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Commentaires de livres ou de péricopes (I), thèmes bibliques et
questions d’herméneutique (II), histoire d’Israël et histoire du texte bi-
blique (III), Judaïsme (IV) : telles sont, dans l’ordre, les quatre parties
qui composent cette chronique annuelle riche d’une vingtaine d’ou-
vrages.
I
André Wénin, professeur à la faculté de théologie de l’Université ca-
tholique de Louvain (Belgique) et narratologue bien connu dans le
monde francophone, poursuit son exploration du livre de la Genèse.
Après plusieurs articles remarqués, notamment sur les récits des ori-
gines, et un ouvrage sur Isaac (voir VC 72, 2000, 345-346), il saisit ce livre
par sa fin et offre aujourd’hui une « lecture narrative et anthropolo-
gique » du cycle de Joseph (Gn 3750)1. Nous connaissons tous (ou
nous croyons connaître) cette « belle histoire » et tous, un jour ou
l’autre, nous en avons été émus. Le livre de Wénin est une occasion
unique de découvrir ou de redécouvrir, à une autre profondeur et sous
l’angle d’une fraternité à inventer, ce joyau de la littérature biblique.
Dans sa lecture du texte, l’auteur exploite, tout en finesse, la veine
éthique et anthropologique qu’il affectionne, en montrant ici, plus pré-
cisément, comment l’humain peut advenir et croître dans des relations
familiales marquées par la convoitise, le mensonge, la jalousie, la haine
et la violence qui en découle. L’histoire peut sans doute se lire à plu-
sieurs niveaux, mais scrutée de près, elle dévoile aussi bien la com-
plexité du mal que les ruses de la vie pour parvenir à la réconciliation.
C’est bien en cela qu’elle nous rejoint et nous concerne : les victimes
n’y sont jamais tout à fait innocentes, pas plus que les méchants ne sont
entièrement corrompus et chacun a une chance d’en sortir. Au plan
méthodologique, l’étude de Wénin permet en outre d’expérimenter la
fécondité d’une discipline désormais parvenue à maturité. Les réfé-
Vies
consacrées, 77 (2005-3), 195-212
195
1. A.WÉNIN, Joseph ou l’invention de la fraternité. Lecture narrative et anthropologique
de Genèse 37-50, coll. « Le livre et le rouleau » 21, Bruxelles, Lessius, 2005, 14,5 x
20,5 cm, 352 p., 32
.
rences théoriques à un outillage technique et conceptuel lourd sont vo-
lontairement réduites au minimum pour privilégier, par la pratique,
une éducation du « plaisir de lire ». Le seul principe énoncé clairement
d’entrée de jeu et plusieurs fois repris est le suivant : même si le roman
de Joseph se déploie avec une ampleur inaccoutumée, le narrateur bi-
blique, dans sa manière de raconter, y fait preuve d’une étonnante éco-
nomie et d’une remarquable retenue affective. Ce principe d’écono-
mie, typique du récit biblique, comporte toutefois une contrepartie :
moins le narrateur s’implique dans son récit pour guider le lecteur, plus
celui-ci doit s’investir pour tenter de comprendre les événements qui
se déroulent et les personnages qui évoluent sous ses yeux (voir p. 11,
134, etc.). Je remarque qu’en formulant ainsi le contrat de lecture, l’au-
teur — est-ce à son insu, est-ce par mimétisme avec son héros ? — se
positionne somme toute un peu comme Joseph, lorsque ce dernier in-
terprète les rêves de Pharaon et propose une solution concrète qui en-
traîne une réponse analogue à celle-ci (voir Gn 41, 15-40) : « Trouve-
rons-nous un fin et sage lecteur comme celui-ci pour nous introduire
dans les coulisses du récit et nous guider vers une vérité qui soit à la
fois celle du récit et la nôtre ? » Pour autant que l’on soit conscient des
risques avérés d’une telle posture (en termes de démission ou de dé-
pendance) et du travail d’interprétation toujours à reprendre, on ne re-
grettera à aucun moment de s’être laissé entraîné par Wénin sur les
chemins du sens. Fort heureusement, l’auteur pratique une lecture ou-
verte et renvoie toujours le lecteur à sa propre responsabilité.
Dans la tradition de la collection pour laquelle il écrit, le professeur
émérite du Theological Seminary de Chicago, André Lacoque, produit
un commentaire scientifique du livre de Ruth 2. L’introduction de qua-
rante pages contient tout ce qu’on est en droit d’attendre d’un ouvrage
de ce type : questions de genre littéraire (la novella de Rt revêt la forme
du conte folklorique), de critique textuelle et littéraire (le livre forme
une unité), de composition, de date (VIesiècle), d’auteur (une femme),
de canonicité (indiscutée depuis l’antiquité), de milieu social et de
théologie (une théologie de la hesed — bonté, fidélité, amour — comme
vertu de l’excès). Mais l’auteur y présente aussi sa perspective originale
de lecture. Constatant que de nombreux textes juridiques composent
l’arrière-plan de la narration, il aborde Rt comme une explication cri-
tique de la Torah et une interprétation tendancieuse du droit israélite,
interprétation dont l’autorité repose sur la personne de David (la gé-
néalogie finale est partie intégrante de l’œuvre). La visée fondamentale
du livre — selon Lacoque — est donc avant tout d’ordre herméneu-
Didier Luciani
196
2. A. LACOQUE, Le livre de Ruth, coll. « Commentaire de l’Ancien Testament », XVII, Ge-
nève, Labor et Fides, 2004, 17,5 x 24 cm, 150 p., 20
.
tique : celui-ci cherche à montrer que la Loi, quand elle n’est pas inter-
prétée selon le principe d’amplification dicté par l’amour, s’étouffe elle-
même et meurt. En ce sens, on peut véritablement dire, avec l’auteur,
que « Rt ré-écrit la Torah » (p. 148). Cette interprétation amplificatrice
qui fait de l’amour l’essence de la Loi et qui porte son accomplissement
au-delà de sa lettre contient, par ailleurs, une incidence théologique
de premier ordre : Dieu est plus grand que sa Loi. Ce qui rend ici le pro-
pos particulièrement subversif et paradoxal, c’est qu’une telle démons-
tration est mise à l’actif d’une femme moabite représentant pour Israël
l’autre, la déviante par excellence. A une époque où le respect de la
lettre était devenu la condition même d’appartenance à la commu-
nauté, Ruth apparaît ainsi comme l’indispensable élément extérieur
capable de briser le carcan légal, dont le respect littéral conduit à la
mort. Muni de cette clé, le lecteur est guidé dans ce récit fascinant par
un commentaire (une centaine de pages) qui ne manque jamais de
mentionner les textes de référence, juridiques ou non, qui lui sont sous-
jacents. Le point fort de cette étude réside sans doute d’une part, dans
cette capacité d’éclairer des questions institutionnelles et légales com-
plexes (et, pour cette raison, souvent délaissées) présentes dans le livre
de Ruth et d’autre part, de fournir, par le fait même, une justification
objective à son rattachement liturgique à la fête de Shavouot (don de
la Torah). Deux regrets cependant : la bibliographie maigrichonne (des
travaux de qualité en français sont omis) et l’absence de tout index s’ac-
cordent mal aux ambitions déclarées de la collection.
Du même livre de Ruth, mais dans un tout autre genre, Carlos Mes-
ters propose un commentaire actualisant, fruit d’un travail mené avec
des communautés ecclésiales de base du Brésil 3en même temps que
proposition pour une étude en groupe biblique. La démarche est pro-
gressive et didactique, organisant, après une brève introduction sur le
cadre historique, la traversée du livre en six parties : 1) un peuple en
manque de terre, de pain et de descendance (1, 1-5 : tableau initial) ; 2)
retourner à la terre pour chercher du pain (1, 6-22 : 1re étape) ; 3) glaner
est un droit des pauvres (2, 1-23 : 2eétape) ; 4) une nuit féconde sur l’aire
de Booz (3, 1-18 : 3eétape) ; 5) garantir au peuple la possession de la
terre (4, 1-12 : 4eétape) ; 6) « un enfant est né », le monde prend un nou-
veau départ (4, 13-22 : tableau final). Une conclusion invite à faire mé-
moire du chemin, personnel et collectif, parcouru. Lacoque, dans son
commentaire, indiquait précisément la pertinence et les conditions de
validité de ce type de démarche. L’horizon du texte et celui du lecteur
sont faits pour se rencontrer, texte et communauté « sont en relation
Chronique d’Ecriture Sainte (A.T.)
197
3. C. MESTERS, Ruth. L’amour engendre la justice, coll. « Connaître la Bible » 34,
Bruxelles, Lumen Vitæ, 2004, 15 x 21 cm, 80 p., 9
.
paradoxale de mutuelle transcendance. Le Texte […] transcende la
communauté puisque celle-ci interprète celui-là. Mais la communauté
transcende le Texte car elle le précède et elle le suit ; elle en est l’auteur
collectif et, en même temps, est transformée par lui […]. Il est donc vain
de se demander […] si la vie interprète la Bible, ou la Bible interprète
la vie. Elles s’interprètent mutuellement. Rt est aussi vivant que la com-
munauté de lecture. Le texte a la capacité de rétorquer…, tout en in-
terprétant, les interprétateurs sont eux-mêmes interprétés » (p. 150).
De ce point de vue, ce modeste cahier atteint son but.
Le livre de Tobit est un autre conte de la Bible dont l’art narratif con-
sommé permet, lui aussi, bien des lectures différentes. Benoît M. Billot,
moine bénédictin engagé dans le dialogue interreligieux et dans l’ac-
compagnement thérapeutique, en propose une lecture anthropolo-
gique et spirituelle 4. En suivant pas à pas le récit, mais surtout chacun
des personnages, l’auteur lit ce récit comme un parcours initiatique. Il
convie le lecteur à considérer les acteurs du drame avec suffisamment
d’empathie pour pouvoir s’engager derrière eux sur un chemin de gué-
rison. De rencontre en rencontre, d’épreuve en épreuve, de réconcilia-
tion en réconciliation, ces protagonistes — et le lecteur qui s’identifie
à eux — vont vers eux-mêmes et sont ainsi conduits vers leur unifica-
tion intérieure, pourtant toujours hors d’atteinte ici-bas. Mais l’impor-
tant n’est-il pas de se mettre en route, avec l’assurance que les compa-
gnonnages humain et divin ne feront jamais défaut ? C. Bobin, M.M.
Davy, E. Drewermann, et surtout K.G. Dürkheim font partie des réfé-
rences bibliographiques inspirantes de l’auteur.
Sous le titre aguichant Femmes fatales, filles rebelles 5, Corinne La-
noir, enseignante à la faculté de théologie de Lausanne (Suisse) ne pro-
pose ni un commentaire complet de Juges (seuls les chapitres 1.11.19-
21 sont analysés en détail), ni même — contrairement à ce que pourrait
laisser croire le sous-titre — une étude de toutes les figures féminines
de ce livre (une vingtaine), mais, de manière plus ciblée, elle mène une
recherche sur un groupe restreint de quelques femmes « définies
comme filles par rapport à un père dans des récits qui ignorent totale-
ment la figure maternelle » (p. 116), soit principalement : « Aksah, la fille
promise » (fille de Caleb) ; « la fille de Jephté, la fille sacrifiée » ; « la fille
désintégrée » (la concubine du lévite qui retourne chez son père) ; et « les
filles enlevées » pour assurer la pérennité de la tribu de Benjamin. Mal-
gré cette limitation du propos, l’enquête se recommande pour plusieurs
raisons. D’une part, elle fournit de bons outils et offre de larges aperçus
Didier Luciani
198
4. B.M. BILLOT, Le chemin de Tobie. Initiation et guérison, Paris, Lethielleux, 2003, 14
x 20,5 cm, 174 p., 16
.
5. C. LANOIR, Femmes fatales, filles rebelles. Figures féminines dans le livre des Juges,
coll. « Actes et Recherches », Genève, Labor et Fides, 2005, 15 x 22,5 cm, 369 p.
sur l’exégèse et l’interprétation récentes de ce livre. D’autre part, elle
cherche à croiser les perspectives diachronique et synchronique et à
montrer l’apport et les limites de chacune d’elles pour la compréhen-
sion de cet écrit. Enfin, elle opte sans ambages pour une lecture contex-
tuelle, en l’occurrence féministe, de textes qui font souvent problème à
cause de la violence qui s’y déploie. Si l’auteur admet finalement que le
texte de Juges est davantage qu’un patchwork mal ficelé et qu’il est pos-
sible d’y découvrir une (ou des) cohérence(s), elle conçoit cette dernière
de manière dynamique, comme résultant d’une diversité et d’un débat
entre divers courants plutôt que comme le fruit d’une uniformisation
étouffante imposée par un (ou des ?) rédacteur(s) deutéronomistes. Les
trois passages étudiés, au début, au milieu et à la fin du livre, illustre-
raient ce fait et devraient être lus comme des textes de « résistance » tar-
difs, émanant de rédacteurs non deutéronomistes de la seconde moi-
tié de l’époque perse (ou d’après) pour contester, notamment par voie
de « midrashisation » et recours à l’ironie, à la fois la théologie « ortho-
doxe » de la rétribution, la conception d’un Dieu interventionniste, et
des réflexes identitaires intégristes. L’hypothèse, aussi roborative soit-
elle, s’inscrit bien dans les grandes tendances de l’exégèse actuelle : per-
ception de la Bible comme littérature de compromis ; propension à fixer
une datation basse des textes ; reconnaissance des phénomènes d’exé-
gèse intrabiblique et d’intertextualité. Tributaire en même temps des
débats qui agitent la recherche sur l’historiographie deutéronomiste,
elle ne manquera sans doute pas de susciter aussi quelques contro-
verses.
Dix-huitième à paraître dans la collection de « La Bible d’Alexandrie »,
le volume Baruch, Lamentations, Lettre de Jérémie témoigne de la téna-
cité et de la qualité du travail réalisé par l’équipe de Marguerite Harl 6.
Les spécialistes de la Bible grecque apprécieront la compétence et le sé-
rieux des deux maîtres d’œuvre (Isabelle Assan-Dhôte, Jacqueline
Moatti-Fine) : près de cent cinquante pages d’introduction et des notes
qui occupent, la plupart du temps, trois quarts de l’espace accompa-
gnent une traduction précise et toujours justifiée. Cette trilogie illustre
aussi la complexité de l’histoire de la composition de la Bible en ses dif-
férentes traditions : placée à la suite du livre de Jérémie, elle est en effet
attestée pour la première fois dans la Bible grecque. Par ailleurs, seules
les Lamentations figurent dans la Bible hébraïque, mais encore à une
place différente. Comme le soulignent les traductrices, le regroupement
proposé par la Septante autour de la figure de Jérémie constitue donc un
corpus propre à cette tradition qu’il vaut la peine de considérer et d’in-
Chronique d’Ecriture Sainte (A.T.)
199
6. La Bible d’Alexandrie. Baruch, Lamentations, Lettre de Jérémie, Paris, Cerf, 2005,
14 x 20 cm, 342 p., 45
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