L`explication, 2 1cm Philosophie des sciences séance 2

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L’explication, 2
Philosophie des sciences
séance 2
M. Cozic
M. Cozic
L’explication, 2 Philosophie des sciences séance 2
séance basée sur...
D. Bonnay (2011), “L’explication” in Barberousse & al., eds,
Précis de Philosophie des Sciences, Paris: Vuibert
M. Cozic
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2. discussion du modèle DN
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2.1. explication et prédiction
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symétrie de l’explication et de la prédiction
I
la symétrie de l’explication et de la prédiction est une
conséquence centrale du modèle DN
I
la différence entre explication et prédiction dépend de
notre état épistémique:
- si F est déjà connu, sa dérivation à partir des conditions
initiales et des lois générales est une explication
- si F n’est pas connu, cette dérivation est une prédiction
I
Hempel revendique cette conséquence en affirmant la
thèse d’identité structurelle:
- toute explication adéquate est potentiellement une
prédiction (voir l’objection ci-après de Scriven)
- toute prédiction adéquate est potentiellement une
explication
M. Cozic
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objection de Scriven (1962)
Un pont métallique s’effondre (explanandum). L’effondrement peut
être causé par une surcharge, un dommage externe ou la fatigue du
métal. Les inspecteurs établissent que la charge était normale, qu’il
n’y a pas eu de dommage externe. Ils en concluent que la fatigue du
pont a causé l’effondrement.
I
problème: la fatigue du métal ne peut servir à prédire
l’effondrement du pont car l’effondrement du point est, par
hypothèse, le seul indice de la fatigue du métal
I
réponse de Hempel: pour transformer une explication en
prédiction, certaines conditions épistémiques doivent être
satisfaites (connaissance de l’explanans, ignorance de
l’explanandum)
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la temporalité
(i) la distinction entre explication et prédiction est pour
Hempel épistémique (on explique ce que l’on sait et prédit
ce que l’on ignore) et non temporelle (on explique les faits
passés et on prédit les faits futurs).
(ii) quelle relation temporelle entre les conditions initiales de
l’explanans et l’explanandum ? Faut-il que ces conditions
initiales soient antérieures à l’explanandum ?
• exemple: la baisse puis hausse du niveau du mercure
après l’avoir plongé dans de l’eau chaude
I
mais l’antériorité des conditions initiales ne fait pas partie
des conditions d’adéquation
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2.2. lois et énoncés nomologiques
M. Cozic
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les lois
I
les lois sont donc au coeur du modèle DN de l’explication
I
distinction entre
- les lois
- les énoncés nomologiques, qui sont des lois s’ils sont vrais
I
il faut des énoncés nomologiques pour satisfaire (R2) ; et il
faut que ces énoncés nomologiques soit des lois pour
satisfaire (R4).
I
question: qu’est-ce qu’un énoncé nomologique ?
M. Cozic
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les lois
I
forme logique typique des énoncés nomologiques:
Tous les x qui sont P sont Q
Tous les métaux sont conducteurs
I
pas de référence à des individus, moments ou lieux
particuliers:
• Tous les beaux-frères de Napoléon sont devenus rois.
• Tous les bateaux qui naviguent au-delà du 75ème degré
de latitude nord risquent d’être pris dans les glaces.
I
ces conditions sont-elles suffisantes ?
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les lois
• (1) Aucun signal n’est transmis à une vitesse supérieure à
celle de la lumière
• (2) Aucune sphère d’or n’a une masse de plus de 100.000
kg
• (3) Aucune sphère d’uranium n’a une masse de plus de
100.000 kg
I
(1)-(3) satisfont aux conditions précédentes, mais (2) ne
semble pas nomologique. (1) est un principe de la théorie
de la relativité. (3) est conséquence des lois gouvernant la
fission nucléaire: l’uranium a une masse critique (variable
selon isotope) telle que, si un corps d’uranium excède cette
masse critique, réaction en chaîne de fission nucléaire.
M. Cozic
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les lois
• (1) Aucun signal n’est transmis à une vitesse supérieure à
celle de la lumière
• (2) Aucune sphère d’or n’a une masse de plus de 100.000
kg
• (3) Aucune sphère d’uranium n’a une masse de plus de
100.000 kg
I
(2) est peut-être vrai, mais ne semble pas être
nomologique. Pourquoi ? Parce que (2) semble être une
généralisation accidentelle et dénuée de pouvoir explicatif.
Comment rendre la distinction entre (2) et (3) plus précise
?
M. Cozic
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lois et contrefactuels
• (4) Si cette sphère était en or, elle pèserait moins de
100.000 kg
• (5) Si cette sphère était en uranium, elle pèserait moins de
100.000 kg
I
2 énoncés conditionels contrefactuels (Cf. cours logique et
philo. de la connaissance). Prononcée en référence à une
énorme sphère de bronze pouvant peser plus de 100 000
kg, (4) semble faux tandis que (5) vrai.
I
on dit que les énoncés nomologiques supportent les
contrefactuels: ils restent vrai dans des situations
contrefactuelles
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lois et modalités
• (6) Nécessairement, aucune sphère d’or n’a une masse de
plus de 100.000 kg
• (7) Nécessairement, aucune sphère d’uranium n’a une
masse de plus de 100.000 kg
I
s’il s’agit de “nécessité physique” (par contraste, par ex.,
avec la nécessité logique), alors (7) semble vrai mais pas
(6): il se trouve qu’aucune sphère d’or ne pèse plus de 100
000 kg, mais il aurait pu se faire qu’une sphère d’or pèse
plus de 100 000 kg.
M. Cozic
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I
il n’est pas clair que le concept de loi (ou d’énoncé
nomologique) puisse être défini ou analysé sans circularité
à partir des deux idées précédentes (supporter les
contrefactuels, avoir une dimension modale)
(i) contrefactuels: pourquoi
• (5) Si cette sphère était en uranium, elle pèserait moins de
100.000 kg
semble vrai ?
Peut-être parce que dans les mondes possibles les plus
semblables au nôtre où cette sphère est en uranium, elle
pèserait moins de 100 000 kg. Pourquoi ? Parce que sinon, il y
aurait fission nucléaire. Pourquoi ? Parce que, dans la mesure
du possible, les mondes possibles les plus proches du nôtre
sont des mondes où nos lois (physiques) sont vraies - et
notamment (3).
M. Cozic
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(i) modalité: pourquoi
• (7) Nécessairement, aucune sphère d’uranium n’a une
masse de plus de 100.000 kg
semble vrai ?
Parce que dans tous les mondes possibles pertinents, aucune
sphére d’uranium n’a une masse de plus de 100 000 kg. Quels
sont les mondes possibles pertinents ? Pas tous les mondes
logiquement possibles, car il n’y a aucune absurdité logique à
concevoir une sphère d’uranium de plus de 100 000 kg. Les
mondes possibles pertinents sont les mondes physiquement
possibles. Mais encore ? Les mondes possibles où nos lois
(physiques) sont vraies - et notamment (4).
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2.3. objections au modèle DN
M. Cozic
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contre-exemple ]1: l’ombre de l’Empire (Bromberger,
1966)
I
un rayon de soleil frôle le sommet de l’Empire State
Building et frappe le sol de la 5ème avenue à x mètres du
bâtiment avec un angle α / horizontale
I
on peut déduire la hauteur h = tan(α) · x de l’Empire State
Building. Supposons qu’on la connaisse déjà. On aurait
alors, si l’on suit le modèle DN, une “explication” de la
hauteur de la tour par les lois de l’optique et la longueur de
son ombre au sol (et l’angle α) !
I
inversement, on pourrait expliquer la longueur de l’ombre à
partir de la hauteur de l’édifice et des lois de l’optique. Cela
semble constituer une explication parfaitement honorable.
M. Cozic
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contre-exemple ]1: l’ombre de l’Empire (Bromberger,
1966)
I
la loi exprime une relation fonctionnelle entre h et x: elle
permet d’inférer h à partir de x (et de α) et x à partir de h
(et de α). Du point de vue de la loi, les deux “explications”
son symétriques.
I
pourtant, nous ne traitons pas du tout les deux cas de la
même façon
I
il y a dans l’explication une directionnalité qui est absente
dans la loi
M. Cozic
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contre-exemple ]2: de l’orage dans l’air
I
supposons que ce soit une loi que la chute soudaine du
niveau d’un baromètre en état de marche est en général
suivie d’un orage. Du point de vue de DN, si l’on sait qu’à
un moment t a eu lieu un orage, on peut l’“expliquer” par le
fait qu’en t 0 précédant légèrement t, le niveau du
baromètre a chuté
I
la baisse du niveau du baromètre a-t-elle vraiment
expliqué l’orage ? ?
I
la thèse de symétrie entre explication et prédiction est
également en difficulté car il semble parfaitement
acceptable de prédire l’arrivée de l’orage à partir de la
chute du niveau du baromètre
M. Cozic
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contre-exemple ]3: la contraception masculine
(Salmon, 1971)
I
Jean Dupont prend une pilule contraceptive et ne tombe
pas enceinte (incroyable, mais vrai).
(P) Aucun homme qui prend la pilule ne portera d’enfant
(M) Jean Dupont est un homme qui prend la pilule
—————————————
(E) Jean ne portera pas d’enfant
Si l’on considère (P) comme une loi de la nature, (M)
comme une condition initiale, alors on a une explication
selon DN.
M. Cozic
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contre-exemple ]3: la contraception masculine
(Salmon, 1971)
I
l’explicans semble non-pertinent pour expliquer
l’explicandum
I
une explication satisfaisante serait, bien sûr, plutôt:
(P’) Aucun homme ne portera d’enfant
(M’) Jean Dupont est un homme
—————————————
(E) Jean ne portera pas d’enfant
M. Cozic
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contre-exemple ]4: le sel enchanté (Kyburg, 1965)
(S) Le sel enchanté se dissout dans l’eau
(W) Ces grains de sel ont été enchantés
—————————————
(D) Ces grans de sel se dissolvent dans l’eau
M. Cozic
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contre-exemple ]5: l’encrier renversé (Scriven, 1962)
I
explandum: le tapis est maculé par une tâche d’encre
fraîche
I
explanans: j’ai heurté mon bureau avec les genoux et
l’encrier s’est renversé
I
pas de loi générale, donc pas d’explication pour la DN
M. Cozic
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contre-exemple ]6: la syphilis de l’édile (Scriven,
1959)
I
explandum: le maire souffre de parésie (limitations de
certains mouvements et diminution de la force musculaire)
I
explanans: 1/4 malade de la syphilis latente et non traitée
sont victimes de parésie ; le maire souffre (sans le savoir)
de syphilis et ne la traite pas
I
pour le modèle IS, il n’y a pas d’explication (si l’on admet
que la probabilité inductive de l’explanandum étant donné
l’explanans est de 1/4 et que 1/4 n’est “pas assez”
M. Cozic
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analyses des contre-exemples
I
les contre-exemples ]1-]4 sont destinés à montrer que le
modèle DN n’énonce pas des conditions suffisantes pour
qu’il y ait explication
I
ils suggèrent qu’il faut au moins compléter le modèle DN
en ajoutant d’autres conditions
I
les contre-exemples ]5-]6 sont destinés à montrer que le
modèle DN (ou IS) n’énonce pas des conditions
nécessaires pour qu’il y ait explication
I
ils suggèrent qu’il faut revoir le modèle DN (ou IS)
M. Cozic
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pouvoir descriptif vs. explicatif (Salmon, 1989)
I
pouvoir descriptif de T = capacité de T à “sauver les
phénomènes” = adéquation entre T et les phénomènes
observables
I
pouvoir explicatif de T = capacité de T à expliquer les
phénomènes (en un sens à déterminer)
I
Duhem (1908):
(A) le pouvoir descriptif est la seule mesure scientifique du
succès d’une théorie
(B) le pouvoir explicatif n’est pas réductible au pouvoir
descriptif
conclusion: (C) expliquer n’est pas un des buts de la
science
M. Cozic
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pouvoir descriptif vs. explicatif (Salmon, 1989)
I
on peut concevoir le modèle DN comme consistant à
accepter (A) mais rejeter (C) - donc reconnaître
l’explication comme l’un des buts de la science - et rejeter
(B) - donc nier que le pouvoir explicatif soit irréductible au
pouvoir descriptif.
I
les contre-exemples peuvent convaincre que, précisément,
ce qui n’est pas satisfaisant dans le modèle DN, c’est qu’il
cherche à réduire (sans succès) le pouvoir explicatif au
pouvoir prédictif
M. Cozic
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2.4. théories pragmatiques de l’explication
M. Cozic
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les théories pragmatiques
I
on peut accepter (A) et (B) sans en conclure que
l’explication engage des éléments “métaphysiques”
I
idée: il y a bien une dimension “extra-scientifique” dans
l’explication, mais qu’on peut comprendre en prenant en
compte les facteurs contextuels pertinents
M. Cozic
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le chevalier de la tour
Un homme vient rendre visite à un chevalier qui vit reclus dans une
tour. L’ombre de la tour s’étend sur toute la terrasse située devant
celle-ci. Le visiteur se demande pourquoi le chevalier a fait construire
une tour si haute. Le chevalier lui donne une première explication. Un
peu plus tard, la servante lui en fournit une autre. Elle explique que la
tour a été construite à l’endroit où le chevalier avait déclaré sa
flamme à la femme qu’il aimait et qu’il a tuée par jalousie. Le
chevalier a voulu que la tour soit suffisamment haute pour que, au
soleil couchant, son ombre recouvre la terrasse où il proclama pour la
première fois son amour.
I
dans l’explication de la servante, la longueur de
l’ombre...explique la hauteur de la tour !
I
la “direction” de l’explication dépend du contexte explicatif
M. Cozic
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théorie pragmatique de l’explication
. Van Fraassen (1980), p. 155
“les discussions de la notion d’explication se sont
fourvoyées dès le départ, lorsque l’explication a été
conçue, de façon analogue à la description, comme une
relation entre la théorie et les faits. En réalité, il s’agit d’une
relation à trois termes, entre la théorie, les faits et le
contexte.”
I
une explication est une réponse à une question du type:
“Pourquoi est-ce que p ?” (une “question-pourquoi”)
M. Cozic
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théorie pragmatique
I
une question-pourquoi Q est constituée de trois éléments:
- un sujet Pk (“Pourquoi est-ce que Pk ”)
ex: la hauteur de la tour s’élève à 30m
- une classe contrastive X = {P1 , ..., Pk , ...} (les
propositions qui auraient pu être vraies)
ex: la hauteur de la tour s’élève à x m
- une relation de pertinence R sur la classe contrastive (qui
indique quelles propositions sont pertinentes pour
expliquer Pk relativement à la classe contrastive X )
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théorie pragmatique
I
une réponse à une question-pourquoi Q est une
affirmation de la forme:
Pk plutôt qu’un autre membre de X parce que A
où A est vraie et pertinente pour Pk relativement à X .
I
R est un paramètre contextuel qui correspond à la
dimension extra-scientifique de l’explication, sans
impliquer d’échappée métaphysique
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