Sciences Humaines et Sociales Chapitre 6 – Epistémologie pratique Histoires de Sciences et Eléments d’Epistémologie Professeur Pierre Baconnier PCEM1 - Année universitaire 2007/2008 Faculté de Médecine de Grenoble (UJF) - Tous droits réservés. III - Un peu d'épistémologie IV - La pratique scientifique de nos jours Un peu d'épistémologie 1. Francis Bacon, Newton, Descartes (XVII) 2. Auguste Comte, John Stuart Mill (XIX) 3. Contre le positivisme, Gaston Bachelard et Karl Popper (XXe) 4. Conclusion La pratique scientifique de nos jours 1. Le credo du scientifique 2. Les "domaines" de la Science 3. La science, une école de courage Et la philosophie dans tout cela ? III - Un peu d'épistémologie 1 - Francis Bacon, Newton, Descartes (XVII) Rappels sur Philosophie et Epistémologie La philosophie (Socrate), conteste les représentations dominantes. Langage raison produisent des opinions inattendues (Platon). L’épistémologie veut formuler la méthode et les buts de la science. Elle discute et remet en question la science (actuelle et passée). L'empirisme comme choix de démarche Francis Bacon (précurseur de l’empirisme) : la science vise à l'amélioration du sort de l'homme sur la terre, but qui peut être atteint en réunissant des faits par une observation méthodique d'où découlent des théories. “ pour comprendre la Nature, il faut consulter la nature elle-même et non les écrits d'Aristote ”. Bacon, Locke, Hume, …: le fondement de la connaissance se trouve dans l'expérience sensible. Ne sont réels que les objets singuliers et les phénomènes. Le juste usage de la raison peut les ordonner et en tirer inductivement des conclusions. Induction : opération mentale qui consiste à remonter des faits à la loi, de cas singuliers à une proposition plus générale. Opp. Déduction: opération mentale qui consiste à décider ou trouver quelque chose comme la conséquence de données préalables, par un raisonnement. III - Un peu d'épistémologie 1 - Francis Bacon, Newton, Descartes (XVII) L'approche inductiviste et la conception mécaniste comme bases d'une méthode La démarche inductive consiste à établir des principes généraux à partir d'un certain nombre d'énoncés singuliers, établis empiriquement. L'inductivisme affirme que le raisonnement ne saurait se suffire à lui même et pose l'expérience concrète comme source de la connaissance. Descartes et Newton, malgré leurs oppositions sur les explications du monde qu'ils proposaient, sont tous deux défenseurs d'une conception mécaniste du monde. La conception mécaniste pose que les êtres de la nature sont comparables à des machines Empirisme : Théorie d'après laquelle toutes nos connaissances sont des acquisitions de l'expérience (opposé à rationalisme; idéalisme) III - Un peu d'épistémologie 1 - Francis Bacon, Newton, Descartes (XVII) L'approche inductiviste et la conception mécaniste comme bases d'une méthode • Selon Newton (inductiviste et empiriste), la science se fonde sur trois principes: principe de simplicité : a priori la nature est simple et il ne faut pas faire plus d'hypothèses qu'il n'est nécessaire pour expliquer les faits (rasoir d'Ockam) principe d'uniformité : les mêmes causes produisent les mêmes effets principe d'induction : les propositions générales induites des phénomènes et expériences (on va du particulier au général) doivent être tenues pour vraies jusqu'à ce que des phénomènes et expériences indiquent le contraire. III - Un peu d'épistémologie 1 - Francis Bacon, Newton, Descartes (XVII) L'approche inductiviste et la conception mécaniste comme bases d'une méthode • Descartes (inductiviste et rationaliste) définit pour sa part une méthode en 4 points : – douter jusqu'à ce qu'une évidence puisse sortir de ce doute – diviser les difficultés autant qu'il est possible (réductionnisme) – aller du plus simple au plus compliqué (mécaniste) – vérifier que l'on n'a rien oublié Cette méthode est réductionniste puisqu'elle fonctionne par étapes successives, en évitant toute démarche globale. Selon les tenants du réductionisme, il est théoriquement possible de décomposer tout phénomène en d'autres phénomènes plus simples, et donc de réduire l'étude d'un phénomène en l'étude de ces autres phénomènes plus simples. III - Un peu d'épistémologie 1 - Francis Bacon, Newton, Descartes (XVII) Descartes est contradictoire : il prétend (et arrive la plupart du temps à) être rationaliste mais il adopte une attitude inductiviste dans sa démarche réductionniste par exemple dans certaines études de physiologie "le poisson est muet parce qu'il ne possède pas de poumons". III - Un peu d'épistémologie 1 - Francis Bacon, Newton, Descartes (XVII) • La critique de l'inductivisme En Europe la mécanique newtonienne représente la vérité ultime du monde. Hume remet en cause l'induction : "à partir d'observations répétitives mais forcément particulières, a-t-on le droit d'induire une loi générale?" Exemples: l'oie et le fermier, un corps radioactif de "temps de demi-vie" très long Hume arrive même à démontrer, à titre d'exemple, que la théorie de la gravitation ne peut se déduite logiquement des observations! (dans Popper) Le raisonnement inductif qui généralise en loi les observations répétitives n'est pas fondé sur la seule logique. Donc (raisonnement logique!) si la logique est le domaine de la vérité, ce n'est pas le cas du monde observable ! III - Un peu d'épistémologie 1 - Francis Bacon, Newton, Descartes (XVII) • la réponse de Kant (XVIII) Emmanuel Kant cherche à produire une épistémologie qui admette que la physique newtonienne soit vraie absolument (17241804) – – Il trouve la solution en affirmant que la nature telle que nous la connaissons, avec son ordre et ses lois, résulte en grande partie des processus d'assimilation et de mise en ordre propres à notre esprit. “ Toute connaissance humaine commence avec des intuitions, passe de là aux concepts (catégories) et s'achève avec les idées (jugements, affirmations)” Intuition n. f. (sens pris ici) : forme de connaissance immédiate qui ne recourt pas au raisonnement III - Un peu d'épistémologie 2 - Auguste Comte, John Stuart Mill (XIX) • Auguste Comte, (1798-1857) Influencé par Saint-Simon (1760-1825) qui était favorable à un "Conseil des Lumières" constitué de savants, d’artistes, d’artisans, de chefs d’entreprise capables de privilégier les faits et le fond plutôt que les principes et la forme, approche "socialiste". A Comte (le père de l'épistémologie moderne) fonde, avec son "Cours de philosophie positive", le système du positivisme scientifique qui vise à résoudre la question du développement, de la structure et de la fonction du savoir dans la société. Pour cela il énonce la loi des 3 états ("théologique ou fictif", "métaphysique ou abstrait" et "scientifique ou positif"). Le troisième état ressemble à l'empirisme et à l'inductivisme avec du social en plus! (on parle d'un "scientisme optimiste"). A Comte établit une hiérarchie entre les sciences : les mathématiques occupent le sommet, puis viennent l'astronomie, la physique, la chimie, la biologie jusqu'à la sociologie (dont il est considéré comme le fondateur). On ne sait où il place la médecine, si elle est prise en compte. Scientisme n. m. : prétention à résoudre les problèmes philosophiques et sociaux par la science III - Un peu d'épistémologie 2 - Auguste Comte, John Stuart Mill (XIX) Auguste Comte ira même jusqu'à proclamer la naissance d'une religion positive fondée sur l'amour de l'humanité ou altruisme considéré comme l'être suprême. (église à Paris, influence au Brésil) Pour A Comte, les questions de la métaphysique n'ont pas de sens. Métaphysique: recherche rationnelle ayant pour objet la connaissance de l'être absolu (l'esprit, la nature, Dieu, la matière), des causes de l'univers et des principes premiers de la connaissance » III - Un peu d'épistémologie 2 - Auguste Comte, John Stuart Mill (XIX) • John Stuart Mill (1806-1873), influencé par A Comte, développe la "logique inductive" qui permet de conclure des lois générales à partir de l'analyse de séries d'événements donnés dans l'expérience et se reproduisant régulièrement (c'est la définition même d'une position inductiviste). Paradoxalement, face à cette position scientiste et optimiste de Comte et Mill, il faut se rappeler que ce siècle (le XIXe) est aussi celui de Marx (1818-1883, « Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, ce qui compte c'est de le changer ») et de Nietzsche (1844-1900, « l'homme est la cause de ses actes »). III - Un peu d'épistémologie 3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper • Le néopositivisme début XXe, développement combiné des mathématiques, de la logique et de la philosophie. Côté philosophie, projet de constitution d'un langage idéal, "parfaitement clair", du néopositivisme ou empirisme logique du Cercle de Vienne héritier des Tractatus logico-philosophicus (1922) de Wittgenstein (1889 - 1951). Rudolf Carnap, (1891-1970) tente même de remplacer la philosophie par la science de la logique : "lorsqu'un énoncé est invérifiable ou qu'il ne représente pas une tautologie, il est dénué de sens pour la connaissance". Paradoxalement, dans ce même groupe, Kurt Gödel montre que la logique a ses limites, … Les néopositivistes du Cercle de Vienne veulent éliminer la métaphysique (qui est pour eux "un ensemble d'énoncés dénués de sens"). Il s'agit d'aligner les "sciences de l'esprit" sur les sciences de la nature, d'unifier la science... Plus tard se développera la philosophie du langage ordinaire dont l'objet est le langage dans sa forme effectivement employée ("ne pose pas de questions sur la signification mais sur l'usage" Carnap). Bertrand Russell (1872-1970) finira par rompre brutalement avec cette philosophie analytique du langage qu’il a contribué à créer. "Discuter interminablement sur la signification que des imbéciles donnent à des imbécillités […] n'est certainement pas très important". III - Un peu d'épistémologie 3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper Bachelard et Popper, indépendamment, épistémologie moins affirmative et optimiste (ruptures, falsifiabilité) quasiment inaperçue jusqu’en 1960, environ. • Gaston Bachelard (1884-1962) œuvre originale et forte sur deux versants : l'histoire des science et la métaphysique de l'imaginaire. Dans le domaine des sciences, Bachelard cherche à – mettre en évidence les conditions épistémologiques du progrès scientifique, – repérer les moments de rupture qui déterminent les avancées de la connaissance et – comprendre les mécanismes psychologiques qui interviennent dans le processus de la recherche. L'idée de rupture est en fait au cœur de l'épistémologie de Bachelard. Il professe que la connaissance objective se développe non pas parce que des problèmes propres à l'objet d'étude ont été résolus, mais grâce à des victoires sur les obstacles épistémologiques (les entraves et résistances internes à l'acte de connaître, par exemple l'opinion, la certitude immédiate). III - Un peu d'épistémologie 3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper • Gaston Bachelard (1884-1962) III - Un peu d'épistémologie 3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper • Gaston Bachelard Selon Bachelard, l'histoire des sciences se décrit en trois étapes : – l'étape pré scientifique (de l'Antiquité au XVIIIe) – l'étape scientifique proprement dit (fin XVIIIe début XXe) – le Nouvel Esprit Scientifique commence en 1905 avec l'établissement de la théorie de la relativité restreinte. Nouvel Esprit Scientifique: abstraction croissante (les symboles mathématiques lui donnent sens). Bachelard récuse l'approche cartésienne (des idées ou natures simples) au profit d'une doctrine de la complexité (association "onde-corpuscule" et "espacetemps"). Il analyse les positions scientifiques anciennes à la lumière des nouvelles données de la connaissance : "Le déterminisme est un postulat de la Mécanique qui ignore une des conséquences de la relativité: l'état de l'univers à un instant donné n'a pas un sens absolu" (Le nouvel esprit scientifique, 1934). Sur la couverture du nouvel esprit scientifique, il y a un sous-titre : "La véritable pensée scientifique est métaphysiquement inductive" III - Un peu d'épistémologie 3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper • Karl Popper (1902-1994) – Une vie peu commune (de juif autrichien à lord anglais) Fils d'un avocat Viennois, il côtoie Platon, Descartes, Spinoza, Mill, Freud, Marx et Engels, il apprend le violon, le piano (carrière de musicien abandonnée). A l'université de Vienne (auditeur libre) il se cantonne aux mathématiques et à la physique théorique et rencontre les membres du Cercle de Vienne. Successivement travailleur social, terrassier et apprenti ébéniste, il enseigne au lycée les mathématiques, la physique et la chimie. Il émigre en 1937 en Nouvelle-Zélande afin de fuir le nazisme puis obtient en 1946 un poste à la London School of Economics qu'il occupe jusqu'en 1969. III - Un peu d'épistémologie 3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper • Karl Popper – L'homme impliqué dans la pensée politique de son temps Pacifiste, de sensibilité socialiste, ayant reçu le marxisme comme "un des événements majeurs de [son] développement intellectuel" (comme R Aron), Popper découvre, dès 1919, "le caractère dogmatique et l'incroyable arrogance" du marxisme. Ouvrage "La société ouverte et ses ennemis" (1945) fort bien accueilli aux USA et en Angleterre et pour cause : il inscrit publiquement la pensée de Marx dans une tradition métaphysique “totalitaire” indifférence en France (Sartre?). Popper dénonce l'imposture épistémologique du marxisme : il ne s'agit pas d'une discipline scientifique au sens poppérien du terme puisqu'elle repose sur des affirmations non réfutables (il utilisera les mêmes arguments à l'égard de la psychanalyse freudienne). III - Un peu d'épistémologie 3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper • Karl Popper – La logique de la découverte scientifique Approche "psy" (Du problème de la méthode en psychologie de la pensée, thèse de philosophie 1928) comme Bachelard, abandonnée Puis étude de la logique de la découverte (1934 : La logique de la découverte scientifique) publié par un membre du cercle de Vienne Popper vexé d'être considéré comme un membre de ce groupe, en combat les idées (introdution à La logique...). Une conférence d'Einstein provoque le déclic : "Einstein était à la recherche d'expériences cruciales dont les résultats positifs n'établiraient cependant pas pour autant sa théorie, alors qu'une contradiction infirmerait sa théorie tout entière. C'était, me semblait-il, l'attitude véritablement scientifique. Elle différait totalement de celle, dogmatique, qui affirmait sans cesse avoir trouvé des "vérifications" pour sa théorie préférée." Expérience "cruciale": expérience dont le résultat peut remettre en cause toute une théorie III - Un peu d'épistémologie 3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper • Karl Popper Dans la Logique de la découverte scientifique, Popper développe deux idées : 1) "il est vain de vouloir garantir le caractère scientifique d'un énoncé par l'examen de sa signification (il s'agit manifestement d'un attaque contre la philosophie du langage). Ce sont les théories et non les énoncés qui importent. Le moment décisif de la découverte que ne voit pas le positivisme c'est celui de la formulation de conjectures audacieuses, souvent inspirées par des vues métaphysique sur l'Univers." (selon Popper, l'intuition a ses sources ailleurs que dans la pensée rationnelle, ce qui nous renvoie au sous-titre du Nouvel esprit scientifique) 2) "une théorie ne peut être dite scientifique que si l'on peut en déduire un énoncé singulier qui la réfuterait s'il était vérifié par un test expérimental". Donc le caractère scientifique d'une théorie ne tient pas à ce qu'elle serait vérifiée ou vérifiable, mais à ce que d'avance elle s'expose au risque de se voir réfutée (ou falsifiée) par l'expérience. III - Un peu d'épistémologie 3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper • Karl Popper Popper est "un provocateur méthodique» (Le Monde, 23 septembre 94) : La spécificité de la science : construite et temporaire à l'opposé des idéologies non réfutables expérimentalement. Idem pour la démocratie : toujours capable de déposer un gouvernement opposée aux pouvoirs despotiques ou totalitaires qui demeurent clos sur eux-mêmes. Popper a proposé en épistémologie un rationalisme critique juste milieu entre les deux extrêmes qui sont le positivisme qui inspire la mécanique quantique et le réalisme tel que celui défendu par Einstein. (B Jarosson op.cité) Positivisme : (rappel) l'hypothèse d'une réalité autre que celle qui est observée est superflue et dépourvue de sens Réalisme : (selon Jarosson) attitude du scientifique qui estime qu'une réalité existe antérieurement à toute observation, que l'on appelle la "réalité en soi" « … chacun a ses philosophie, qu’il soit ou non conscient du fait, et nos philosophies ne valent pas grand chose. Cependant l’impact de nos philosophies sur nos actions et nos vies est souvent dévastateur. Ainsi, tenter d’améliorer par la critique nos philosophies est une nécessité. Ceci est la seule excuse que je suis capable de donner à l’existence persistante de la philosophie » III - Un peu d'épistémologie 4 - Canguilhem, épistémologue de la biologie George Canguilhem (1904-1995) philosophe et médecin, élève de Bachelard, traque les valeurs faisant obstacle au développement scientifique en biologie. Il s'interroge sur – – l'étonnant opportunisme de la relation des vivants avec leur milieu, l'originalité de cette présence au monde qu'on nomme la vie. – Les rapports entre le vivant et la connaissance Pour Canguilhem, la connaissance est une manifestation spécifique, de la vie: "La vie est formation de formes, la connaissance est analyse des matières informées [à qui on a donné une forme, une structure, une signification]." "La pensée du vivant doit tenir du vivant l’idée du vivant." "Nous soupçonnons que, pour faire des mathématiques, il nous suffirait d’être des anges, mais pour faire de la biologie, même avec l’aide de l’intelligence, nous avons besoin parfois de nous sentir bêtes." (La connaissance de la vie). III - Un peu d'épistémologie 4 - Canguilhem, épistémologue de la biologie En étudiant l'histoire de la biologie ("le biologiste doit inventer sa technique expérimentale propre" Claude Bernard Introduction à l'étude de la médecine expérimentale), il montre certaines spécificités inhérentes à la biologie : - conceptuelles "Ce qui est certain, c'est que des valeurs affectives de coopération et d'association planent de près ou de loin sur le développement de la théorie cellulaire.”, - méthodologiques "… en biologie, la généralisation "logique" est imprévisiblement limitée par la spécificité de l'objet d'observation ou d'expérience." (La Connaissance de la Vie) - techniques exemple de la réparation des fractures : chez le chien 3 étapes (cal conjonctif, cartilagineux puis osseux) chez l'homme (la différence est liée à une meilleure immobilisation thérapeutique en raison de l'acceptation de celle-ci par l'homme). III - Un peu d'épistémologie 4 - Canguilhem, épistémologue de la biologie Les problèmes que rencontre l'expérimentation sur le vivant • des problèmes liés à – l’individualité des organismes : "Pour permettre une comparaison entre un organisme modifié et un organisme témoin, il faut disposer d’organismes aussi identiques que possible. C’est pourquoi "certaines organisations scientifiques élèvent des espèces de rats et de souris obtenus par une longue série d’accouplements entre consanguins." Ces animaux sont en quelque sorte des "artefacts" – l’irréversibilité des phénomènes biologiques : "… l’utilisation thérapeutique des substances anti-infectieuses a fait [] apparaître que les êtres microscopiques présentent, dans leur relation avec les antibiotiques, des variations de sensibilité, des déformations de métabolisme, et donc des phénomènes de résistance et même de dépendance qui aboutissent paradoxalement à ceci que le germe infectieux ne puisse vivre que dans le milieu créé artificiellement pour le détruire." III - Un peu d'épistémologie 4 - Canguilhem, épistémologue de la biologie Canguilhem, l'épistémologue critique (voire ironique) Au sujet du rapports entre les sciences: "Il est certain qu'on doit attendre peu d'une biologie fascinée par le prestige des sciences physico-chimiques, réduite ou se réduisant au rôle de satellite de ces sciences. Une biologie réduite a pour corollaire l'objet biologique [] dévalorisé dans sa spécificité. » "Connaître c’est analyser. On le dit plus volontiers qu’on ne le justifie, car [] l’attention que l’on donne aux opérations du connaître entraîne la distraction à l’égard du sens du connaître. [] il arrive qu’on [le justifie] par une affirmation de suffisance et de pureté du savoir. [Mais] savoir pour savoir, ce n’est guère plus sensé que manger pour manger ou tuer pour tuer ou rire pour rire, puisque c’est à la fois l’aveu que le savoir doit avoir un sens et le refus de lui trouver un autre sens que lui-même. [] Décomposer, réduire, expliquer, identifier, mesurer, mettre en équation, ce doit bien être un bénéfice du côté de l’intelligence puisque c’est une perte du côté de la jouissance. On jouit non des lois de la nature mais de la nature, non des nombres, mais des qualités, non des relations mais des êtres. Et pour tout dire, on ne vit pas de savoir. III - Un peu d'épistémologie 5 - Conclusion • L'enseignement de la science se fonde généralement sur trois "prémisses" implicites : (+ une exigence: utiliser des mots dont le sens a été précisé,des définitions, toujours des définitions!) – la science est vraie – la science est fondée sur les faits – la science avance de façon cumulative. • Ces prémisses, comme le reste de ce qui concerne la science, peuvent toutes être discutées : – à la lumière de l’épistémologie, il est clair que les deux premières sont contradictoires, – à la lumière de l'histoire des sciences nous avons vu que la troisième est fausse, et à plusieurs reprises. • Cependant, et c'est encore l'histoire qui nous l'enseigne, la remise en cause de ces affirmations ne peut se faire que dans un cadre, luimême accepté par l'ensemble de la société. IV - La pratique scientifique de nos jours 1 - Le credo du scientifique • Aujourd'hui, pour être considéré comme un scientifique, on doit 1 - utiliser des mots dont le sens a été précisé (des définitions, toujours des définitions!) 2 - donner la possibilité de réfuter les affirmations que l'on fait (problème des "médecines douces") 3 - s'inscrire dans la recherche d'une cohérence dans notre représentation de l'univers (de l'homme) Ces exigences correspondent d'assez près à la définition donnée dans les dictionnaires Science : n. f. (Déf. du Robert) - - ensemble de connaissances, de travaux d'une valeur universelle, ayant pour objet l'étude de faits et de relations vérifiables, selon des méthodes déterminées (comme l'observation, l'expérience, ou les hypothèses et la déduction) ensemble des connaissances générales (de qqn), savoir culture, érudition savoir-faire que donnent les connaissances, l'expérience, l'habileté art ou pratique qui nécessite des connaissances, des règles IV - La pratique scientifique de nos jours 1 - Le credo du scientifique • de plus, le chercheur mais aussi le citoyen (et donc le politique) doivent se demander comment se positionne la science par rapport à la société... La technologie, voire l'opinion publique, peut être un moteur de la science (le Téléthon est à l'origine une initiative de familles de malades révoltés par la résignation de la science et de la médecine face aux myopathies). La publicité utilise comme argument de vente pour de nombreux produits un caractère prétendument scientifique de leur production. • sans oublier que la loi s'intéresse de près à l'éthique de la science. A ce titre, le chercheur comme le citoyen doit s'interroger sur la valeur morale qu'il accorde à la science, quitte à se trouver en situation de conflit (le nucléaire est-il un bon choix?) IV - La pratique scientifique de nos jours 2 - Les "domaines" de la Science Des domaines du savoir qui se donnent pour scientifiques apparaissent puis disparaissent. Pour juger du bien-fondé de ces prétentions, on peut évaluer un domaine : • un domaine du savoir ne devient une science à part entière qu'à deux conditions au moins : – son objet doit être clairement cerné (c'est le cas en biologie) et défini (est-ce bien le cas en biologie?) – il faut disposer de méthodes rigoureusement adaptées à l'investigation de cet objet. • il faut ajouter le critère de falsifiabilité de Popper. mais (Bachelard) ne pas appliquer ces règles de façon trop stricte aux domaines en cours d'émergence, ceux-ci, s'ils sont porteurs de découvertes scientifiques, doivent déranger l' "ordre établi de la connaissance" et surtout la conception que l'on a du monde. Par exemple "La science se définit surtout par ses frontières ; et, aux frontières de la science, tout est question. Les domaines les plus passionnants de la recherche sont ceux où foisonnent les interrogations encore mal formulées." Albert Jacquard. Ibid. IV - La pratique scientifique de nos jours 3 - La science, une école de courage La science est une pratique humaine Le théorème de Gödel "dérange". Il démontre que, pas plus les mathématiques que les autres champs de la science ne sont capables de nous procurer un système parfait. Les épistémologues démontrent qu’une vue métaphysique de l’univers participe à la découverte scientifique. Notre conception du monde doit donc inclure une part d'irrationnel, mystique (supérieur à la raison) ou probabiliste (imprévisible au niveau élémentaire mais obéissant encore à des lois simples au niveau statistique). (liste pas exhaustive) La société, aujourd'hui, semble faire le choix d'ignorer le problème en prétendant que la connaissance scientifique est capable de nous procurer un système parfait alors que "La connaissance consiste concrètement dans la recherche de la sécurité." (Canguilhem) Ceux qui ont fait avancer la science n’ont pas fait ce choix de la sécurité. 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