Sujet 1: Au XIXe siècle, la mise en scène de théâtre était soumise à des limites techniques et morales, de sorte qu'Alfred de Musset, voulant se libérer de ces contraintes, a préféré écrire des pièces qui n'étaient destinées qu'à la lecture. Il les a réunies dans un recueil intitulé Théâtre dans un fauteuil. D'après votre propre expérience du théâtre et d'après ce que vous en avez étudié, estimez-vous que l'on apprécie davantage une pièce en la lisant ou en assistant à sa mise en scène au théâtre ? Introduction (je mets en valeur par le jeu d'italique les différentes parties d'une introduction traditionnelle et rappelle qu'une introduction est faite d'un « bloc » = pas de passage à la ligne) Issu d'un rite religieux lié au culte de Dionysos, le théâtre a quitté la sphère sacrée à la chute des civilisations antiques. Mais il a toujours gardé une dimension rituelle qui incite à considérer cet art avec un respect parfois disproportionné ou, au contraire, à le remettre en question par provocation ou par désir d'en faire ressortir l'intemporalité. Au XIXe siècle, les romantiques s'en sont emparés pour y exprimer leur quête d'absolu ; mais les contraintes techniques et morales de cette époque ont poussé Musset à imaginer des intrigues détachées des règles de forme et de bienséance. Cette attitude de contournement d'Alfred de Musset, au nom de la liberté d'écriture, nous conduit à nous poser la question de la liberté d'interprétation d'une œuvre dramatique : quel accès à l'œuvre théâtrale nous offre la plus grande liberté d'interprétation de son sens ? Nous verrons dans un premier temps que le face-à-face avec le texte permet de tisser avec l'œuvre un rapport intime et révélateur. Cependant, force est de constater que le sens d'une pièce peut être enrichi par le jeu des comédiens ou l'interprétation d'un metteur en scène, ce que nous développerons dans un deuxième temps. Enfin, nous verrons que le théâtre ne doit pas être limité à la question de l'interprétation d'un texte, et que le langage théâtral peut dépasser nos attentes en matière de révélations. I – Lire le théâtre, un plaisir? Accéder à une œuvre théâtrale par la lecture de son texte nous garantit de façon évidente la jouissance intime de son contenu et la liberté de son interprétation. A – Le théâtre, c'est d'abord un texte, une œuvre poétique ou polémique, qu'il s'agisse de Jean Racine, de Bertolt Brecht ou de Bernard-Marie Koltès. La lecture permet de s'approprier le texte. Livre en main, on peut en prendre possession par des relectures, des retours en arrière, des notes personnelles... Exemples : « La leçon » de Ionesco, dont les longs monologues « absurdes » peuvent nécessiter plusieurs lectures, tout aussi bien que « Tartuffe » de Molière écrit en alexandrins; autre cas, « Le Baladin du Monde Occidental » dont le langage novateur, bien loin d'une langue ordinaire, ouvre un nouvel espace à notre imaginaire. B – La lecture permet aussi d'imaginer les personnages, les espaces dans lesquels ils évoluent, leurs déplacements (le lecteur est aussi metteur en scène, à sa façon) ainsi que l'intensité de leurs actions et réactions. On peut concevoir tout cela à partir de sa propre expérience, de ses propres désirs. Exemples : « Phèdre » de Racine, « Cyrano » de Rostand, « On ne badine pas avec l'amour » de Musset, et tant d'autres! ; citer par exemple les scènes d'amour ou de meurtre. C – Lire une pièce de théâtre, c'est ne lire que du dialogue, sinon quelques didascalies (dont on connaît l'importance dans le théâtre des XIXème et XXe siècles). Cela permet à l'imagination de se « représenter » la scène avec une certaine liberté, mais cela peut aussi rendre la lecture difficile: le lecteur doit être actif, faire, justement, un effort de « représentation » qui n'existe pas dans la lecture d'un roman ou d'un poème (ou du moins, qui existe dans une autre mesure). Il faut bien identifier les personnages... Lire un texte de théâtral est une expérience particulière: il arrive qu'on n'aime pas lire une pièce dont on peut apprécier la représentation. Exemples : « Art » de Yasmina Reza: comment imaginer les personnages? Peu d'indications sur eux, leur milieu, leur physique... les silences sont signifiés par des points de suspension: que peut imaginer le lecteur avec ce petit indice?; « Tartuffe » et ses nombreux personnages au début de la pièce (heureusement que Molière pense à utiliser Mme Pernelle pour guider le lecteur vers chaque personnage, sinon risque de confusion); « La Leçon » de Ionesco pour la difficulté de lecture / à la représentation; l'importance des indications de "Silence" dans Fin de partie de Samuel Beckett. Transition : Mais ces incursions de l'auteur dans notre appréhension du texte se substituent-elles pleinement à la réalisation scénique de l'œuvre dramatique ? Dans ce cas, pourquoi Beckett luimême a-t-il tenu à faire représenter ses textes sur une scène de théâtre ? II – La force de la représentation Nous allons rappeler dans cette deuxième partie que l'essence même du théâtre est de toucher le destinataire par le moyen d'une représentation scénique. Cf. Molière : "Les comédies ne sont faites que pour être jouées." A – Les individualités qui constituent le public, si elles partagent le temps et l'espace de la représentation, n'en demeurent pas moins libres dans leurs émotions et leur perception de l'œuvre. Exemples : les critiques des pièces sont rarement unanimes. Une sortie scolaire au théâtre fait aussi ressortir la liberté d'interprétation du spectateur. Autre exemple littéraire, celui- là : « Hernani » de Victor Hugo et la fameuse "bataille" que cette pièce a engendrée. B – L'interprétation d'une œuvre dramatique apporte des éléments que nous n'aurions pas saisis en lisant la pièce. Les comédiens comme le metteur en scène donnent une dimension supplémentaire à l'œuvre. La compréhension peut aussi se trouver favorisée par la diction (pièces en vers). Pour le théâtre contemporain, riche en monologues, l'interprétation est aussi fondamentale. Exemples : faire référence à une pièce étudiée en cours et dont vous avez compris le sens en la voyant jouée sur scène (pour ceux qui avaient lu « La Leçon » avant de la voir...), ou une pièce étudiée qui s'est avérée beaucoup plus drôle ou émouvante une fois qu'on l'a vue sur scène (« Tartuffe »: pas facile de lire les alexandrins, mais compréhension se fait sans problème quand la pièce est vue et entendue: les alexandrins paraissent naturels dans la bouche des acteurs, et leur jeu vient souligner leur propos). C – La représentation suppose un pacte avec le spectateur : il accepte de se soumettre à l'illusion en espérant accéder à la vérité. Cette illusion est créée par des êtres de chair, des décors dont on perçoit la matière, des voix dont le vibrato change à chaque représentation. La confrontation entre les mots d'un écrivain et leur manifestation physique apporte une dimension supplémentaire à notre perception intime de l'œuvre. L'interprétation d'un comédien, lors d'une représentation, donne une intensité nouvelle au texte que nous n'aurions pas forcément ressentie à la lecture, une émotion qui rend le texte vivant. Exemples: à tirer d'une expérience personnelle (en évitant toutefois la première personne). Voir correction de l'autre sujet. Penser àl'interprétation de Dominique Blanc dans la mise en scène de « Phèdre » proposée par Patrice Chéreau: l'actrice est déchirante et touche le spectateur, alors qu'elle joue un personnage antique, qui s'exprime en alexandrins... Transition : Le théâtre, ce n'est donc pas seulement un texte, ni un bâtiment équipé d'une scène, c'est un moment de vérité qui s'exprime dans un langage protéiforme. III – Texte et langage théâtral Dans cette dernière partie, nous allons analyser comment le rapport entre le spectacle et le spectateur a évolué, et combien l'importance du texte est désormais relativisée par rapport à d'autres composantes de la création dramatique. A – Apparition récente du metteur en scène dans le processus de création théâtrale ; depuis le XXe siècle, la mise en scène donne une dimension supplémentaire à l'œuvre, par le recours aux signes et aux symboles. Désormais on cite toujours le nom d'un metteur en scène: il est en quelque sorte co- auteur de la pièce à laquelle nous assistons. Exemples : les mises en scène de Patrice Chéreau, de Stéphane Braunschweig (cf. extrait de son « Tartuffe » vu en classe et comparé à d'autres), d'Olivier Py, de Peter Brook, d'Ariane Mnouchkine... B – Le théâtre peut exister sans le texte ou sans texte de théâtre au sens propre: le langage théâtral est fait de signes portés par la scénographie, le corps des acteurs, le choix d'un lieu. Exemples : les passages vus au cours des différentes représentations auxquelles vous avez assisté: dans « Le Baladin » par exemple, les scènes « sans texte » qui relèvent de l'imaginaire du metteur en scène (l'usage des entrées et sorties...) Le texte de « Lettres de délation » n'est pas un texte de théâtre: ce sont de vraies lettres, qui deviennent, par l'art du comédien qui interprète tous les auteur de ces lettres, un matériau théâtral. D'ailleurs, l'ensemble des lettres ne constitue pas une narration: le spectacle ne « raconte » pas une histoire (avec un début, des péripéties,une fin), son objectif est davantage de montrer ce qui a existé, de présenter des « tranches de vie » (fréquent dans le théâtre contemporain). « Cendrillon » est un conte écrit à partir d'une tradition orale, ce n'est pas un texte de théâtre; qui plus est, Joël Pommerat, le metteur en scène, n'a « écrit » de pièce, le texte que nous entendons est le fruit d'un travail collectif (avec les comédiens) autour du conte et à partir d'improvisations. C – Le spectateur n'est pas seulement destinataire de l'œuvre dramatique, il en est, selon Meyerhold, le "quatrième créateur", après l'auteur, l'acteur et le metteur en scène. Exemple : toute expérience personnelle! Conclusion À l'origine, le théâtre avait une fonction cathartique. Or cet effet purificateur ne pouvait être déclenché que par la représentation scénique de l'œuvre. Contrairement à la poésie, qui s'interprète dans l'intimité d'une lecture, le théâtre suppose une communion avec un public. Si la lecture d'une pièce nous enrichit, son interprétation sur scène décuple cet apport dans le sens où elle nous invite à entrer dans un acte créateur, au même titre que le metteur en scène ou les comédiens. Par ailleurs, les contraintes techniques et morales étant aujourd'hui ignorées, nous avons la possibilité de voir les pièces de Musset, et de vivre cette alchimie singulière qui opère le temps d'une représentation. Ainsi, plus que dans toute autre forme artistique, notre intimité et notre imagination sont sollicitées, révélant par là même, au-delà de notre liberté, notre pouvoir d'interprétation.