Insertion dans les soins après une première hospitalisation dans un

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MÉMOIRE ORIGINAL
Insertion dans les soins après une première hospitalisation
dans un secteur pour psychose
C. BONSACK (1), T. PFISTER, P. CONUS
Linkage to care after first hospitalisation for psychosis
Summary. Background. First hospitalisation for a psychotic episode causes intense distress to patients and families,
but offers an opportunity to make a diagnosis and start treatment. However, linkage to outpatient psychiatric care remains
a notoriously difficult step for young psychotic patients, who frequently interrupt treatment after hospitalisation. Persistence
of symptoms, and untreated psychosis may therefore remain a problem despite hospitalisation and proper diagnosis.
With persisting psychotic symptoms, numerous complications may arise : breakdown in relationships, loss of family and
social support, loss of employment or study interruption, denial of disease, depression, suicide, substance abuse and
violence. Understanding mechanisms that might promote linkage to outpatient psychiatric care is therefore a critical issue,
especially in early intervention in psychotic disorders. Objective. To study which factors hinder or promote linkage of
young psychotic patients to outpatient psychiatric care after a first hospitalisation, in the absence of a vertically integrated
program for early psychosis. Method. File audit study of all patients aged 18 to 30 who were admitted for the first time
to the psychiatric University Hospital of Lausanne in the year 2000. For statistical analysis, χ2 tests were used for categorical
variables and t-test for dimensional variables ; p < 0.05 was considered as statistically significant. Results. 230 patients
aged 18 to 30 were admitted to the Lausanne University psychiatric hospital for the first time during the year 2000, 52 of
them with a diagnosis of psychosis (23 %). Patients with psychosis were mostly male (83 %) when compared with nonpsychosis patients (49 %). Furthermore, they had (1) 10 days longer mean duration of stay (24 vs 14 days), (2) a higher
rate of compulsory admissions (53 % vs 22 %) and (3) were more often hospitalised by a psychiatrist rather than by a
general practitioner (83 % vs 53 %). Other socio-demographic and clinical features at admission were similar in the two
groups. Among the 52 psychotic patients, 10 did not stay in the catchment area for subsequent treatment. Among the
42 psychotic patients who remained in the catchment area after discharge, 20 (48 %) did not attend the scheduled or
rescheduled outpatient appointment. None of the socio demographic characteristics were associated with attendance to
outpatient appointments. On the other hand, voluntary admission and suicidal ideation before admission were significantly
related to attending the initial appointment. Moreover, some elements of treatment seemed to be associated with higher
likelihood to attend outpatient treatment : (1) provision of information to the patient regarding diagnosis, (2) discussion
about the treatment plan between in- and outpatient staff, (3) involvement of outpatient team during hospitalisation, and
(4) elaboration of concrete strategies to face basic needs, organise daily activities or education and reach for help in case
of need. Conclusion. As in other studies, half of the patients admitted for a first psychotic episode failed to link to outpatient
psychiatric care. Our study suggests that treatment rather than patient’s characteristics play a critical role in this phenomenon. Development of a partnership and involvement of patients in the decision process, provision of good information
regarding the illness, clear definition of the treatment plan, development of concrete strategies to cope with the illness
and its potential complications, and involvement of the outpatient treating team already during hospitalisation, all came
out as critical strategies to facilitate adherence to outpatient care. While the current rate of disengagement after admission
is highly concerning, our finding are encouraging since they constitute strategies that can easily be implemented. An
open approach to psychosis, the development of partnership with patients and a better coordination between inpatient
(1) Département Universitaire de Psychiatrie Adulte, Site de Cery, 1008 Prilly – Lausanne, Suisse.
Travail reçu le 7 octobre 2004 et accepté le 9 mai 2005.
Tirés à part : C. Bonsack (à l’adresse ci-dessus).
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 679-85, cahier 1
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C. Bonsack et al.
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and outpatient teams should therefore be among the targets of early intervention programs. These observations might
help setting up priorities when conceptualising new programs and facilitate the implementation of services that facilitate
engagement of patients in treatment during the critical initial phase of psychotic disorders.
Key words : First episode psychosis ; Patient care planning ; Patient discharge ; Psychotic disorders ; Schizophreni.
Résumé. La première hospitalisation pour un trouble psychotique survient dans un moment de détresse pour le
patient et ses proches. Elle permet d’assurer des soins aigus
et une investigation diagnostique approfondie. Toutefois,
l’insertion ultérieure dans les soins ambulatoires reste souvent difficile, et constitue ensuite un enjeu essentiel.
Objectif – Évaluer les facteurs de prédiction de l’adhésion
au traitement ambulatoire après une première hospitalisation psychiatrique pour un épisode psychotique, en
l’absence d’une filière intégrée verticalement pour les psychoses débutantes. Méthode – Étude rétrospective sur dossier de deux échantillons successifs : (1) comparaison des
données sociodémographiques des patients entre 18 et
30 ans hospitalisés pour la première fois en 2000 pour un
trouble psychotique ou non psychotique et (2) examen des
facteurs d’insertion dans les soins ambulatoires sur la base
d’un questionnaire standardisé pour les patients avec un
diagnostic principal de psychose adressés dans le secteur
pour traitement. Résultats – 230 premières hospitalisations
de patients de moins de 30 ans, dont 52 pour un trouble psychotique ont été recensées dans la période de l’étude. Comparés aux patients non psychotiques, les patients hospitalisés pour la première fois dans le contexte d’un trouble
psychotique sont plus souvent de sexe masculin (83 % vs
49 %), sont plus souvent hospitalisés de manière non volontaire (53 % vs 22 %) et ont une durée d’hospitalisation plus
longue (24 vs 14 jours) (p < 0,0001). Les autres données
socio-démographiques sont similaires entre les deux groupes. Sur les 42 patients souffrant de psychose et restant
dans le secteur pour traitement ambulatoire après l’hospitalisation, 20 patients (48 %) ne se rendent pas au rendezvous fixé après la sortie. Les facteurs associés à la présence
au rendez-vous sont l’hospitalisation volontaire, un contact
avec un service psychiatrique de plus de trois mois avant
l’admission, ou une idéation suicidaire avant l’admission. La
discussion du diagnostic avec le patient en cours d’hospitalisation, la construction d’un plan de traitement en collaboration entre les équipes hospitalière et ambulatoire, l’initiation du traitement ambulatoire durant l’hospitalisation, et
l’élaboration des projets concrets avec le patient dans les
domaines des besoins de base (logement, finances ou occupation), d’activités de la vie quotidiennes ou de psychoéducation sont autant d’éléments associés avec une bonne
insertion ultérieure dans les soins. Discussion – Trop de jeunes patients n’adhèrent pas au traitement ambulatoire après
une première hospitalisation pour un trouble psychotique,
alors qu’une continuité des soins est fondamentale pour limiter le risque de rechute. Les caractéristiques des patients
semblent jouer un rôle moins important que les services
dans le développement de l’adhésion au traitement ambulatoire. Ce constat soutient le développement de program680
mes d’informations sur le diagnostic durant les soins aigus
hospitaliers, l’utilisation de techniques de liaison lors de la
première admission telles que les contacts et les traitements
conjoints avec l’équipe ambulatoire durant l’hospitalisation,
et la mise en route pour ces patients d’un suivi systématique
dans le milieu, basé sur un soutien concret dans la vie quotidienne, débutant durant l’hospitalisation.
Mots clés : Premier épisode psychotique ; Programme thérapeutique ; Psychose ; Schizophrénie ; Sortie patient.
INTRODUCTION
Une psychose débutante est source d’une détresse
importante, et les conditions dans lesquelles débute un
traitement sont essentielles. Un état de stress post-traumatique, à la fois lié aux symptômes psychotiques et aux
conditions d’hospitalisation pourrait même survenir fréquemment (16). Lorsque les symptômes psychotiques
perdurent, de nombreuses complications peuvent survenir : tensions relationnelles, perte de soutien familial et
social, interruption d’études ou perte d’emploi, déni des
difficultés et de la maladie, risque de dépression et de suicide, abus de substances, moments de tension ou de violence (15, 27). La durée de psychose non traitée apparaît
donc comme un élément essentiel, non seulement dans
la période qui précède le début des soins psychiatriques
(14), mais également dans la poursuite du suivi. En effet,
dans les mois qui suivent une hospitalisation, les patients
sont particulièrement susceptibles d’interrompre le traitement. La moitié des personnes présentant un premier épisode psychotique cessent le traitement durant les six premiers mois, ce qui est une cause importante de rechute
(26). Plusieurs stratégies ont été développées pour favoriser l’insertion dans les soins (28), mais l’ampleur du phénomène a tendance à décourager les soignants qui ignorent l’impact de leurs actions, et ont beaucoup de
difficultés à prédire efficacement l’insertion future dans
une filière de soins (5). En effet, les facteurs qui peuvent
compromettre l’insertion dans la filière de soins sont
multiples : ils peuvent être liés aux caractéristiques du
patient, aux processus de soins ou à des facteurs sociaux
comme le manque d’information du public sur la maladie.
Certains patients présentent des symptômes sévères qui
les désorganisent, les empêchent d’établir une relation de
confiance (8) ou leur font surestimer leurs capacités (24) ;
d’autres refusent les soins psychiatriques pour échapper
à un destin de « malade psychiatrique » (21) ou pour éviter
la confrontation à des souvenirs pénibles ou traumatiques
(16). La filière ou le projet de soin sont parfois peu clairs,
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 679-85, cahier 1
Insertion dans les soins après une première hospitalisation dans un secteur pour psychose
et les thérapeutiques ambulatoires difficilement accessibles (3). L’environnement social peut être stigmatisant,
voire hostile envers les soins psychiatriques, augmentant
la charge des proches et générant des réticences vis-àvis des soins psychiatriques (9). La première hospitalisation constitue donc un moment clé, surtout si elle est le
premier contact avec la psychiatrie pour le patient et ses
proches. Le suivi pluridisciplinaire dans le cadre hospitalier vise alors à assurer des conditions optimales de sécurité, une évaluation diagnostique approfondie et la mise
en place d’un projet de soins en accord avec le patient.
Une partie difficile à réaliser et pourtant essentielle du traitement consiste à articuler cette phase de « crise » avec
un traitement ambulatoire négocié avec le patient, ses proches et les futurs intervenants (2). Une articulation systématique avec des soins ambulatoires est particulièrement
importante dans les troubles psychotiques aigus, puisqu’il
s’agit d’un trouble sévère, pouvant évoluer vers une
schizophrénie ou un trouble bipolaire dans 70 % des cas
après une première hospitalisation (11).
Des études récentes ont suggéré que la mise en place
de programmes spécialisés pour la psychose et
« intégrés verticalement » offrent des perspectives cliniques efficaces et efficientes, avec notamment une
meilleure articulation entre les étapes de traitement, et
une diminution nette des durées d’hospitalisation (22).
Ces programmes proposent de cibler le traitement des
troubles schizophréniques et d’intégrer de manière cohérente et spécifique toutes les étapes de traitement, d’hospitalisation, de semi-hospitalisation ou de traitement
ambulatoire.
Dans la perspective de développer un programme
spécialisé hospitalo-ambulatoire pour les psychoses
débutantes (7, 17), il apparaît indispensable d’examiner
quels pourraient être les bénéfices d’un tel programme
par rapport à la situation antérieure, et d’indiquer quels
sont les éléments essentiels favorisant l’insertion dans
une filière de soins après une première hospitalisation
pour un trouble psychotique. L’objectif de cette étude est
d’examiner de manière rétrospective (1) les caractéristiques cliniques et socio-démographiques des premières hospitalisations pour une psychose, comparées aux
premières hospitalisations pour d’autres troubles chez
des adultes de moins de 30 ans, puis (2) les facteurs
favorisant l’insertion dans une filière de soins après une
première hospitalisation pour une psychose, en
l’absence d’un programme spécialisé pour les psychoses débutantes.
MÉTHODE
Contexte
Le département universitaire de Psychiatrie Adulte
de Lausanne assure les soins psychiatriques publics
pour une région de 240 000 habitants, comprenant
l’hospitalisation, les urgences, les soins ambulatoires,
la réhabilitation et la consultation de liaison. L’hôpital
comprend 107 lits. Environ 2 000 patients sont hospitalisés chaque année, avec une durée moyenne de
séjour de 15 jours.
Sujets
Deux échantillons successifs ont été examinés : (1)
230 patients âgés de 18 à 30 ans, hospitalisés pour la première fois dans le secteur entre le 1er janvier et le
31 décembre 2000, dont 52 patients avec un diagnostic
d’épisode psychotique et (2) parmi ceux-ci, 42 patients
ayant un diagnostic d’épisode psychotique et adressés
pour un suivi dans le secteur lors de la sortie. Les échantillons comprennent uniquement la première hospitalisation du patient, indépendamment d’éventuelles réadmissions dans l’année. La notion d’épisode psychotique
regroupe les diagnostics CIM-10 de psychose (F2), mais
aussi les épisodes maniaques et troubles bipolaires (F30,
F31), et les troubles psychotiques liés à un abus de substance (F1x0,5). Seuls les diagnostics principaux sont pris
en compte.
Instruments
Dans le premier échantillon, les données cliniques
et socio-démographiques recueillies en routine des
52 patients présentant un épisode psychotique sont comparées aux 178 patients ayant un autre diagnostic. Dans
le sous-échantillon des 42 patients hospitalisés pour un
épisode psychotique et adressés pour un suivi ambulatoire dans le secteur, le dossier a été examiné systématiquement à l’aide d’un questionnaire standardisé que
nous avons adapté en français (5). Ce questionnaire vise
à un recueil systématique de données et comprend
123 items permettant d’évaluer trois domaines : les informations socio-démographiques et cliniques à l’admission,
le processus de soin et l’élaboration du projet de sortie.
Le chapitre des informations cliniques à l’admission traite
les conditions d’admission (par exemple le statut médicolégal ou le passage par les urgences), les questions du
diagnostic, de l’évolution antérieure et des troubles
du comportement avant l’admission [par exemple :
« Depuis combien d’années le patient a-t-il des troubles
psychiatriques ? » ; « Est-ce qu’une rupture a eu lieu dans
l’environnement du patient dans la semaine précédant
l’admission (décès, séparation…) ? »], les questions du
processus de soins (« Y a-t-il eu une prise en charge familiale durant l’hospitalisation ? »), des mesures prises à
l’égard du patient durant l’hospitalisation (« Le patient at-il dû être en chambre fermée durant son hospitalisation ? ») et sa collaboration à la prise en charge (« Le
patient a-t-il exprimé un mécontentement vis-à-vis de la
médication prescrite ? ») ; les projets pour la sortie
(« trouver un logement » ; « éducation et gestion des
médicaments ») et les liens avec les réseaux de soins
(« Le projet de sortie a-t-il été discuté avec le réseau
ambulatoire ? ») sont abordés dans le dernier chapitre.
Complémentaires à ce questionnaire, des questions
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C. Bonsack et al.
annexes sous forme d’un tableau sont posées sur le projet
de sortie et son déroulement effectif. Enfin, un tableau
regroupe de manière systématique la prescription des
médicaments pendant l’hospitalisation jusqu’à la sortie.
La revue de dossiers a été complétée et validée par les
infirmiers et/ou médecins référents des patients. Comme
dans l’étude de Boyer et al. (5), l’insertion dans les soins
ambulatoires a été mesurée par la présence du patient au
premier rendez-vous prévu (avec un rappel). Les intervenants ambulatoires prévus ont été systématiquement contactés par téléphone et/ou par écrit.
Les données ont été analysées à l’aide du logiciel SPSS
10.0 pour Windows. Le test du χ2 a été utilisé pour les
valeurs catégorielles et le test t de Student pour les comparaisons de moyennes. Les valeurs de p < 0,05 sont considérées comme significatives.
RÉSULTATS
Première hospitalisation dans le secteur des patients
de moins de 30 ans
Au total, 230 patients âgés de 18 à 30 ans ont été hospitalisés pour la première fois en 2000 dans le Département
Universitaire de Psychiatrie Adulte, dont 52 patients avec un
diagnostic de psychose et 178 avec un diagnostic de trouble
non psychotique qui constitue un groupe de comparaison.
Comparé au sous-groupe de patients non psychotiques, les 52 patients présentant un diagnostic d’épisode
psychotique sont nettement plus souvent des hommes
(83 % vs 49 % ; p < 0,0001) et la durée moyenne de leur
premier séjour est plus longue (24 vs 14 jours ;
p < 0,0001). La plupart de ces patients sont célibataires,
sans enfants et près de la moitié vivent seuls. Les modalités d’admission présentent des différences importantes :
les jeunes psychotiques sont majoritairement adressés
par des psychiatres (86 %), sur un mode involontaire
(53 %), alors que les patients non psychotiques sont
adressés équitablement par des médecins non psychiatres et psychiatres (41 % et 53 % respectivement), plutôt
en admission volontaire (79 %) (p < 0,0001). Les autres
variables socio-démographiques telles que le mode de
vie, le niveau de scolarité atteint, la catégorie professionnelle, l’occupation au moment de l’admission sont comparables dans les deux populations. Concernant les variables spécifiquement relevées pour les 52 patients
souffrant de psychose, 50 % ont eu un premier contact
avec la psychiatrie dans les trois derniers mois ; 14
(26,9 %) ont déjà été hospitalisés en psychiatrie hors du
secteur ; 50 % consomment des substances, dont 2/3 du
cannabis, et 1/3 des combinaisons de substances. Les
problèmes dans le lieu de vie du patient tels que disputes,
destruction de matériel avant l’admission sont fréquents
(42 %) ; 28 % ont eu des problèmes avec la police ; 30 %
ont des antécédents d’auto-agression, mais seulement
5 % des comportements agressifs envers autrui ; 42 %
des admissions ont eu lieu dans un contexte de dangerosité actuelle pour le patient ou pour autrui. Un quart des
patients ont dû être contenus en chambre fermée, et 8 %
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avec une contention physique (soit la quasi-totalité des
contentions physiques de l’année) ; 15 % ont présenté un
effet indésirable des médicaments ; 39 % des patients ont
des problèmes de compliance (refus de prise de médicaments ou prise irrégulière nécessitant une supervision) au
traitement médicamenteux, selon l’avis des intervenants
hospitaliers. La médication prescrite est différente selon
les services. Une logique de prescription semble néanmoins se dégager : benzodiazépines et neuroleptiques
sédatifs à l’admission ; relais avec des neuroleptiques atypiques en cours de séjour et à la sortie.
Insertion dans les soins après un épisode psychotique
L’insertion dans un programme de soins ambulatoires
a été relevée pour chacun des 42 patients présentant un
épisode psychotique et adressé pour un suivi ultérieur
dans le secteur : deux sous-groupes (venant au rendezvous et ne venant pas au rendez-vous) ont été analysés
en termes de caractéristiques socio-démographiques, cliniques et comportementales, et en termes d’efforts des
soignants à établir un lien efficace avec le réseau ambulatoire. Sur 42 patients, 20 d’entre eux ne sont pas venus
au rendez-vous ambulatoire.
Les variables socio-démographiques ne semblent pas
associées avec l’insertion dans la filière de soins
(tableau I). En particulier le sexe, l’âge, le niveau de scolarité et le diagnostic principal ne semblent pas avoir
d’impact. Parmi les caractéristiques cliniques, seule la
présence d’idéation suicidaire à l’admission a une relation
statistiquement significative avec l’insertion dans la filière
de soins. Le processus de soins et les efforts faits pour
préparer la sortie apparaissent en revanche comme des
éléments les plus essentiels de l’insertion dans les soins
ambulatoires. Ainsi, nous avons observé une corrélation
significative entre les éléments qui favorisent la participation du patient au processus de soin tels que l’admission
volontaire et la discussion du diagnostic avec le patient et
l’adhésion au suivi post-hospitalier. Les éléments semblant les plus déterminants sont les efforts consentis pour
la mise en place de projets concrets, initiés durant l’hospitalisation, en collaboration avec le réseau ambulatoire
concerné. Ces projets constituent d’abord un accompagnement psychosocial des patients, autour de besoins
dans leur vie quotidienne. Ils permettent de maintenir le
contact et de soutenir les projets de soins à strictement
parler, et concernent les besoins de base (aide au logement, obtention d’aides financières ou pour trouver une
occupation), les activités quotidiennes ou les projets éducatifs (éducation sur les médicaments, la gestion des
symptômes ou sur d’autres aspects spécifiques).
DISCUSSION
Le premier séjour hospitalier pour un épisode psychotique constitue à la fois une période à risque et une
opportunité : risque d’une rencontre difficile avec les soins
psychiatriques et d’une rupture avec la communauté, mais
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Insertion dans les soins après une première hospitalisation dans un secteur pour psychose
TABLEAU I. — Insertion dans les soins ambulatoires après une première hospitalisation dans le secteur pour psychose.
Venu au rendez-vous
(n = 22)
Pas venu au rendez-vous
(n = 20)
P*
Moyenne
Écart type
Moyenne
Écart type
23,4
28,8
3,7
23,0
23,1
25,6
4,0
36,1
N
%
N
%
17
77 %
17
85 %
NS
10
12
46 %
55 %
6
14
30 %
70 %
NS
5
8
9
23 %
36 %
41 %
5
6
9
25 %
30 %
45 %
NS
11
6
5
9
8
8
10
50 %
27 %
23 %
41 %
38 %
36 %
46 %
11
5
4
13
7
8
3
55 %
25 %
20 %
65 %
36 %
40 %
16 %
NS
NS
NS
NS
0,04
15
5
7
13
16
10
4
12
13
13
32 %
23 %
35 %
62 %
73 %
46 %
19 %
55 %
59 %
59 %
7
6
8
6
4
2
8
4
5
6
65 %
30 %
42 %
30 %
29 %
13 %
50 %
20 %
25 %
30 %
0,03
NS
NS
0,04
0,01
0,04
0,05
0,02
0,03
0,05
7
15
31%
68%
15
5
75%
25%
0,005
Caractéristiques sociodémographiques
Âge (années)
Durée d’hospitalisation (jours)
Sexe (% hommes)
Scolarité atteinte :
• Scolarité obligatoire (9 années) et moins
• + que scolarité obligatoire
Occupation actuelle :
• Activité non professionnelle, formation
• Activité professionnelle
• Absence d’activité professionnelle
Caractéristiques cliniques
Diagnostic principal :
• Troubles du spectre de la schizophrénie
• Trouble psychotique aigu et transitoire
• Autres (abus de substance, trouble bipolaire, autre)
Consommation de substances illicites
Antécédents d’auto ou hétéro-agressivité
Dangerosité actuelle
Idéation suicidaire avant l’admission
Processus de soins
Statut médico-légal :
• Volontaire
Chambre fermée pendant l’hospitalisation
Problème de compliance à la médication
Diagnostic abordé avec le patient
Projet discuté avec le réseau ambulatoire
Début de programme ambulatoire avant la sortie
Réticences du patient pour les soins ambulatoires
Projets besoins de base
Projets activités quotidiennes
Projets éducatifs
Nombre de projets d’aide concrète :
• 0-1 projet
• 2 projets ou +
NS
NS
* t-test ou χ2.
opportunité d’une investigation diagnostique et de la mise
en place d’une stratégie thérapeutique. Dans notre environnement, la moitié des personnes admises pour la première fois pour une psychose à l’hôpital psychiatrique ne
prennent pas contact avec un suivi ambulatoire après la
sortie. Bien que ce taux soit comparable à celui d’autres
études (26), on ne peut pas négliger cette incapacité à
maintenir les patients psychotiques dans les soins. Notre
étude montre que les difficultés ne peuvent pas être attribuées principalement aux caractéristiques des patients,
mais bien plus à la capacité institutionnelle de débuter des
projets concrets avec eux durant l’hospitalisation et de
rencontrer les personnes qui poursuivront ensuite le traitement ambulatoire.
L’hospitalisation pour un trouble psychotique concerne
d’abord des hommes jeunes (11). Dans notre échantillon,
cela correspond à une incidence de 1,5 homme pour
10 000, soit un nombre proche de l’estimation de l’incidence
du trouble lui-même dans les études épidémiologiques (2,6
personnes des deux sexes en moyenne/10 000) (6, 20).
D’une part, les hommes pourraient avoir des manifestations
extérieures de la maladie socialement plus dérangeantes,
683
C. Bonsack et al.
et ne pas trouver d’alternative à l’hospitalisation dans notre
contexte à certains moments de l’évolution de leurs troubles. D’autre part, la survenue plus tardive des troubles psychotiques chez les femmes pourrait nécessiter une différenciation des critères d’âge pour celles-ci.
Certains aspects importants des traitements tels que le
choix du traitement médicamenteux, l’évolution symptomatique ou les caractéristiques du patient semblent avoir
peu d’impact sur l’insertion ultérieure dans les soins ambulatoires. Par exemple, nous n’avons pas trouvé d’association entre le niveau de fonctionnement pré-morbide et
l’insertion dans les soins, alors qu’il s’agit d’un élément
important pour le pronostic à court terme (25). De plus,
les soignants hospitaliers semblent incapables de prévoir
le comportement du patient par rapport aux soins ambulatoires après la sortie, ce qui confirme les données de la
littérature (5). En revanche, des éléments qui rendent le
patient partenaire des soins et qui favorisent son insertion
dans la communauté apparaissent essentiels : partage de
l’information sur le diagnostic, élaboration de projets communs dans la vie quotidienne, contacts directs avec les
intervenants dans la communauté. L’information sur le
diagnostic dans le domaine de la psychose est controversée : stigmatisation de la personne malade ou outil de connaissance indispensable pour gérer sa propre maladie ?
La corrélation forte avec l’adhésion aux soins ambulatoires suggère que cette information est utile et permet au
patient de participer aux soins en connaissance de cause,
à condition de véhiculer l’espoir et une perspective de rétablissement (10). Les mêmes observations ont été faites
sur l’observance du traitement par les personnes souffrant
de troubles psychotiques, concluant à la nécessité d’intégrer les notions pharmacologiques, socio-psychologiques
et pédagogiques pour améliorer le comportement d’observance médicamenteuse de ces patients (4). Cela devrait
encourager l’implantation de méthodes qui promeuvent
les échanges sur le diagnostic durant l’hospitalisation, soit
par des programmes psycho-éducatifs structurés pour
faciliter le retour à la communauté (13, 23), soit par des
discussions sur un modèle motivationnel ou de santé communautaire (12). Le contact avec l’équipe ambulatoire
devrait être initié pendant l’hospitalisation, et le projet thérapeutique préparé entre les équipes ambulatoire et hospitalière avant la sortie. Ce « programme » devrait avoir
débuté activement depuis l’hôpital, permettant de rencontrer et créer précocement des liens avec les futurs intervenants ambulatoires, pour faciliter le relais dès la sortie
définitive. Cette stratégie devrait préparer les patients à
cette transition et diminuer leur appréhension tout comme
celle de leurs proches (18). Elle devrait également favoriser au mieux la continuité des soins et prévenir l’anxiété
sociale de ces jeunes patients (19).
Les projets concrets de la vie quotidienne pour trouver
un travail, un logement ou des ressources financières sont
les éléments les plus probants et les plus systématiques
pour diminuer le risque de rupture de traitement après la
première hospitalisation. Ce constat corrobore les études
sur les suivis systématiques dans la communauté, où la
place de l’accompagnement dans les projets concrets de
la vie quotidienne est essentielle (1).
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L’Encéphale, 2006 ; 32 : 679-85, cahier 1
Notre étude présente plusieurs limitations. Premièrement, le caractère rétrospectif et sans groupe contrôle de
notre étude ne permet pas d’affirmer un lien de causalité
mais seulement une association entre le fait de faire des
projets concrets avec le patient et son insertion dans les
soins ambulatoires. Deuxièmement, la population étudiée
est partiellement hétérogène : une première hospitalisation
dans un secteur pour un épisode psychotique ne signifie
pas forcément qu’il s’agit du premier épisode, ni du premier
contact avec la psychiatrie ambulatoire ou hospitalière.
Certains patients de notre échantillon ont une évolution des
troubles depuis plusieurs mois, certains sont déjà en traitement ambulatoire, et une minorité ont déjà eu un contact
avec des soins hospitaliers en dehors du secteur.
CONCLUSION
Cette étude montre que l’adhésion aux soins après une
première hospitalisation pour un trouble psychotique reste
nettement insuffisante et donne des pistes pour une amélioration. Bien qu’un lien de causalité ne puisse être affirmé
en raison de la méthode rétrospective, les facteurs déterminants semblent moins liés aux caractéristiques du
patient lui-même qu’aux mesures prises par les intervenants pour favoriser l’insertion dans les soins. La réflexion
doit donc être poursuivie pour développer une intégration
verticale des soins pour les psychoses débutantes. Selon
nos observations, les améliorations devraient comprendre
au moins :
– le développement de programmes d’information sur
le diagnostic dès la phase aiguë pour permettre une discussion du diagnostic, du traitement et de l’évolution des
troubles avec le patient et ses proches ;
– une liaison systématique entre les soins hospitaliers
et ambulatoires durant une première hospitalisation, telle
que des contacts et le commencement du traitement avec
les intervenants ambulatoires durant l’hospitalisation ;
– le développement de suivi systématique dans le
milieu, commençant durant l’hospitalisation, et permettant
la mise en place de projets concrets de soutien dans la
vie quotidienne.
Remerciements. Merci à Vincent Chappuis, Vijaye Gobin et
Jérôme Pedroletti pour leur collaboration dans la récolte des
données ; à Luis Basterrechea pour sa maîtrise des bases de
données ; à Jacques Spagnoli pour son appui statistique, et à
Nadine Kaufmann, Thomas Haefliger, Perla Morena, Yves
Cossy et Roland Philippoz pour leurs échanges et leur appui
dans le déroulement de l’étude.
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