Modéliser à long terme le stockage du carbone d’une forêt
Innovations Agronomiques 47 (2015), 50-62 51
1. Modéliser les effets des changements climatiques sur les forêts : problèmes
d'échelles et solutions possibles
1.1 Spécificités des forêts méditerranéennes
Le biome méditerranéen représente actuellement 2% de la surface du globe, mais possède 20% de la
biodiversité des plantes vasculaires (Cowling et al., 1996). De plus, la surface occupée par le biome
méditerranéen pourrait s’agrandir considérablement dans le siècle prochain (Klausmeyer et Shaw,
2009). Il est très probable qu'au cours du XXIème siècle, la température moyenne augmentera, et que les
précipitations au printemps et en été diminueront en région méditerranéenne (Giorgi et Lionello, 2008).
Mais quantifier la réponse au changement climatique des différents écosystèmes qui composent ce
biome reste un défi (Reichstein et al., 2002).
Pour observer la réponse des forêts méditerranéennes à la diminution des précipitations, des
expériences d’exclusion des pluies sont en cours sur plusieurs sites (Cinnirella et al., 2002 ; Martínez-
Vilalta et al., 2003 ; Limousin et al., 2008). Les changements dans les processus physiologiques et
écologiques des espèces permettent de comprendre la dynamique d’expansion des forêts
méditerranéennes. De surcroît, ces connaissances permettent de quantifier plus précisément la nature
et l’amplitude de la rétroaction biosphère/climat. Sur des forêts homogènes monospécifiques par
exemple, on constate une réduction significative de la transpiration foliaire à long terme due à la
réduction de la surface foliaire (Limousin et al., 2008) mais, pour observer une réponse à plus long
terme de l’écosystème au changement climatique, ces expériences doivent être menées sur des
dizaines d’années. En parallèle, des études de modélisation sur le climat futur ont permis de mettre en
évidence une diminution de la production nette de l’écosystème méditerranéen (Davi et al., 2006 ;
Reichstein et al., 2002). Des sécheresses plus sévères peuvent également entraîner une diminution de
la respiration de l’écosystème et de la production primaire nette.
Cependant, ces conclusions concernent essentiellement des forêts homogènes. Or, il est possible que
les effets du changement climatique sur des forêts hétérogènes soient différents. Par exemple, dans
des forêts mélangées de pins et de chênes, l’exploitation de l’eau de différents horizons du sol par
chacune des espèces permettrait une augmentation de la productivité de l’ordre de 50% par rapport à
des peuplements purs (Jucker et al., 2014). Toutefois, ces effets semblent limités lorsque les fortes
sécheresses diminuent l’asymétrie de la compétition (Jucker et al., 2014), ainsi que dans des zones à
faible réserve utile du sol, où l’exploitation d’horizons profonds est limitée (Grossiord et al., 2014). Par
ailleurs, les forêts méditerranéennes présentent fréquemment une structure spatiale hétérogène. Or, il a
été montré que la structure spatiale peut influencer la compétition pour la lumière et l'eau (Simioni et al.,
2003). Cela a été confirmé par des travaux de simulations dans la forêt de Font-Blanche, dans le sud-
est de la France (Simioni et al., 2013, 2015). Ces caractéristiques compliquent notoirement l'étude des
effets des changements climatiques sur les forêts méditerranéennes, car soit les outils de simulations
ne les incorporent pas, soit ces outils nécessitent des temps de calculs qui les limitent à des prédictions
à court terme.
1.2 Contradiction entre précision et échelle d'application
Les modèles mécanistes sont des outils essentiels pour étudier la réponse des écosystèmes au
changement climatique ou d'utilisation des sols, aux événements climatiques extrêmes, ou aux
perturbations. Ces modèles permettent de prendre en compte les interactions et rétroactions inhérentes
aux processus écologiques. Cependant, leur complexité a une contrepartie en termes de temps de
calcul et de mémoire informatique. Il y a donc un antagonisme entre le niveau de détail requis pour
représenter les processus écologiques (organismes, populations, espèces, ...) et les limites des moyens
informatiques lorsqu'on cherche à faire des simulations sur de grandes surfaces ou pour de longues
périodes. De plus, la plupart des mesures sur les écosystèmes sont faites à des échelles fines (plante,
parcelle, sol), rendant difficile le paramétrage et l'évaluation des modèles à échelles larges (Coutts et