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Les livres
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Winter (Elke). -Max Weberet les relations ethniques. Du refus du biolo-
gisme racial Cll'Etat multinational, preface de Philippe Fritsch, suivi de
Le debat sur «race et sociiM »au premier Congres de la SocieM aLle-
mande de sociologie (1910), introduit par Eike Winter, traduit par Vanessa
Wilkening et Eike Winter.
Sainte-Foy (Quebec), Presses de l'Universite de Laval (Pensee allemande et europeenne),
2004, XX-214 p., $ 25.
L'reuvre de Max Weber conserve-t-elle aujourd'hui une actualite pour I'etude des
relations ethniques ? La reception des analyses weberiennes est en effet porteuse de
nombreuses ambigultes: alors que certains chercheurs voient en lui le chantre de la
resistance aux approches sociobiologistes et le fondateur d'une perspective strictement
sociologique de I'etude des relations ethniques, d'autres ont pu pointer certaines diffi-
cultes, suscitees notamment par son etude sur les ouvriers polonais ou par son attache-
ment 11un Etat de puissance. Cet ouvrage, Max Weber et les relations ethniques, Du
refus du biologisme racial iI.l'Etat multinational, vient utilement faire Je point sur la
contribution weberienne 11une sociologie des relations ethniques, en reprenant systema-
tiquement ses developpements sur les notions de race, de groupe ethnique et de nation.
Son auteur, Bike Winter, qui s'inscrit dans le champ canadien des etudes sur les rela-
tions ethniques, le nationalisme et le pluralisme, ouvre ainsi une collection prometteuse
qui se propose d' elargir la connaissance de la philosophie et des sciences sociales alle-
. mandes. La sociologue vient non seulement faire le point sur la diversite des lectures qui
. ont pu etre faites de Weber sur les relations ethniques, mais propose aussi, par des
retours precis sur les differentes etapes de la construction de cet aspect de 1a pensee
weberienne, une interpretation qui restitue les tensions qui parcourent ces textes
majeurs. Par des references 11la fois au contexte historique dans lequel s' inscrit la
reflexion du sociologue allemand et a sa reflexion epistemologique, I'ouvrage entend
preciser, dans la premiere partie, les etapes de la pensee web6rienne sur les notions de
race (chap. I), de groupe ethnique (chap. 2) et de nation (chap. 3). Dans 1a seconde
partie, Bike Winter propose utilement une nouvelle traduction du compte rendu de la
fameuse seance du premier Congres de la Societe allemande de sociologie de 19I0 : les
passages 01.1Max Weber s'oppose aux tbeories raciales et eugenistes du Oocteur Ploetz
constituent un des moments constitutifs de la sociologie comme discipline.
Apres avoir mis au jour les contradictions entre les exegetes au sujet de la notion de
race chez Weber, Bike Winter se demande comment expliquer a la fois les options
anti-naturalistes de Max Weber et son mepris pour les ouvriers polonais, tel qu'il se
degage de son intervention sur les ouvriers agricoles 11la conference de Fribourg en
1895. Si l'analyse d'Elke Winter prend au serieux cette intervention -Max Weber y
evoque le clivage entre les modes de vie allemand et polonais entermes de difference
raciale d'ordre physique et psychique -, elle procede cn deux temps. Elle restitue
d'abord lecontexte de la societe allemande de la fin du XIX' siede, marquee notam-
ment par une absence de distinction daire entre les notions de «race », «nation» et
« societe », avant de commenter cinq textes de Max Weber dans lesquels celui-ci evoque
la question des determinations biologiques des individus. Il s'agit, outre son intervention
sur les ouvriers polonais, de sa conference sur les causes du dedin de I'empire romain
.(1896), de ses considerations sur la situation des noirs aux Etats-Unis (a partir du voyage
qu'il fait en 1904 pour l'exposition universelle de Saint-Louis), de son enquete sur la
variabilite de la productivite des ouvriers seion leurs provenances ethniques, culturelles,
professionnelles et sociales (recherche qu'il mene en 1908 dans une usine de tissu en
Allemagne), et de son intervention au Congres de la Societe allemande de sociologie en
1910. Oe ces analyses precises, I'auteur tire une condusion nette: si dans son texte sur
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les ouvriers polonais, Weber manque de rigueur scientifique en utilisant un langage social-
darwiniste courant a l'epoque, son rejet des 'explications naturalistes est tres clair: on ne
peut, avance+il, expliquer scientifiquement les comportements sociaux par les determina-
tions biologiques. Weber, nous dit l'auteur, «ne propose ni une pensee raciste, ni une
sociologie ethnicisante. Cependant, en tant que citoyen, sa pensee politique prend une
tournure "racisante", meme si elle ne se nourrit pas d'une pensee detenniniste ».
La discussion weberienne des groupes ethniques, explique I'auteur, a donne lieu a
des tbeorisations tres fructueuses de l'ethnicite. Si les divergences sont ici nettement
moins grandes qu'autour des discussions sur 1arace et la nation, eIles existent toute-
fois : la 01.1certains croient trouver chez Weber une prediction de la disparition des
groupes ethniques dans les societes modemes, d'autres y voit une explication a I'ex-
dusion ethnique. Bike Winter propose, par un retour sur des passages d'Economie et
socitfte, une vue d'ensemble de la sociologie weberienne des groupes ethniques. Apres
avoir identifie plusieurs courants d'interpretation, I'auteur montre qu'on ne trouve pas
chez Weber d'elements qui soutiendraient la these du remplacement ineluctable des
solidarites ethniques par les classes sociales. Bike Winter retrace ensuite le lien qui va
du refus weberien de concevoir I'ethnicite comme une essence a son interpn!tation
comme une «chance objective » pour raction politique. Elle revient en detail sur la
maniere dont Weber con90it l'ethnicite 11la fois comme une ressource de solidarite et
de discrimination collectives, tout en pensant le groupe ethnique comme une construc-
tion ideelle et materielle. lnsistant sur la dimension politique de l'activite ethnique,
Elke Winter montre ainsi la grande actualite du sociologue allemand dans la sociologie
contemporaine des relations ethniques.
Parce qu'elle s'inscrit 11la fois dans la sphere des valeurs et du pouvoir politique, la
« nation » chez Weber a donne lieu a des interpretations contradictoires: Ja 01.1,
explique Bike Winter, un courant europeen (represente par Wolfgang Mommsen et
Raymond Aron) a vu dans le nationalisme web6rien un motif de remise en cause de ses
considerations sur la nation au profit de ses analyses sur l'Etat, un courant nord-ameri-
cain s'est appuye sur le sociologue allemand pour penser les liens entre groupe
ethnique et nation. L'auteur veut depasser ces controverses en tbeorisant le rapport
entre les sentiments d'appartenance ethno-nationale et l'organisation legale rationnelle
de l'Etat. Offrant ici encore une synthese interessante des textes weberiens, Elke
Winter montre que si Weber ne pense pas la nation comme une construction abstraite
et universaliste, il ne la con90it pas pour autant comme une communaute de culture.
C'est en partie pour celte raison que l'auteur exhorte les chercheurs travaiIlant sur le
multiculturalisme ou le pluralisme a suivre une demarche weberienne : le sociologue
allemand nous offre des outils pour comprendre comment l'ethnicite fournit une moti-
vation specifique pour I'action sociale, mais aussi pour penser la tension entre droits
formeis et particularismes culturels.
Par une ecriture synthetique et stimulante, Elke Winter nous incite donc 11jeter un
regard neuf sur les textes que Weber a consacres 11I'etude des relations ethniques. Mettant
a distance les interpretations existantes, retra9ant les mouvements de la pensee du socio-
logue sans jamais se faire hagiographe, Elke Winter conduit le lecteur vers une esquisse
aussi stimulante que surprenante des liens entre Weber et les recherches actuelles sur la
coexistence des cultures dans les Etats contemporains. Cela nous convainc plus generale-
ment de l'interet que presente la relecture d'un auteur classique par des chercheurs se
rattachant ades espaces nationaux animes de problematiques differentes.
Sylvain Parasie
Groupe d'Analyse des PoliEiques Publiques (GAPP) -CNRS
Departement de sciences sociales -Ecole Normale Superieure de Cachan
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