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Introduction
Reprise dans toute sa vigueur par le contexte économique actuel, la citation de Lénine sur « les
capitalistes [qui] vendront jusqu’à la corde pour les pendre » montre à quel point on a déplacé les limites
de la légalité dans la sphère capitaliste. En fait, cette idée a été validée par toutes les déformations
économiques menant à la crise, d’où le recours à la réflexion éthique pour retracer les défaillances d’un
tel système.
Comme le souligne Willmott, « l’attention et l’intérêt portés par nos contemporains à l’éthique des
affaires signalent à la fois l’importance de l’éthique autant que les doutes que l’on peut avoir sur son
pouvoir dans le milieu des affaires » [DGM]. Cette idée a été reprise lors du Forum Économique Mondial
2014 dans lequel Stanley Bergman, président du conseil d’administration de Henry Schein Inc, a insisté
sur la nécessité d’acheminer le capitalisme vers l’éthique pour crédibiliser l’économie [WEF].
Dans cette optique, nous soulignons dans un premier temps, à travers cet essai, la priorité du
questionnement éthique dans l’économie. Dans un second temps, nous essayons de proposer des
modèles cohérents grâce auxquels on peut évaluer moralement la portée de l’agir individuel et également
l’adéquation du système économique avec la vocation sociale dont il tire ses fondements.
I- L’éthique dans l’économie : de la philosophie à la réalité
La possibilité de qualifier moralement l’agir économique est l’une des questions dont la réponse
se complexifie au fur et à mesure que la mondialisation prend son ampleur. Elle permet également de
distinguer, mais d’une manière non définitive, la morale de l’éthique. En quoi peut-on donc les différencier
par rapport la moralisation de l’économie ? Et quelles sont les dérives qui ont mené au questionnement
éthique actuel ?
1- L’économie entre la morale et l’éthique
La morale se définit comme étant la distinction entre le Bien et le Mal, alors que l’éthique joue le
rôle de la critique de cette distinction en se positionnant par rapport à la finalité. Cette distinction
correspond parfaitement à celle proposée par André Comte-Sponville : « La morale c'est le discours
normatif qui porte sur le Bien et le Mal considérés comme valeurs absolues (ou transcendantes), alors
que l'éthique, c'est le discours normatif qui porte sur le bon ou le mauvais considérés comme valeurs
immanentes » [CA]. En fait, distinguer l’éthique de la morale revient à adopter la pensée de Christelle
Didier selon laquelle le discours moral est fondé sur « l’apparition de devoirs [qui découlent de la
distinction Bien/Mal] et la formulation de règles précises en vue d’accomplir ces devoirs », alors que le
discours éthique constitue « une réflexion sur le ou les morales… une recherche des fondements de
l’obligation et des finalités de l’action » [DC].
En ordonnançant cette définition dans le milieu économique, il convient de dire que la morale
porte dans son sens une évaluation des comportements en dehors des circonstances économiques et
que l’éthique fait l’objet d’une évolution continuelle façonnée par le contexte économique. Ainsi, moraliser
l’économie suppose la spécification d’une norme morale, transcendante, qui régule le comportement des
agents économiques. Ensuite, comme cette logique dans son sens absolu peut constituer un carcan
pour l’agir économique, il convient de se projeter du côté de la finalité et de définir, à partir de la norme
morale, une visée éthique avec un ensemble de valeurs à respecter. Enfin, cette dernière doit aussi faire
l’objet d’une réévaluation par rapport à la morale afin d’éviter toute tentative d’infléchir la bonne marche
du système économique.
En résumé, introduire l’éthique dans l’économie se voit être un processus cyclique qui a comme
origine « les convictions durables (discours moraux) » [DC] pour définir l’agir économique éthique et
comme aboutissement la morale dans son rôle de contrôle de l’éthique économique.
2- Les dérives économiques : un appel urgent à la réaction
À l’heure du bouleversement actuel, multiples analyses ont montré que l’idée de la maximisation