Débat politique et débat scientifique
Pour les Professeurs Thierry Libaert et Dominique Bourg, « il convient d’abord, et c’est l’essentiel, de ne
pas confondre l’expression d’un débat public médiatisé avec le débat scientifique. Ce dernier a ses
propres règles, notamment celle - draconienne - de l’évaluation anonyme des articles par les pairs. Il a ses
propres critères, comme la rigueur méthodologique et les conditions de l’expérimentation. Il a surtout sa
propre temporalité : une publication scientifique nécessite en moyenne trois à quatre ans de travail entre
la recherche elle-même, sa validation, ses révisions et son acceptation finale. » [7]
On est donc très loin ici du format des débats politiques radio ou TV où une égalité de traitement est
accordée aux « pour » et aux « contre » au nom du droit à l’information et de la capacité des citoyens
adultes à se forger une opinion par eux-mêmes. Le format très court de ces émissions ne permet par
ailleurs pas de communiquer facilement des arguments scientifiques, forcément complexes et
circonstanciés d’autant plus que les scientifiques ne sont souvent pas formés aux techniques de
communication des médias. Comment le public peut-il faire dans ces conditions la différence entre le vrai
et le faux, surtout lorsque celui est présenté avec tous les atours de la science véritable [8] ? On comprend
pourquoi certains experts du climat hésitent de plus en plus à participer à ce genre de débat qui les
piègent et qui ne font que créer/entretenir auprès du public l’idée « qu’au fond on ne sait pas ».
Conclusion
Non, la science et l’expertise scientifique ne sont pas une affaire d’opinion ! D’autres formats que les
débats contradictoires médiatisés sont à explorer par les journalistes qui ont l’importante mais délicate
mission de divulguer auprès du « grand public » des connaissances scientifiques complexes. Ce qui
n’empêche qu’en démocratie les climatosceptiques aient bien évidemment le droit d’exprimer leurs idées
mais dans un cadre non biaisé. Quant aux questions politiques dont il faut débattre, elles se situent
largement au niveau des changements nécessaires pour faire face au réchauffement climatique établi par
les scientifiques. La tâche est ardue, mais nul doute qu’un journalisme de qualité s’y attelera avec succès !
Notes
[1] I. Marko, A. Debeil, L. Delory, S. Furfari, D. Godefridi, H. Masson, L. Myren, et A. Préat Climat : 15
vérités qui dérangent. Bruxelles : Texquis, 2014, p. 184.
[2] Voir aussi l’article de Pierre Courbe :Comment les climtosceptiques vous manipules qui démonte les
10 arguments développés par les auteurs dans le communiqué de presse de présentation du livre.
[3] N. Oreskes et E. Conway, Les marchands de doute, Paris, Editions le Pommier, 2012.
[4] J.B. Cromby Les médias face aux controverses climatiques en Europe dans Controverses
climatiques, sciences et politique, ouvrage collectif sous la direction de J.M. Decroly F. Gemenne et E.
Zaccaï, Paris, Editions Science Po, 2012, p. 163.
[5] Propos tenus en avril 2012 à l’Institut Turgot et cités par Noé Lecocq, Quand les climatosceptiques
révèlent leur stratégie
[6] Dans Controverses climatiques, sciences et politique, op. cit., pp. 132-133.
[7] Propos issus d’un article paru dans le journal Le Monde « Faut-il débattre avec les
climato-sceptiques », 21 octobre 2013.
[8] Voir par exemple les 3 contre-vérités climatosceptiques analysées dans l’article Climat : remèdes
anti-doutes, 6 novembre 2014