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Médias et Climat : quand la controverse dessert
la vérité
jeudi 4 décembre 2014, par Cécile de Schoutheete
On constate ces dernières années dans la presse francophone belge une augmentation de l’occurrence des
discours remettant en cause le réchauffement climatique anthropique. Selon les auteurs du livre
climatosceptique « 15 vérités qui dérangent », « il aura fallu l’audition de scientifiques au Parlement belge
à la mi-mars 1012 pour que les thèses climatosceptiques soient enfin répercutées dans les colonnes de
certains journaux belges » [1] [2]. S’il ne faut pas exagérer l’ampleur du phénomène - les voix dissonantes
restant minoritaires- cette évolution a de quoi interpeller.
Qui sont ces sceptiques ?
Le climatoscepticisme a été bien étudié aux Etats-Unis. Naomie Oreskes et Eric Conway [3] y ont montré
l’existence d’une stratégie du doute orchestrée par une nébuleuse d’organisations puissamment financées
avec pour objectif la défense du libre marché contre la régulation des Etats. Rien de tel chez nous jusqu’à
présent. Les climatosceptiques européens représentent plutôt une poignée de personnalités isolées,
rarement impliqués directement dans la recherche scientifique sur le climat, et sans ressources
financières importantes [4]. En Belgique, ces personnalités se sont toutefois organisées au sein d’un
collectif « 15 vérités qui dérangent ». Outre la publication d’un ouvrage du même nom développant leurs
arguments et une page facebook alimentée régulièrement, les sceptiques belges semblent mener une
stratégie plus élaborée comme le laisse entendre un des membres du collectif, Drieu Godefridi : « Cette
audition au Parlement (en mars 2012) est le résultat d’un long travail, on a pas été auditionnés par hasard.
On s’est mis ensemble – un groupe de scientifiques, de journalistes, de politiques etc. – et on s’est dit
qu’on allait essayer de faire quelque chose. D’abord en Belgique, puis essayer de voir si on ne pouvait pas
essaimer ailleurs en Europe [5] ».
Le climatoscepticisme dans les médias
Ces sceptiques se présentent volontiers comme victimes d’un parti pris favorable de la presse en faveur
des « thèses du GIEC » et déplorent le manque de relais des discours alternatifs. Ils réclament, au nom de
la démocratie, la mise en débat public de la question climatique. Quoi de plus légitime à première vue ? Et
pourtant, les climatosceptiques créent se faisant une subtile confusion des registres entre débat
scientifique et débat politique. Nombreux sont ceux qui « tombent dans le panneau » - y compris dans les
rédactions, qui comptent de moins en moins de journalistes spécialisés dans les matières
environnementales. D’autant plus que cela « fonctionne médiatiquement » comme l’explique l’économiste
Olivier Godart, directeur de recherche au CNRS : « Les climato-sceptiques offrent aux médias une
actualité saignante – il y a du conflit, il y aura peut-être du sang versé… - et ils leurs donnent le beau rôle :
la dénonciation, le dévoilement « de la vérité qu’on nous cache » et la controverse fait audience » [6].
Débat politique et débat scientifique
Pour les Professeurs Thierry Libaert et Dominique Bourg, « il convient d’abord, et c’est l’essentiel, de ne
pas confondre l’expression d’un débat public médiatisé avec le débat scientifique. Ce dernier a ses
propres règles, notamment celle - draconienne - de l’évaluation anonyme des articles par les pairs. Il a ses
propres critères, comme la rigueur méthodologique et les conditions de l’expérimentation. Il a surtout sa
propre temporalité : une publication scientifique nécessite en moyenne trois à quatre ans de travail entre
la recherche elle-même, sa validation, ses révisions et son acceptation finale. » [7]
On est donc très loin ici du format des débats politiques radio ou TV où une égalité de traitement est
accordée aux « pour » et aux « contre » au nom du droit à l’information et de la capacité des citoyens
adultes à se forger une opinion par eux-mêmes. Le format très court de ces émissions ne permet par
ailleurs pas de communiquer facilement des arguments scientifiques, forcément complexes et
circonstanciés d’autant plus que les scientifiques ne sont souvent pas formés aux techniques de
communication des médias. Comment le public peut-il faire dans ces conditions la différence entre le vrai
et le faux, surtout lorsque celui est présenté avec tous les atours de la science véritable [8] ? On comprend
pourquoi certains experts du climat hésitent de plus en plus à participer à ce genre de débat qui les
piègent et qui ne font que créer/entretenir auprès du public l’idée « qu’au fond on ne sait pas ».
Conclusion
Non, la science et l’expertise scientifique ne sont pas une affaire d’opinion ! D’autres formats que les
débats contradictoires médiatisés sont à explorer par les journalistes qui ont l’importante mais délicate
mission de divulguer auprès du « grand public » des connaissances scientifiques complexes. Ce qui
n’empêche qu’en démocratie les climatosceptiques aient bien évidemment le droit d’exprimer leurs idées
mais dans un cadre non biaisé. Quant aux questions politiques dont il faut débattre, elles se situent
largement au niveau des changements nécessaires pour faire face au réchauffement climatique établi par
les scientifiques. La tâche est ardue, mais nul doute qu’un journalisme de qualité s’y attelera avec succès !
Notes
[1] I. Marko, A. Debeil, L. Delory, S. Furfari, D. Godefridi, H. Masson, L. Myren, et A. Préat Climat : 15
vérités qui dérangent. Bruxelles : Texquis, 2014, p. 184.
[2] Voir aussi l’article de Pierre Courbe :Comment les climtosceptiques vous manipules qui démonte les
10 arguments développés par les auteurs dans le communiqué de presse de présentation du livre.
[3] N. Oreskes et E. Conway, Les marchands de doute, Paris, Editions le Pommier, 2012.
[4] J.B. Cromby Les médias face aux controverses climatiques en Europe dans Controverses
climatiques, sciences et politique, ouvrage collectif sous la direction de J.M. Decroly F. Gemenne et E.
Zaccaï, Paris, Editions Science Po, 2012, p. 163.
[5] Propos tenus en avril 2012 à l’Institut Turgot et cités par Noé Lecocq, Quand les climatosceptiques
révèlent leur stratégie
[6] Dans Controverses climatiques, sciences et politique, op. cit., pp. 132-133.
[7] Propos issus d’un article paru dans le journal Le Monde « Faut-il débattre avec les
climato-sceptiques », 21 octobre 2013.
[8] Voir par exemple les 3 contre-vérités climatosceptiques analysées dans l’article Climat : remèdes
anti-doutes, 6 novembre 2014
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