MAGAZINE 29
LA LIBERTÉ
MARDI 28 MARS 2017
Page Jeunes Comment vit-on quand on est
aveugle ou sourd? Le témoignage de deux
personnes touchées. L 31
Valoriser les légumes moches
Gastronomie. La quatrième Disco Soupe aura lieu fin avril
à Lausanne. Ses concepteurs veulent sensibiliser au gaspillage,
en utilisant les légumes destinés au compost. L 35
La dégénérescence maculaire liée à l’âge touche 15% de la population après 75 ans
Le troisième âge, une période trouble
K JEAN AMMANN
SantéL Autour de nous, ils
sont nombreux: un oncle, une
voisine, tous disent souffrir de la
macula… Pour eux, les visages
semblent s’estomper et les lignes
droites s’incurver. Pour être
exact, ils souffrent de la dégéné-
rescence maculaire liée à l’âge:
une affection qui touche la ma-
cula, la zone centrale de la ré-
tine, par où passent 90% des
informations visuelles en direc-
tion du nerf optique.
Ce soir à Lausanne, le doc-
teur Alexandre Matet, de l’hôpi-
tal ophtalmique Jules-Gonin,
donne une conférence intitulée
La dégénérescence de la macula: la
maladie, ses causes et ses possibi-
lités de traitements. Il répond à
nos questions.
De plus en plus de gens souffrent
de macula…
Dr Alexandre Matet: Dans le
public, on parle effectivement de
macula, mais la macula est la
zone de la rétine qui est touchée
par cette dégénérescence. Le
nom exact de la maladie, c’est
«dégénérescence maculaire liée
à l’âge» ou DMLA.
Cette dégénérescence maculaire
liée à l’âge touche un nombre
grandissant de personnes.
Pensez-vous que cela soit
simplement dû au vieillissement
de la population ou faut-il
chercher d’autres causes?
L’âge est certainement la cause
principale, mais il y a d’autres
facteurs comme le tabagisme
ou l’obésité. On cherche aussi
certains facteurs environne-
mentaux et l’on accuse sou-
vent la lumière bleue, qui se
trouve dans les LED ou les
écrans, mais cela reste une
hypothèse qui soulève beau-
coup de polémiques. Il y a aus-
si des facteurs génétiques qui
sont étudiés et certains gènes
confèrent un risque accru de
développer la maladie. Mais il
s’agit de variations du code
génétique, qui ne confèrent
pas à la dégénérescence macu-
laire liée à l’âge un caractère
héréditaire systématique.
A-t-on une idée de la prévalence
de cette maladie?
Il faut analyser la situation
partranches d’âge: entre 65 et
75 ans, 5% de la population
présente une forme sévère de
DMLA. Et à partir de 75 ans,
cela concerne 15% de la popu-
lation. Cette maladie est bien
connue des spécialistes depuis
longtemps, mais ce n’est qu’à
partir du début des années
2000 que les progrès de l’ima-
gerie médicale ont permis de
mieux visualiser la maladie.
Ensuite, les traitements ont
progressé depuis une dizaine
d’années, ce qui fait que les
praticiens cherchent à la
détecter.
Quels sont les premiers
symptômes de la DMLA?
Souvent, c’est un ou visuel. Et
cette baisse peut se traduire
par une tache, au centre du
champ visuel: par exemple, la
personne s’aperçoit que les vi-
sages sont flous ou bien elle
remarque un panneau dans les
bords de son champ visuel et
quand elle veut le xer, le pan-
neau devient flou. Un autre
signe annonciateur de la mala-
die, c’est la déformation des
lignes droites.
Dans la forme sèche de la DMLA,
l’ophtalmologue, quand il fait un
examen du fond de l’œil, trouve
des dépôts. D’où viennent-ils?
Oui, ces dépôts s’appellent des
drusens, ils sont le résultat du
métabolisme de l’œil: la rétine
est un tissu qui consomme
beaucoup d’énergie et qui, par
conséquent, produit beaucoup
de déchets. A partir d’un cer-
tain moment, l’évacuation de
ces déchets ne se fait plus bien et
ces résidus métaboliques s’accu-
mulent dans l’épithélium pig-
mentaire, une couche qui se
trouve sous la rétine.
Quels sont les traitements qui
existent aujourd’hui pour
soigner la DMLA?
Pour ce qui est de la forme hu-
mide, la forme la plus grave de
la maladie qui touche 10 à 15%
des cas, nous injectons directe-
ment dans l’œil des substances
qui bloquent les facteurs de
croissance vasculaire, les inhi-
biteurs du VEGF (Vascular En-
dothelial Growth Factor). Il faut
savoir qu’en cas de DMLA hu-
mide, l’organisme libère des fac-
teurs de croissance qui vont
initier la formation de nouveaux
vaisseaux sanguins dans la ré-
tine. Au départ, cela paraît une
bonne idée: pour améliorer
l’oxygénation de la rétine, des
nouveaux vaisseaux se forment!
Mais ces vaisseaux sont de mau-
vaise qualité, ils laissent fuir du
liquide qui déforme la rétine et
perturbe la vision. En injectant
des inhibiteurs de VEGF, on
freine le développement de ces
vaisseaux sanguins.
Cela veut dire que vous percez
carrément l’œil…
Oui, on intervient dans le vitré,
la partie arrière de l’œil. On passe
par la sclère, la partie blanche de
l’œil, à trois millimètres derrière
la cornée, et c’est là qu’on injecte
les inhibiteurs de croissance.
C’est un moyen très simple d’ad-
ministrer des médicaments agis-
sant sur la rétine. Comme les
tissus de l’œil sont séparés du
reste de la circulation sanguine,
une administration intravei-
neuse serait beaucoup moins ef-
cace. Ces injections se font sous
anesthésie locale – quelques
gouttes endorment l’œil – et ce
n’est pas douloureux pour le pa-
tient. Parfois, il faut répéter ces
injections tous les mois.
Ces injections d’inhibiteurs
de croissance permettent-elles
de réparer la rétine, et donc de
restaurer la vision?
Non, malheureusement, c’est
une maladie que l’on peut seule-
ment stabiliser et que l’on ne
peut pas guérir. Beaucoup
d’équipes dans le monde tra-
vaillent sur les cellules souches,
qui auraient le potentiel de régé-
nérer les tissus, mais nous n’en
sommes actuellement qu’aux
prémices. L
F Ce soir, conférence publique de 17 h30
à 19 h, hôpital ophtalmique Jules-Gonin,
avenue de France 15, Lausanne,
entrée libre.
«Un bon régime alimentaire freine la maladie»
Quels conseils peut-on donner pour
éviter la DMLA?
Dr Alexandre Matet: Cela dépend à qui
l’on s’adresse: parle-t-on aux gens qui
n’ont pas encore de DMLA ou parle-t-
on aux gens qui présentent déjà une
forme de DMLA? Pour les gens qui ne
souffrent pas de DMLA, on peut simple-
ment conseiller de passer un contrôle
ophtalmologique régulièrement après
50 ans, en particulier si l’on a des anté-
cédents de DMLA dans sa famille.
Quant aux gens qui présentent une
forme précoce de la maladie, ils doivent
absolument consulter l’ophtalmologue
tous les ans ou mieux encore, tous les
six mois. Ils doivent aussi se livrer à un
autocontrôle: ils doivent fixer une
grille, la grille d’Amsler, et vérier que
les lignes droites ne leur apparaissent
pas déformées. C’est un test très simple
à faire, œil par œil, et l’on peut vérier
si les déformations s’aggravent.
Retina suisse, l’association d’entraide
pour les personnes touchées par des
maladies de la rétine, recommande de
manger des vitamines et des antioxy-
dants. L’alimentation peut-elle jouer
un rôle préventif dans la DMLA?
Oui, plusieurs études ont montré
l’effet préventif d’une alimentation
riche en fruits frais, en légumes
verts et en poissons gras. On a pu
démontrer qu’en augmentant la part
de ces produits dans l’alimentation,
la progression de la maladie était
ralentie. Cela vaut donc la peine
d’adapter son alimentation pour dis-
poser de plus de vitamines et d’anti-
oxydants.
Faut-il recommander le port des
lunettes de soleil?
Pour la santé de sa rétine, c’est bien de
diminuer l’exposition aux rayons
ultra violets, surtout si la rétine est
déjà fragilisée. L JA
RECETTES POUR VOS YEUX
«Mange des carottes, c’est bon pour les
yeux», disaient les anciens. Il y a du vrai:
les études ont prouvé qu’une alimenta-
tion riche en vitamines et en antioxydants
freinait la progression de la «macula».
Retina suisse vient de publier un livre de
recettes où l’on trouve par exemple une
salade de roquette aux girolles, un pavé
de saumon accompagné de salade de
pousses d’épinard à la vinaigrette aux
herbes corsées ou encore un tiramisu aux
abricots. Tous ces plats sont riches en
antioxydants ou en oméga-3. Dans ces
recettes, on trouve beaucoup de légumes
et de fruits colorés, car ils abondent en
lutéine et zéaxanthine, que les auteurs du
livre appellent joliment «les lunettes de
soleil interne». Il est aussi important
d’avoir une alimentation qui affiche un
bon rapport entre les acides gras omé-
ga-3 et les oméga-6. Pour mémoire, les
oméga-3, qui exercent une action anti-
inflammatoire, sont présents dans les
huiles de colza, de soja, de noix et les
poissons gras d’eau froide (saumon,
truite, cabillaud, flet, anguille). JA
F Cuisiner pour la santé de vos yeux, recettes
raffinées contenant de la lutéine. On peut
commander gratuitement le livre sur le site
de Retina (retina.ch).
LA DÉGÉNÉRESCENCE MACULAIRE LIÉE À L’ÂGE
LIB/VR | Source: The Angiogenesis Foundation | Photo: Fotolia
Cellules
sensibles à
la lumière
déplacées
Couche
pigmentaire
Membrane de
Bruch
Couche
vasculaire
Accumulation
de liquide
dans les couches
rétiniennes
Vaisseaux
sanguins
perméables,
à croissance
incontrôlée
Drusens
Cristallin
Lumière
Macula Nerf optique
Rétine
Fovéa Rétine
Choroïde
Sclère
Corps vitré
RÉTINE (AGRANDIE)
«C’est une
maladie que l’on
peut stabiliser et
non pas guérir»
Alexandre Matet