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Système financier international : la crise qui vient
Ce papier s’inspire de The Death of Money de James Rickards.
Ce dernier, initialement avocat, banquier et créateur de hedge funds (fonds spéculatifs), est
aujourd’hui analyste-conseiller au Ministère américain de la Défense, où le risque d’effondrement
du système financier international est maintenant considéré comme aussi important pour la sécurité
du pays que les risques d’ordre purement militaire. Le résumé du résumé ressemblerait à l’histoire
de celui qui tombe d’un gratte-ciel et n’a pas encore touché le sol : jusqu’ici tout va bien !
Alors que l’opinion s’inquiète du terrorisme, qui, en dehors des professionnels, s’inquiète de l’état sub-
critique du système financier international ? Les autorités américaines se disent satisfaites de la baisse du
chômage tandis que les autorités françaises, heureuses de la baisse du prix du pétrole qui améliore la com-
pétitivité et d’une légère baisse de l’Euro qui dope les exportations, espèrent une baisse miraculeuse du
chômage. Pourtant, l’économie mondiale est en dépression et la gravité de la prochaine crise fera passer
celle de 2008 pour un conte de fée.
A/ Les problèmes qui ont permis ou causé la crise de 2008 n’ont pas été réglés.
En 2008, le monde de la finance a été sens dessus dessous et à un cheveu de l’effondrement. Les plus
grandes banques auraient toutes été en faillite, en cascade, si les États n’étaient pas intervenus. Cela aurait
été une catastrophe pour l’ensemble du système financier mondial et donc pour l’économie réelle. De ce
fait un surendettement public a été substitué à un surendettement privé.
Des mesures ont-elles été prises pour éviter que cela ne recommence ? Pas du tout ! Les banques étaient
too big to fail (trop importantes pour qu’on les laisse tomber) mais aucune scission n’a été opérée et les cinq
principales banques américaines concentrent aujourd’hui une part des actifs financiers encore plus impor-
tante qu’il y a six ans. La crise avait été rendue possible par l’abrogation par les États-Unis de la loi Glass-
Steagall qui interdisait aux banques de dépôt (celles recevant l’argent des particuliers) de se livrer à des ac-
tivités spéculatives, en particulier d’amonceler des produits dérivés. Cette législation a-t-elle été remise en
vigueur ? Force est de constater que le président des États-Unis, tout démocrate qu’il soit, est plus sensible
aux sirènes de Wall-Street qu’à la bonne santé de l’économie américaine. « Mon ennemi, c’est le monde de
la finance », avait claironné à Londres, le 22 janvier 2012, François Hollande en campagne électoral. Son
gouvernement a-t-il pris la moindre mesure pour obliger les banques françaises à séparer leurs activités fi-
nancières ? Pas plus que le gouvernement américain.
L’accumulation par les banques de produits dérivés (dettes potentielles non comptabilisées au bilan) se
poursuit donc sans frein et sans limites. Aux États-Unis, il y a deux sources d’inquiétude supplémentaires :
l’expansion accélérée des droits sociaux acquis (le nombre des personnes percevant des indemnités
d’invalidité, par exemple, a doublé ces dernières années) et le gonflement substantiel du volume des prêts
aux étudiants garantis par l’État fédéral (une grande partie des bénéficiaires risque de ne pouvoir rembour-
ser faute de trouver un emploi suffisamment rémunérateur car les emplois qui se créent sont plutôt des pe-
tits boulots). Le cadre est donc en place pour le déclenchement d’une crise qui sera pire que la précédente,
d’autant que les États, aujourd’hui hyper-endettés, n’auront pas les moyens d’agir comme en 2008.
B/ La situation de l’économie américaine
Le prix du baril de pétrole montre que l’économie n’est pas en plein boom. Le Président des États-Unis
vante sa réussite économique en brandissant la baisse du taux de chômage aux US, revenu dans les 5%.
Mais, la durée d’indemnisation du chômage étant courte dans ce pays, les chômeurs n’ont aucune motiva-
tion à pointer indéfiniment au chômage. La notion de chômeur de longue durée n’existe donc pas. Le taux
d’activité (rapport entre la ‘population active’, employée ou au chômage, et la population totale) a baissé de
près de 5 %. Si ce taux d’activité était resté le même, le taux de chômage serait de l’ordre de 14 %. Donc
peu différent voire pire que ce qu’il est en France. Trois indicateurs sont parlants : le niveau des salaires
stagne, le revenu moyen des ménages baisse et la situation économique de la population noire s’est détério-
rée. Chacun reconnaît que la croissance est ‘molle’. Depuis le début de la reprise, la Fed n’a cessé de bais-
ser son taux d’intérêt directeur (ou d’annoncer qu’elle allait le remonter sans le faire - sauf très récemment,
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mais de façon insignifiante). Pourquoi ? Par peur d’étouffer la reprise ! La situation économique américaine
est donc durablement mauvaise. Elle correspond à celle qui a prévalu de 1929 à 1940. Les économistes hé-
sitent à employer le mot dépression qui fait peur (on garde l’image des banquiers se jetant par les fe-
nêtres). Mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Les acteurs économiques, particuliers comme entreprises, sont
paralysés non pas par le risque (le risque se calcule et peut être couvert) mais par l’incertitude (qui rend
l’avenir totalement imprévisible) qui vient de changements constants du cadre réglementaire et de ce que
les prix, manipulés, ne sont plus des indicateurs fiables. Ils ne correspondent plus à des équilibres entre
l’offre et la demande mais témoignent de plus en plus d’interventions des pouvoirs publics et de la banque
fédérale (la Fed), dont la politique monétaire actuelle a pour principal effet de créer une bulle spéculative
sur le marché des actions. Analysons cette politique de plus près.
C/ La politique monétaire américaine
L’économie marche au mieux quand il y a une légère inflation (de l’ordre de 2%). La légère augmentation
des prix pousse les acteurs économiques à acheter ou investir, car demain tout sera un peu plus cher, et à
s’endetter, car l’inflation facilitera le remboursement des dettes. Avantage pour les États, l’inflation accroît
subrepticement les rentrées fiscales : si les salaires augmentent de 2 % pour juste compenser l’inflation, les
salariés n’ont pas de gain de pouvoir d’achat mais leur revenu nominal ayant augmenté de 2 % leur impôt
sur le revenu augmentera.
À l’inverse, tout le monde a de bonnes raisons de craindre une déflation
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, mais les banques et les États plus
encore que les particuliers. Imaginons en effet une baisse des prix de 5%. A revenu nominal égal, le parti-
culier voit son pouvoir d’achat augmenter de 5 %, mais l’État ne percevra pas de supplément d’impôt sur
son revenu qui sera resté nominalement stable. Une déflation est également pernicieuse pour les banques
et tous ceux qui sont endettés : le poids relatif des dettes augmente.
Le surendettement des États au niveau où en sont la France, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon,
entre autres, rend impossible le remboursement de leur dette au franc le franc. Comment la situation peut-
elle se dénouer ? Il arrive qu’un État soit acculé à une cessation de paiements, mais cela a de gros inconvé-
nients : les créanciers n’ont plus confiance en lui et ne veulent plus lui prêter, ou alors, à des taux exorbi-
tants.
L’idéal pour les États est une bonne dose d’inflation. Comme on disait autrefois, la dette est remboursée
en « monnaie de singe », c’est-à-dire en une monnaie dont la valeur a diminué. Avec une inflation de seu-
lement 3% par an, le poids de la dette se trouve, en vint ans, diminué de moitié environ.
La politique monétaire de la Fed est donc de tenter de faire réapparaître de l’inflation, d’abord pour éviter
les horreurs d’une déflation et ensuite pour réduire la dette publique fédérale, compte tenu de l’incapacité
du pouvoir politique à réduire le déficit budgétaire. C’est pour arriver à ce but que la Fed a adopté une po-
litique de taux nuls ou juste symboliques et d’émissions massives et répétées de monnaie (dans le jargon :
quantitative easing QE, assouplissement quantitatif) pour acheter des obligations d’État. Ben Bernanke, an-
cien président de la Fed est connu pour avoir dit un jour : « S’il le faut, je prendrai un hélicoptère pour dé-
verser les dollars ». Malheureusement cette politique est sans résultat, ce qui s’explique en partie par
l’exportation de l’inflation vers les partenaires commerciaux du fait du rôle du dollar comme monnaie de
réserve. Cela confirme le diagnostic de dépression de l’économie (et l’aggrave en distordant un peu plus les
signaux).
D/ L’économie de la Chine
Chacun sait que la crise grecque a été due en partie aux chiffres trompeurs sur l’état de ses finances pu-
bliques que la Grèce a donnés à l’Europe, au moment de son adhésion à l’Euro. Les chiffres donnés fai-
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Habitués à une faible inflation, nous en avons intuitivement une certaine idée. Mais une forte inflation ? Prenons une situation
où une maison moyenne valait de l’ordre des 100.000 euros. Une très forte inflation est une situation où lorsque l’on croit pou-
voir trouver une maison à acheter à ce prix et où, même en offrant 200.000 euros, on ne peut en trouver parce qu’il n’y en a pas
sur le marché, aucun propriétaire ne voulant vendre la sienne. Les vendeurs potentiels attendent, pensant pouvoir obtenir
300.000 ou plus de leur maison dans les mois suivants. Une forte déflation est la situation inverse, où l’on veut vendre sa maison
que l’on pense valoir 100.000 euros (par exemple pour rembourser son prêt hypothécaire) et que l’on ne trouve pas acheteur
même à 50.000 parce qu’il y en a beaucoup d’autres sur le marché et que les acheteurs potentiels pensent qu’ils en trouveront
une équivalente pour 40.000, voire moins, dans les mois suivants.
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saient croire à une situation saine du pays et ont conduit à lui octroyer à tort des crédits que l’on croyait
remboursables.
Se soucie-t-on aujourd’hui beaucoup de la qualité des chiffres donnés par la Chine sur l’état de son éco-
nomie ? On s’inquiète d’une baisse de son taux de croissance, mais si elle était à la veille d’un crash specta-
culaire ? Elle a effectué des investissements gigantesques dans ses infrastructures. Certaines sont inutili-
sées. Elle a construit des villes nouvelles. Certaines sont vides. Comment cela a-t-il été possible et pour-
quoi n’en parle-t-on pas ? Les acteurs de cette bulle sont les dirigeants de grands groupes du bâtiment, de
grandes banques publiques et de caisses de retraite qui forment une élite financière privilégiée liée aux diri-
geants du Parti, les uns soutenant les autres. Les dirigeants des banques et caisses de retraite financent les
travaux à des taux très bas en spoliant les épargnants. Chacun tente de retarder l’éclatement de cette bulle.
Les membres de l’oligarchie, sachant que la situation ne va pas durer, achètent de l’or à titre personnel et
vont le dissimuler à l’étranger. Notons que la Chine achète discrètement de l’or pour se faire des réserves
proportionnées à son poids économique. Actuellement, d’ailleurs, à peu près toutes les banques centrales
achètent de l’or et ce n’est pas « à tout hasard » !
E/ Le système monétaire international
Le dollar s’est imposé depuis longtemps, on le sait, comme principale monnaie de réserve mondiale. Mais,
les États-Unis ayant mené pendant des années des politiques monétaires en fonction de leurs intérêts sans
souci des conséquences pour les autres pays, beaucoup de ceux-ci aimeraient ne plus dépendre du dollar.
La Chine illustre la difficulté : elle aimerait se débarrasser des montagnes de dollars qu’elle a accumulées au
moyen de ses copieux excédents commerciaux, mais si elle déversait ses dollars sur le marché des changes
elle ferait chuter le dollar et du même coup la valeur de ses réserves.
Le FMI, dont la tâche principale a longtemps été essentiellement de venir au secours des banques centrales
de petits pays en difficulté, devient le prêteur mondial de dernier ressort. Son capital est constitué d’une ré-
serve en devises et en or, chaque pays membre devant consentir à un apport dans sa devise et en or, au
prorata de ses droits de vote. Longtemps, le FMI a prêté sans effet de levier, c’est-à-dire sans s’endetter, ce
qui montre qu’elle n’agissait qu’à la marge. Il prête en Droits de tirage spéciaux (DTS) dont le cours est co-
té quotidiennement dans chacune des monnaies en fonction de l’évolution du panier des monnaies consti-
tuantes. Les États-Unis y ont encore la part du lion, mais il y a eu déjà une évolution sensible. Le rôle de la
Chine dans le Fonds et la part du Yuan dans le panier de monnaies se sont progressivement renforcés. Par
ailleurs, le Fonds est sorti de son rôle traditionnel de bailleur de fonds à de petits pays émergents en diffi-
culté, à l’occasion de la crise de 2008, en aidant la Grèce et l’Europe.
Témoin de l’accroissement du rôle de la Chine au sein du FMI, l’ascension de Min Zhu, un économiste
chinois, innovateur, du XXIe siècle, au poste de directeur général adjoint, autrement dit d’adjoint de
Christine Lagarde (dont le charisme est salué par les connaisseurs). Elle a récemment annoncé qu’il y aurait
bientôt un « reset » (ce qu’on peut traduire une remise à plat) du système monétaire international.
Si tout va bien, c’est-à-dire si aucune crise majeure ne vient chambouler les équilibres et imposer une ex-
trême urgence, le FMI s’achemine vers un rôle de Banque centrale mondiale, ou banque centrale des
banques centrales. Le DTS remplacerait le dollar comme devise de réserve internationale.
F/ Les associations de pays en lutte contre l’hégémonie du dollar
Divers pays se sont regroupés par affinités pour élaborer et mettre en œuvre des stratégies visant, entre
autres, à lutter contre le rôle jugé excessif du dollar dans le système monétaire international. Notons
d’abord deux groupements européens : BELL et GIIPS. Les BELL sont la Bulgarie, l’Estonie, la Letto-
nie, et la Lituanie. Leurs poids total dans l’économie mondiale est négligeable, mais les trois pays baltes
sont dans la zone Euro, stratégiquement placés sur son flanc Est. Leur politique économique face à la crise
de 2008 a été exceptionnelle et remarquable. Ils ont accepté d’accuser immédiatement le coup de la crise
au prix de sacrifices qui paraîtraient impensables en France, mais sont repartis de façon saine avec des taux
de croissance très enviables (courbe en V). Les GIIPS (Grèce, Italie, Irlande, Portugal, Espagne) sont les
pays de la zone euro très endettés qui étaient en mauvaise posture et ont été considérés, au plus fort de la
crise, comme étant susceptibles de succomber, la Grèce d’abord puis les autres par effet domino. Ils sont
au rang des pays qui renâclent contre l’état actuel du système monétaire international.
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Il y a surtout deux groupements comprenant la Chine et la Russie. Le premier est dit BRICS : Brésil, Rus-
sie, Inde, Chine et Afrique du Sud. C’est un regroupement de grands pays (BRIC dans un premier temps,
auquel l’Afrique du Sud s’est joint après coup) mécontents de ne pas faire partie du G7, ayant pour but de
faire avancer un programme politique face aux pays occidentaux. La création du G 20 et du G7+1 (Russie)
a réduit leur marginalité et leurs raisons de se sentir maintenus à l’écart.
La Chine et la Russie animent un autre groupe qui fédère ou influence un grand nombre de pays d’Asie : la
Shanghai Cooperation Organization (SCO) qui regroupe les membres d’une alliance qui s’appelait les ‘Cinq de
Shanghai (Chine, Russie, Kazakhstan, Kirghizistan et Tadjikistan) auxquels s’est joint l’Ouzbékistan. Mais
l’influence de cette SCO est bien plus large puisque l’Inde, l’Iran et le Pakistan y ont le statut
d’observateurs et que les autres pays membres de l’ancienne Union soviétique et les membres de l’ASEAN
(Association des Nations de l’Asie du Sud-est) sont régulièrement invités à ses réunions. Ce groupe qui
s’est constitué sur la base de préoccupations politiques territoriales (lutte contre les tendances sécession-
nistes en Asie centrale) tend à constituer un contrepoids à l’OTAN et a refusé le statut d’observateur aux
États-Unis. Il soutient des projets d’infrastructures d’ampleur régionale et a pour cela créé, en octobre
2005, le SCO Interbank Consortium qui facilite la coopération entre les banques centrales des pays membres.
La réunion au sommet de la SCO de juin 2009 s’est tenue à Ekaterinbourg, en Russie, conjointement avec
le Sommet des BRICS. Quelles que soient les divergences entre les pays membres, la réforme des droits de
vote au FMI et l’antipathie à l’égard du rôle dominant du dollar font l’unanimité.
Il faut enfin ajouter le Conseil de coopération du Golfe (GCC) : fondé en 1981 par un pacte liant l’Arabie
Saoudite, le Bahreïn, le Koweït, Oman, le Qatar et les Émirats arabes unis (EAU). L’appartenance du Ma-
roc et de la Jordanie est actuellement à l’étude. C’est une quasi union monétaire. Ce groupe aurait proba-
blement déjà adopté une monnaie commune s’il n’y avait pas, comme pour la zone Euro, la difficulté
d’adopter une politique monétaire commune, sans unification des politiques budgétaires. La faillite, en no-
vembre 2009, de Dubaï World, un très important holding d’investissement privé a porté un coup au GCC
mais la banque centrale des EAU a renfloué ce trust et la crédibilité du Conseil du Golfe s’en est finale-
ment trouvée renforcée
G/ Les US, le Royaume Uni et le Japon
Les US ont un taux dendettement public de plus 100%, seuil considéré dangereux (un peu plus élevé en-
core que la France, c’est tout dire !). Le RU est proche de ce seuil tandis que le Japon, qui est encalminé
depuis fin 1989, il y a 25 ans, dans une dépression, en est déjà à un taux d’endettement de 200%.
Autant dire que la situation de dépression économique est partagée, tout comme les politiques pour y faire
face : bas taux directeurs, impression de papier monnaie et achat d’obligations d’État. US, RU et Japon es-
pèrent, autant les uns que les autres, une dose d’inflation qui réduirait leur dette publique et redonnerait
peut-être de l’appétit à leurs acteurs économiques.
La Banque d’Angleterre en est à la quatrième opération d’assouplissement quantitatif (2009, 2011 et deux
fois en 2012). L’objectif avoué est une croissance au moins « nominale » résultant d’une inflation.
La dépression du Japon a été causée par l’explosion à la fin des années 80 d’une bulle de son marché bour-
sier et de son marché immobilier, qui s’était formée au cours de la décennie. Dans les années 90, le Japon a
pratiqué sans succès des politiques de relance. Son PIB, après un pic en 97, a baissé de 11% en 2011. Son
indice des prix a connu un pic en 1998 mais est régulièrement en baisse depuis, à l’exception de quelques
trimestres. Le pays connaît donc une déflation, qui peut cacher, de temps à autres, une certaine croissance
réelle, mais cela n’arrange pas les affaires de l’État. Après des années de politique monétaire ni claire, ni
convaincante, Shinzo Abe a été élu, fin 2012, sur l’annonce d’un vaste programme d’impression de yens.
Depuis lors, la politique monétaire japonaise ressemble à celle des US, mais, proportionnellement, plus
massive encore en termes d’émission monétaire.
Au total, ces trois pays, US, RU et Japon, sont clairement dans une dépression et tentent de s’en sortir par
une dévaluation de leur monnaie. Or le dollar US, la livre anglaise et le yen japonais représentent ensemble
70 % des réserves mondiales affectées et 65% du panier du DTS du FMI.
Les pays du BRIC, de la SCO et du GCC assistent impuissants mais rageurs à ce concours d’émission de
papier monnaie par les banques centrales des US, du RU et du Japon, que Rickards qualifie de « crime du
siècle ». La seule chose qui reste à savoir, ajoute-t-il, c’est si le système monétaire international « va
s’écrouler sous son propre poids ou va être renversé par les perdants des marchés émergeants ».
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H/ La crise étant inéluctable,
les seules questions sont : quand ? et quel chemin prendra-t-elle ?
Les prévisions des économistes universitaires et des boursiers ne valent pas plus les unes que les autres.
Elles se basent sur l’étude de crises passées et n’ont aucune valeur prédictive, car elles s’appuient sur le pa-
radigme de marchés libres, proches de l’équilibre, et ne tiennent pas compte des comportements possibles
des systèmes complexes.
La crise monétaire à venir ne ressemblera pas aux précédentes. Les Banques centrales surendettées
n’auront pas les moyens de faire face comme lors de ces dernières, d’autant que la masse des dettes inter-
bancaires dues à l’accumulation de produits dérivés toxiques est aujourd’hui plus importante encore qu’en
2008. Les marchés ne sont ni libres, ni proches de l’équilibre. Prenons le marché de l’or, il est manipulé par
les Banques centrales à un niveau totalement artificiel (l’once d’or est cotée de l’ordre de 1000 €, alors
qu’elle pourrait valoir de l’ordre de 9000 €). D’autre part, le système monétaire est un système complexe
caractérisé par un nombre élevé d’acteurs indépendants mais liés entre eux par de multiples liens, où des
comportements nouveaux peuvent apparaître. On a vu en 2008, comment la crise, partie des produits hy-
pothécaires américains pourris, ne s’est pas limitée aux US mais a mis en danger, par le biais de produits
dérivés, un nombre incalculable d’acteurs qui semblaient loin du foyer de l’explosion et dont personne
n’imaginait qu’ils puissent être affectés. C’est ce qu’on appelle une crise « systémique » où l’ensemble du
système est mis en danger de s’effondrer.
Tant qu’un tel système est en état sub-critique, il résiste bien, mais quand il passe à un ‘état critique, il
peut exploser sous l’effet de causes minimes (image de Rickards : une masse de neige en état critique peut
se transformer en avalanche sous l’effet d’un flocon de neige supplémentaire).
L’issue d’une telle crise est impossible à prévoir à l’avance, car elle va dépendre de l’état exact du système
au départ, du facteur déclenchant et du chemin qu’elle va prendre, toutes choses que personne nest en
mesure de connaître ou prévoir en dépit de tous les systèmes informatiques actuels. Une telle crise procède
par une série de sous-crises et le cheminement entre le déclencheur, la première sous-crise puis les autres
sous-crises successives est imprévisible du fait que le marché est constitué d’êtres autonomes dont les réac-
tions peuvent être nouvelles et que le système en tant que tel peut acquérir des propriétés émergentes. La
seule chose que l’on puisse dire c’est l’existence de chemins probables entre des événements : si
l’événement A se produit, il a des chances de déclencher l’événement B mais peu de chances de provoquer
l’événement C ; B a des chances de déclencher D mais pas E, et ainsi de suite.
I/ Trois cheminements possibles pour la disparition du dollar
La première voie est
la
substitution ordonnée d’une monnaie mondiale, le DTS, au dollar
. C’est le
chemin dans lequel le FMI est engagé. La Chine y a déjà renforcé son poids mais elle est encore loin
d’avoir, dans le système monétaire, un poids correspondant à l’importance de son poids dans l’économie
réelle. Malheureusement ce cheminement progressif et paisible n’est pas le plus probable.
La seconde voie serait enclenchée par une
panique financière
due à une soudaine baisse de confiance
entre les banques, qui pourrait être causée initialement par un événement bénin, dans un contexte de crois-
sance exponentielle des produits dérivés et d’interconnexion toujours plus étroite entre toutes les banques,
en raison notamment des produits dérivés. Il y aurait une crise mondiale de la liquidité interbancaire pire
que celles de 1998 et de 2008. Or, les banques centrales et notamment la Fed, embourbées dans leur su-
rendettement, ne seraient pas, cette fois-ci, en mesure de re-liquéfier le marché interbancaire. Le DTS se-
rait appelé en renfort, mais l’opération menée à chaud ne pourrait pas suivre les plans qui ont été patiem-
ment échafaudés.
L’accord de la Chine serait nécessaire pour utiliser les DTS à cette fin et elle exigerait probablement que le
but ne soit pas de sauver le dollar mais de le remplacer au plus vite. Il faudra que l’accord soit trouvé et
adopté en très peu de temps, c’est à-dire à la vitesse de la lumière pour la conclusion d’un accord interna-
tional, autrement dit un compromis entre intérêts nationaux opposés. Le dollar serait dévalué par rapport
au DTS et il y aurait une forte pression inflationniste aux USA, car ce pays devrait désormais acquérir des
DTS sur le marché mondial au lieu d’imprimer du papier monnaie.
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