Les chrétiens du Proche-Orient, disciples persécutés du Seigneur Crucifié Les chrétiens du Proche-Orient passent par une épreuve très grave, dont nous ne connaissons que quelques aspects. Je voudrais, le plus simplement possible, évoquer leur situation afin que nous puissions davantage nous informer et, surtout, prendre nos responsabilités. Annonce de l’Evangile Dès le témoignage des disciples de Jésus, mort et ressuscité, l’Evangile est annoncé à Jérusalem, en Judée, en Samarie, en Galilée et le long de la côte méditerranéenne. Saul de Tarse (Cilicie) veut arrêter des disciples du Christ à Damas, en Syrie. Nous apprenons, par les Actes des Apôtres, que c’est à Antioche, en Syrie, que ces mêmes disciples sont appelés chrétiens. Barnabé, Paul et bien d’autres fortifient la foi des chrétiens d’Antioche. Barnabé, Paul et Jean-Marc font un voyage missionnaire à Chypre, lieu d’origine de Barnabé, et, sans Jean-Marc, continuent leur périple en Asie Mineure. Paul fera plusieurs voyages en Asie Mineure, en Macédoine et en Grèce. Il ira, comme prisonnier, à Rome dans l’attente du jugement de l’empereur sur sa situation provoquée par ses accusateurs à Jérusalem. Nous savons ainsi, par l’ensemble des textes du Nouveau Testament, qu’il y a beaucoup de communautés chrétiennes, la plupart étant constituées de personnes vivant dans les villes de l’empire romain. L’Evangile est annoncé en Egypte, la ville d’Alexandrie en particulier, dès le Ier siècle. Des communautés chrétiennes vivantes Les communautés chrétiennes se répartissent entre l’empire romain d’Orient, dont la capitale est Byzance, et les régions en dehors de l’empire romain. Avec le temps, des écoles de théologie renommées jouent un rôle déterminant : l’école d’Antioche de Syrie et l’école d’Alexandrie d’Egypte. Durant les premiers siècles de l’ère chrétienne, le monachisme voit le jour. En dehors de l’empire romain, de l’Iran actuel au sud de l’Inde, des communautés chrétiennes ont des liens privilégiés avec Antioche. L’empereur Constantin et ses successeurs A partir du IVème siècle, la capitale de l’empire romain d’Orient reçoit le nom de Constantinople. L’empereur Constantin (306-337) convoque le premier concile œcuménique à Nicée (aujourd’hui Iznik, province de Bursa, au sud d’Istanbul) en 325, afin que les évêques prennent position sur l’enseignement d’Arius, prêtre d’Alexandrie. La doctrine établie à Nicée mettra du temps à être reçue. Le concile de Constantinople I (381) poursuit l’œuvre de Nicée. Au Vème siècle, Nestorius, patriarche de Constantinople, formé à l’école d’Antioche, enseigne que Marie n’est pas Theotokos, Mère de Dieu, mais uniquement Mère de l’homme Jésus. Cela pourrait signifier qu’il y aurait, en Jésus, une sorte de séparation entre ce qui est humain et ce qui est de la divinité du Fils de Dieu. Le concile d’Ephèse (431), dominé par Cyrille, patriarche d’Alexandrie, rejette la position de Nestorius. Marie est bien Theotokos, Mère de Dieu. En réaction, Eutychès, de l’école d’Alexandrie, a des expressions qui pourraient faire penser qu’en Christ, c’est la nature divine qui l’emporte. Le concile de Chalcédoine (451) (Chalcédoine est la partie asiatique de la ville de Constantinople) aboutit à l’expression bien connue qui reconnaît dans le Christ une seule personne en deux natures. 1 La réception des décisions conciliaires A chaque décision conciliaire, la réception prend du temps, mais elle engendre aussi des séparations qui, dans le contexte de l’époque, ont une connotation politique. Durant cette période, de grands ensembles ecclésiaux se retrouvent autour de Constantinople, d’Antioche, d’Alexandrie et de Jérusalem. L’évêque de ces villes a le titre de patriarche. Il réunit des synodes d’évêques, avec les experts théologiens et, le cas échéant, avec les légats de l’empereur. Progressivement nous avons une manière antiochienne de vivre de l’Evangile : du grec on passe au syriaque ; une manière alexandrine : du grec on passe au copte ; une manière constantinopolitaine ou byzantine : la langue reste le grec. La manière alexandrine aura une influence en Egypte, en Palestine et en Syrie. La théologie d’Alexandrie, qui refuse la décision de Chalcédoine, aura une influence en Arménie et en Ethiopie et, à partir du VIème siècle, dans les régions soumises aux Gassanides et aux Perses. Les Eglises en dehors de l’empire romain ont leur langue propre. Un regard qui cherche la richesse des Eglises d’Orient A première vue, les Occidentaux éprouvent beaucoup de mal à se retrouver dans la multitude de paramètres qui sont autant d’entrées pour découvrir les Eglises du Proche et du MoyenOrient : l’histoire des peuples du Ier au VIIème siècle ; la diffusion des langues (du grec, langue vernaculaire, à toutes les langues locales) ; les écoles théologiques ; la manière de lire la Bible ; l’évolution de la liturgie qui intègre la culture locale ; l’importance du monachisme (beaucoup d’évêques ont d’abord été moines) ; les influences politiques ; les liens, souvent très étroits, entre le responsable politique et le responsable ecclésiastique ; les relations, fortes ou ténues, avec l’évêque de Rome et ses envoyés ; la dimension missionnaire des Eglises locales, etc. Il faut beaucoup de patience et d’humilité pour comprendre le réel de manière objective et respectueuse. Un regard différent ouvre des perspectives éblouissantes. Grâce aux études de ceux qu’on appelle orientalistes, patrologues, experts en liturgie et autres sciences de la théologie et du droit, nous entrons dans des perspectives larges et très profondes pour saisir la manière dont l’Evangile a été annoncé et vécu par des communautés qui ont, chacune, une spécificité qui peut enrichir l’ensemble de l’Eglise, y compris l’Eglise latine dont nous sommes membres. Beaucoup de recherches menées par les patrologues à partir du XIXème siècle ont conduit à préparer le concile Vatican II. Les Pères des Eglises orientales continuent à nous ressourcer et nous indiquent une voie sûre pour laisser la culture nous imprégner de ses traditions et pour, dans un sens différent, évangéliser la culture. Grâce aux patrologues, nous sommes beaucoup plus prudents pour entrer dans la manière de penser de ceux qui, autrefois, étaient appelés monophysites, nestoriens, jacobites, bref, hérétiques ou schismatiques. Et les historiens des conciles nuancent considérablement notre jugement sur ce qui s’est effectivement passé au cours de ces assemblées d’évêques. Je me souviendrai toute ma vie du déroulement du concile d’Ephèse (431) tel qu’il m’a été enseigné par le Père André de Halleux, à l’UCL, en 19741975. L’islam La prédication du prophète Muhammad, à La Mecque et à Médine, en Arabie, a un succès énorme. Dès la sortie du prophète et de ses partisans de La Mecque, appelée Hégire, en 622, beaucoup de tribus se rallient aux musulmans. La mort de Muhammad, en 632, n’arrête pas 2 l’engouement pour le message qu’il n’a jamais cessé de donner à ses contemporains. L’islam déferle sur le Proche-Orient et tout le Sud de la Méditerranée. Antioche est prise en 636 ; Jérusalem en 637 ; Alexandrie en 642. Beaucoup d’églises sont détruites ; les communautés chrétiennes sont laminées. Le bouleversement est complet. Des chrétiens deviennent musulmans. En même temps, beaucoup de chrétiens meurent pour leur foi. Des communautés vont progressivement se reconstruire, dans un contexte politique différent. Les Ommeyades de Damas La dynastie ommeyade (661-750), qui a son siège à Damas, édifie l’islam comme le prolongement des grands empires de l’antiquité : en dehors de la Grèce et de l’Asie mineure, l’islam recouvre les régions où s’installèrent les successeurs d’Alexandre et une bonne partie de la moitié régionale des conquêtes romaines. Les communautés chrétiennes veillent à se maintenir. La langue arabe s’impose. Des chrétiens commencent à traduire leurs œuvres, les grands témoins de leur tradition, en arabe. Les Abbassides de Bagdad Le califat abbasside (750-1258), qui a son siège à Bagdad, représente une autorité effective jusqu’en 945, date de l’occupation bouyide. En 1055, c’est à un Seljoukide que le calife fait appel pour diriger l’empire. La date de 1258 correspond à l’avènement de l’occupation mongole. Les vieilles nations, d’avant l’islam, posent des problèmes à l’unité de l’empire. Les Coptes (égyptiens) gardent leur langue pour la liturgie et la science. Les Kurdes et les Arméniens gardent leur langue et leur culture. L’Iran suscite une nouvelle culture islamique, qui a sa source dans la tradition shiite, dont les lieux fondateurs sont au sud de la Mésopotamie, le sud de l’Irak actuel, dès 661. A partir de 945, si le calife est toujours un sunnite, les vrais responsables de l’empire sont des shiites, les Bouyides. Progressivement, on conteste aux Arabes (de langue arabe) la possession exclusive de l’islam et de l’appareil de l’Etat, si bien que d’autres obtiennent des postes importants. La cour du calife comprend des non-musulmans comme l’exilarque juif et le catholicos nestorien (chrétien). Bagdad connaît une école de traduction des œuvres dont l’original est en grec et en d’autres langues. Les savants, dont pas mal sont chrétiens, travaillent à la traduction en syriaque et, de cette langue, en arabe. L’arrivée des Seljoukides, en 1055, engendre une nouvelle civilisation musulmane dominée par la langue turque. Des particularismes renaissent : la Géorgie chrétienne chasse les Seljoukides de Tiflis en 1121. Les croisades L’arrivée des Croisés, vainqueurs à Dorylée (1097), au sud-est de Nicée, et à Antioche (1098) refoule le monde turc dans la partie centrale de l’Anatolie, l’isole de la Syrie où sont implantées les principautés franques d’Antioche, d’Edesse et de la Cilicie, où une partie du monde arménien fonde, au XIIème siècle, le royaume de Petite Arménie. La situation sera renversée par les Zengides de Mossoul, qui enlèvent le comté d’Edesse au temps de Nûr adDîn mort en 1174, et par les alliés kurdes, illustrés par Salah ad-Dîn, qui reprend Jérusalem aux Croisés en 1187. La rupture entre les Latins et les Byzantins En 1054 se produit une première rupture entre le patriarcat de Constantinople et l’Eglise latine, l’évêque de Rome. Les membres du patriarcat sont appelés orthodoxes. En 1204, les 3 responsables de la quatrième croisade (1202-1204) prennent la ville de Constantinople et remplacent l’empire byzantin par un empire latin, dont le premier empereur est Baudouin Ier (Baudouin IX de Flandre, Baudouin VI de Hainaut). C’est ici la véritable séparation entre l’Eglise byzantine et l’Eglise latine. L’offensive chrétienne menée par des princes d’Europe du Nord, appelée les croisades, va amener des communautés de l’Eglise latine au Proche-Orient. Lorsque les Croisés seront vaincus, il subsistera des communautés chrétiennes latines, animées, entre autres, par les Frères de saint François d’Assise. En revanche, l’offensive chrétienne de Byzance parvient à rejeter les musulmans d’Italie du Sud et de Crète, tandis que les différents royaumes d’Espagne mettront des siècles à expulser les musulmans, et les Juifs, en 1492. Les Mongols Les invasions mongoles détruisent, du XIIIème au XIVème siècle, les territoires musulmans. En même temps, ils se convertissent à l’islam, sans choisir entre ses différentes tendances. L’empire ottoman Les Ottomans sont issus d’une principauté d’Asie Mineure du XIVème siècle. Ils se rendent maîtres de la Serbie, de la Bosnie, de la Bulgarie et d’une partie de la Grèce. Ils veulent conquérir ce qui subsiste de l’empire byzantin. Constantinople tombe en 1453 ; elle devient Istanbul. L’empire ottoman va s’étendre jusqu’aux frontières du Maroc, jusqu’au sud de la Péninsule arabique et sera aux portes de Vienne en 1529. Pendant des siècles, il y aura des conflits violents avec les puissances européennes : la bataille de Lepante (1571) est un premier arrêt à l’extension de l’empire ottoman ; la bataille de Navarin (1827) permet aux flottes anglaises, françaises et russes d’empêcher une nouvelle expansion ottomane. Les Ottomans ont, régulièrement, enlevé des enfants de chrétiens d’Europe pour faire vivre l’Etat. Ils instituent le devchirmè, la levée des enfants chrétiens dans les provinces, afin de les éduquer au service de l’Etat, après les avoir convertis à l’islam. En même temps, les chrétiens de l’empire reçoivent un statut : ils deviennent des dhimmis, des citoyens de seconde zone, dont les autorités ecclésiastiques sont responsables pour le droit personnel (mariages, etc.). En termes techniques, ces communautés confessionnelles sont appelées millet ou nation. Des patriarches ont une autorité reconnue par le sultan d’Istanbul. Beaucoup d’études ont été menées pour comprendre ce système juridique. Ce qui explique, en partie, que les responsables des Eglises, de toutes les dénominations, ont progressivement été amenés à avoir des relations régulières avec les responsables de l’empire ottoman, afin de « protéger » leurs communautés des exactions des fonctionnaires, de l’armée, etc., de l’empire ottoman. La tradition ottomane veut qu’en rue chacun puisse reconnaître chacun. C’est ainsi que même le vêtement et le couvre-chef sont codifiés ; de même la manière de se déplacer (à pied ; à cheval ; à dos de mulet, etc.) selon le statut juridique propre à chacun. La fin du XVIIIème siècle marque une étape importante, dont quelques traits influencent la situation actuelle. L’arrivée de Napoléon Bonaparte en Egypte (mai 1798) bouleverse la situation. Des Occidentaux sont plus forts que les musulmans, au plan militaire certes, mais aussi au plan scientifique. L’islam voit cette nouvelle période comme un ensemble de reculs devant les puissances européennes. Après avoir réglé le sort de l’Europe au Congrès de Vienne (1815), les puissances qui ont vaincu la France de Napoléon se tournent vers l’Orient. La Russie veut l’accès à la Méditerranée, en passant par les détroits qui longent le Bosphore 4 (Istanbul), et se demande comment « protéger » les chrétiens orthodoxes de l’empire ottoman. L’empire austro-hongrois veut contrôler le Danube jusqu’à la Mer Noire ainsi que les Balkans (territoires de l’empire ottoman). L’Angleterre veut le contrôle total de la route des Indes, qui passe par l’empire ottoman. La France veut garder les bases de sa politique extérieure : l’Egypte, clé du commerce avec l’Océan Indien, Istanbul et les communautés chrétiennes d’Orient. Pendant près d’un siècle, l’empire ottoman perd les territoires d’Europe qui étaient sous son autorité. Le traité de Berlin (1878) entérine une série de conquêtes sur les Ottomans. L’Angleterre est maître de l’ensemble du subcontinent indien et protège les accès pour arriver aux Indes : Aden (1839), le littoral du Golfe persique et de l’Arabie du Sud. Après le percement du canal de Suez, l’Angleterre met la main sur l’Egypte (1882) et occupe Chypre (1878), cédée par l’empire ottoman. La France veut montrer que les routes des Indes sont aussi les siennes, afin de parvenir en Indochine. Elle intervient au Levant (1860) pour sauver la communauté maronite du massacre perpétré par les Druzes. Napoléon III achète Obok, le futur Djibouti, en 1862. C’est l’impératrice française Eugénie qui inaugure le canal de Suez. Ces quelques faits peuvent expliquer que les communautés chrétiennes anciennes du ProcheOrient aient pu ressentir une certaine infériorité par rapport aux communautés chrétiennes latines, accompagnées de missionnaires latins ; et, en même temps, les communautés chrétiennes anciennes se sentaient soutenues par l’évolution de la politique internationale. A partir du XVIIIème siècle, des communautés anglicanes, réformées luthériennes, calvinistes et autres, s’installent au Proche-Orient, et y exercent, avec les catholiques, une grande influence grâce aux écoles et aux hôpitaux. Devant la désagrégation de l’empire ottoman, qui perd son rang dans la politique internationale, certains proposent des réformes fondamentales, y compris au plan du statut juridique des communautés chrétiennes. Certaines de ces réformes, ou tout au moins l’idéologie qui les porte, ne sont pas en faveur d’une nation turque, mais en faveur d’un regroupement de toutes les forces musulmanes du monde entier sous l’égide du calife d’Istanbul. C’est ce que révèle la politique du sultan Abdul-Hamid II, qui monte sur le trône en 1876. Renaissance arabe Durant le même XIXème siècle, la composante arabe de l’empire ottoman veut une réforme profonde de sa place dans la société. Des musulmans et des chrétiens promeuvent la renaissance arabe en publiant des dictionnaires, des œuvres littéraires, etc., pour remettre la langue arabe, la culture arabe au premier plan. Ils espèrent ainsi que des hommes d’Etat nouveaux vont se lever et que l’opinion publique poussera un mouvement qui aboutira à l’indépendance du monde arabe vis-à-vis d’Istanbul. On trouve les penseurs de ces mouvements de renaissance arabe en Syrie-Liban, en Egypte et, pour les expulsés de l’empire ottoman, à Londres et à Paris. Tous ces projets veulent initier une sorte de rattrapage afin d’arriver au même niveau que les puissances occidentales pour le progrès technique et le système démocratique. Dès le départ, si les Arabes sont tous bien d’accord de promouvoir leur culture et une nouvelle appartenance sociale et politique, bien vite apparaissent des penseurs pour confondre en un seul terme arabe et musulman. D’où l’insistance des chrétiens à bien faire la distinction entre l’appartenance au monde arabe et à la religion : il y a des Arabes musulmans et il y a des Arabes chrétiens. La fin de l’empire ottoman 5 Les grands bouleversements de la guerre 1914-1918 aboutissent à des décisions qui sont toujours d’actualité. Un nouvel Etat turc D’abord un nouvel Etat turc, qui renonce à une vocation panislamique. Du côté de l’Allemagne pendant la guerre, la Turquie est réduite aux populations de l’Asie Mineure. Elle n’accepte pas la nation arménienne, qu’elle anéantit en 1915. Elle refuse une nation kurde. Après la guerre, elle expulsera les Grecs, tous pratiquement chrétiens. Lors des traités de Sèvres (1920) et de Lausanne (1923), la Turquie récupère les territoires arméniens et kurdes d’Anatolie. Le nouvel Etat turc est « nationaliste » et « laïc ». En 1923, Ankara est déclarée capitale. En 1924, le califat est supprimé. En 1926, la région de Mossoul est cédée à l’Irak. En 1939, la France cède le sandjaq d’Alexandrette (dont fait partie Antakiya, Antioche) à la Turquie. Accords Sykes-Picot (1916) Ensuite un partage du monde arabe. La renaissance arabe passe les frontières grâce à l’émigration syro-libanaise, de la fin du XIXème siècle, en Afrique occidentale, en Australie et aux Amériques. Le Caire a une université, à la manière occidentale, en 1907 ; Damas en 1923. Damas a une académie de langue arabe en 1919 ; Le Caire en 1932. La Ligue de la Patrie arabe parle, dès 1905, du califat arabe à installer au Hijâz (Arabie). L’idée d’un empire arabe fait son chemin. Les puissances alliées promettent à l’émir Hussein de La Mecque et à ses fils, qui prennent la tête de la révolte arabe, un nouvel Etat arabe qui englobe l’ensemble du monde arabe. En 1916, les accords secrets Sykes-Picot, du nom des représentants des puissances alliées britannique et française, ne promeuvent pas un empire arabe, mais une nouvelle donne politique. Ces accords sont avalisés au congrès de San Remo (1920). Celui-ci impose le régime des mandats : de la France sur le Liban et la Syrie ; de la Grande-Bretagne sur la Palestine, la Transjordanie et l’Irak. Cela va provoquer des révoltes arabes. En 1921 Fayçal, un des fils de l’émir de La Mekke, devient roi de l’Irak ; en 1923, Abdallah, un autre fils de l’émir, devient roi de Transjordanie. En revanche, l’Egypte, sous contrôle de la Grande-Bretagne, devient indépendante en 1922. Foyer national juif (1917) Enfin la création d’un Foyer national juif. Des Juifs émigrent d’Europe centrale et orientale depuis le XIXème siècle. Beaucoup vont aux Etats-Unis. D’autres vont en Palestine, alors territoire de l’empire ottoman. Durant la guerre, la Grande-Bretagne négocie aussi avec les Juifs. En 1917, Balfour déclare que le gouvernement de Sa Majesté (à Londres) envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif. Cela aura des conséquences pour l’immigration de colons juifs venant d’Europe, qui vont progressivement s’approprier des terres et étendre leur influence à un point tel que la GrandeBretagne sera obligée de réguler l’immigration, à partir de l’avènement en Allemagne du chancelier Hitler (1933). Les Arabes ne comprennent pas pourquoi les Occidentaux soutiennent une « colonisation» européenne de leur territoire. Situation difficile des communautés chrétiennes 6 Les communautés chrétiennes, considérées comme des « nations » selon la conception juridique de l’empire ottoman, ont terriblement souffert. La plupart des chrétiens de Turquie ont été massacrés (Arméniens) ou expulsés (Grecs). Les chrétiens du monde arabe ont subi, comme les musulmans et les membres de groupes plus restreints (Alaouites, Yézidis, Druzes, etc.), la trahison des puissances occidentales à leur égard. Les chrétiens de Palestine ont, eux aussi, été malmenés par la politique internationale lors de la création d’un foyer national juif. Les responsables ecclésiastiques, patriarches, catholicos, etc., ont vu leurs fidèles désormais répartis en plusieurs nationalités, dépendants de la France ou de la Grande-Bretagne, selon la configuration des nouveaux Etats, dessinés par les accords Sykes-Picot. Vers l’indépendance politique La guerre 1939-1945 oblige les puissances alliées (France et Grande-Bretagne) à mener l’offensive contre les puissances de l’Axe à partir des territoires d’Outre-Mer, et donc aussi dans les mandats du monde arabe. C’est dans ce contexte que plusieurs Etats deviennent indépendants : la Syrie et le Liban. La Grande-Bretagne n’a plus les moyens de sa politique : l’Irak garde cependant un contact avec la Grande-Bretagne jusqu’en 1958, année où un nouveau pouvoir établit des liens avec l’URSS. Depuis lors, il faut suivre l’évolution chaotique des différents responsables politiques jusqu’à l’avènement de Saddam Hussein en 1979. Le Foyer national juif, annoncé en 1917, devient l’Etat indépendant d’Israël en 1948. Les conflits n’ont pas cessé depuis lors. Il est clair que durant les décennies qui ont suivi la première et la seconde guerre mondiale, les communautés chrétiennes ont participé au grand mouvement de décolonisation de la planète par rapport aux puissances occidentales. Elles ont subi les alliances négociées par leurs gouvernements avec l’URSS. Elles ont, avec bien des citoyens musulmans et autres, appelé à la liberté, y compris à la liberté religieuse. Radicalisation de l’islam Depuis les années 1960, l’islam connaît une forme de radicalisation bien visible. La première génération qui grandit dans des Etats indépendants ne sait pas ce qu’a été la colonisation, et elle n’a pas de projet immédiatement réalisable. Entre 1955 et 1970, la croissance de la population dans le monde arabe va de 40 % à 50 %. En 1975, les moins de 24 ans représentent plus de 60 %. Les jeunes se demandent comment s’insérer dans la société. Ils peuvent lire le journal, débattre, prendre l’avis des autres. C’est le début du rejet de l’idéologie nationaliste des régimes en place et la substitution à celle-ci par l’idéologie islamiste. La guerre d’Afghanistan (1979-1989) Les campus universitaires passent sous le contrôle des islamistes. Cela engage un nouveau combat pour l’hégémonie politique. Il faudrait lire tous les penseurs qui, depuis le XIXème siècle, prônent une purification de l’islam et une islamisation accrue de tous les secteurs de la société. Cela suppose l’expulsion des non-musulmans, la destruction de l’Etat d’Israël et l’anéantissement des idéologies occidentales. L’influence de l’Arabie saoudite, qui a une forme assez sévère de l’islam, est toujours à l’œuvre. La révolution en Iran, de 1978, a frappé beaucoup d’esprits. La jeunesse iranienne a été forcée de suivre le modèle d’un islam ancien, y compris pour le vêtement. La résistance afghane à l’invasion soviétique (1979) est soutenue 7 par les Etats-Unis et l’Arabie saoudite. Les réfugiés afghans vont au Pakistan pour s’entraîner au combat. C’est la reviviscence du jihad, la guerre sainte, contre un ennemi athée. L’URSS se retire en février 1989. L’aide financière pro-afghane se réduit. Des anciens résistants afghans et des partisans du jihad se retournent contre l’Arabie saoudite. Les fameux talibans et les jihadistes ont le haut du pavé. La guerre pour le Koweit (1990-1991) En août 1990, Saddam Hussein, président de l’Irak, envahit le Koweit et fait des incursions en Arabie saoudite. Le roi Fahd d’Arabie saoudite fait appel aux Etats-Unis. Dans le cadre de l’opération « Bouclier du désert », des centaines de milliers de soldats non-musulmans vont sauver la dynastie d’Arabie saoudite, mais ruiner tout l’édifice élaboré par la dynastie depuis 1960. Terrorisme Les déshérités vont se lancer dans la violence et le terrorisme en Egypte, en Afghanistan (1996), en France (1995), aux Etats-Unis (1993), contre des ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie (1998). Depuis cette période, très difficile à saisir tellement les groupes sont nombreux, nous avons assisté à la prolifération du jihad afghan, à la guerre en Bosnie, aux massacres contre des « laïques » et des chrétiens en Egypte (1997) et à l’avènement d’al-Qaida. Une nouvelle guerre a été engagée en Irak. Les Etats-Unis ont un programme pour quitter cette région du monde. Fondamentalisme sunnite, à la manière salafiste Les spécialistes parlent du réveil du fondamentalisme sunnite. La doctrine centrale en est le salafisme, qui a des racines chez des réformateurs du XIXème siècle, mais qui s’est durci au point de prôner un retour à l’islam des origines, considérant que tout ce qui a été « ajouté » depuis lors doit être éradiqué. Ce fondamentalisme est un élément décisif de la déstabilisation politique au Proche-Orient (Frères musulmans, Hamas palestinien, al-Qaida et son dérivé, l’Etat islamique), en Afrique (al-Qaida au Maghreb, Boko Haram au Nigeria), en Afghanistan et au Pakistan (talibans). Etat islamique Les événements récents survenus en Syrie et en Irak, avec la proclamation d’un Etat islamique et le retour du califat, montrent que les partisans de cet Etat veulent la destruction de tout ce qui lié aux puissances occidentales, donc aussi les médias occidentaux qui informent sur ce qui se passe. Ils veulent la conversion à l’islam de tous les non-musulmans qu’ils soient chrétiens, yézidis ou autres. Ils veulent une application stricte de la loi musulmane, telle qu’ils l’imaginent au temps du prophète et de ses premiers successeurs. Ils n’ont aucun respect envers les dispositions prises par les sociétés, Etats et communautés depuis les origines de l’islam, que ce soit dans le monde arabe ou ailleurs. Tout est balayé pour imposer une vision de l’islam qui ignore que d’autres puissent ne pas être musulmans. C’est absolument contraire à toute dignité humaine, au respect des peuples à disposer d’eux-mêmes, à la liberté personnelle, aux droits de l’homme, à la liberté religieuse. 8 Etre chrétien au Proche-Orient C’est dans cette situation horrible que les chrétiens du Proche-Orient doivent survivre, mourir, être persécutés ou partir. Le Pape François a déjà, au nom de l’Eglise catholique, pris position et demandé de prier sans cesse. Il manifeste son soutien en envoyant des collaborateurs proches sur le terrain, en faisant des dons financiers importants, en intervenant régulièrement dans les médias. Et je suis certain que la diplomatie du Saint-Siège ne chôme pas. Mais nous, que faisons-nous ? Les évêques de Belgique ont relayé les initiatives du Pape. Des communautés chrétiennes de Belgique rassemblement de l’argent, des vivres, pour aider les personnes en fuite dans cette région du monde. Nous prions le plus possible pour au moins dire notre solidarité dans l’épreuve. Peut-être y en a-t-il parmi nous qui accueillent des réfugiés ? Peut-être l’un ou l’autre a-t-il une responsabilité internationale qui suscite des prises de position publique, des initiatives diplomatiques, des informations fiables. Et ce n’est pas tout. Tant de familles sont séparées, ont des blessés, enterrent des morts. N’hésitons pas à les accompagner pour traverser ces moments douloureux. Dans le monde, vous trouverez la détresse, mais ayez confiance : je suis vainqueur du monde (Jean 16, 33). + Guy Harpigny, Evêque de Tournai 9