de vins fins de France
Jackie et Maurice Vandiepenbeeck-Horn
Rue de Jérusalem, 40 – 1030 Bruxelles
tél. 02 215 37 75 – [email protected] – www.benevins.com
le shofar
Mijn jodendom
par Pieter Van Cauwenberge
D a n s cet a r t icle, P iet er Va n
Cauwenberge nous décrit son parcours
depuis une enfance où la religion occupait peu de place jusqu’à la découverte
toujours renouvelée, il y a bientôt 40
ans du judaïsme. Des années de lecture, d’études, de rencontres, de discussions, jusqu’à la décision d’entrer
dans le peuple d’Israël. À Beth Hillel
Pieter a trouvé une communauté qui
l’a accueilli, qui lui a permis de progresser, de s’exprimer et de partager.
Pour ceux qui le connaissent, Pieter
a des côtés très religieux et est très
observant, mais, par ailleurs, Beth
Hillel lui permet, ou le force, à se
remettre constamment en question, à
ne pas tomber dans les travers du piétisme, à entendre, écouter et discuter
des interprétations de notre tradition
qui sont ancrées dans notre temps présent, dans notre actualité, dans notre
société qui change de plus en plus vite.
Pour Beth Hillel, Pieter apporte un
immense savoir, il est un puits profond
de connaissances qu’il aime partager
et qui nous remettent tous en question
et en questionnement.
Merci Pieter pour ton engagement
et tout ce que tu partages avec Beth
Hillel.
Mijn Jodendom
In de zomer van het jaar 1977 ging ik met
enkele vrienden en vriendinnen naar Israël.
Wij trokken er rond ‘van Dan tot Bersheba’
en genoten volop van onze jeugd en van al
het moois dat het land te bieden had. Was
iedereen na afloop het erover eens dat we
een mooie vakantie hadden, voor mij betekende dit ook het begin van een spirituele
reis. Ik was ‘verliefd’ geworden op het land
en op zijn inwoners en zou er naderhand
nog twaalf keer teruggaan; Israël was mijn
tweede vaderland geworden (of moet ik zeggen ’mijn eerste’?). Uiteraard las ik alles wat
ook maar iets te maken had met Israël: eerst
wat romans, en daarna de meer serieuze literatuur, en uiteraard ook de Bijbel. Zo heb ik
nog altijd een Hebreeuws - Engelse uitgave
van de Tora, gekocht in Tel Aviv. Als romans
herinner ik me vooral ‘The Source’ van
James Michener, en Exodus van Leon Uris,
die allebei een grote indruk op mij maakten.
Na wat onbevredigende gesprekken en
omzwervingen binnen het Christendom,
kwam ik tenslotte zo’n 25 jaar geleden in
contact met de Joodse gemeenschap van
Gent. Het was een kleine gemeenschap
met vooral (in mijn ogen) wat oudere mensen, die elk jaar trouw de Joodse feesten
Rosh Hashanah, Yom Kippoer, Pèsach, …
vierden, en waarbij ik ook vriendelijk werd
uitgenodigd. Een meerwaarde was ook dat
er een ‘Chug Ivri’ (Joodse kring) bij hoorde,
die elke donderdagavond samenkwam om
Hebreeuws te leren, een gelegenheid die
ik uiteraard met beide handen aannam.
Anderzijds was de kring in Gent dan weer
te klein om wekelijkse shabbatdiensten te
houden. Ik miste als het ware het ritmisch
beleven van de Tora, met zijn steeds weerkerende lectuur, studie en discussie . Ik
had het gevoel dat ik niet verder kwam in
mijn honger en in mijn ‘Joods voelen’. De
25
I D EN T I T É(S) J U I V E(S)
gemeenschap in Gent was in naam Orthodox
georganiseerd, maar bevreemdend voor
mij was dat vele leden van de gemeenschap
slechts een erg losse band onderhielden met
hun Joods zijn. Eigenlijk waren zij nagenoeg een heel jaar onzichtbaar, om plots
weer op te duiken met Yom Kippoer. Het is
een fenomeen dat ik later meermaals heb
vastgesteld (bij alle Joodse denominaties
trouwens), … een Yom Kippoerjodendom
als het ware.
26
Dank zij een vriendin kwam ik zo’n achttal
jaar terug in contact met de liberaal-Joodse
gemeenschap van Beth Hillel in Brussel. Ik
maakte er kennis met Joden die mij verwelkomden in hun midden, en belangrijk …
ook shabbatdiensten hielden. Zo kreeg ik
eindelijk hetgeen ik zocht … het wekelijks
(of moet ik zeggen ‘dagelijks’) beleven van
de Tora. Van toen af kwam alles in een
stroomversnelling. Synagogebezoek werd
een vast patroon in mijn leven, en gedurende
een tweetal jaar studeerde ik intensief met
de rabbijnen Dahan en Chinsky. Ik kreeg
Joodse vrienden, ik deelde vreugde en leed
van de gemeenschap, ging meermaals naar
Israël terug, leerde en beleefde de mitsvot,
en een zestal jaar geleden volgden Beth Din
en miqvé (brith mila was reeds enkele jaren
tevoren gebeurd). Dit is het verhaal van mijn
gioer, een verhaal dat eigenlijk nog altijd
voortduurt, het verhaal van een jeugdige
verliefdheid uitgegroeid tot een volwassen
liefde.
Ik ben dus Joods geworden, en mijn thuisgemeenschap is de liberale gemeenschap
van Beth Hillel in Brussel. Eigenlijk was de
hoofdzaak voor mij ‘het Joods worden’, en
hierbij was de liberale of Reform richting,
die ik gekozen heb ondergeschikt hieraan.
Zo heb ik Joodse vrienden die zich Orthodox
weten, of tot de Conservatives behoren en in
Israël loop ik even gemakkelijk een orthodoxe of een massorti synagoge binnen, en
bid ik mee in hun Siddurim. Eigenlijk heb
ik de indruk dat aan de basis de onderlinge
afstand tussen de drie hoofdrichtingen van
het Judaïsme minder groot is dan men het
wil voorstellen. Vroeger ingenomen standpunten, machtsstructuren en instellingen
houden de verschillen levendig, maar vriendschappen en familiebanden lopen dikwijls
dwars door die verschillen heen .
Binnen elke denominatie, of die nu ultraorthodox is of extreem liberaal, … het
zich verdiepen in alle aspecten van het
Jodendom, het ‘lernen’ staat overal in hoog
aanzien. Waarom dus liberaal Joods? Het is
moeilijk om daar een eenduidig antwoord
op te geven, maar als chemicus heb Ik in
mijn jeugd een wetenschappelijke opleiding
gekregen, en ergens blijft dit kritisch denken en zoeken naar rationaliteit toch iets dat
men levenslang met zich meedraagt. Maar
anderzijds is bij mij ook die drang naar het
spirituele aanwezig, en dus veronderstel
ik dat ik altijd zal moeten zoeken naar het
delicate evenwicht tussen beide, nu eens
overhellend in de ene richting, en dan weer
in de andere. Mijn liberaal Jodendom sluit
het best bij die evenwichtsoefening aan. In
de voorbije jaren heb ik dan ook veel gelezen
en me meer en meer aangetrokken gevoeld
tot de Anglo-Amerikaanse versie zoals beschreven door Claude Montefiori, Samuel
Freehof, Gunther Plaut, Samuel Cohon, en
zo vele anderen …
Overigens is mijn engagement tot het
liberaal Jodendom niet absoluut. Op mijn
boekenplank staat, binnen handbereik, de
Orthodoxe commentaar op de Tora door
Rabbi J.H. Hertz broederlijk naast de liberale ‘Modern Commentary of the Tora’
van Gunther Plaut, en worden ze door mij
evenveel geconsulteerd. Verder ben ik van
mening dat er omzichtig moet omgesprongen
worden met veranderingen in de traditie en
meer bepaald in het Joodse gebedenboek,
de Siddur. Dat hierbij accenten worden verschoven, tot daar … Zo heb ik geen probleem
met het verdwijnen van een bracha ‘shelo
asani ishah’, maar waarom wijzigingen
le shofar
aanbrengen in gebeden, die reeds de eeuwen
hebben overleefd, om tot teksten te komen
die minder ‘to the point’ zijn, en dikwijls ook
minder melodieus overkomen?
Pijnlijk vind ik ook dat liberalisme meermaals wordt geassocieerd met seculier denken (dit is het in wezen absoluut niet!), terwijl
in Israël Reformjodendom wordt gerekend
tot de linkerzijde van het politieke spectrum.
Dit laatste sluit niet aan bij mijn overtuiging.
Uiteraard ben ik ook voorstander van vrede
(welk zinnig mens is dat niet?), maar als zionist zie ik geen heil in een onvoorwaardelijk
overlaten van Judea en Samaria ter stichting
van een Palestijnse staat. Zonder het bijbelse argument hiervoor te willen citeren
(wat me dan automatisch in het kamp van
de fundamentalisten zou plaatsen), vind ik
dat er lessen moeten getrokken worden uit
de terugtrekking uit Gaza en Sinai. Dit heeft
Israël geen vrede gebracht, maar werd door
de Arabieren gewoon gezien als een nieuwe
fase in de eliminatie van Israël. Zolang er dan
ook geen beduidende mentaliteitswijziging
komt in de Arabische wereld, dient Israël m.i.
dan ook geen stappen te doen in prijsgeven
van Judea en Samaria.
Tenslotte nog dit: bij mijn gioer heb ik de
Hebreeuwse naam Jehudah aangenomen.
Uiteraard is die naam verwant met Jehudi
of Jood. Beide komen van de Hebreeuwse
stam ydh, of in de infinitief l’hodot, wat
danken betekent. Het is dan ook voornamelijk een gevoel van dankbaarheid, dat
bij mij overheerst op het einde van mijn
zoektocht.
■
27
I D EN T I T É(S) J U I V E(S)
Si je t’oublie, Ô Jérusalem,
par Lucien Luck
28
C’est en 1979 que je vis pour la première fois être débattu. Je n’entrevoyais pas encore que
Geneviève Lunders, ma compagne bien aimée c’était mon propre destin qui allait faire un
qui m’a quitté il y a peu pour rejoindre l’éter- tour de 180 degrés. J’allais être fixé sous peu.
nité. Elle travaillait à l’époque à l’hôtel Hilton Et voilà comment cela se produisit. La
de Bruxelles. J’y étais allé pour participer à porte de la salle s’ouvrit soudainement et
l’organisation d’une réunion internationale Geneviève apparut, portant une tasse de thé
de dirigeants d’une multinationale améri- avec une douceur. Elle se dirigea vers moi et
caine. Geneviève était secrétaire des ban- me les offrit avec un sourire que je n’oublierai
quets. Je me rendis à son bureau pour discu- jamais. J’étais conquis, je fondis littéralement
et ne sus comment formuler
ter de certains arrangements.
ma joie.
Elle me regardait de ses yeux
malicieux et rieurs. Ses traits Il suffit d’une tasse
suffit d’une tasse de thé pour
reflétaient sa bonté et le souci
de thé pour nouer Ilnouer
deux destins.
d’être serviable. J’aperçus
deux destins
autour de son cou un collier
Les vibrations mêmes d’un
auquel pendait un bijou figupapillon peuvent changer le
rant des lettres hébraïques
entrelacées. Je lui en demandai la signifi- monde. Ce qui s’ensuivit ne nécessite pas un
cation. Sans broncher elle me répondit qu’il long discours. C’est par le biais de Geneviève
s’agissait d’un psaume dont elle me récita en que j’appris à connaître Beth Hillel et son rabhébreu les premiers vers : « Si je t’oublie, ô bin, Albert Dahan. Ce dernier, me voyant un
Jérusalem … » J’en fus ravi et touché. Elle jour aux côtés de Geneviève, me demanda
s’était convertie au judaïsme m’apprit-elle tout de go « T’es Juif, toi ? » Voilà une question
bien plus tard, tout en me racontant les péri- bien rabbinique ! Le reliquat de ma famille qui
péties de cette démarche qui n’était pas une a survécu à la Shoah, à Anvers dont je suis
un natif, crut bon de ne plus fêter la Pâque
mince affaire.
Mais, au moment même, j’étais ébloui et rem- juive et, en général, de participer aux rituels
pli de tendresse pour cette petite femme qui et offices juifs. L’horreur de la guerre avait
rayonnait d’énergie et me dévisageait avec cassé les âmes et semé le doute dans les
un rire contagieux. Je me sentais tout à coup cœurs. Comment concilier une telle barbarie
comme chez moi, auprès d’un être qui était avec l’exercice de la religion ? La tristesse et
proche et me caressait du regard. Et dire le chagrin détruisent tout sur leur passage.
que tout cela m’arrivait grâce à un boulot Ne dit-on pas que D.ieu n’est pas avec celui
dont je me promettais plus d’ennuis que de qui est triste ? Ou que toutes les maladies
n’ont qu’une origine : la tristesse. Ma judéité
satisfactions.
est toutefois demeurée ferme. D’ailleurs,
Je pris congé de cette aimable secrétaire lorsqu’elle faiblissait sporadiquement, elle
et me dirigeai vers la salle de réunion où le se raffermissait grâce à l’hostilité sournoise
destin d’une grande société américaine allait et ambiante.
le shofar
Mais Geneviève m’a fait connaître une com- de pire douleur que de se rappeler les temps
munauté où elle se sentait heureuse et pleine heureux quand on est dans la misère. »
d’entrain. Elle y évoluait comme poisson dans
l’eau et s’y était créé de nombreux amis qui Beth Hillel demeurera pour moi le haut-lieu
étaient aussi devenus les miens. Rien qu’à voir de l’amour que j’ai éprouvé pour Geneviève,
son bonheur à Beth Hillel, son dévouement et la maison qui m’a hébergé et qui a fortifié
son rire omniprésent m’a transfiguré et fait notre lien.
saisir que dans la vie il y a des valeurs hors
prix et inquantifiables. Beth Hillel était son À présent, je vais assez régulièrement à Beth
refuge, sa maison, sa consolation qui adou- Hillel, car j’y sens la présence lancinante
cissaient une vie pleine de labeur et de soucis. de l’être que j’ai le plus aimé au monde. Par
Beth Hillel était le cocon où s’élaborait sa joie la prière je transcende la mort, je me rapde vivre. J’en suis reconnaissant à cette mai- proche de ce qui n’est plus et je marche dans
son, car, s’il y a quelqu’un qui a mérité un peu le sentier qui libère l’âme. Car il est dur de
de bonheur, c’est bien ma tendre Geneviève. vivre dans un monde qui s’est brusquement
désertifié. Quand le tourment
C’est grâce à elle que j’ai pu
devient insoutenable, il n’y a
apprécier Beth Hillel où elle
L’horreur de la
que l’échappée métaphysique
déployait son ardeur et sa vivacité. Elle a longtemps travaillé
guerre avait cassé de la prière qui permet d’exaux côtés de Gini au secrétaprimer l’indicible. C’est aussi
les âmes et semé
le seul lien qui nous unit à
riat. Celle-ci l’estimait énorméle doute dans les
ceux qui ne sont plus. Il n’y a
ment et lui vouait une sympaaucun portable qui permet de
thie indéfectible. Tout cela me
cœurs
franchir l’infini que constitue
rappelle des souvenirs et des
l’absence créée par la mort.
moments de bonheur que l’on
n’a pas toujours appréciés à leur juste valeur Pour gravir les échelons arides de la résiau moment même. Mais la nature humaine est gnation, il n’y a que la mélopée du cœur
ainsi faite qu’elle ne perçoit que trop tard ce adressée à l’absence.
qui est essentiel dans l’existence.
Pour conclure, je ne puis que clamer ma peine
J’étais un célibataire endurci lorsque mon mais aussi ma joie d’avoir accompagné un
cœur fut cueilli par celle qui allait être mon être qui a été la lumière de ma vie. Cette
ange gardien. Le produit surgelé que j’étais à lumière qui a aussi éclairé Beth Hillel qui
l’époque ne se laissait pas facilement dégeler et a tant bénéficié de son dévouement, de son
je demande humblement pardon à ma tendre amour désintéressé et de sa chaleur humaine.
amie d’avoir présenté des rugosités qui l’ont J’ai vécu la souffrance du déclin physique de
déconcertée. Mon cœur se fend rien qu’à l’idée Geneviève, de sa lutte pour la survie, durant
d’avoir causé des peines inutiles. C’est grâce laquelle elle a fait preuve d’un courage inéà elle que j’ai découvert Israël pour lequel branlable, qu’elle a d’ailleurs manifesté toute
elle manifestait une ferveur admirable. Nous sa vie.
l’avons visité au moins 35 fois et Geneviève
m’y a fait connaître des amis très chers qu’elle Que son dernier repos lui soit doux et puisse
s’y était faits. Quel que soit son parcours, elle le destin m’unir à nouveau à elle quand le
y parsemait des amitiés durables. Et dire que temps sera venu.
la mort m’a arraché le complément essentiel
de ma vie. Comme l’écrivait Dante : « il n’y a Sans Geneviève je n’aurais été rien.
■
29
AG EN DA S EP T EM B R E- O CTO B R E 2013
SEPTEMBRE 2013
30
Mercredi 04/09/2013
19h00 Office Erev Roch haChana
Jeudi 05/09/2013
10h001er Tichri 5774 – Roch haChana
Roch haChana (voir calendrier Tichri p.58)
Vendredi 06/09/2013
10h00 Office Chaharit Roch haChana II
19h00
Kabbalat Chabbat
Samedi07/09/2013
10h30 3 Tichri- Chabbat Chuva - Paracha Haazinou
Dimanche 08/09/2013
10h30 Pèlerinage à Gan Hashalom
14h00 Ecole de Dialogue (infos au secrétariat)
Mercredi 11/09/2013
14h00 Talmidi: Inscriptions au Talmud Tora (voir p.46)
Vendredi 13/09/2013
19h30 Kol Nidré (Erev Yom Kippour)
19h45
Début du jeûne
Samedi14/09/2013
10h00 Yom Kippour (voir calendrier Tichri p.58)
Mardi17/09/2013
14h00Assemblée Générale extraordinaire
de Gan Hashalom
Mercredi 18/09/2013
14h00 Talmidi: Rentrée des classes
17h00 Construction Soukka, activités festives
18h30
Office d'Erev Soukkot
Jeudi 19/09/2013
Fête de Soukkot
Vendredi 20/09/2013
19h00 Kabbalat Chabbat
Samedi 21/09/2013
10h30 17 Tichri – Soukkot – Chabbat Hol Hamoëd
13h00
Kené Lekha Haver – Cercle d'étude
(voir encadré p.14)
Mardi 24/09/2013
15h00 Café Klatsch (voir encadré p.15)
Mercredi 25/09/2013
17h00 Atelier Danses de Simhat Tora (avec Shimon)
18h00 Office erev Chemini Atseret – Simhat Tora
Jeudi 26/09/2013
Chemini Atseret – Simhat Tora
Vendredi 27/09/2013
09h00 Bar Mitzva David Zylberberg: Mise des tefilines
19h00
Kabbalat Chabbat
Samedi 28/09/2013
10h3024 Tichri – Berechit
Bar Mitzva David Zylberberg, kiddouch au foyer
Dimanche 29/09/2013
10h30 Krav Maga – début des cours (voir encadré p.20)
OCTOBRE 2013
Vendredi 04/10/2013
18h30 LeDor vaDor: Office de chabbat familial
Samedi05/10/2013
10h30Roch Hodech Hechvan
1er Hechvan - Noach
Vendredi 11/10/2013
19h00 Kabbalat Chabbat
Samedi 12/10/2013
10h308 Hechvan – Lekh Lekha
Mardi 15/10/2013
15h00 Café Klatsch
Jeudi 17/10/203
19h00 Krav Maga
(attention: pas cours le dimanche 20/10)
Vendredi 18/10/2013
19h00 Kabbalat Chabbat
20h00
Repas chabbatique communautaire
T I C H R I - H EC H VA N 5774
Samedi19/10/2013
10h3015 Hechvan – Vayéra
13h00
Kené Lekha Haver – Cercle d'étude
Vendredi 25/10/2013
19h00 Kabbalat Chabbat
Samedi26/10/2013
10h3022 Hechvan – Hayé Sara
COURS ET ACTIVITES Informations et inscriptions au 02.332.25.28 - E-mail: [email protected]
Judaïsme, Pensée et Pratique Cours d'initiation au Judaïsme
Rabbi Marc Neiger
Les lundis de 19h00 à 21h30
SAUF 16 septembre.
Les mardis de 09h30 à 12h00
SAUF 3, 10, 17 septembre.
Le cours est accessible après inscription
seulement.
Talmidi – Cours de Talmud Tora
Infos: Josiane Goldschmidt au
0477.23.88.62
Tous les mercredis de 14h00 à 17h00
Inscriptions: Mercredi 11 septembre
Rentrée des classes: Mercredi 18 septembre
Exploration Midrashique – Cercle d’étude
Un samedi tous les deux mois, après l’office
(Pas de date programmée au moment de
l'impression)
Kené Lekha Haver – Cercle d’étude
Chaque troisième samedi du mois, après
l'office du matin
« Etude de la paracha de la semaine »
Koltov - Ensemble vocal
Infos et inscriptions:
Myriam Abraham 0478 59 94 05
Martine Cohen 0477 70 73 23
Horaires communiqués lors de
l'inscription.
Café Klatsch
Réunion conviviale un mardi par mois, de
15h00 à 17h00, pour les seniors, avec un
goûter et discussion autour d'un thème
proposé par Gaëlle.
Bibliothèque
Gaëlle Szyffer
Tous les lundis de 17h30 à 20h00: accueil et
permanence
Heures d'ouverture: du lundi au jeudi de
09h30 à 12h30 et de 14h30 à 17h00. Vendredi
de 09h30 à 12h30.
Rikoudei Am – Cours de danses
israéliennes
Infos: Shimon Bitton au 0471.60.07.43
Tous les lundis de 20h00 à 22h00
Krav Maga
(Instructeur: Eric Roux)
Techniques d'auto-défense, cours familial
Les dimanches de 10h30 à 12h00, SAUF
20 octobre.
Inscriptions au secrétariat.
31
le shofar
De la recherche de racine …
au chemin …
par Pascale Engelmann
« Être juif, ce n’est pas
avoir une mère juive ou
un père juif, c’est avoir
des enfants juifs. »
Proverbe juif
D'aussi loin que je me souvienne, je me suis
interrogée sur ce qu’il y avait derrière ce qui
ne se voit pas … Il y avait les faits de la vie,
les limites de notre regard ou de ce que nous
pouvons voir et tout ce que certains nomment
le hasard et qui alimentait ma curiosité.
Enfant, ayant grandi heureusement à la campagne, j'étais fascinée par les fourmis, par la
fougère qui se déploie, par les spirales de la
pomme de pin …
Je priais lors de moments importants pour
trouver la force d’avancer, je priais mais
aujourd’hui encore je ne peux dire vers
qui je me tournais. Probablement que c'est
tout de même là que commence le chemin
que je ne savais pas consciemment que
j'empruntais.
J’ai su assez jeune que nous avions vraisemblablement des origines juives mais il m'a été
difficile de renouer des liens : pourquoi ?
Comme beaucoup, je pense que la souffrance
de nos parents, grands-parents était telle que
se crée un rempart autour d'eux qui semble
infranchissable.
Rempart du refus, du rejet, d’une appartenance … rempart de protection.
Reste cependant un état d'esprit, des valeurs,
une force de vie incroyable, un certain humour
mélangé d’une forme d’autodestruction.
Ceci relève sans doute de la psychanalyse
mais il est étonnant d'observer que ce lien
rompu, pour beaucoup, pour moi en particulier, ne l'est pas « à jamais ».
Alors, on peut s’interroger sur ce que cela
veut dire … « Être juif » …
Lorsque j'ai demandé à « Monsieur Neiger »,
devenu « Marc », puis « Rabbi », « Rav » … de
suivre ses cours, je partais d'une page complètement blanche : un Univers à explorer et pourtant,
33
I D EN T I T É(S) J U I V E(S)
4 Rabbins faces à nous, Alexandre et moi,
comme 4 miroirs, 4 clefs, 4 directions qui
nous ont permis de franchir la porte et d'élever notre regard.
Accepter ce que cela représente, marcher
avec le maximum de conscience, ouvrir son
coeur pour pouvoir donner, avec justesse.
Pour pouvoir aussi franchir cette porte, il a
fallu choisir un nom, un nom comme un mot
de passe, comme le marquage d'une identité.
S'obliger à choisir c'est aussi accepter l'héritage de ce nom.
« Les Juifs ashkénazes ont la coutume de
donner à l’enfant le nom d’un parent décédé.
Le nom et la mémoire du défunt sont ainsi
maintenus vivants et, du point de vue
métaphysique, un lien s’établit entre l’âme
du bébé et celle du parent disparu. (Noam
Elimele’h - Les Nombres) »
34
"Leah" - Monogramme de Frank Lalou, calligraphe
son langage semblait connu … comme une mélopée dans la tête qu'on ne situe pas vraiment.
Cela ne s'explique pas rationnellement
puisque mes liens avec la judéité n'ont pas été
transmis par l'apprentissage familial. Cela ne
s'explique pas mais j'ai cette sensation nette
de prendre racine.
Dieu, créateur de TOUT, Dieu qui bénit Noé et
ses fils, Dieu qui commande, qui juge … c’est
difficile de dire ces phrases mais j'ai besoin
d'un rituel qui rassemble et qui déconnecte
de la vie profane et je me doute que tous ces
textes sont des pistes à parcourir, des chemins à découvrir, voire même à décoder.
Et puis, 7 juin 2013, Toulouse, moment
magique dans cette ville baignée de soleil,
Le seul nom qui me revenait et était prononcé par ma mère comme une litanie, c'était
« tante Léo ». Ma mère était fille unique et je
n'ai jamais rencontré (ou je ne m'en souviens
pas) cette « fameuse tante ». Ce que je sais
c'est que chaque fois qu'il était prononcé,
c'était pour évoquer quelque chose de bon,
de beau, qui avait de la valeur, personnage
auquel j'aurais voulu ressembler, personnage
utopique … Ce qui semblait le plus proche
à mes yeux était donc Leah et j'apprends
lors de ce Beth Din que Léo est en Yiddish
… Leah …
Après avoir recherché dans les textes l'origine et le(s) sens, voici ce que j'en garde :
Le Midrach explique l’attitude de Leah, sans
toutefois la justifier :
Il [Jacob] lui dit [Leah] : «tu es une menteuse et la fille d’un menteur! Je t’ai appelée Rachel et toi tu m’as répondu!». «Y-a-t-il
un enseignant sans élèves?» rétorqua-t-elle.
«Ton père ne t’a-t-il pas appelé Esaü et tu
lui as répondu! Alors moi aussi tu m’as
le shofar
appelée et je t’ai répondu!» (Midrash Rabba
- Béréshit 70:19)
moi que pour en assumer l’héritage il était
nécessaire d'y trouver un sens.
Leah répond en disant que son comportement
n’était guère différent de celui de Jacob. Sur
le plan moral, ils sont faits pour s’entendre,
chacun coupable de tromperie à un moment
critique de sa vie. Cependant, cette réponse
n’est pas satisfaisante. Peut-être était-ce
l’excuse de Leah, mais la question demeure :
pourquoi Jacob souhaitait-il rester avec elle?
Sans vouloir « déresponsabiliser » Leah, ce
n'est pas elle qui a l'idée de « tromper » mais
Laban, son père.…Et la beauté de Rachel n'estelle pas aussi une sorte de tromperie ? Celle
de l'apparence qui séduit ?
Ésaü était destiné à épouser Leah, tandis
que Rachel était destinée à épouser Jacob.
En trompant son père, Jacob devient Ésaü
et doit accomplir le rôle spirituel d’Ésaü.
Une partie de ce rôle est l’union avec Leah.
Leah explique à Jacob que leur mariage
est la conséquence directe de ses propres
actions et fait finalement partie des instructions de Rébecca et du Plan Divin.
Rav Shlomo Elyashiv, dans son oeuvre mystique «Leshem», relate que Rachel et Leah
ne représentent en réalité qu’une seule âme.
Tout ce qui concernait Leah est gardé sous
un voile, car elle caractérisait le monde
supérieur, qui est voilé et non révélé (alors
que Rachel caractérisait le monde inférieur, qui lui, est dévoilé). (Zohar, Béréshit,
Section 1, Page 158a)
En analysant ma vie, je m'aperçois qu'à chaque
fois, ce qui au premier abord semblait être de
la malchance devenait une réelle opportunité
(comme ce Beth Din à Toulouse !).
Il me semble que quand tout nous est offert
(la beauté de Rachel et son chemin tracé)
il est beaucoup plus difficile de trouver une
motivation pour se dépasser, se donner un
but à atteindre. Le fait que le sens premier,
la « petite histoire » de Leah nous est donné
en introduisant la tromperie, le mensonge,
cela était suffisamment inacceptable pour
1
ndlr: Leah est de très grande de taille.
Ce qui pouvait paraître difficile (se marier
avec Esaü, ses larmes qui abîment ses yeux)
devient finalement une chance : chance de
partager une responsabilité avec sa soeur,
chance de montrer sa générosité en permettant à Rachel d'enfanter, chance d'être
deux (comme les étudiants partageant leur
recherche à deux), la chance de pouvoir montrer à Jacob son propre miroir (lui permettre
donc de tenir compte dans son parcours de
« corriger » cette attitude, raison peut-être
pour laquelle il ne se sépare pas de Leah ?).
Etre cette femme qui représente la part du
monde à découvrir, profond ou plus élevé
que ce qui est directement donné et visible…
j'espère pouvoir un jour en être un petit reflet.
Voilà donc pour le choix.
Je pourrais aussi parler du mikve, qui ce jour était
une piscine à 16° (brrr) mais en plein soleil, et de la
sensation d'en ressortir « neuve », propre, glacée…
« petite » (mais si, mais si !!!1), ou encore du partage de ces rencontres européennes du judaïsme
libéral francophone : entendre Alexandre
Adler, Maurice-Ruben Hayoun, les Rabbins, les
réflexions, les questionnements, des moments de
joies, des moments sérieux, des moments motivants, un chabbat étonnant …, des moments de
fatigue aussi, mais tellement porteurs !
Une communauté est faite de chacun et
nous faisions partie de la représentation du
judaïsme libéral de Belgique, de Beth Hillel …
je me suis sentie chez moi, membre de Beth
Hillel, j’ai l’impression d’avoir remis une case
d'un puzzle à sa place.
35
I D EN T I T É(S) J U I V E(S)
Je ne comprends toujours pas l'hébreu ;
cependant lorsque je chante, lorsque je
parviens à réciter certaines bénédictions,
j'ai cette sensation qu'un lien se tisse, que
la compréhension se fait, à pas infiniment
petits, presque au-delà de moi mais ce qui
est certain c'est qu'il y a quelque chose qui a
changé en moi …
Il est tard, bien sûr … mais « aujourd'hui est
le 1er jour du reste de ma vie » …
36
De Pascale à Leah … de la spirale de vie
du coquillage au lamed d’un nom choisi, un
monde à découvrir, de mémoire enfouie et
oubliée à une identité qui me fait grandir,
un sens à trouver … de mes racines au chemin …
Merci Alexandre, devenu Ezra, de m'avoir
incitée à prendre cette direction, merci
Rabbi, merci Gaëlle, merci Luc, Gilbert et
Yardenah … merci Beth Hillel …
■
le shofar
Du Bund à Beth Hillel
Rencontre avec Gaëlle Szyffer
par Luc Bourgeois
« Si tu étudies, fais le
dans la joie. »
Talmud Shabbat 113 a
Qui ne connaît Gaëlle ? A Beth Hillel elle porte
tant de projets et d’activités : membre du
conseil d’administration, membre du comité
religieux, toujours prête pour la hévra kadicha, enseignante d’hébreu pour les adultes
débutants, remplaçante occasionnelle du rabbin lors des cours pour adultes, l’une des chevilles ouvrières du Café Klatsch (depuis que
Monique Ebstein z"l nous a quittés), créatrice
en son temps du Talmud Tora, responsable
de la bibliothèque de Beth Hillel, participante
active aux sessions de Kené Lekha Haver et
Léviathan, membre très active d’un grand
nombre d’associations de la mémoire dont,
entre autres, Yom Hashoah et la Continuité
de l’Union des Anciens Résistants Juis et
d’associations interconvictionnelles comme
Axcent ou Juifs et Chrétiens en dialogue, …
et je passe encore beaucoup de ses activités
pour Beth Hillel et pour la communauté juive.
L’engagement de Gaëlle pour Beth Hillel a été
pour moi un questionnement et j’ai voulu comprendre comment et pourquoi elle était arrivée
à Beth Hillel et ce que Beth Hillel lui apporte.
Petit retour en arrière. Gaëlle est née dans
une famille mixte. Ses parents, tous deux
résistants, se sont rencontrés dans le cadre de
leurs activités de résistants durant la guerre.
Son père est arrivé de Pologne à Anvers en
1925 à l’âge de cinq ans. Jeune homme, il a
étudié le soir à l’Université Ouvrière d’Anvers. Durant la seconde guerre mondiale, il
est entré dans la résistance juive et a présidé
ensuite l’Union des Anciens Résistants Juifs
de Belgique 30 ans durant, et a été honoré
du titre de « Mensch de l’année ». Pas pratiquant, il a cependant élevé ses filles dans la
tradition, la pratique des fêtes, …
On retrace dans la lignée de son père de nombreux rabbins et érudits, et, aujourd’hui encore,
Gaëlle a plusieurs cousins et cousines qui sont
des personnages éminents du monde juif orthodoxe en Israël ou aux Etats-Unis. Gaëlle a passé
de nombreuses années à retracer sa généalogie
et à découvrir ancêtres et contemporains prestigieux, dont la lignée des Rabbins de Mozicz
qui ont composé la plupart des musiques hassidiques encore chantées de nos jours, et le Rav
de Kotzk. Par ailleurs, ses recherches lui ont
fait découvrir que plus de 80 de ses ascendants
ont été assassinés par les nazis.
Sa maman, non juive, jamais convertie, a
cependant accepté de créer un foyer qui avait
tout d’un foyer juif : les habitudes alimentaires,
les fêtes, … Elle a également accepté que ses
filles rejoignent les mouvements de jeunesse
juifs. Résistante, elle aussi, elle s’est rendu
compte après la guerre que ses huit frères et
sœurs avaient également combattu le nazisme,
sans en faire état aux autres pour autant.
37
le shofar
Gaëlle a été attirée depuis toujours par le fait
religieux. Petite, un personnage surnommé
par tout le monde « zaydé » (grand-père
en yiddish) l’emmenait régulièrement à la
synagogue. Cette attirance pour la religion
lui a valu de longues discussions avec sa
famille qui, quoiqu’ancrée dans la tradition
– la famille célébrait, entre autres une sorte
de Pessah laïque dans lequel Pharaon était
remplacé par le « patron » –, refusait l’engagement religieux. Et petit à petit, Gaëlle a fait
revenir sa famille vers le judaïsme (chabbat,
célébration de Pessah ou de Roch haChana).
Dans le domaine communautaire, Gaëlle fréquentait les mouvements de jeunesse juifs et
a suivi un cours de yiddish.
Pour paraphraser Molière : « Ils pratiquaient
les mitzvot sans le savoir. »
Étudiante, Gaëlle a milité pour la paix au
Viet-Nâm et a rejoint le parti communiste car
elle y voyait un moyen de rendre le monde
meilleur en luttant contre l’injustice sociale.
Son point de vue était qu’il fallait changer
l’homme avant de changer la société : point
de vue qui n’était pas dans la ligne du parti
qu’elle a donc quitté.
Pour retrouver le sens du spirituel, Gaëlle
est ensuite partie un certain temps dans un
ashram en Inde. De retour, elle a pris contact
avec des juifs orthodoxes qui l’ont rejetée
parce que sa mère n’était pas juive.
Un prêtre catholique de ses connaissances lui
a enfin suggéré de rencontrer Rabbi Dahan.
« Tu es juive ! » a affirmé celui-ci d’entré de
jeu. Et de fait, à la fois par son identité, ses
racines, et son éducation elle est juive.
Elle estime que si elle est assez juive, selon les
critères appliqués par les nazis, pour être assassinée comme telle, de quel droit une orthodoxie
sectaire lui refuserait-elle cette identité.
A commencé alors le chemin de l’étude, qui
a rapidement débouché sur la création du
Talmud Tora de Beth Hillel.
Si son identité juive lui colle à la peau, qu’en
est-il de son identité juive libérale ?
Si le Judaïsme Libéral signifie pour Gaëlle
l’égalité entre les hommes et les femmes et
l’acceptation, comme l’a fait immédiatement
dans son cas Rabbi Dahan, de la patrilinéarité,
elle insiste sur la lecture toujours moderne
et émerveillée de la Tora, écrite et parlée.
Le devoir permanent de justice, d’équité, de
solidarité, d’humanisme et d’amélioration
constante du monde qu’enseignent nos textes.
La compréhension de certains aspects de
notre tradition comme la cacherout qui nous
force à maîtriser nos pulsions morbides.
Le Judaïsme Libéral est aussi le cadre dans
lequel elle ressent le mieux la liberté de penser,
d’être et d’agir selon ses convictions : l’observance du chabbat, l’observance de la cacherout, l’étude infinie des textes, l’expression de
ses opinions, l’évolution inéluctable de notre
judaïsme sur les questions de société actuelles,
le refus absolu de l’automatisme qui ne pense
plus et où les formes ont pris le pas sur le sens.
Le judaïsme est chez Gaëlle une passion : une
passion et une tradition qu’elle veut transmettre à qui est prêt à écouter, des enfants
du Talmud Tora aux seniors du Café Klatsch
en passant par les étudiants, sans oublier
l’ouverture typique du judaïsme libéral sur
le monde non-juif. Et à chaque fois qu’elle
transmet, elle reçoit en retour : une anecdote,
un commentaire, une ouverture nouvelle.
Voilà donc, résumées, des années de vie et un
cheminement continuel qui débouchent sans
cesse sur l’action pour la communauté juive
et pour Beth Hillel.
Merci Gaëlle.
■
39
TA L M U D TO R A H
40
Le Talmud Tora joue les
prolongations
par Josiane Goldschmidt
Habituellement nos cours de Talmud Tora
se terminent fin mai. Cette année, Chantal a
inauguré 3 séances supplémentaires au mois
de juin. En effet, quatre mois d’interruption
entre la fin des cours et la reprise, c’est long !
Cette nouvelle formule permet aux enfants de
garder le contact avec la synagogue jusqu'au
début des vacances. Ces trois séances ont
été articulées autour du thème du "Chabbat",
avec des panneaux illustrant comment les
enfants ont intégré la notion de chabbat et
un kit de chabbat contenant tout les objets
nécessaires à la célébration du chabbat.
Ces séances se sont clôturées par l’invitation
aux parents à célébrer chabbat. Ce fut une
réussite!
■
le shofar
41
N O S B N É M I T Z VA
La Paracha Behar
par Jonas Costens
4 mai 2013
Aujourd’hui à l’occasion de ma bar mitzva
j’aimerais vous parler de la paracha Behar.
Mais avant de vous raconter ce qui s’y passe
j’aimerais vous expliquer brièvement ce
qu’est une paracha. La Tora est découpée en
cinq livres. L’ensemble de ces livres est divisé
en 54 parties. C’est ce que nous appelons une
paracha.
42
Chaque semaine nous lisons une paracha différente. Dans notre synagogue, comme dans
beaucoup d’autres, on découpe cette paracha
en 3 parties qui sont lues sur 3 ans.
Cette ainsi qu'au jourd'hui je viens de
lire devant vous une partie de la paracha
Behar-Behoukotaï.
Cette semaine le nom est double car comme
vous le savez peut-être, le calendrier
hébraïque a un mois de plus. Si vous voulez
plus d'information, demandez à Rabbi Neiger.
Donc, il y a quelques semaines, nous avons
célébré Pessah. C’est la fête de notre liberté.
Les hébreux sont sortis d’Egypte d’une main
puissante. Comme on peut le constater dans
le verset 13 chapitre 26 : « Je suis l'Éternel
votre Dieu, qui vous ai tirés du pays d'Egypte
pour que vous n'y fussiez plus esclaves; et j'ai
brisé les barres de votre joug, et je vous ai fait
marcher la tête haute... »
La liberté que Dieu nous a donnée en nous
faisant sortir du pays d’Égypte est aussi liée
à la terre. Mais plus encore ce sont les lois que
l’Eternel nous a prescrites qui nous aident à
être libres.
Je trouve que c’est une grande chance pour
moi d’être libre dans un pays démocratique.
Je mesure la chance que j’ai car depuis
quelques temps j’entends aux informations
que des jeunes gens un peu partout dans le
monde se battent pour avoir cette liberté.
Dans d’autres pays, comme par exemple la
Chine, un adolescent de mon âge n’est pas
libre comme moi. Je trouve cela injuste, car
tout le monde a le droit de faire ce qu’il veut.
Par exemple moi, je n’ai pas autant de liberté
que je le souhaite. Bien que mes parents me
laissent pas mal de liberté, pas assez par rapport a ma sœur. Mais bon, je ne vais pas me
plaindre car quand elle sort je squatte son lit.
Bien plus confortable… J’ai conscience que
cette liberté je la dois avant tout au fait que
mes parents ont confiance en moi. Comme
l’Eternel a offert la liberté aux hébreux car
il a confiance en son peuple.
Bien sûr il n’y a pas de liberté sans respect.
Au début de la paracha, le texte nous dit« Si
vous vous conduisez selon mes lois, si vous
gardez mes préceptes et les exécutez … »,
(Lev 26.3) A ce sujet dans notre sidour, page
151, le commentaire dit ceci :
« Depuis l’Exode le mot liberté a toujours été
prononcé avec une inflexion juive. Et depuis
le shofar
le Sinaï, les juifs ont associé à la liberté la
notion de responsabilité. » Dans notre tradition la liberté est aussi associée au don de la
loi. Accepter la Tora c’est accepter la justice
qui y est enseignée. Comme le dit le texte
suivant :
De toute façon, je n’ai pas intérêt….. N’est-ce
pas maman ? N’est-ce pas papa ?
« Les tables étaient l’œuvre de Dieu et l’écriture était l’écriture de Dieu gravée sur les
tables. Ne lis pas
« harout /gravée »,
ma is « hérout /
liberté ». Et seuls
sont vér it able ment libres ceux
qui étudient et
acceptent la loi de
Dieu. Seuls ceux
dont Dieu est la
référence ultime
sont libres. »
Ma bar mitzva est à quelques jours de
Chavouot. Comme les hébreux ont fait le
chemin de Pessah
a Chavouot, le
chemin de l'esclavage vers la
liber té, je va is
faire aussi mon
propre chem i n
de l'enfance vers
l'âge adulte.
Ce que j’aimerais
vous dire avec ces
deux textes c’est
que la justice est
une des valeurs
impor ta ntes de
notre tradition.
En ce jour de
ma ba r mitz va
où j’accepte les
commandements
comme les miens, je me rends compte qu’ils
sont la base d’une vie et d’une civilisation
juste.
A 14 ans, il m’arrive bien sûr de me moquer ou de
rire de certaines situations, il m’arrive aussi de
ne pas écouter ou de lever les yeux au ciel quand
mes parents me parlent ou me crient dessus.
Mais je fais toujours attention à ne jamais
leurs manquer de respect.
Le respect est une des formes de justice que
je peux le plus facilement appliquer à mon
âge.
C'e s t a ccom p a g né de mes
parents, de ma
famille et aussi
de vous tous ici
présents, que
je vais vers la
l i b er t é, e n f i n ,
semi liberté.
Ces commandements qui sont
le guide de notre
peuple, j'espère
qu'ils me serviront à construire ma vie
d'adulte.
Quand j'ai pris connaissance de la paracha, comme dirait mon grand père « Ouille,
Ouille.... Hoch èrme( je ne vais jamais m'en
sortir ) ».A force de travail, avec la patience
de mes parents et les corrections de Rabbi
Neiger j'y ai pris beaucoup de plaisir. J'espère
que vous aurez apprécié et que vous aurez
pris plaisir à m'écouter.
■
43
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le shofar
La Paracha Pinhas
par Jean Marc Peruch
29 juin 2013
La Paracha Pinhas se trouve dans le livre
Bamidbar – traduit en général par Livre
des Nombres, mais qui veut dire « dans le
désert ». Communément, ce qui justifie la
traduction en livre des nombres est le fait
que dans ce livre, il y a le recensement des
enfants d’Israël, ainsi qu’une liste détaillée
des offrandes.
Dans la Paracha de Pinhas nous sommes
dans la 40ème année de la traversée du désert,
et c’est la période qui correspond à la préparation de la rentrée en terre d’Israël.
Aujourd’hui, j’aimerais vous parler de 2 sujets
– de Pinhas.
Au chapitre 29, verset 6 à 11, il est écrit
ceci : “Et au dixième jour de ce septième
mois, il y aura pour vous convocation sainte:
vous mortifierez vos personnes, vous vous
abstiendrez de tout travail. Et vous offrirez en holocauste à l'Éternel, comme odeur
délectable, un jeune taureau, un bélier, sept
agneaux d'un an que vous choisirez sans
défaut. Leur oblation: de la fleur de farine
pétrie à l'huile, trois dixièmes pour le taureau, deux dixièmes pour le bélier unique,
un dixième respectivement pour chacun des
sept agneaux. Un bouc, comme expiatoire:
sans compter l'expiatoire du jour d'expiation, l'holocauste perpétuel, son oblation et
leurs libations.”
C’est donc le sujet de Yom Kippour et des
jeûnes dont j’aimerais vous parler en premier.
Il y a 7 jours de jeûnes dans le calendrier juif.
Celui de Yom Kippour ou Grand Pardon, se
caractérise par sa durée et son but.
Au verset 7 il est écrit ceci : « Et au dixième
jour de ce septième mois, il y aura pour vous
convocation sainte: vous mortifierez vos
personnes ». Dans notre tradition, se « mortifier » l’âme signifie s’abstenir; jeûner. Le
jeune de Kippour démarre au coucher du
soleil, et dure 25 heures pendant lesquelles
on ne mange pas et on ne boit pas. Et certains
vont même jusqu’à s’interdire de prononcer
d’autres mots que ceux des prières.
Kippour suit de dix jours la fête de Roch
haChana, le nouvel an juif. Ces deux fêtes
ne sont pas rattachées à des évènements
historiques. Ce sont des fêtes purement religieuses qui célèbrent le rôle de Dieu et on
y met en exergue les notions de Moralité,
d’Auto Examen, de Spiritualité et de Sainteté.
Pendant cette période, que l’on appelle dix
jours de pénitence, toutes les actions de
l’année passée sont évaluées par Dieu, et le
jugement doit être rendu à Yom Kippour. La
journée de Kippour, consacrée à la prière, au
jeûne et au repentir, est considérée comme le
Chabbat des Chabbat. C’est une journée de
recueillement, dans la crainte et l’espérance
du pardon.
Yom Kippour permet à l’homme d’expier ses
pêchés contre Dieu, mais non contre son
prochain. A moins d’avoir demandé pardon
à celui qu’on a offensé, l’expiation n’aura pas
d’effet. Pendant que je jeûne à Yom Kippour,
je pense à plusieurs choses.
45
le shofar
D’une part, je suis gâté dans la vie de tous
les jours : je mange à ma faim, je peux suivre
des études, je fais du sport, je pense donc
que je peux m’abstenir de tout cela pendant
25 heures. Et je prends conscience de ce que
d’autres enfants, moins chanceux, vivent
tous les jours. Dans le midrach Rabbah 14,
au sujet de Yom Kippour, il est dit ceci : « la
mortification doit concerner plutôt les âmes.
L'âme humaine a cinq noms qui sont cinq
définitions.» A celles-ci correspondent cinq
mortifications. Les différents noms de l'âme
sont Nefesh , Ruah , Neshama , Haya , Yehida .
Pendant la journée de Yom Kippour, je prends
le temps de réfléchir, de m'adresser à mon
âme. C'est Ruah, l'âme émotionnelle qui fait
surface en ce jour de mortification. Elle me
permet de réfléchir à ce que j'ai fait l'année
passée, à mes actes, à mon comportement
et j'essaie de prendre des initiatives pour
l'année à venir. Par exemple, j’aimerais que
vous suscitiez avant le prochain Yom Kippour
une des cinq parties de votre âme.
Dans un registre différent, je me suis penché
sur l’histoire des filles de Tselofhad.
Dans ma Paracha, le chapitre 27, verset 1
à 11 nous dit ceci : « Alors s'approchèrent
les filles de Tselofhad, fils de Héfer, fils de
Ghilad, fils de Makhir, fils de Manassé, de
la descendance de Manassé, fils de Joseph,
lesquelles filles avaient comme nom Mailla,
Noa, Hogla, Milka et Tirça; elles se présentèrent devant Moïse, devant Eléazar le pontife, devant les phylarques et toute la communauté, à l'entrée de la tente d'assignation,
disant : "Notre père est mort dans le désert.
Toutefois, il ne faisait point partie de cette
faction liguée contre le Seigneur, de la faction de Coré: c'est pour son péché qu'il est
mort, et il n'avait point de fils. Faut-il que le
nom de notre père disparaisse du milieu de
sa famille, parce qu'il n'a pas laissé de fils ?
Donne-nous une propriété parmi les frères
de notre père !" Moïse déféra leur cause à
l'Éternel. Et l'Éternel parla ainsi à Moïse :
"Les filles de Tselofhad ont raison. Tu dois
leur accorder un droit d'hérédité parmi
les frères de leur père, et leur transmettre
l'héritage de leur père. Et tu parleras en ces
termes aux enfants d'Israël: Si un homme
meurt sans laisser de fils, vous ferez passer
son héritage à sa fille. S'il n'a pas de fille,
vous donnerez son héritage à ses frères. S'il
n'a pas de frères, vous donnerez son héritage
aux frères de son père. Et si son père n'a
pas laissé de frères, vous donnerez son héritage au plus proche parent qu'il aura dans
sa famille, lequel en deviendra possesseur.
Ce sera pour les enfants d'Israël une règle
de droit, ainsi que l'Éternel l'a prescrit à
Moïse. » J’aimerais vous parler de l’héritage
pour les filles de Tselofhad. Celui-ci est mort
dans le désert et n’ayant que des filles, sa
part d’héritage devait aller à ses frères. Les
cinq filles de Tselofhad contestent la décision et se rendent devant Moïse pour réclamer leur part d’héritage. Moïse ne connaissant pas la réponse interroge Dieu et Dieu
répond : « Les filles de Tselofhad parlent
juste » elles ont droit à leur héritage.
On peut en déduire plusieurs choses.
47
BIBLIOTHÈQUE DE BETH HILLEL
Gaëlle vous accueille
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Elle pourra éventuellement vous accueillir à d'autres moments, sur simple demande.
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le shofar
La première interprétation que l’on peut faire
c’est que les filles de Tselofhad sont sages et
instruites car elles se présentent devant Moise
en venant avec des arguments basés sur une
grande connaissance de l’interprétation de la loi.
Dans Nombres Rabbah, à propos du verset :
« Moïse déféra leur cause à l'Éternel. Les filles
de Tselofhad ont raison. » (je préfère la traduction : « Les filles de Tselofhad parlent juste »).
A ce propos, on peut lire le midrach suivant.
Il voulait dire, c'est la loi ! Le Saint, béni soitil lui dit: « Lorsqu’un cas sera trop difficile
pour vous, vous me le présenterez. Si c’est
une loi que vous ignorez comme c’est le cas
concernant ces femmes. »
Une autre explication est donnée par Resh
Lakish : « Moïse notre maître connaît la loi
mais les femmes vinrent en premier demander conseil aux chefs des 10. Ils leur répondirent : « Votre cas concerne un héritage et ce
n’est pas de notre compétence, nous allons le
présenter devant nos supérieurs. »
Les femmes se rendirent devant les chefs des
50 avec les chefs des 10 mais les chefs des
50 leur dirent : « Votre demande n’est pas de
notre compétence, vous devriez demander à
nos supérieurs. »
Les femmes se rendirent devant les chefs des
50 avec les chefs des 10 mais les chefs des
50 leur dirent : « Votre demande n’est pas de
notre compétence vous devriez demander à
nos supérieurs. »
Ainsi elles se sont présentées devant les chefs
des 100, les chefs des 1000 et même devant les
princes. La réponse était toujours la même,
ils préféraient s’en référer à une autorité supérieure. C’est ainsi qu’ils se présentèrent tous
devant Eléaza qui leur dit qu’il allait, lui aussi,
poser la question à son maitre, Moise.
Ainsi, ils se présentèrent tous devant Moïse.
Moïse savait que la question qu’on lui posait
avait été présentée devant chacune des instances avant lui. Moïse se dit que même s’il
connaissait la loi, il ne pouvait donner une
réponse sans que le mérite qu’il tirerait de
cette réponse ne soit trop grand.
Alors Moïse leur répondit ceci : moi aussi j’ai
un supérieur et c’est ainsi que « Moïse déféra
leur cause devant l’éternel. »
Et le Saint Bénit soit-il répondit : « Les filles
de Tselophrad parlent juste. »
En obtenant gain de cause, Mailla, Noa,
Hogla, Milka et Tirça ont permis un premier pas vers l’égalité entre les hommes et
les femmes. La décision de Dieu est juste et
a servi de point de départ. Grâce aux filles
de Tselofhad, les femmes juives obtinrent
plus de droits. De nos jours, grâce à elles et
d’autres pionnières, l’étude de la Tora et la
fonction de rabbin sont ouvertes à toutes.
Grâce aux filles de Tselofhad, vous, mesdemoiselles et mesdames, avez obtenu le droit
d’être nos égales.
■
49
EN V I E D E L I ( V ) R E
70ème anniversaire
de la révolte du ghetto
de Varsovie (III)
Carnets du ghetto
de Varsovie - Adam
Czerniakow
Ed. La Découverte, 1996
ISBN 978-2-70713-937-5
50
Il est comme une étrange impression qui surgit
à la lecture de ce journal, aux entrées concises
et lapidaires, qui débutent presque toutes par le
relevé systématique de la température du jour.
C’est une impression de rondeur qui se dégage
inexorablement de la voix de cet homme qui
relate imperturbablement jour après jour le lent
et long enfermement de la communauté juive
de Varsovie, dont il a choisi d’assumer le rôle
d’intermédiaire entre elle et les maîtres d’un
nouvel ordre mondial. Mais comme l’explicite
très bien Raul Hilberg dans « La Destruction
des Juifs d’Europe », Czerniakow utilisera les
vieux réflexes de défense diasporiques face au
danger, sans réaliser que cette fois-ci, la nature
du danger est radicalement différente et que les
stratégies déployées face à l’agresseur- pour
autant qu’elles aient jamais eu une réelle existence dans le rapport de forces- se briseront
l’une après l’autre et se révèleront tragiquement
vaines.
Ce qui constitue la rondeur de Czerniakow,
c’est son sens de la loyauté, sa remarquable
stabilité d’humeur et la constance avec laquelle
par Isabelle Telerman
il affronte les difficultés insolubles, les vexations, les sévices physiques dont il fera l’objet.
Les quelques photos dévoilent un visage replet
et une silhouette trapue.
Car, contrairement à son homologue de la ville
de Lodz, le narcisse fantoche Rumkowski,
Czerniakow ne s’enorgueillit aucunement de sa
fonction. Il prend le gouvernail d’un navire livré
à son propre sort, se comparant d’ailleurs au
capitaine du Titanic, faisant jouer l’orchestre
malgré le naufrage.
Czerniakow se lève à l’aube, relève la température, se rend à son bureau officiel, à savoir
sa fonction de directeur d’une école professionnelle dont il sera subtilement exclu,
essuyant la lâcheté des collègues polonais qui
se retranchent derrière les ordonnances de
pureté de la race privant la population juive
de ses sources de revenus.
Ensuite, il se rend au siège de la Communauté
où il est assailli de plaintes, de revendications,
de reproches voire couvert d’injures. Il court
d’une convocation à l’autre, attend des heures
sans être reçu, revient plus tard dans la journée, sans succès, est reconvoqué le lendemain,
essuie le mépris du fonctionnaire allemand
et rentre chez lui, selon ses propres termes,
« auréolé de gloire ». Czerniakow ne se plaint
jamais. Il consigne des migraines, une digestion difficile, soigne son insomnie par de la
lecture et repart le lendemain avec la même
le shofar
énergie. Il ne réalise pas que ses errances administratives quotidiennes sont la résultante de
la rivalité sans pitié entre l’administration
militaire, l’administration civile et celles qui
finiront par avoir la mainmise sur la création,
la gestion et la liquidation du quartier juif, à
savoir la SS et la police de l’occupant.
Czerniakow se retrouve donc dans la fonction de « maire » d’une partie de la ville qui
contiendra bientôt 500.000 personnes, Juifs
varsoviens et Juifs réfugiés de la province
dont la population juive a été évacuée vers
les centres urbains. Czerniakow est responsable de son administration, des salaires de
ses fonctionnaires alors qu’il règne sur une
population ayant perdu son travail ou dont la
source de revenus a purement et simplement
été confisquée. Le ghetto, après octobre 1940,
sera responsable de son approvisionnement
en produisant lui-même, via de nombreux ateliers, des produis qui, vendus à l’extérieur, lui
permettent d’assurer son alimentation.
Mais l’occupant a décidé de réduire les salaires
des ouvriers, de se saucer au passage sur le
montant des produits exportés par le ghetto, et
surtout, de réduire la ration alimentaire quotidienne de la population juive, défavorisée par
rapport à l’allemande ou la polonaise.
Czerniakow assiste impuissant à l’instauration
de la famine et son corollaire, l’apparition d’épidémies. Critiqué de jouir d’un statut privilégié,
non sans humour, Czerniakow déclarera que
son seul privilège est de perdre sa bedaine,
il est profondément heurté par les disparités
sociales du ghetto et le refus des rares privilégiés de contribuer plus largement face à la
situation globale catastrophique.
La mise en place d’un système de taxations
ne répondra que faiblement à la demande. La
contrebande de part et d’autre du mur se chargera du reste.
Czerniakow n’émet aucun jugement sur la
perversité nazie. Il décrit simplement les tournages organisés dans les restaurants du ghetto,
dans un appartement préservé où est mise
en scène une réception, dans un mikveh où
hommes et femmes nus sont dans l’eau. Il traverse l’absurde et l’immonde avec une éthique
qui se situe au-delà des hommes et des évènements. Il concède cependant un jugement sans
illusions à l’égard de ses concitoyens polonais :
il les situe entre Adam Mickiewicz et une bande
de voyous haineux.
Même s’il en parle peu, on peut imaginer que
Czerniakow estime beaucoup son épouse,
non seulement pour l’action qu’elle mènera en
faveurs des enfants orphelins du ghetto mais
surtout pour la sérénité avec laquelle elle lui
exprime un soir, devant l’accélération de la violence dans le ghetto au printemps 1942, qu’il
va falloir apprendre à mourir dans la dignité.
Seule inflexion mélancolique, la réflexion d’un
père face à l’absence de son fils parti en URSS :
« Que devient Jas, mon unique enfant ? »
C’est cette préoccupation inquiète qui lui rend
insupportable l’ordonnance du 22 juillet qui
stipule que tous les Juifs sans exception d’âge
ou de sexe doivent être transférés à l’Est. Il
réalise alors que ses interlocuteurs ont menti,
l’ont instrumentalisé, le transformant malgré
lui en acteur de première ligne d’un massacre
méthodiquement planifié.
Czerniakow aura été discrédité jusque dans
sa mort. Son suicide sera interprété comme
une forme de lâcheté, d’absurdité à laquelle
Ytiskhok Katzenelson consacre un chant dans
son « Chant du peuple juif assassiné » sous la
forme d’une mise en scène grotesque. C’est en
réalité le sursaut ultime d’un homme qui restaure sa liberté dans un étau sans issue.
Adam Czerniakow est enterré au cimetière juif
de Varsovie.
■
51
EN V I E D E L I ( V ) R E
Lectures d’identité
par Anne De Potter
Histoire des juifs, De la
genèse à nos jours
Michel Abitbol
Perrin, 2013
Pour l’Histoire
ISBN 978-2-26203-285-2
734 pages
Un ouvrage sérieux et très documenté (mais
non illustré !) de plus de sept cent pages - dont
environ trois cent consacrées à la période postérieure à la révolution française - qui pose les
bases historiques fondamentales, dont les
développements qui aboutiront, notamment,
au Judaïsme Libéral.
52
“En juin 1772, le rabbin allemand “moderniste”
Jacob Emden, 1696 – 1776) condamne le décret
du duc de Mecklembourg-Schwerin imposant
l'enterrement des morts trois jours après leur
décès, mesure dictée par des considérations
médicales modernes, mais en totale contradiction avec la coutume ashkénaze, stipulant que
l'enterrement doit s'effectuer le jour même de la
mort. Prudent, avant de prendre position publiquement contre le décret, Emden a cru bon de
faire appel au philosophe juif le plus réputé de
l'époque, Moses Mendelsshon (1729 -1786). Il a
eu tort : Mendelsshon ne voyait aucune difficulté à adopter le décret ducal, soulignant au
passage que ni la Michna ni le Talmud n'exigeaient d'enterrer les morts immédiatement
après le décès.
Ce qui comptait pour Mendelsshon n'était pas
tant de trouver dans la tradition des preuves
justifiant le texte ducal, mais en tant qu'homme
des Lumières, il estimait que les prescriptions
contenues dans ce décret reposaient sur des
observations expérimentales rationnelles.
Pour lui, comme pour ses disciples, la science
prime en cas de conflit avec la religion. Tant
mieux pour cette dernière si elle va dans le sens
du progrès et tant pis pour elle si la science
exige des réponses qui lui sont contraires.
La controverse entre Mendelsshon et Emden
est restée dans les limites de la convenance.
(…) Il en sera tout autrement après leur
mort quand la lutte entre traditionnalistes et
maskilim sera accompagnée d'un véritable
Kulturkampf au sein du monde juif tout au long
du XIXe siècle.” (pp. 333 et 334).
Outre les acteurs et penseurs célèbres, comme
Mendelsshon, l'auteur nous fait connaître des
personnes comme Gluckel Hameln :
“ Autre conséquence non négligeable de la diffusion du livre imprimé, l'accès des femmes au
savoir religieux, notamment par le truchement
d'ouvrages de vulgarisation en yiddish dont le
fameux Tsena Ou-Rééna (et son semblable en
ladino Mé 'Am Lo'ez) qui a circulé dans tous les
ghettos européens. Exemple vivant de cette
entrée des femmes dans la culture religieuse :
Gluckel Hameln et ses mémoires (Editions
de Minuit, 1971) émaillés d'aphorismes et de
citations du Talmud et de la Aggada.” (p. 331).
De l’identité à l’existence,
l’apport du peuple juif
Daniel Sibony
Odile Jacob, 2012
Science Hum
ISBN 978-2-73812-737-2
346 pages
Vous l'avez sans doute regardé et écouté le
dimanche matin dans l'émission télévisée
du Rabbin Josy Eisenberg sur France 2 :
le shofar
ce philosophe et psychanalyste nous livre
ses réflexions, solidement ancrées dans la
connaissance. Sa vision et son vocabulaire
sont marqués par le monde de l'analyse, ce qui
complique un peu la lecture par des non-initiés.
“(...) la conversion aussi prend un sens existentiel où il s'agit, on l'a vu, non pas de changer
d'origine mais d'en avoir une autre qui, s'ajoutant à la sienne, donnerait au sujet une identité redoublée, ouverte, marquée par la faille. Il
s'agit d'avoir un entre-deux identités, donc une
identité vivante, non identique à elle-même, et
ce grâce à une greffe de l'Hypothèse , marquée
par l'ouverture ontologique. En ce sens, beaucoup de Juifs gagneraient à devenir juifs, au
sens de se convertir à la Question existentielle.
C'est en quoi le devenir-juif nous intéresse.
Or, la règle actuelle pour devenir juif, c'est
d'en passer par la religion, alors que juif et
religieux sont deux choses différentes. Cette
règle semble absurde, mais elle pose une vraie
question : peut-on devenir juif sans connaître
en profondeur ce que c'était avant, y compris au
temps où seule la langue religieuse exprimait
les enjeux ? En somme, peut-on revendiquer
une origine sans l'assumer un certain temps,
le temps d'intégrer ses symboles à sa propre
recherche ? Un athée qui devient juif doit
connaître les formes originelles de ce mode
d'être, donc reconnaître l'existence de contenus religieux et se mesurer à leur portée symbolique; c'est ce que les Juifs de toutes nuances
font chacun à sa façon, étant déjà portés par le
flux transmissif.” (p. 224)
“Ce peuple (électeur et lecteur, plutôt qu'élu, p.
28, imprégné de la logique du singulièrement
universel, p. 74) brandit des textes qui sont audessus de ses moyens, ce qui le force à les développer, et il s'accroche pourtant à la texture en
cours” (p. 343).
Le peuple-monde, Destins
d’Israël
Alexandre Adler
Albin Michel, 2011
Essais Doc.
ISBN 978-2-22622-086-8
201 pages
Cet éditorialiste spécialisé en géopolitique,
paraissant aussi sur nos écrans, nous fait également part de ses réflexions sur le peuple juif,
nourries d'une connaissance étendue et pointue
tout à la fois. Ce livre nécessite une lecture attentive, mais l'effort est récompensé par l'apport de
sa vision originale (cfr. notamment le chapitre
« Israël parmi les siens »), aux fondements solides.
“Contrairement à toutes les prédictions pessimistes d'une fin annoncée du peuple juif, celuici perdure pourtant avec une remarquable
constance dans l'Etre. Mais aussi bien ce
peuple, à nul autre pareil, ne sait-il absolument
pas où il va, ne réfléchit pas véritablement au
but ultime de sa grande aventure. Et c'est sans
doute mieux ainsi : comme Christophe Colomb,
où comme Jonas avant lui, mieux vaut affronter
l'épreuve des mers incertaines, la conscience
d'un Dieu inconnaissable chevillée au corps,
plutôt que de supposer sans cesse sur l'impossible date assignée à la venue du Messie. (…)
Mais la leçon sans doute la plus durable,
celle qui marque d'une manière indélébile la
prégnance de la “Sortie d'Egypte” est, bien
entendu, une conception absolument originale
de Dieu. Celui-ci ne se révèle plus face à face et
laisse aux hommes concrets le soin de retrouver sa Présence dans l'intense chatoiement de
ses effets. (...)” (p. 200).
Après avoir proposé ses pistes pour le futur,
l'auteur conclut :
53
EN V I E D E L I ( V ) R E
“(...) il s'agit enfin de convertir notre proverbiale
et contestable énergie révolutionnaire en force
de pacification et de réconciliation. Jésus disait
qu'il venait apporter le glaive, en cela aussi il
était des nôtres : il avait compris la puissance
subversive du vrai monothéisme. Mais il est
temps à présent pour tous, le glaive revenu au
fourreau, de construire la paix de Dieu.
Alors, et alors seulement, nous pourrons penser au Troisième Temple – car nous ne l'édifierons pas seuls, pas contre le vaste monde, mais
avec lui.” (p. 202).
Isha, Dictionnaire des
femmes et du judaïsme
Pauline Bebe
Calmann-Levy, 2001
Essais Doc.
ISBN 978-2-70213-153-4
440 pages
54
De Abigaïl, belle et intelligente, que David
épousa, alors qu'il était encore marié à
Ahinoam, après sa plaidoirie convaincante
pour son mari Nabal (mort entre-temps !) à
Yevama, la “veuve dont le mari défunt n'a pas
eu d'enfant et qui est légalement tenue d'épouser son beau-frère”, en passant par l'entrée
“Langage sexiste”, ce dictionnaire nous éclaire
tant sur des personnages féminins que des lois,
des rites, des pratiques, etc.
Cette forme nous permet de retrouver très
rapidement le sens de tel ou tel mot, l'histoire
de telle ou telle femme, de comprendre et de
relier tel ou tel concept. Le contenu se lit avec
plaisir et curiosité, et le lecteur se surprend
vite à lire une ou plusieurs entrées de plus que
celle initialement prévue !
“Ce n'est qu'à l'époque moderne que la question
de la séparation des hommes et des femmes
est discutée de manière approfondie et que
la mehitsa est exigée par les autorités orthodoxes. (…) La discussion systématique de la
question a été provoquée par la décision des
mouvements libéraux et conservateurs, mouvements religieux majoritaires dans le monde; de
supprimer toute séparation entre les hommes
et les femmes dans les lieux de prière, pour qu'il
n'y ait pas de ségrégation. C'est en 1892 que la
Conférence centrale des rabbins américains
décida de supprimer la mehitsa. En 1928, Lily
Montagu, fondatrice d'un des mouvements juifs
libéraux anglais, s'adressait ainsi à la communauté dans un sermon prononcé à Berlin : “Les
femmes allemandes doivent descendre de leur
galerie et réellement prendre part à la construction d'une religion vivante qui s'adresse à la
communauté toute entière” (...)”. (p. 217).
La transmission du
judaïsme dans les couples
mixtes
Séverine Mathieu
Les Editions de l’Atelier/Les
Editions Ouvrières, 2009
Social Eco H C
ISBN 978-2-70824-076-6
176 pages
Notre synagogue accueille, notamment, des
couples mixtes (même si elle ne célèbre pas
leur mariage, c'est une autre question). Ce livre
analyse cette situation, surtout en présence
d'enfants issus de ses couples. Il relate les
témoignages de vingt neuf couples en France,
dont les membres sont nés principalement dans
les années cinquante et soixante, sur leurs
expériences, leurs attitudes face à la circoncision, la cuisine, la mémoire de la Shoah, le lien
avec Eretz Israël, l'antisémitisme, etc.
“(...) les conjoints non juifs revendiquent certes
à la fois la part juive dans l'identité de leurs
enfants et en même temps, ils ne veulent pas les
voir assignés à cela. Le judaïsme qu'ils mettent
en avant est une identité reconstructive et positive, pas question alors de subir les outrages
du passé. Et certains déclarent même pouvoir
réagir violemment devant des manifestations
antisémites. (...)” (p. 142).
■
le shofar
Exil aux Marolles
par Luc Bourgeois
Exil aux Marolles
Inge Schneid
Couleur Livres, 2009
Je
ISBN 978-2-87003-516-0
141 pages
De Vienne à Bruxelles. Le parcours douloureux d’une petite fille qui grandit à Vienne,
insouciante, avec un père juif mais pas
religieux et une mère non-juive. Et vient
l’Anschluss, les vexations envers les juifs,
même chez ceux qu’on croyait amis. Le père
d’abord, la petite fille et sa maman ensuite
fuient vers Bruxelles qu’ils croient à l’abri des
nazis. A Bruxelles, dans les Marolles, il faut
se reconstruire une vie, une vie pratique, une
vie sociale. Mais avec le poids d’un accent
allemand, quand la Belgique se voit occupée, les Belges ne comprennent pas que ces
gens qui parlent allemand ne sont pas des
allemands, ne sont pas des occupants. Et la
vie se déroule sous l’occupation : entre les
craintes d’être pris ou dénoncés, les vexations, la faim, les rafles, les déportations, le
cercle d’amis qui se réduit, les mauvaises
nouvelles de la famille restée au pays. Puis
vient la libération, l’euphorie, les arrestations, les représailles envers les collaborateurs. Et il faut à nouveau se reconstruire,
tout en sachant que beaucoup ont disparu
dans la tourmente, dans les camps.
Cette histoire est celle d’Inge Schneid qui
fréquente régulièrement Beth Hillel. Le
grand mérite de son livre de souvenirs est
de décrire à la fois les sentiments de la petite
fille qu’elle était, les situations auxquelles
elle a dû faire face, mais aussi de prendre
du recul et de jeter un regard d’adulte sur
les événements dont elle a été l’acteur et le
spectateur. L’histoire d’une petite fille écrite
par une adulte, ou l’histoire d’une petite fille
écrite par une petite fille qui a beaucoup de
discernement et de maturité ? A vous de
juger.
Inge Schneid a fait cadeau de son livre à la
bibliothèque de Beth Hillel, mais, si vous
achetez le livre, elle sera certainement ravie
de vous le dédicacer lors de ses nombreuses
visites à notre synagogue.
Nous reproduisons ci-dessous les mots élogieux que José Gotovitch, l’historien belge, a
écrits à propos de cet ouvrage.
Madame,
Ce petit mot pour vous dire l’émotion que
j’ai ressentie à la lecture de votre livre « Exil
aux Marolles ».
Né en 1940, rue des Tanneurs, j’ai moimême, dans les bras de ma mère, échappé
à la rafle du 3 septembre 1942 en nous
enfuyant chez la voisine belge.
Vous comprendrez combien votre fresque
large et bien documentée, qui retrace un
itinéraire collectif avec une justesse de ton,
sans pathos, est d’autant plus forte et sonne
juste.
Ayant passé ma carrière à travailler sur
la seconde guerre et ayant, par intérêt et
métier, lu des centaines de témoignages,
je puis vous assurer que votre travail est le
meilleur et certainement le plus juste pour
la Belgique.
Avec mes sentiments les meilleurs,
José Gotovitch
■
55
CA R N E T - C I TAT I O N S
le shofar
Carnet
Décès
Nous présentons nos sincères condoléances à
Michel Cohen et à sa famille pour le décès de
son épouse Martine Segers-Cohen, qui s'est
éteinte paisiblement le 29 juin 2013, entourée
des siens. Que son âme soit reliée au faisceau
des vivants.
Bné Mitsva
Mazal Tov à David Zylberberg qui célèbrera
sa Bar Mitsva le 28 septembre (Paracha
Berechit) et mettra ses tefilines le vendredi
27 septembre pour la première fois.
■
Mariage
Un tout grand Mazal Tov à Benoît Mairy et
Arianne Elincx, qui se sont mariés sous la
houppa le18 août.
57
Citations
Les chrétiens sont ceux qui se souviennent et
les juifs ceux qui espèrent encore.
L’enfant de Noé, Eric-Emmanuel Schmitt
Tout Juif est juif, même les Juifs pieux, et
y compris les Juifs non sionistes, les Juifs
enrhumés et les Juifs philatélistes.
La parole et l'écrit: Penser la vie juive
aujourd'hui, Léon Askénazi
■
I N F O R M AT I O N S U T I L ES
N I S S A N - I YA R 5772
VIE COMMUNAUTAIRE
OFFICES DE CHABBAT
Vendredi à 19h et samedi à 10h30
Chabbat leDor vaDor, tous les premiers vendredis du mois, à 18h30.
■
TALMUD TORA
Tous les mercredis après-midi. Voir calendrier.
■
COURS ADULTES ET CERCLES D’ETUDE
Contactez Rabbi Marc Neiger
■
YIZKOR
Si vous voulez être informés des dates de Yizkor
pour des membres de votre famille, contactez Yardenah ( 02.332.25.28
SOCIÉTÉ D’INHUMATION
A.S.B.L. GAN HASHALOM
En cas de nécessité, téléphonez aux numéros suivants :
Le jour A Beth Hillel (02.332.25.28)
Le soir Rabbi Marc Neiger (02.318.83.55)
Si vous désirez souscrire à Gan Hashalom,
téléphonez à Willy Pomeranc en journée (02.522.10.24)
Gan Hashalom est réservé aux membres de la CILB en règle de cotisation
et ayant adhéré à la société d’inhumation
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AG EN DA AV R I L- M A I 2012
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