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Pourquoi les climatosceptiques s’en
prennent-ils au GIEC ?
jeudi 7 mai 2015, par Noé Lecocq
Le 12 mars dernier, le philosophe Drieu Godefridi réclamait le démantèlement du GIEC(Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat), et annonçait une conférence qu’il donnera à ce sujet le 28
avril.
Nous mettons ici en évidence les failles de son argumentation, et montrons en quoi le fait de s’en prendre
au messager qu’est le GIEC est un élément prioritaire dans la stratégie des climatosceptiques.
Drieu Godefridi semble miser beaucoup sur le fait que peu de non spécialistes liront les rapports du GIEC,
et qu’il peut donc, sans grand risque, faire dire à ce dernier dans la presse ce qu’il ne dit pas.
Acte I. Le philosophe affirme – erronément – que le GIEC est une organisation scientiste, qui prétend
déduire des normes de la science, niant par là même le rôle des jugements de valeur.
Le GIEC est pourtant on ne peut plus clair dans ses rapports : « La détermination de ce qui constitue une
perturbation anthropique dangereuse du système climatique (…) fait intervenir des jugements de valeur »
et « l’élaboration de politiques climatiques exige jugements de valeur et considérations éthiques », en
conséquence de quoi le GIEC rappelle aux décideurs qu’ « il n’est pas du domaine de la science
d’identifier la meilleure politique climatique ».
Acte II. Drieu Godefridi accuse ensuite – à tord – le GIEC de poursuivre un programme politique, celui de
la décroissance et de l’écologie profonde.
Or le GIEC n’envisage pas la décroissance volontaire. Il met en évidence des scénarios et des mesures de
lutte contre les changements climatiques pour lesquels l’impact négatif sur la croissance est minime. Son
message est même l’inverse : « les effets projetés des changements climatiques résultent en une réduction
de la croissance économique ». Selon le GIEC, c’est l’absence de réaction qui risque de nous mener à une
forme de décroissance subie, la lutte contre les changements climatiques étant susceptible de sauver la
croissance.
Et pour le secteur énergétique, le GIEC cite parmi les options permettant de limiter les émissions de CO2,
non seulement l’énergie solaire, éolienne, hydraulique et la biomasse… mais aussi le nucléaire, ou le
charbon associé au captage et stockage du CO2. Pas exactement le programme des « Verts »…
Quelles que soient nos opinions politiques, on peut considérer que le mandat du GIEC est d’examiner
toutes les options de lutte contre les changements climatiques. Et il n’y a pas de raison qu’une
décroissance sélective soit plus taboue que d’autres options.
Acte III. De ses deux critiques, le philosophe tire la conclusion qu’il faut démanteler le GIEC. On peine à
voir la logique. Si d’aventure il avait des critiques fondées à formuler, pourquoi demander un
démantèlement plutôt qu’une réforme ? Le climat ne reste-t-il pas un enjeu fondamental ?
Tirer sur le messager
Drieu Godefridi est membre du collectif climatosceptique « 15 Vérités » avec lequel il cosigne un livre qui
s’auto-proclame « véritable bible du climato-scepticisme ». Cet ouvrage est en outre publié par la maison
d’édition que Godefridi dirige en personne…
Dans une conférence de 2012 disponible en ligne, Drieu Godefridi esquissait une stratégie
climatosceptique : « Il doit y avoir un certain nombre d’initiatives qui soient coordonnées. Mais là où il
faut porter le fer, je le crois prioritairement, c’est sur la nature du GIEC (…) Dans le débat scientifique
proprement dit – indépendamment de moi, il y en a d’autres qui sont des scientifiques avec nous – c’est
beaucoup plus difficile de convaincre les gens, parce que les gens ne comprennent rien. Moi non plus
d’ailleurs ! »
Décrédibiliser le messager est une stratégie de choix pour les climatosceptiques ; elle leur permet, sans
même argumenter sur le danger climatique, de jeter sur lui le doute et d’en détourner l’attention.
« Machination » contre le capitalisme
La motivation de Drieu Godefridi semble idéologique. Il prétend ainsi que la « thèse fondamentale du
GIEC » est que « le capitalisme en dernière analyse doit être supprimé sous peine de mettre en péril la
survie même de l’humanité ». Et de dénoncer dans ses écrits ce qu’il appelle le « réchauffisme » – la
conclusion que l’homme est responsable du réchauffement climatique – comme « la plus grande imposture
intellectuelle de la science moderne ».
Il affirme ne rien comprendre au climat, mais cela ne l’empêche pas, pour défendre un capitalisme qu’il
croit mis en cause, de balayer d’un revers de la main les recherches recoupées de milliers de scientifiques.
L’historienne des sciences Naomi Oreskes a montré que cette posture était courante au sein des
climatosceptiques américains.
Qu’il s’agisse de Drieu Godefridi, de l’auteur de cet article, ou même des scientifiques du GIEC, chacun a
droit à ses opinions politiques, en saine démocratie. Et il faut un débat politique sur les réponses à
apporter aux risques posés par le dérèglement climatique. Cependant, nier les enseignements de la
science relève d’un autre registre que celui de l’opinion politique : celui du déni de réalité. Et l’on ne peut
tenir aucun débat politique sur cette base.
Carte blanche publiée dans le journal l’Echo du 24 avril 2015
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