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LE NATURALISTE CANADIEN, 133 NO 3 AUTOMNE 2009
ÉCOSYSTÈMES AQUATIQUES
Figure 3. Sonogrammes de vocalisations de basses fréquences produites par les rorquals
communs et les rorquals bleus dans l’estuaire du fleuve Saint-Laurent.
Fréquence (Hz)
Temps (min.)
75
50
25
0123456
Rorqual commun
Rorqual bleu
20 Hz
AB
D
aussi un rôle important dans le système d’accumulation du
krill adulte dans le PMSSL à la tête du chenal Laurentien. Ce
système se perpétue ainsi depuis des siècles (Simard, 2009).
Les fronts et l’agrégation de proies
L’intense remontée tidale d’eau profonde froide à
la tête du chenal Laurentien est connue comme une parti-
cularité océanographique extraordinaire de cette région de
l’estuaire du Saint-Laurent (Saucier et Chassé, 2000). Les
eaux froides qui font surface sont bien visibles sur les images
produites par les satellites d’imagerie thermique (Cotté et
Simard, 2005), et leurs contacts avec les eaux avoisinantes
génèrent des zones de front où de petits poissons comme
le capelan peuvent se concentrer à l’occasion (Marchand et
collab., 1999). Ces concentrations de poissons exercent un
attrait pour certaines baleines pouvant se nourrir dans les
zones peu profondes, comme le petit rorqual (Balaenoptera
acutorostrata) et les bélugas. Le plus intense de ces fronts est
celui qui se forme pendant le flot à l’entrée du fjord du Sague-
nay, où les eaux denses de remontée ayant passé par-dessus
les hauts fonds plongent en profondeur dans le fjord (Saucier
et Chassé, 2000). On aperçoit d’ailleurs souvent, à cet endroit,
de petits rorquals et des groupes de bélugas.
Une vulnérabilité aux
changements climatiques
Une conséquence prévisible des changements cli-
matiques est l’augmentation de la température des eaux par
emmagasinement de la chaleur du rayonnement solaire. Cela
se traduit notamment par une réduction de la rigueur et de la
durée de l’hiver, saison qui génère en bonne partie la couche
froide CIL. Une des deux espèces de krill abondantes dans
le PMSSL, le Thysanoessa raschi, fait partie de cette commu-
nauté d’eau froide de la CIL dont la limite de répartition vers
l’ouest est localisée dans le PMSSL. Si ces eaux froides qui
délimitent l’habitat de cette espèce se rétractent vers le nord,
il est vraisemblable que cette espèce ne contribuera plus à
l’agrégation de krill du PMSSL, dont la biomasse diminuera
si elle n’est pas compensée par une augmenta-
tion concomitante de la contribution de l’autre
espèce de krill, le Meganyctiphanes norvegica.
Le moteur du pompage du krill vers le
PMSSL est la circulation estuarienne en deux
couches. Celle-ci dépend des apports d’eau
douce dans l’estuaire. Si ces entrées d’eau
douce sont réduites par des modifications dans
les précipitations, l’évaporation ou d’autres
effets des changements climatiques, ou encore
si le régime hydrologique saisonnier du fleuve
et des autres importants tributaires lors de
la crue printanière est modifié, on peut pré-
voir que le pompage du krill le sera aussi et,
conséquemment, son accumulation dans le
PMSSL. Comme les débits du système Grands
Lacs – fleuve Saint-Laurent sont sous la gou-
verne de la Commission mixte internationale
Canada – États-Unis de la voie maritime, des scénarios de
régulation pourraient aussi avoir un impact sur la circulation
dans l’estuaire (Saucier et collab., 2009) et sur l’agrégation
du krill. L’effet des changements climatiques sur le régime de
production biologique du PMSSL est méconnu et difficile à
prédire. Les modèles écosystémiques indiquent cependant
de façon claire que la réponse à un changement de régime
climatique concernera plusieurs espèces de la chaîne tro-
phique complexe dont le krill fait partie. Par exemple, les
baleines quittent le PMSSL à l’arrivée des glaces. Si celles-ci
viennent à disparaître, les baleines prolongeront-elles leur
séjour dans le parc ?
La communication des baleines et le bruit
Les mammifères marins sont des animaux qui font
un usage intensif de divers sons pour communiquer entre
eux, détecter et localiser leurs proies par écholocalisation,
percevoir leur environnement et naviguer sous l’eau. Le plus
loquace d’entre eux est sans équivoque le béluga, dont le
répertoire est très riche en divers sifflements, trains d’impul-
sions rapides et clics ultrasoniques. Cette caractéristique lui
a valu d’être appelé le canari des mers. Les grandes baleines
sont spécialisées dans la production de sons graves, de basses
fréquences, dont une bonne part est constituée d’infrasons
inaudibles (figure 3) (Matthews et collab., 1999). Certains de
ceux-ci sont très puissants et peuvent se propager sur de très
grandes distances dans les océans profonds, jusqu’à plusieurs
centaines de kilomètres. Sur les plateaux continentaux, ces
distances sont réduites en raison de l’atténuation résultant
des réflexions multiples sur le fond et la surface. Le bruit
introduit par l’homme dans la mer, tel le concert permanent
engendré par les navires et bateaux de toutes sortes, interfère
avec la détection de ces sons. Lorsque le bruit est fort, il peut
empêcher (masquer) la perception des sons par les baleines,
en plus d’être responsable de surdités temporaires ou perma-
nentes. Les mammifères marins n’ont alors plus les moyens
acoustiques qui leur permettent de satisfaire normalement
leurs besoins vitaux (Southall et collab., 2007).