le shofar
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Les fêtes austères sont à nos portes. C’est le
moment où beaucoup de Juifs retrouvent le che-
min de la synagogue. Démarche paradoxale:
on vient se retrouver, très nombreux, plus et
moins croyants, plus et moins religieux, pour
de longues heures de prières avec, à Kippour, la
faim et l’attente de la rupture du jeûne.
Curieuse démarche que d’aller s’enfermer
avec l’estomac qui crie alors qu’on pourrait
profiter du soleil de la fin de l’été. Et il en est
ainsi depuis des siècles. Qu’est-ce qui nous
distingue donc de nos contemporains qui
ignorent ce type de pratique? Notre identité.
Oui, mais encore. C’est quoi notre identité?
C’est quoi «être Juif»?
Pas de tshulent au Maroc. Pas de cous-
cous en Ukraine. Pas beaucoup de kippa’s
sur les crânes des fêtards à Tel-Aviv. L’état
d’Israël est adulé ou vilipendé par les uns et
par les autres, Juifs et non-Juifs confondus.
Religieux, observants, croyants, agnostiques,
athées: tous ces profils, toutes ces convic-
tions se retrouvent parmi les Juifs du monde
entier. Une mère juive: oui, certainement,
mais est-ce une garantie pour que quelque
chose soit transmis? Dans les foyers mixtes,
le père n’assure-t-il pas aussi ce rôle et sou-
vent très efficacement? Le yiddish, le ladino,
le judéo-arabe, le judéo-persan: qui parmi
nos jeunes connaît encore de ces langues
plus que quelques expressions, et sont-elles
suffisantes à assurer une identité? Louis
Armstrong, le trompettiste de jazz, parlait
couramment yiddish et n’était pas Juif.
On ne résume pas l’identité juive en un mot,
pas en une phrase, pas en un paragraphe, pas
en un chapitre, pas en un livre. La multiplicité
est trop grande.
Et malgré tout, notre synagogue est pleine
et vibre lors des grandes fêtes, et également
lors d’autres célébrations comme notre séder
annuel à Pessah.
Nous nous sommes donc interrogés sur notre
identité juive en général et sur notre iden-
tité juive libérale en particulier. La barbarie
et l’absurdité administrative nazies avaient
défini des critères permettant de ranger cer-
taines personnes dans la catégorie «Juif».
Ces critères ont été repris par l’état d’Israël
naissant pour définir qui peut bénéficier de
la loi du retour, ce qui était tout à fait com-
préhensible dans le cadre historique de la
création de l’état. Mais, poussés à l’extrême,
ils ont un côté profondément négatif: notre
identité ne se définirait-elle que par rapport à
la Shoah? Qu’en est-il alors des Juifs qui ont
eu la chance de ne pas connaître la Shoah?
Qu’en est-il des Juifs qui ont été expulsés
des pays musulmans (le Maghreb, le Yémen,
…)? Nous en sommes donc arrivés à poser
la question d’une manière positive: qu’est-ce
qui nous pousse, en nous-mêmes, à être Juifs
et nous donne notre identité sans la mettre
toujours en perspective dans le regard de
l’autre, contrairement à l’opinion de Jean-
Paul Sartre1?
Nous commençons par trois éclairages rab-
biniques du judaïsme libéral, celui de notre
rabbin Marc Neiger, celui de notre rabbin
honoraire et fondateur de Beth Hillel, rabbi
Dahan, et celui du rabbin François Garaï de
notre communauté sœur de Genève.
Pour beaucoup, la judéité se retrouve aussi
dans nos petites lettre carrées, dans l’hébreu.
Jean-Paul Borgerhoff fait revivre pour nous
l’aventure de la langue retrouvée, du travail et
Identité(s) juive(s)
par Luc Bourgeois
1 «C’est la société, non le décret de Dieu qui a fait de lui un Juif, c’est elle qui a fait naître le problème juif […] c’est nous qui le
contraignons à se choisir juif malgré lui» Jean-Paul Sartre, Réflexions sur la question juive.