Rêves d’architecture en apesanteur
En 1968, Coop Himmelb(l)au conçoit un projet conceptuel d’habitation pour quatre à six
familles nommé Le nuage. Développé par la municipalité de Vienne dans le cadre d’une
mission de recherche intitulée Formes d’habitation du futur, le nuage est imaginé comme
« organisme habitable qui peut se déplacer et dont l’espace est transformable. Les
matériaux de construction sont l’air et la dynamique ». D’une quinzaine de mètres de
haut, ce concept a été élaboré dans les moindres détails et devait même être présenté
à la 5eDocumenta de Cassel. Depuis, Coop Himmelb(l)au n’a de cesse d’utiliser cette
forme céleste comme emblème.
H. G. & C. L. : Le musée des Confluences dessine un vaste nuage flottant dans l’air au-
dessus des eaux. À la jonction du Rhône et de la Saône, son architecture met en forme
une poésie du rapprochement qui sert le projet scientifique et culturel du musée des
Confluences. À cet égard, la topographie du site à l’entrée de la ville n’est-elle pas le
lieu rêvé pour déployer votre imaginaire ?
Voilà en effet un magnifique site. Notre concept a consisté à construire un musée qui
n’entrave pas l’accès à la nature, mais constitue un passage des éléments bâtis vers la
nature. Le principe de fluidité est au cœur de notre démarche dans le cristal comme
dans le nuage, que le visiteur pourra traverser sans être contraint de voir une exposition.
La courbure exprime le dynamisme qui règne dans cette construction et qui résulte de
la confluence entre Saône et Rhône. C’est pourquoi nous avons mis au point une gamme
de modèles qui sont le fruit de forces dynamiques et dans lesquels la fonction dicte la
forme définitive à adopter. La forme du modèle a ensuite été transférée sur ordinateur
grâce au Space-arm1.
Nous avons bâti un modèle de montant, et nous avons projeté sur ce modèle une
construction tout à fait normale qui se concrétise alors sous une tout autre forme, facile
à calculer. Je dois reconnaître que sans les logiciels informatiques actuels, il ne nous
aurait pas été possible de donner corps à nos idées. Du sol, le bâtiment n’offre pas la
vision d’un paysage plat, comme c’est le cas pour un grand nombre de bâtiments, mais
plutôt d’un paysage vivant, à l’instar du toit du bâtiment de la BMW Welt à Munich. Ce
qui est intéressant, c’est que nous avons mis au point cette construction d’une façon tout
à fait inhabituelle, et ce voilà déjà neuf ans.
H. G. & C. L. : À l’intérieur comme à l’extérieur du musée, les échelles spatiales sont
dilatées, compressées, les circulations pensées pour faire vivre au visiteur cette
expérience architecturale de l’apesanteur. Le béton disparaît – au moins à première vue
– pour laisser placer au verre. Quelles autres solutions techniques notamment en matière
de structures portantes ou d’éléments réfléchissants peuvent traduire ce qui tient d’un
paradoxe : inspirer à la fois stabilité et suspension ?
Depuis les dômes gothiques, l’architecture s’emploie à surmonter la gravité. Dans nos
projets, nous cherchons à créer des espaces dynamiques, fluides. Et c’est à chaque fois
fascinant de se tenir à l’intérieur de ces espaces bâtis. Le choix du matériau n’est pas
le facteur décisif, car le matériau lui-même évolue au fur et à mesure du processus de
conception.
1 : Le Space-arm est un bras articulé
au bout duquel un laser permet la
modélisation tridimensionnelle
d’un objet ou d’une maquette.
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LES CAHIERS DU MUSÉE DES CONFLUENCES - FORMES